Chapitre 4 Pris au piège

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TW : Scène de violence, présence de sang

J’avais beau crier, il n’en avait rien à faire. Il continuait de tirer Maman par les cheveux. Il claqua la porte de ma chambre, dévala les escaliers en la traînant sur le sol, puis, claqua la porte de leur chambre. Impuissant et tétanisé, j’entendais les supplications de Maman, j’entendais les coups, les hurlements de rage de Papa. J'entends tout, et je ne pouvais rien faire. La peur me prit aux tripes et serra mon ventre si fort, que je dus me précipiter hors de ma chambre, me jeter au-dessus des toilettes pour vomir mon âme, ma peine et ma peur. Mon petit corps fut pris de tremblement, ponctué par des spasmes de rejet. Mes larmes et ma sueur perlaient sur mes joues, dégoulinaient jusqu'à mon menton pour finir leur course sur la cuvette des toilettes. La salle d’eau se trouvait juste au-dessus de la chambre de mes parents, rendant la scène bien trop perceptible. Je me recroquevillai dans un coin sombre de la pièce, les jambes contre ma poitrine. Mes sanglots étouffés ne parvenaient pas à surpasser les bruits, les coups, les cris. Ma tête se mit à tourner, comme si j’étais pris de vertiges. Mon corps était de plus en plus lourd. Je glissai lentement contre le mur, pour finir par m’allonger sur le sol froid des toilettes. Mon oreille collée aux carrelages, j’écoutais cette scène d’horreur, impuissant.
J’entendais mon Papa, battre ma Maman, sans rien pouvoir faire. Un tas de choses me passait par la tête, je pensais à descendre pour lui porter secours, à appeler de l’aide, mais je savais que personne ne viendrait. J’avais déjà essayé, j’avais imploré de l’aide, mais personne n’était jamais venu. Si les colères de Papa m’avaient bien appris une chose sur la vie, c’est que personne ne serait jamais là pour me venir en aide. Personne à part Maman.

Je pris mon courage à deux mains et puisais dans l’amour que j’avais pour elle, je parvins à me lever non sans vaciller. Je quittais les toilettes et descendais les marches de l’escalier d’un pas hésitant. Je m’étais décidé à lui venir en aide, mais je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire une fois en bas, une fois devant lui. Est-ce que j’allais essayer de le frapper ? Est-ce que j’allais lui parler ? L’implorer de la laisser tranquille ou faire comme dans les films que j’avais vus, utiliser une arme ? J’en étais incapable. J’étais incapable de faire toutes ces choses, mais plus je cherchais une idée, plus la porte de leur chambre se rapprochait. Je quittais la dernière marche de l’escalier, quand un bruit, plus fort que tous les autres, me fit sursauter. C’était le son d’un objet lourd tombant au sol. Je me précipitais dans la chambre pour voir ce qu’il se passait.

Soudain, la terre s’arrêta de tourner, les voitures cessèrent de voler, les gens s’immobilisèrent et mon cœur cessa de battre quelques secondes. Le temps lui-même s’arrêta, accablé par cette scène. Maman gisait au sol, ses longs cheveux d’un blanc si pur couvraient son visage. Sa robe bleu était déchirée au niveau de la poitrine, ses bras étaient tachetés de blessures. Mais ce n’était pas ce qui m’avait anéanti. Ce qui m’avait brisé au plus profond de mon être, c’était la flaque de sang qui se répandait autour de son corps inerte. Sa tête saignait en quantité. Je ne parvenais pas à voir d’où exactement, mais ses jolis cheveux blancs prenaient une teinte rouge. Papa se tenait là, debout non loin d’elle, un chandelier dans la main. J’eus l’impression que mes pieds étaient imbriqués dans le sol, que j’étais incapable de faire le moindre pas, le moindre bruit.
La flaque continuait de s’étendre, me laissant comprendre qu’elle ne saignait pas seulement de la tête. Mon regard se porta quelques instants sur Papa. Il ne bougeait pas, droit, le regard fermé et les traits déformés par la colère. Il ne fit rien pour l’aider, lorsqu’il se mit en mouvement, il reposa simplement le chandelier et quitta la chambre. Je me précipitais sur elle, sans savoir quoi faire pour l’aider. J’avais vu des scènes à la télévision ou dans des films, alors je tentais de les reproduire. J’attrapais un vêtement et le pressais contre la tête de Maman. Celui-ci se gorgea rapidement de sang, je tombais en arrière, terrorisé par cette scène. Mon cœur battait si fort dans ma poitrine que j’en avais mal. Mes mains étaient tachées de rouge, tout comme mes vêtements. Mes larmes me brouillaient la vue, comme pour me préserver de ce cauchemar.

