Le monde n’était que douleur. Elle n’avait que quatre ans pourtant elle savait que cette douleur n’était pas normale.

Comme un deuxième cœur, cette douleur pulsait juste sous sa poitrine et dans son dos. On l’avait transpercé. Était-elle morte ? Elle ne savait pas vraiment ce que ça voulait dire, mais la douleur ne la quittait pas, alors même qu'aucun son ne pouvait sortir de sa bouche. Elle ne voyait plus rien non plus. Son monde n’était que douleur.

Seule l’odeur ferreuse du sang arrivait à l’atteindre dans sa bulle de douleur. Était-ce son sang ? Ou bien celui de ceux qui l'accompagnaient. Elle ne se souvenait déjà plus d’eux. Était-ce sa famille ? Avait-elle une famille ?

Bien trop de questions pour une si petite fille.

Il y eut tout à coup un pic de douleur, la ramenant quelques instants à la réalité. Quelqu’un l’avait retourné sur le dos. Elle avait maintenant vue sur la porte où se tenait trois personnes identiques. Malgré son jeune âge, elle les reconnut immédiatement. Ils étaient sur toutes les pièces du pays. Les Sharaka.

Leurs visages étaient tordus par un sourire cruel. L’un d’entre eux croisa son regard et disait :

— Tiens, la mioche est encore en vie. Emmenez-la.

— Et pour les autres ? demanda quelqu’un hors de son champ de vision.

— Brûlez les corps et retrouvez le garçon.

Le soldat acquiesça et la souleva, la douleur fut encore pire et cette fois, elle perdit connaissance.

Kira se réveilla en sursaut, elle n’avait jamais rêvé aussi clairement de cet événement. Le souffle court et ses cicatrices douloureuses, elle se leva avant d’enfiler son armure.

Elle se rendit alors compte qu’il était encore bien trop tôt pour commencer son tour de garde. Ne sachant quoi faire, la brune se laissa guider par ses pas jusqu’à sa dragonne. Maraxès ne dormait pas non plus.

“Que fais-tu ici, il est encore tôt.”

— Je n’arrivais plus à dormir.

“Que dirais-tu d’un petit vol en attendant ton tour de garde ?” proposa le reptile.

Pour seule réponse, Kira grimpa sur son dos et la dragonne violette s'élança dans les airs. Elles survolèrent An Wesiri endormie, en silence. Au loin, le soleil se levait, la brune apercevait la silhouette de Gavin sur son propre dragon se détachant sur le ciel rosé.

“Nous devrions rentrer avant lui, que tu prennes la relève au sol.”

La jeune fille acquiesça doucement, elle avait l'esprit ailleurs. La douleur à sa poitrine s’était à peine estompée tandis que le souvenir dont elle avait rêvé ne cessait de se répéter en boucle dans sa tête.

Maraxès atterrissait devant le château en douceur, Kira sauta de sa croupe et salua les soldats en faction. Quelques instants plus tard, Gavin arriva à son tour.

— Matinale ? demanda-t-il lorsque ses bottes touchèrent le sol.

— Évidemment.

Il rigola puis bailla en s’approchant d’elle. Il lui serra la main, officialisant la garde de Kira. Cette dernière vacilla tout à coup.

Elle ne voyait que le plafond de la pièce. Des liens enserraient ses poignets et ses chevilles, l'immobilisant totalement. Elle essayait de tourner la tête, en vain. C’était comme si son corps ne répondait plus. Elle ne pouvait ni crier, ni pleurer.

— Kira ? Est-ce que ça va ?

La voix de l’homme l’avait ramené à la réalité. Se forçant à sourire, elle répondait :

— Oui, oui, excuse-moi. Je dois couver quelque chose.

— Très bien. Fais attention à toi, je vais me coucher. Bon courage, dit-il avant d’entrer dans la forteresse.

La jeune Wesi se passa une main sur le visage et remonta sur sa dragonne.

“Tu es sûre que ça va ?”

— Oui, ne t’inquiète pas. Allons-y.

Le reptile se taisait et obéissait, mais n’en pensait pas moins.

Le soleil avait conquis le ciel très rapidement, faisant luire les écailles de la dragonne mauve. Le temps était parfait, pourtant, Kira n’arrivait pas à en profiter.

Pourquoi ses souvenirs lui revenaient maintenant ? Était-ce la découverte des pièces secrètes des Sharaka ? Son dernier flash laissait penser qu’elle avait été attachée sur une sorte de table. Elle avait vu une table qui pourrait correspondre dans une des salles. Elle était persuadée que les Sharaka l’avaient détenue pendant son enfance et tous ses souvenirs ne plaidaient pas la cause des tyrans. Était-ce pour une quelconque expérience ? Que lui avaient-ils fait ?

« Tu n’es pas concentrée. » faisait remarquer le reptile. « Est-ce que tu comptes m’expliquer ce qu’il se passe ? »

— Je ne me sens pas très bien. Mes cicatrices me font mal et j’ai mal dormi.

« Pourquoi ? »

— Je n'arrête pas d’avoir des visions de mon passé depuis que j’ai trouvé ce dont je t’ai parlé la dernière fois. Mais aujourd’hui c’est très insistant. C’est comme si les morceaux commençaient à se recoller. J’ai vu distinctement les Sharaka. Ils m’ont emmené je ne sais où…

Elle fut coupée par un mouvement dans le côté droit de son champ de vision. La jeune femme tourna vivement la tête et plongea de nouveau dans un monde passé.

Des éclairs blancs pulsaient à un rythme chaotique, laissant des trainées noires dans son champ de vision. Elle se sentait de plus en plus faible quand soudain, tout s’arrêta brusquement, on s’approchait d’elle. Les Sharaka. Ces derniers étaient les seuls humains, si on pouvait les qualifier ainsi, qu’elle voyait depuis plusieurs mois.

Ils se penchèrent au-dessus d’elle, l’air mécontent.

— Je ne comprends pas pourquoi ça ne fonctionne pas, se retenait de hurler l’un d’entre eux.

— Nous ne sommes pas assez puissants, cela ne sert à rien de recommencer.

— Que proposes-tu ? De la relâcher ? Son aura nous est précieuse.

— Il nous faut la garder en “réserve”. Il faut qu’elle vive assez longtemps pour qu’on puisse l’utiliser le moment venu.

— Soit, trouvons lui une famille et faisons lui oublier tout ça. Mais cela ne se passe pas comme prévu, tu entendras ma colère. Et le garçon ?

— Son frère ? Nous allons l’entrainer. Irtimir a déjà réussi à briser son esprit, il nous obéira.