Chapitre 6 Le bas

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La nuit suivante fut un véritable calvaire. Mon corps brûlait de partout, chacun de mes gestes me provoquait des décharges électriques. Il n’y avait pas que la douleur qui avait rendu mon sommeil compliqué, mon père n’avait cessé de faire des allers-retours dans notre appartement et chacun de ses pas réveillait la peur en moi.
Il pénétra dans ma chambre lorsque les lumières artificielles brillèrent dans le ciel.

“Le repas t’attend. Dépêche-toi, tu as beaucoup de travail aujourd'hui.”

J’hochai la tête, sans parvenir à prononcer le moindre mot. Je me levai péniblement sous son regard dur. Lorsque je passai à côté de lui, mes muscles se tendirent, j’étais prêt à partir en courant au moindre geste.

“Tu vas porter des vêtements longs jusqu'à ce qu'on ne voie plus de trace.” Dit-il simplement.

J’acquiesçai de nouveau et descendis les escaliers. Une fois dans la cuisine, je tournai la tête vers le plan de travail dans l’espoir de voir ma mère, mais j’étais seul. Une assiette de pancakes trônait sur la table. Des picotements d’espoir brûlèrent dans mon estomac. Elle allait bien.
Je m’approchai et m’installai avant de commencer à manger. Mon père s’assit à son tour. Il prit sa tasse de café et planta son regard dans le mien.

“Tu ne diras rien de ce qu’il se passe ici. C’est clair ?”

“Oui Papa. Je ne dirais rien…”

“Et tu ne m’appelles plus comme ça. Ça me dégoûte, appelle-moi par mon prénom, comme les adultes font entre eux.”

Sa voix vibrait dans l’air, laissant transparaître son énervement. Pourtant, je n’avais rien fait, il était en colère, mais je ne me souvenais pas avoir fait quelque chose de mal. Est-ce que ma simple présence le mettait en rogne ? Il sirota son café sans me regarder.

“Tu iras à l’école tout seul. Il y a un train qui passe devant l’immeuble. Il est temps que tu apprennes à te débrouiller.”

Il se leva et quitta la table. Il franchit une porte cachée dans le mur qui séparait ma mère du reste de la maison. J’entendis des voix, sa voix. Elle était là et en vie, mon cœur bondit de soulagement. Un sourire s’installa sur mon visage fatigué. Je terminais mon déjeuner en vitesse et filais dans ma chambre pour me préparer comme je le faisais d’habitude avec ma mère. J’enfilai un haut, ainsi qu’un short et des chaussettes. Je passai dans la salle de bain pour me laver les dents, le visage et arranger mes cheveux. Je m’observais dans la glace, passant mes doigts entre les mèches blanches.

“Je laisse tout fou…” Dis-je pour moi-même.

Je pris mon sac et descendis les escaliers pour me rendre dans l’entrée. Cependant, personne ne m’y attendait. Même pour quitter l’immeuble, j'allais devoir être seul. Je lançai un “au revoir” qui n'obtenu aucune réponse, puis je franchis la porte d’un pas hésitant. Je longeai le couloir menant à l'ascenseur. Les spots automatiques s’allumaient sous mon passage. Seul le son de la moquette froissé par mes pas résonnait dans l’étage. Un frisson me parcourut le dos lorsque j’arrivais devant les grandes portes du monte-charge. J'appuyais sur le petit écran et elles s'ouvraient. Plusieurs hommes en costumes se trouvaient là, pianotant sur leur écran. Je m'insérai dans le peu d’espace restant et indiquai à l’appareil l’étage que je voulais. L’ascenseur entama sa descente.

“Tu as vu ce qu’ils disent à la télé ? La milice et les Watchers font des raids dans les étages inférieurs.” Commença un homme.

“Oui, j’ai vu. Toute cette vermine va enfin être traitée. J’en avais marre de les voir depuis mon appartement. Quand tu regardes en bas, tu ne vois que ça. Et puis ils sont tellement nombreux. Je suis sûr que personne ne surveille les naissances tout en bas. Ils se reproduisent plus vite que les rats.” Enchaîna un autre.

“Tu as raison, ce n’est pas normal. Nous, on doit faire attention à n’avoir qu’un seul gamin, à bien se tenir, à ne pas faire de vagues et eux ? Personne ne les surveille.”