“Papa ! Papa, il faut l’aider ! Maman… Maman, réveille-toi.” Implorai-je.

Il ne m’offrit aucune réponse, aucune solution, aucun soutien. J’étais laissé là, avec ma Maman étendue au sol. Peut-être n’avait-il pas entendu, peut-être le choc l’avait-il paralysé.
Soudain, j’entendis le craquement significatif du parquet grinçant sous le poids de quelqu’un. Puis, la porte de la chambre s’ouvrit à la volée et plusieurs hommes pénétrèrent. Ils portaient des masques et des gants, je glissais sur le sol pour m’éloigner d’eux.

“Non ! Non, ne la touchez pas ! Laissez-la tranquille ! Papa !”

Mes cris restèrent sans réponse. Un homme m’attrapa sous les bras et me souleva du sol. Je me débattais autant que je pouvais. La terreur avait pris les rênes de mon esprit, chassant le calme et la réflexion à grand coup de pied. Je n’avais qu’une seule chose en tête, protéger Maman de ces gens. Lorsque l’homme me déposa, je glissai entre ses jambes pour lui échapper. Il se lança à ma poursuite sous le regard agacé de Papa. Il était accoudé à la fenêtre, une cigarette dans la bouche. Une partie de moi me disait d’aller me réfugier auprès de lui, mais l’autre avait compris qu’il ne ferait rien pour Maman ou pour moi. Je courais dans la chambre et me jetais sur le corps inerte de Maman pour la protéger de leurs mains. Elle eut un léger mouvement, j’eus l’impression qu’elle cherchait à se blottir contre moi. Je la serrai aussi fort que mon petit corps le pouvait avant qu’on ne tente à nouveau de m’arracher à elle.

“Suki, ça suffit. C’est moi qui les ai appelés. Ils vont s’occuper d’elle. Alors arrête de me ridiculiser.”

Je relevai les yeux, Papa se tenait debout, sa cigarette entre les lèvres. Il portait sur moi un regard dur, bien différent de celui qu’il me portait habituellement. Il n’était plus indifférent à mon égard, il était en colère. Je le voyais dans ses pupilles sombres. J’obéis et laissai ces hommes m’écarter du corps de Maman. Deux d'entre eux la déplacèrent sur une sorte de lit roulant. Puis, on me fit quitter la chambre. On m’accompagna dans ma chambre avant de m’y enfermer. J’entendis le loquet de la porte se verrouiller.
On me laissa ici, seul dans ma chambre. Je ne savais pas pour combien de temps, je ne savais pas si Maman allait s’en sortir, si mon petit frère aussi. J’avais peur, horriblement peur. Je grimpais dans mon lit et me glissai sous la couette pour serrer ma peluche contre moi. Mes vêtements, imbibés du sang de Maman, tachaient ma couette et mes draps. Dehors, j’entendais des brides de conversation, des voix, des ordres et des pas. Je ne savais pas combien de temps, je restais dans cette chambre, mais lorsque la porte s’ouvra, la lumière artificielle commençait à décliner. Je relevai la tête, les yeux rougis et gonflés par mes pleurs. Papa se tenait là, debout sur le seuil de ma chambre. Je me levai et courus dans ses jambes pour l’étreindre et chercher du réconfort. Mon estomac était encore serré par la crainte et mes membres engourdis par l’attente. Il ne m’offrit aucune étreinte, il posa seulement sa main sur le haut de mon crâne, sans un mot. Nous restâmes là plusieurs secondes, voire quelques minutes, je n’en savais rien.

“Change toi. Je dois te montrer quelque chose d’important.” Dit-il en me forçant à se détacher de lui.

J’hochai la tête et fis demi-tour pour chercher des vêtements propres dans mon armoire.

“Et Maman ?” Osai-je demander.

“Elle va bien. Dépêche-toi.”

Il quitta ma chambre et referma la porte derrière lui. Le silence qui s'ensuivit fut brisé par mes quelques sanglots résiduels. J'enfilai un pantalon et un pull propre, mis mes chaussettes et me lavais le visage ainsi que les mains. J’arrangeais mes cheveux pour avoir l’air propre. Je pris ma peluche et sortis de la chambre. Je trouvais Papa dans l’entrée, il était seul. Il n’y avait plus les hommes masqués, ni Maman. Je l'interrogeais du regard, mais il ne répondit pas et se contenta de m’ordonner de le suivre. Il nous conduisit à sa voiture. J’ouvris la portière arrière.

