Chapitre 8 Se battre ou mourir

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J’avais envie de hurler, de vomir et de m’enfuir en même temps. Les mots de cet homme me donnaient mal au ventre. Il était aussi ignoble que mon père, aussi perfide et mal intentionné. Ils avaient le même discours : celui de la violence pour me forcer à obéir.

La porte s’ouvrit à la volée, laissant entrer un autre homme. Je restai prostré sous la table, les fixant pour détecter leurs moindres gestes. Il s’avança vers l’autre et commença à discuter comme si je n’étais pas là. Je jetai un regard vers la porte, la sortie. Elle était entrouverte de quelques centimètres ; si j’étais assez rapide, j’avais peut-être une chance de m’enfuir. Je portai mon attention sur mes ravisseurs. L’immonde était toujours assis sur la chaise, les bras croisés. Il était concentré sur sa conversation. L’autre ne m'avait pas regardé un seul instant.

Je me mis en mouvement, lentement, je glissais à quatre pattes sur le sol pour atteindre l’autre côté de la table. J’essayais d’être le plus discret possible, mais mon cœur tambourinait dans ma poitrine, dans ma tête, et mes oreilles me déconcentraient.

Soudain, je m'élançai d'un bond vers la sortie. Je me mis à courir, j'ouvris grand la porte et la franchis. Un élan d’espoir m'envahit quand mes pieds touchèrent l’autre côté. Après un rapide coup d'œil, je filai vers la droite. Cependant, une main m’agrippa, m'empêchant d’avancer davantage. En tournant la tête, je découvris l’immonde. Un sourire atroce était collé à son visage. Il me tira brutalement en arrière. Mon corps heurta le sol de plein fouet, j’en eus le souffle coupé. Puis, il me traîna sur le sol froid et rugueux. Il me jeta dans un coin, dans un rire moqueur.

« Il a vraiment cru que ça marcherait. Comme c’est mignon ! C’est ceux-là que je préfère, ceux qui ont la rage de vivre et qui tentent le tout pour le tout. C’est bien plus amusant quand on les brise : tu vois leurs espoirs et leur tempérament fondre », expliqua-t-il à son ami en se rasseyant sur la chaise.

La terreur enserra mes tripes. Ses mots cruels résonnaient dans ma tête. Je ne voulais pas rester ici, je ne voulais pas finir brisé, comme il disait. Je ne voulais pas lui obéir. L’envie de vomir me serra le ventre, jusqu'à m’en tordre de douleur. Je me couchai sur le côté, le corps replié sur lui-même. J’allais refaire une crise d’angoisse, et il allait en profiter. Je ne pouvais pas me laisser aller à mes émotions, pas ici, pas avec lui. J’avais beau me répéter ça en boucle, rien ne s’arrangeait, bien au contraire, : plus l’angoisse grimpait, plus j’avais peur d’avoir peur. Ma respiration devint chaotique, mes mains se mirent à trembler. Je voulais rentrer chez moi. Je préférais subir mon père plutôt que de rester ici. Je n’aurais jamais dû suivre cet homme. Mes pensées se mélangèrent, ma vision devint trouble. J’étais perdu, il n’y avait plus rien à faire pour éviter la crise : elle s’était déjà emparée de moi.

« Regarde-le, misérable dans son coin. Tu abandonnes déjà, gamin ? Ce n’est vraiment pas amusant, je te pensais plus combatif », dit-il en se levant.

Il fit signe à l’autre de fermer la porte et s’approcha de moi. J’entendis le bruit métallique d’une boucle de ceinture. Je me souviens de la douleur, de la peur de ce moment. Il n’avait aucune once de pitié pour moi : il s’amusait de mes larmes et de mes cris. J’avais beau essayer de me débattre, de le frapper et d’hurler, personne ne venait à mon secours. Il n’y avait que lui et son acolyte. Je ne me souvenais plus si le deuxième avait rejoint l’horreur ou s'il était resté simple spectateur. Mon esprit avait préféré oublier, enfouir cette atrocité au fond de moi.

Il finit par se relever, satisfait de son acte. Il remit son pantalon et boucla sa ceinture avant de baisser les yeux sur moi, comme pour admirer son œuvre, observer son travail. Un sourire satisfait s'installa sur son visage. Je restai là, sur le sol, collé contre le mur, sans faire le moindre mouvement. Je ne ressentais plus rien et tout à la fois, puis je perdis connaissance, sûrement choqué par ce traumatisme.