Mal à l’aise, je serrais mon sac contre mon torse, tentant de faire abstraction du discours des deux hommes. Mon père avait le même genre de propos, mais ma mère m’avait expliqué qui étaient tous ces gens. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi les autres avaient autant de mépris pour eux. Ça me paraissait injuste de les traiter de cette façon. Le monte-charge s’arrêta au vingtième étage. Les deux hommes descendirent sans m’adresser un regard, comme si je n’existais pas. Je sortis à mon tour et cherchais l’arrêt du train. Je longeais le bâtiment pour quitter la zone de stationnement et rejoindre les endroits piétons. Je me sentais perdu, je n’étais jamais sorti tout seul et même avec mes parents, je n’étais jamais aller par ici.

“Tu es perdu petit ?”

Une voix masculine me fit sursauter. Je me tournai vivement et aperçus un homme. Il était grand, immense même et portait un costume noir. Son visage semblait amical.

“Oui, je cherche l’arrêt de train. Je veux me rendre à l’école.”

“Tu es tout seul ? Où sont tes parents ?” Demanda-t-il en se penchant pour être à ma hauteur.

Intimidé, je reculais d’un pas en cherchant mes mots.

“Ils sont occupés. Vous pouvez me montrer le chemin, s’il vous plaît.”

Il posa une main sur mes cheveux avant de les ébouriffer. Surpris, je fis un pas supplémentaire en arrière. Je n’aimais pas du tout ce genre de contact non désiré et puis, je ne connaissais pas cet homme. Ma mère m’avait toujours dit de me méfier des inconnus. Comme s’il comprenait ce qu’il se passait dans mon esprit, il sourit.

“Suis-moi. Ce n’est pas loin.”

Il me tendit la main, j'hésitais quelques secondes avant de la prendre et de le suivre. Il m'entraîna vers un escalier. Nous descendîmes les marches, de nombreuses marches. Avant d’arriver sur une passerelle étroite. Il y avait beaucoup plus de monde à cet endroit. Des gens habillés sobrement allaient et venaient rapidement. Je crus reconnaître la rat race, mais je n’en étais pas sûr. Je ne pouvais pas me trouver si bas.

“N’ai pas peur. Viens.” M’indiqua-t-il en me montrant un passage.

Je le suivi sur un pont en grillage. Une odeur étrange flottait dans l’air, quelque chose que je n’avais jamais senti. Il me guida vers un nouvel escalier. Une fois en bas, il tourna à gauche, puis à droite. Il n’y avait plus de grillage au sol ni de verre. C’était du béton nu, taché et sale. Un frisson me parcourut l’échine malgré la chaleur qui régnait.
Lorsque je me tournai pour demander à l'homme où nous nous trouvions, celui-ci avait disparu. Je regardais partout autour de moi, mais il n’était plus là. Je serrais mon sac contre moi, inquiet et seul. Je n'avais aucune idée d’où est-ce que je me trouvais ni de comment retourner chez moi. J’avançai à petit pas, essayant de reconnaître un endroit, mais rien. Je n’étais jamais venu ici. Il ne me semblait même plus être dans les étages que je connaissais. Les murs des bâtiments étaient étranges, sales et plein de dessins coloré ou de mots. Je croisais quelques personnes, ils avaient tous une allure particulière. Leur vêtements ne ressemblaient pas à ce que je connaissais, leurs cheveux avaient des couleurs étonnantes. Les regards de ces gens étaient vides on aurait dit qu’ils étaient morts de l'intérieur.
Alors que j’avançais prudemment, je me retrouvais face à un cul-de-sac. Un mur se dressait devant moi et autour. Je fis volte face et tombais nez à nez avec un jeune garçon. Je fis un bond en arrière et tombai sur les fesses. Des larmes se formèrent aux bords de mes yeux. Le garçon s’approcha et me tendit la main.

“Tu t’es fais mal ?” Demanda-t-il.

J'hésitai, il devait avoir le même âge que moi au vu de sa taille, mais il semblait si différent. Rien que sa façon de parler, il avait une sorte d’accent. Il mangeait les lettres. Je me décidais et pris la main qu'il me tendait. Il m’aida à me relever avant de m’inspecter.

“T’es pas d’ici toi…”

Je secouais la tête en tapotant mes vêtements plein de poussière.

“Je me suis perdu. Tu sais comment on remonte ?” Demandai-je.

“Comment on remonte ? Tu viens d’là haut ?”

Son regard sombre s'illumina, il me tourna autour avec excitation. Je gardai mon sac tout contre mon torse.

“Oui. Comment on remonte ? Je dois aller à l’école…”

“Oh, ouais désolé. Viens, j’vais t’amener à ma maman, elle saura t’aider.” Dit-il en me prenant la main.

