Le 25 juillet de l’an de grâce 1873 , depuis mon royaume immobile, au cœur de Paris
Mademoiselle,
Je lis qu’une fois de plus, ma petite maman ne s’est point embarrassée de me demander mon avis, et vous a imposé la tâche bien ardue de rendre le sourire à un infirme.
Tâche ardue que vous avez pourtant accomplie haut la main, Éléonore — si vous permettez que je vous nomme ainsi.
Votre missive, aux senteurs d’herbes fraîches et de fleurs des champs, a apporté le soleil dans ma chambre grise de notre hôtel parisien.
Je ne quitte mon lit que pour m’asseoir dans un fauteuil, et pourtant, vous avez su m’amener la campagne jusqu’ici, par la seule magie de vos mots.
Il est vrai que je vous envie. J’aimerais, tout autant que vous, grimper aux arbres, jouer avec les chats, conduire un chariot de paille.
Je vous imagine, fière amazone en armure mythologique, chassant l’intrus du haut de votre pur-sang — ou bien simple fermière en robe fleurie et tablier blanc, lançant le grain à vos oiseaux.
Quel tableau romantique… Bien des artistes m’en envieraient. Et c’est à vous que je les dois, ces images qui repoussent les idées noires.
Vous avez bien raison de profiter du grand soleil, sans vous soucier des avis de la société. Dansez-vous au clair de lune avec les nymphes sur le gazon frais ? Chantez-vous des mélodies joyeuses avec les rossignols ?
Vous vous lasseriez bien vite, je le crains, d’une vie monotone comme la mienne. Rien ne s’y passe de joyeux, et je n’ai point d’anecdotes dignes de vous distraire.
Profitez plutôt de votre liberté pour apprendre vos terres sur le bout des doigts, et pour en rendre le meilleur que vous pouvez.
Il ne vous sert de rien de vous enchaîner à un jeune homme qui n’a de jeune que le nom. Ma santé vacille au gré des saisons, et mes jambes ne m’ont jamais porté. Je ne connaîtrai jamais la joie de vos danses ni de vos cabrioles d’elfe malicieux, Éléonore.
Partagez vos sourires avec ceux qui peuvent vous les rendre : vous en serez bien plus heureuse.
Je vous souhaite tout le bonheur capable de vous combler, Mademoiselle. Prenez bien soin de vous.
Sincèrement,
Alban de Courcelles, Duc du Lit à Baldaquin et Prince du Fauteuil à Roulettes.
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