Chapitre 3

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Violette poussa les grandes grilles en fer forgé. En sortant de son entrainement, elle avait levé les yeux vers le ciel, cherchant une teinte claire qui saurait la soustraire à ses sombres pensées. Mais la nuit avait déjà déroulé son drap de laine, assombrissant la toile bleutée d'un voile brumeux.

Elle chercha son étoile dans l'immensité et la laissa la guider jusqu'au cimetière. Elle venait de temps à autre, elle marchait sans bruit, s'agenouillait et fixait le marbre gris. Ses lèvres ne laissaient filtrer aucun mot, pourtant son cœur, lui, hurlait ce qu'elle étouffait dans ses sanglots.

Elle avança dans les allées sombres. C'était une folie de déambuler ainsi à travers les sépultures le soir. En s'approchant de la tombe de Florian, elle distingua une silhouette qui se tenait debout face au monument et sentit la panique la gagner. Qui pouvait bien être ici à cette heure tardive ? Elle se retourna pour juger de la distance qui la séparait de la grille et se demanda si elle saurait l'atteindre avant que l'inconnu ne la rattrape. Le bruit de ses pas dans les graviers attira l'attention de la mystérieuse ombre.

  • Violette ?

La voix lui était familière. Elle souffla de soulagement, rassurée de ne pas être tombée sur un pervers qui guettait ses proies dans les cimetières de Vincennes. Elle avança jusqu'à se retrouver auprès d'Antoine.

  • Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure ? Ce n'est pas prudent !
  • Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ?

Son ton sonnait comme un reproche.

  • Tu viens souvent ? demanda-t-il, ignorant la question que venait de lui poser Violette.
  • Quelquefois...

Elle vit Antoine se pencher sur la tombe et attraper la petite statuette blanche qui gisait au milieu des plaques et des compositions. Son cœur se serra. Elle appréhendait les mots d'Antoine et savait qu'une fois de plus les siens resteraient coincés au creux de sa gorge nouée. Mais, comme d'un commun accord, ils laissèrent la nuit diffuser ses notes mutiques et restèrent ainsi, l'un près de l'autre, ressassant le passé devant lequel ils se recueillaient.

Une odeur de lys chatouillait les narines de Violette. Elle songea à sa mère qui ne venait jamais ici. Elle avait fui elle aussi.

Les émotions se bousculaient à l'intérieur d'elle, faisant plus de bruit qu'une averse de pluie. Ce fut Antoine qui rompit le silence de ses cris en lui offrant de l'escorter jusqu'à chez elle. Ils firent le trajet sans dire un mot.

  • C'est ici que tu habites désormais ? demanda-t-il en considérant la bâtisse qui se dressait devant lui.

Violette acquiesça.

  • Tu as toujours aimé courir dans le parc floral. Tu es tout près maintenant.

Elle lui adressa un faible sourire. Ne sachant quoi dire d'autre et, impatiente de s'extraire à son regard pénétrant, elle s'engouffra sous le porche en bois.

  • Merci de m'avoir raccompagnée. Bonne nuit.

Après avoir refermé la porte de son appartement, Violette resta quelques instants, les yeux clos et le dos appuyé contre le bois de la porte. Son cœur battait si fort qu'il lui faisait mal. Revoir Antoine dans ce contexte était encore plus difficilement supportable. Les images tourbillonnaient dans son esprit sous l'assaut d'un vent puissant. D'une tempête  qui détruit les derniers espoirs. La sonnette retentit. Elle inspira longuement, hésitant un instant avant d'ouvrir. Elle espérait qu'Antoine n'ait pas eu l'audace de monter.

Ce n'était pas Antoine.

Soulagée de voir Fred, elle se blottit contre lui et respira son parfum. Chrome d'Azzaro. Une senteur fraiche et intense. Une promesse d'évasion. Elle releva la tête. C'était la première fois que l'eau ne scintillait pas dans les yeux de Fred. Bien qu'étonnée, elle ne posa aucune question et l'invita à s'installer dans le canapé. Elle alluma quelques bougies et mit un disque dans la chaine hifi. Puis, elle vint s'asseoir et resta ainsi, serrée tout contre lui, à le contempler, enveloppée dans le silence réconfortant de sa compagnie. Elle sentait le pouce de Fred glisser sur son épaule tandis que son regard semblait l'implorer. Il paraissait tenaillé entre l'envie de se taire et celle de parler. Elle posa son index sur ses lèvres comme il l'avait fait le soir de leur premier baiser et caressa sa bouche. Ils fermèrent les yeux et laissèrent la musique bercer leurs pensées.


**


« Parle-moi Violette ! Je t'en prie. Souviens-toi de nos instants fleuris et de nos promesses d'infini. Celles qu'on se soufflait entre deux baisers, celles que tu gardais près de ton cœur comme un doux secret. »


Comment lui dire que chaque morceau de son cœur s'était brisé ? Que de leurs instants fleuris, il ne restait plus que des pétales flétris. Que les promesses, elles les avaient vues s'envoler entre deux volutes de fumée. Comment lui dire que le seul souffle qu'elle ressentait était celui de la Mort qui rôdait autour d'elle comme un rapace affamé ?


« Lève-toi Violette ! Je t'en supplie. Si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour moi ... »


**


Violette ouvrit les yeux. La nuit tapissait de noir le salon endormi. Le disque était fini. Fred dormait. Elle se dégagea sans faire de bruit et se dirigea dans la cuisine. Elle fit couler l'eau du robinet et but un verre à grandes gorgées. Pour tenter de chasser cette boule qui obstruait sa gorge, pour noyer ces émotions qui la dévoraient. Ses cauchemars, dont elle croyait s'être enfin débarassés, revenaient la hanter. Elle pensait que l'éclaircie présente dans le regard de Fred avait suffi à chasser les ombres qui, penchées sur elle, tentaient de l'avaler. Elle pensait qu'il l'avait libérée.

Elle retourna auprès de Fred qui se réveilla à son contact.

  • Violette ?

Il se redressa en fronçant les sourcils, observant les larmes glisser le long de la joue de la jeune femme.

  • Qu'est-ce qui se passe ?

Du bout des doigts, il recueillit les perles de pluie qui ruisselaient sur son visage.

  • Parle-moi Violette.

Parle-moi.

Ses larmes redoublèrent.

  • Emmène-moi sur ton voilier, souffla t-elle entre deux sanglots.

Fred saisit son visage entre ses deux mains et embrassa ses yeux, son nez, sa bouche avant de la serrer dans ses bras et de la bercer doucement.

Violette entendit le bruit des vagues qui se rapprochaient tout doucement. Elle ferma les yeux et se laissa emporter dans leurs rouleaux.

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