Je me laissai faire alors qu’il me traînait dans un dédale de ruelles sombres. Ici, les lumières artificielles peinaient à passer. L’air était atrocement chaud et difficile à respirer. Je me demandais comment ce garçon faisait pour inspirer normalement. Après plusieurs minutes de course, il s’arrêta devant une bâtisse toute aussi étrange que le reste. Elle était faite en vieux bois abimé. Le toit était prêt à s’effondrer d’un moment à l’autre. Il ouvrit la porte et me fit entrer.

“Maman ! Y a un garçon qui s’est perdu ! Il vient d’en haut. Il faut l’aider.”

Il me désigna un tabouret et je m’installai. Mon regard se posa un peu partout autour de moi. Les murs de la maison étaient sales, couverts de photo et de moisissure. Un rat passa entre mes pieds alors que je poussai un cri en relevant les jambes. Le garçon se mit à rire en secouant la tête.

“Ne fais pas cette tête ! C’est Jonas, mon ami. Il est très gentil.”

Abasourdi, je posais les yeux sur le garçon. Il était ami avec un rat ? Comment c'était possible ? On pouvait être ami avec des animaux ?... Comme toujours, un tas de questions se bousculaient dans mon esprit, mais je n’eus pas le temps de demander des explications. Une femme apparut dans mon champ de vision. Elle portait une longue robe sale et quelque peu déchirée. Ses longs cheveux noirs étaient relevés dans une jolie queue de cheval. Elle m’offrit un sourire et s’approcha.

“Salut mon grand. Comment t’es arrivé ici ?”

Intimidé, je ne dis rien. Je jouais avec les pans de mon haut en baissant les yeux. Voyant mon inconfort, elle s’accroupit face à moi.

“Ne t’en fais pas. J’suis gentille. Je m’appelle Jordane, je suis la maman de Tewa.”

J’hochai la tête, sa voix était douce et calme. Cela me rassurait.

“Je devais aller à l’école tout seul, mais je me suis perdu. Un monsieur a dit qu’il allait me montrer le chemin… Mais il m’a amené ici et il a disparu… Je veux juste retrouver ma maison.”

“Je vais t’aider à rentrer, t’en fais pas. Je connais quelqu’un qui sait comment on remonte sans se faire attraper par les Watcher.” Dit-elle en posant délicatement sa main sur mon épaule.

“C’est qui les Watcher ? Je ne peux pas juste prendre l’escalier que j’ai pris pour descendre ?...”

“Non chaton, ça ne fonctionne pas comme ça. Quand tu viens d'en haut, tu peux descendre, mais quand tu viens d’en bas, tu peux pas monter. Je suppose que t’as pas de carte sur toi.”

“Quelle carte ?”

“Celle qui prouve que tu viens d’en haut. Si tu la montres à un Watcher, il te laissera passer, mais si t’en a pas… On va devoir ruser.”

Elle me sourit de nouveau alors que mon regard s’embrumait. J’étais terrifiée et je ne comprenais pas tout ce qu’il se passait. Toute cette histoire de passage de haut en bas, de carte et de Watcher, on ne m’avait jamais parlé de tout ça. Et le plus grave, c’était que j’allais être très en retard à l’école et que mon Père serait très fâché. Je triturai mes doigts alors que les larmes dévalaient mes joues rougies. Jordane s’approcha de nouveau et me prit contre elle dans une étreinte chaude. J’hésitai une seconde avant d’enrouler mes bras autour de sa taille et de la serrer aussi fort que je le pouvais. Je me mis à pleurer abondamment. Je déchargeais toute la peur que j’avais ressentie. Elle me rappelait ma mère, dans cette douceur et je me sentais en sécurité ainsi blottie. Elle caressa mes cheveux lentement.

“Tout va bien, je vais t’aider à remonter et à trouver tes parents. Ils doivent être morts d’inquiétude.”

Je secouais négativement la tête, mon père ne s’en souciait sûrement pas le moins du monde et ma mère ne devait même pas être au courant. Je voulais tellement la revoir et lui expliquer tout ce qu’il m’avait fait, à quel point j’avais peur de lui et je voulais partir loin de cet homme. Après plusieurs minutes, je reculais de quelques pas, apaisé. Elle me sourit et me tendit la main.

“Tu dois avoir faim. J’vais te donner un petit quelque chose et après, on ira voir mon ami.”

“C’est très gentil, merci.”

“Au fait, tu m’as pas donné ton nom.”

“Je m’appelle Suki, Suki Fox.” Dis-je en m'installant sur la chaise qu’elle me présentait.

“Enchanté Suki. Je suis contente que mon fils t’ai trouvé. Y a beaucoup de gens dangereux ici, faut pas que tu restes seul.”

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