Chapitre 2

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 «Tu l'aimes vraiment ?

Pas besoin qu'elle me précise de qui elle parlait. Je ne voulais pas la blesser.

-Oui.

Je soupirais.

-Je l'aime comme on aime un membre de sa famille.

Elle soupirait.

-Je crois que j'éprouve surtout... de la reconnaissance.

-De la reconnaissance ?

Emma leva son visage vers le mien.

-Hum. Il m'a permise de partir de chez mes parents, de les rassurer, et d'avoir une situation stable.

Elle regarda mon ventre arrondi.

-Et pour ça ?»

Je ne savais pas quoi lui répondre. J'ai toujours su qu'à un moment donné je devrais enfanter. Mais, maitenant ? Je ne me sentais pas prête. À vrai dire, j'étais terrifiée. Je n'avais que vingt-deux ans. C'était l'âge où la plupart des mères enfantent pour la première fois. Mais moi, je me sentais si jeune, trop jeune, comme si je passais à côté de beaucoup de choses ; c'est-à-dire : de ma vie.

Je ne répondis pas, et elle détourna le regard. Son visage était désormais tourné en direction de l'horizon. La prairie était éclairée par la lumière du soleil qui, tranquillement, commençait à se coucher. Nous le regardions ensemble. Puis je la regarde elle.

On a quatre ans d'écart et pourtant, j'avais souvent l'impression que ce ne sont que des mois qui nous séparaient. Elle était si mature, si intelligente. J'aurais aimé être comme elle. Mieux, j'aurais aimé être elle. Elle était libre. Elle était complètement hors de la cage. Depuis toujours, elle se rebellait. Elle quittait ses parents sans regret, car elle était intenable. Elle brûlait d'envie de découvrir le monde et de vivre comme elle le souhaitait. Si elle voulait partir le lendemain, elle partait. Si le lendemain elle voulait être avec une femme, elle le serait. Si le lendemain elle souhaitait devenir aviatrice, elle le deviendrait.

-Et toi, tu as hâte d'attendre des enfants ?

Elle retient un rire. Le regard amusé, elle le pose sur moi avec un sourire malin.

-Oh, j'en brûle d'envie.

 Nous nous regardions, complices. Je crois qu'elle remarqua mon amereté, car elle finit par sourire autrement, un de ceux qui transparaissent de réconfort. Mais je n'avais pas besoin de ça. Je voulais juste qu'on n'en parle plus. On verrait les choses en temps venus.

Depuis le début des vacances, je ne cessais de la voir tenter de se rapprocher de moi. Et ça marchait. Au début, j'eus peur : je pensais qu'on allait accueillir une adolescente intrépide, n'écoutant que ses démons et détestant tout le monde. Ça, c'est le portrait qu'en faisait ses parents. Emma était une jeune fille, certes rebelle, têtue, mais sensible, et avec une belle âme. Elle détestait ses parents, c'est tout. Et je la comprends, quand on est traitée pareil. Dès le début des vacances, ils l'avaient jetée dans la voiture, la valise à peine fermée, direction chez son frère. Et maintenant, nous sommes mi-août, et je me demandais comment je ferais quand elle rentrera chez ses parents. Emma m'apportait tellement.

Nous passions énormément de temps ensemble. En fait, je ne sais pas comment j'aurais fait sans elle. À l'aube mon terme, elle m'aidait dans toutes les taches d'une épouse. Elle cuisinait, cousait, nettoyait avec moi, sans jamais se plaindre. Au contraire : nous voyions ces moments comme des opportunités pour passer du temps ensemble. Elle m'aidait à marcher lorsque la ballade devenait trop sévère à mon dos tiraillé. Elle me coiffait même; chaque matin, et chaque soir. Par-dessus tout, elle me jouait du piano, et du Litz. Emma prenait soin de moi, quelque part.

En plus de tout cela, elle avait de la conversation. Déjà, elle était passionnée par l'art. Début juillet, nous étions allées acheter des toiles pour qu'elle puisse s'exprimer-chose que ses parents détestaient puisque la peinture, ça pue, et en plus ça tâche, et maladroite comme elle est, elle va nous repeindre la maison. Je tenais à ce qu'elle puisse faire ce dont elle avait envie dans cette maison. Elle me parlait souvent de ses goûts, me montrait ses oeuvres. De temps en temps, elle me faisait le portrait. Ça me touchait énormément : elle créait déjà des souvenirs. Dans la campagne où nous habitions, il y avait très peu d'activités. Pour combler le temps, je la voyais soit un carnet à la main, soit un pinceau entre les doigts.

J'aurais, personnellement, été honorée qu'elle repeigne la maison. Qu'elle dessine sur les murs du salon, qu'elle peigne une oeuvre d'art dans sa chambre, même sur la façade. Jacques n'aurait jamais apprécié.

Emma me parlait souvent d'un de ses projets de rêve : créer une fresque. Peu importe : en centre-ville, dans un lieu social, dans son futur appartement. Je trouvais ça très intéressant, mais surtout un beau reflet de sa personnalité : Emma aimait qu'on la voit. Elle passait le plus clair de son temps avec moi. Je n'aurais pas demandé meilleure amie pour l'été de ma grossesse. Ce fut, et encore aujourd'hui, mon plus bel été. Grâce à elle.

Emma allait rentrer en terminale. Moi, j'allais être mère. On avait pourtant tellement en commun.. Et je me demandais, encore un matin d'août, occupée à tricoter un pull pour toi, comment j'allais faire sans elle.

J'avais peur qu'elle entre en terminale, retrouve des gens de son âge, et m'oublie. J'avais peur de ne plus exister pour elle. J'avais peur de perdre cet éclat de liberté dans ma vie d'épouse au foyer. J'avais trouvé en elle une meilleure amie. Était-ce parce qu'à l'époque, je n'en avais pas d'autres, ou bien parce qu'elle me suffisait ? La question n'avait pas lieu de se poser, puisque j'en connaissais déjà la réponse.

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