Désillusion (1/2)

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Étanchant sa soif sans délicatesse, l'eau ruisselait sur ses joues imberbes des commissures de ses lèvres. Le magicien déposa le gobelet en terre cuite, presque brutalement, avant de se redresser sur sa couche et d'observer par la fenêtre les premiers rayons du soleil apparaître à l'horizon. Il soupira lourdement. Encore un cauchemar. Mais curieusement, cette fois-ci, il s'en souvint.


Repoussant ses couvertures, il  chaussa ses pantoufles et se leva en s'étirant. Il jeta un œil à sa couche, une dernière fois, avant de s'habiller. Il s'était arraché à l'étreinte de trois resplendissantes jeunes femmes somnolentes, son départ ne perturba point leur sommeil. Décidément, emplir son lit, s'épuiser à la tâche avant de rejoindre les bras de Morphée, s'enivrer jusqu'à l'ivresse... tout cela n'avait aucun effet sur son cauchemar. Chaque nuit, Olgeirth y était emprisonné, condamné à revoir ses plus proches amis massacrés, dévorés, abusés par des créatures démoniaques. Dareth'in Iril-Üth, les démons abyssaux... la pire engeance jamais créée.

Souvent au réveil, les âpres souvenirs du massacre s'effaçaient. Mais ce faisant, ils laissaient place à une curieuse sensation de terreur, de dégoût et d'amertume. Mais ce matin-là, cette vision ne le quitta point. Elle avait même été légèrement changée. Le magicien trouvait bien curieux cette différence, qu'il avait relevé, dans un cauchemar dont il n'avait jamais le souvenir une fois réveillé. Mais il ne s'y attarda pas, n'ignorant point que la magie se gouvernait par une logique qui échappait même au plus brillant des esprits. Ses veines frappaient contre ses tempes, sa gorge demeura sèche malgré les nombreux litres d'eau ingurgités. Et voilà qu'une migraine entêtante débarquait, à son tour, afin d'ajouter une pointe de bonheur dans sa journée déjà bien commencée. Il grogna en quittant la pièce dans laquelle il avait séjourné et dévala les escaliers afin de rejoindre le rez-de-chaussée de l'auberge.

Adan, levé aux aurores... Quel est ce maléfice ? ironisa Olgeirth en se joignant à ses seconds.

Delhass dissimula un rictus derrière sa tasse en porcelaine de laquelle s'échappait une voluptueuse odeur de café.

— En voilà un qui a mal baisé... Oh devrais-je dire « mal forniqué », ça me paraît plus adapté ! répliqua sèchement le concerné, en levant son énorme chope de bière remplie à ras bords. Pendant que vous autres preniez du bon temps, eh beh... nous, on faisait nuit blanche pour vous dénicher les meilleurs.

Un pli déformait son front ainsi que son joli visage au menton carré. Il observait le magicien d'un œil inquisiteur tandis que celui-ci zieutait les nombreuses chopes vides ornant la table. Olgeith lui jeta un regard en biais.

— La serveuse a d'jà nettoyé la table par trois fois, marqua l'elfe tout sourire.

— Vous allez me raccourcir cette tignasse, on voit à peine vos yeux. Vous devez être en tout point opérationnel et précis, le gronda le magicien, manifestement irrité.

Adan leva le nez de sa chope, agitant sa longue et sombre chevelure devant ses yeux.

— Je les attache en cas de besoin, je vous ai dit de me lâcher la grappe avec ça. C'est pas parce que vous êtes obsédé par votre coupe de cheveux et votre menton bien rasé que les autres doivent en faire autant.

— Vous êtes vraiment un impertinent !

— Et vous êtes un mal baisé.