“Non, viens devant. Tu n’es plus un enfant.”

Surpris, j’hésitais une seconde. Je ne comprenais pas ce soudain changement de comportement, ni pourquoi il disait que je n’étais plus un enfant. Je pris mon siège auto et fis le tour de la voiture pour le mettre à l’avant. Je montais et m’attachai sans aide. André n’était pas là. Normalement Papa ne prenait pas le volant, il n’aimait pas conduire, mais cette fois, il n'y avait que nous deux. Il démarra le véhicule et celui-ci quitta le sol. Il emprunta la rampe de lancement dédiée à nos étages et s’élança. La voiture finit sa course dans les airs, flottant très loin au-dessus du sol. Des barrières volantes nous indiquait par où aller, et où rester pour ne pas risquer de percuter d'autre véhicule.
Le trajet se passa dans un calme glaçant. J’avais horreur de me retrouver seul avec Papa, mais cette fois encore plus. Dès que mon regard se posait sur ses mains, je le revoyais avec le chandelier qui avait blessé Maman. Nous volâmes de longues minutes. Mon front collé à la vitre, j’observais le paysage en contrebas. À cette heure-là, un grand nombre de véhicules circulaient dans les airs. Nous nous approchâmes d’un immense bâtiment lumineux aux allures luxueuses. Il se gara et descendit sans venir m’aider. Je me détachai et quittai la voiture pour le rejoindre. Il grimpa dans l’ascenseur et appuya sur l’écran tactile sans même regarder si j’étais là ou non. Toutes ses petites choses me mettaient mal à l’aise, je voyais bien qu’il n’avait pas le même comportement que Maman envers moi, puis je repensais aux mots qu’elle avait eus sur le toit. Peut-être que Papa ne m’aimait pas non plus, tout comme il n’aimait pas Maman. Les portes se fermèrent, emportant avec elles mes rêves et mes souvenirs d’enfant heureux. L’élévateur monta les étages, escaladant l’échelle sociale. Les parois transparentes nous laissaient voir le monde d’en bas. J’observais les gens aller et venir dans l’empressement, comme des rats courant vers un but sans jamais s’arrêter. C’était comme ça que Papa les décrivait. Il appelait ça la “rat race”. Les moyens couraient sans arrêt pour espérer grimper l’échelle, ils couraient, jusqu'à vieillir, s’épuiser, puis mourir sans jamais être monté. Je trouvais cela triste, Papa m’avait expliqué que c’était comme ça, qu’ils étaient destinés à subir la rat race toute leur vie.
Le monte-charge s’arrêta dans un grincement, tandis que les portes s'ouvrèrent sur un hall lumineux. Il me bouscula pour sortir le premier. Je ne dis pas un mot et je le suivis. Il y avait énormément de monde dans ce hall, des hommes et des femmes en costumes soignés, apprêtés. Ils allaient et venaient rapidement, mais dans l'élégance. Leur visage affichait un air sérieux. Beaucoup se retournaient sur le passage de Papa, s’inclinant pour le saluer avant que leur regard ne se pose sur moi. J’étais impressionné, intimidé. Je collais Papa dans l’espoir de trouver du réconfort et une protection, mais je n’avais ni l’un ni l’autre. Il pénétra dans une grande pièce vitrée ; Au centre se tenait fièrement un bureau, taillé dans un bois sombre. Il prit une chaise et s’installa, les mains jointes devant lui. Je fis de même et grimpai sur une chaise.
Encore du silence. Aucun de nous ne parlait, je savais qu’il préparait quelque chose et qu’il fallait que j’attende pour ne pas être réprimandé, mais j’avais du mal, alors je bougeai sur mon siège. Je cherchais une position confortable.

“Suki.” Commença-t-il d’une voix grave. “En tant que premier et unique fils, tu as le devoir de reprendre les rênes de mon empire quand mon temps sera venu. Mais, à cause de ta mère, tu n’as pas l’étoffe d’un dirigeant. Tu es faible, ignorant, immature et fainéant. Elle t’a couvé sept ans, te laissant croire que la vie se résumait à cela. Maintenant, je vais faire changer tout ça et t'apprendre ta vraie place dans ce monde. Tout va changer à partir de ce soir.”

Cette simple phrase me glaça le sang. Tout allait changer dans ma vie, et à jamais.

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