Le 22 juillet de l’an de grâce 1873, depuis la branche la plus hospitalière de mon châtaignier favori
Monsieur,
Ma chère amie Mme de Courcelles m’a informée de l’état de santé de son fils chéri et m’a demandé si j’accepterais d’échanger avec lui.
Bien évidemment, la requête m’a quelque peu déstabilisée : il est vrai qu’il n’est point dans mes habitudes de correspondre avec un jeune homme que je ne connais point.
Pourtant, j’y ai accédé avec plaisir, après quelques temps de réflexion. Après tout, vous n’êtes pas un étranger, chez Monsieur, mais bien le dernier enfant de mon amie la plus chère.
Aussi, je prends aujourd’hui la plume, perchée sur mon châtaignier préféré.
Certains diraient que ce n’est guère digne d’une « Demoiselle », ainsi que l’on m’appelle en société — mais je leur ris au nez.
Qui donc a dit que remonter ses jupes pour grimper aux arbres était réservé aux chats ? Peut-être en suis-je un, me direz-vous — ce qui expliquerait l’affection inexpliquée que me vouent ces bêtes.
Je suis bien installée, suffisamment à l’ombre pour ne point attraper une vilaine migraine (ce qui serait fort regrettable, car je serais alors obligée de vous laisser vous morfondre), et les rayons de soleil qui me parviennent suffisent à illuminer mon papier, tout en parsemant mon nez de quelques taches de rousseur.
Car oui, mon cher, je suis une adepte de ces dernières — depuis toujours, d’ailleurs.
Ma mère passait plus de temps dans sa roseraie, les bras nus et le nez fièrement dressé, que couverte de dentelles dans un salon de la Haute.
Peut-être serez-vous choqué de mes dires. Grand bien vous en fasse : je ne suis point ici pour vous flatter ou vous mentir.
J’aime l’honnêteté — croyez que j’en ferai toujours preuve, parfois même trop, dirait mon cher papa.
Le pauvre homme a bien souffert des frasques et lubies de sa fille — ou plutôt de son elfe malicieux.
Tantôt montée à cheval, tantôt perchée au sommet des bottes de paille, elle lui a donné plus de frayeurs qu’un fils n’aurait pu lui offrir en une seule vie.
Je crois qu’il aura plus crié « Éléonore ! » que tout autre mot au cours de son existence.
Quoi qu’il en soit, Monsieur, je suis à votre sincère disposition si vous souhaitez vous recréer en me confiant ce qui vous passe par la tête.
Je vous souhaite de profiter de ce joli ciel bleu,
Affectueusement vôtre,
Éléonore de Varennes, Duchesse du Châtaignier et Princesse des Pommes de Pin
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