Chapitre 5

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Les écouteurs vissés aux oreilles, les yeux rivés vers l'horizon, Violette pensait à sa mère.

Depuis quatre ans maintenant, la mère de Violette enchainait les allers-retours en cure thermale. Hortense Delambre s'était mise à souffrir de névralgies faciales quelques temps après le décès de Florian. Ces douleurs survenaient soudainement, provoquant d'intenses décharges électriques qui irradiaient la moitié de son visage. La première crise n'avait duré que quelques secondes mais d'autres s'étaient succédées la plongeant dans une souffrance physique insupportable qui déformait ses traits en un rictus affreux.

L'arrivée intempestive de ces douleurs lancinantes la rendait capricieuse et irritable. Elles l'empêchaient de dormir la nuit et de travailler le jour. Hortense ne vivait plus que dans un monde de souffrances qui envahissaient son esprit et paralysaient une partie de son corps. La fermeture de l'Atelier n'avait rien arrangé à cette dépression qui s'était immiscée insidieusement en elle après la perte de son fils.

Les médecins avaient établi un lien entre ces douleurs physiques et le traumatisme psychique qui découlait de ce drame. Le deuil classique s'était mu en deuil pathologique. Ils avaient parlé de maladie psychosomatique.

Florian était l'être qu'elle chérissait le plus au monde. Durant son enfance, Violette avait longtemps souffert de la comparaison avec son frère aîné. Hortense n'avait eu de cesse de la rabaisser, lui rappelant que Florian, avait fait ses premiers pas à treize mois, « lui », alors qu'il avait fallu attendre les dix-huit mois de Violette pour que celle-ci ne se décide à marcher. Ou encore, que son frère avait su lire avant même son entrée en CP, « lui », alors qu'elle, butait toujours sur les mots à l'aube de son entrée au cours élémentaire.

À l'adolescence, elle avait compris qu'il lui faudrait passer ce moment difficile sans sa mère. Quand vint le jour de ses premières règles, elle avait appelé Hortense qui lui avait rétorqué que ses tampons se trouvaient dans le deuxième tiroir de la salle de bains. Le premier étant réservé à son maquillage qu'elle défendait à sa fille de toucher. Violette était allée dans la salle de bains, avait ouvert le second tiroir, avait observé ses drôles de petits bâtonnets de coton, se demandant ce qu'elle était sensée faire avec. Elle n'avait pas osé rappeler sa mère. Prise de panique, elle avait enfourché sa bicyclette, puis roulé jusque chez Pauline. C'était Diane, la maman de son amie qui avait ouvert la porte. Ce n'était pas la première fois qu'elle la voyait débarquer chez elle, les yeux rougis. Morte de honte, Violette s'était tout de même confiée à cette femme douce et compréhensive qui l'avait conduite au premier étage et lui avait donné un paquet de serviettes hygiéniques, beaucoup plus adaptées selon elle, à des jeunes filles. Puis elle l'avait réconfortée et félicitée de cette étape importante qui amorçait sa vie de jeune femme.

Violette avait donc construit sa vie de femme sans sa mère. Elle ne communiquait que très peu avec elle et l'évitait le plus possible. Le décès tragique de Florian ne les avait pas ressoudées, bien au contraire. Hortense s'était enfermée dans les ténèbres et ne les quittait que pour rejoindre Vittel et la chaleur de ses eaux thermales qui lui apportaient un peu d'accalmie.

L'esprit englué dans ses souvenirs que la musique dans ses oreilles ne parvenait pas à faire taire, elle ne fit attention à l'homme qui l'appelait que lorsqu'il accéléra sa foulée pour la rattraper.

— Salut Violette !

La jeune femme stoppa sa course et retira ses oreillettes.

— J'espérais te recroiser...

Un malaise s'installa entre les deux puis Antoine reprit :

— Tu ne voudrais pas prendre un café ? On...on pourrait discuter un peu...

— De quoi ?

— Je ne sais pas... De mon départ... De ce qui a précédé.

Violette repensa à leur moment au cimetière la veille au soir.

— Écoute Antoine, je n'ai pas envie de reparler de tout ça.

— Il le faudra bien un jour.

— Pourquoi ?

— Pour pouvoir te croiser sans qu'il y ait ce malaise entre nous.

— Tu es de passage, on ne devrait pas se recroiser dix fois avant que tu ne repartes.

— On m'a proposé de superviser les dossiers de Chicago depuis Paris donc je vais rester...

— Ah !

— Écoute je voudrai pouvoir m'expliquer.

— C'est inutile, il y a prescription non ? Et puis ce n'est pas le moment, je dois déjà me confronter à ma mère...

— Ah ! Hortense Delambre ! Toujours fidèle à elle-même ?

Violette et Antoine se remirent en marche tout en discutant.

— Elle sort de cure. Pour la énième fois ! reprit Violette. Donc comme à chaque fois nous « fêtons » son retour.

Violette leva les yeux au ciel, et grimaça de dégoût.

— J'imagine alors que ce ne sera pas un moment agréable.

— En effet.

Violette et Antoine étaient maintenant en bas de l'immeuble de celle-ci.

— Bon... je ne vais pas te retenir plus longtemps alors. J'espère qu'on pourra se revoir. Et se parler sincèrement.

Violette lui envoya un dernier sourire fugace puis ouvrit la lourde porte de son immeuble par laquelle elle s'engouffra.

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