— Faites pas 'tention à lui là. Il a pas dormi d'la nuit. On en a vu des spécimens, vous p'vez me croire ! C'était vraiment éprouvant... Y'avait même un paysan édenté, la tronche à moitié bouffée par la peste jaune qui s'était pointé ! Il a débarqué en grande pompe, comme ça ! Fourche émoussée en main, il a gueulé à qui voulait l'entendre qui venait chercher le trésor ! Je m'demande comment un tel spécimen a pu lire le parchemin... Il m'avait tout l'air d'un illettré... Un autre, celui-là c'était un vrai trou d'uc ! Un bandit, coupe-jarret jusqu'aux dents armé ! Et il était pas tout seul, cette enflure... Mais il avait mal choisi ses victimes, on leur a retourné la cervelle avec un Deshestys ! Ils l'avaient pas vu venir !

Le magicien écarquilla les yeux avant de frapper du plat de la main la surface en bois de la table.

— Vous avez fait quoi ? En pleine rue ?

— On a été discrets, pas la peine de faire une crise. A votre âge, c'est dangereux. Vous allez clamser avant même qu'on entame le voyage, vociféra Adan, de bien meilleure humeur. Je t'avais dit de la boucler toi, non ?

Il s'adressa cette fois-ci à l'elfe, en le toisant froidement.

— Et depuis quand tu crois que je t'écoute ?

Ils se regardèrent en chien de faïence, tandis que Valence, mine éblouissante, vint briser la lourde ambiance qui s'était installée.

— Il a bien raison de s'inquiéter, le vieux maître ! J'ai senti votre puissant flux alors que je...

— Pas la peine d'aller dans les détails, Valence. On y a tous eu droit cette nuit. Les chambres de l'auberge ne sont pas très isolées.

— Hum... En tout cas, s'il y avait des templiers de l'Ordre dans le coin..., poursuivit Valence, faisant la moue d'avoir été coupé en plein élan.

— Si ça avait été le cas, nous ne saurions plus là pour en parler, interrompit violemment Adan alors qu'il se rattachait sa chevelure brune à l'aide d'une ficelle en cuir.

— Dans un lieu public, ils ne se risqueraient pas à un combat ouvert. Alors...

— Ça suffit. On part aujourd'hui, de toute manière. Avez-vous trouvé des recrues dignes d'intérêt ?




*




Les apprentis alchimistes ne cessèrent d'observer leur maître alors qu'ils effectuaient les préparatifs pour le voyage. Pour la première fois, ils s'accordèrent tous les deux sur une même inquiétude, le magicien se comportait bien plus étrangement qu'à son habitude. Il semblait préoccupé par quelque chose, mais il refusait ou ignorait catégoriquement leurs questions.

Je l'sens pas ce coup...

— On a les jetons ? On va se désister ? se moqua Adan, alors qu'il faisait l'inventaire des plantes à collecter dans un vieux carnet à reliure blanche.

— Arrête tes conneries. T'as bien vu comment il se tient. Il ne s'est pas rasé le début de barbe aujourd'hui...

Adan pouffa de rire avant d'interrompre sa corvée.

— Dis donc, tu surveilles le moindre de ses gestes, tu connais sur le bout des doigts les moindres de ses manies... T'es amoureux ou... ?

— J'apprends en l'observant. Tu devrais en faire autant.

— Bon... c'est vrai qu'il est plus casse-pieds que d'habitude.

— Beh voyons.

— Tu crois qu'il nous cache quelque chose ?

— Je l'crois pas, je l'sais. Ça doit être un truc tellement horrible, qui veut pas nous en parler... Il a pt'être peur qu'on refuse de le suivre. Un truc plus dangereux encore que cette horrible cité...

— Il y a des rumeurs qui affirment que cette cité ferait partie de ton héritage elfique, mon cher..., se gaussa Adan, alors qu'il scrutait l'elfe de la tête aux pieds. T'en fais vraiment tout un plat, tu serais pas devenu parano ?

— Crois ce que tu veux, moi je m'en vais lui parler. Et s'il se braque, moi je me tire.

Adan grogna dans sa barbe en guise de réponse. Il observa Delhass s'aventurer seul hors de l'auberge avant de décider de le suivre.

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