Lorsque je me réveillai, la première chose que je ressentis fut la douleur qui transperçait mon corps avec violence. Je me recroquevillai sur moi-même pour tenter de la supporter, mais le moindre mouvement me faisait serrer les dents. Des larmes coulaient sur mes joues alors que j’inspectais autour de moi.J’étais toujours dans cette affreuse pièce sombre.

J’étais de nouveau attaché des mains mais aussi des pieds. La lourde chaîne était accrochée au mur, m'empêchant de m'éloigner ou de marcher. Je ne portais plus les mêmes vêtements qu’à mon arrivée : on m’avait changés et mis une sorte de longue robe droite. Je réalisai ensuite que je ne portais pas de sous-vêtements. Peut-être pour accélérer la chose…

J’étais seul dans le froid de ce cauchemar, à pleurer, à souffrir. J'avais peur que ça recommence, qu’ils reviennent et qu’ils s’en prennent de nouveau à moi. Je voulais juste partir loin, le plus loin possible de cet endroit.

Après avoir calmé mes pleurs et quand la douleur fut moins forte, je parvins à me mettre à quatre pattes pour aller inspecter les environs et chercher un moyen de m’enfuir. Je n’avais que très peu d’options, étant donné qu’il n’y avait qu’une seule ouverture : la porte. Je m’approchai autant que je pouvais de celle-ci, mais il m’était impossible de l’atteindre : mes chaînes m’en empêchaient.

Je m’assis sur le béton froid en serrant les dents, puis je réfléchis. Si j’étais de nouveau détaché, je pourrais peut-être partir en courant. Il ne me semblait pas avoir entendu la porte se verrouiller quand l’homme masqué l’avait fermée tout à l’heure. Sans doute que lorsqu’ils étaient à l'intérieur, ils ne la verrouillaient pas ; peut-être même qu’ils ne pouvaient pas.

C’était ça ma solution. Il fallait que je trouve un moyen de le forcer à me détacher pour que je puisse partir en courant. Mais comment faire pour qu'il le fasse ? Essayer d’être gentil avec lui pour qu’il me fasse confiance ? Cela voulait dire que j’allais devoir accepter ses actes sans broncher… Non, impossible, je ne pouvais pas faire ça. Peut-être avec une arme ? Il fallait que j’en trouve une. Mais comment trouver une arme dans une pièce vide ?

Et si j’essayais d’arracher un pied de chaise ? Ou alors si je lui envoyais la chaise dans la figure ? Ça pourrait marcher, si je lançais assez fort et si j’étais assez rapide, je pourrais sûrement réussir à m’enfuir.

J’avais mon plan : attendre qu’il revienne et qu’il ne verrouille pas la porte, patienter ou faire le gentil pour qu’il me détache, prendre la chaise et m’en servir comme arme, puis m’enfuir loin d’ici. Je pris une grande inspiration, m’emplissant de courage et de détermination. Il fallait que ça réussisse.

Je n’avais aucune envie de finir ici à servir de jouet à ces gens. Je voulais retrouver ma liberté, je voulais sauver ma mère et voir mon petit frère grandir. Il fallait que je sorte.

Mon introspection fut coupée par un bruit sourd venant de l’extérieur de la pièce. Je relevai les yeux pour essayer de comprendre ce qu’il se passait, quand soudain la porte s’ouvrit et mon ravisseur entra en poussant un jeune garçon à l'intérieur. Mon sang ne fit qu’un tour lorsque je reconnus cette touffe de cheveux bruns et ce petit corps.

« Aki ! » criai-je en essayant d’aller vers lui pour le protéger.

Cependant, je fus propulsé en arrière par un coup de pied en pleine côte. Je m’écrasai contre le mur dans un hurlement de douleur.

« Tu connais ce p’tit gars, on dirait ? On l’a trouvé rôdant autour de nos locaux. C’est ton petit copain ? Il est venu te sauver, comme c’est mignon. »

Un frisson de dégoût me parcourut le dos quand sa voix vibra dans mes oreilles. Je relevai les yeux vers lui, prêt à en découdre s’il faisait du mal à Aki. Celui-ci rampait comme il pouvait sur le sol pour s’approcher de moi. Une traînée rouge accompagnait sa progression : il était blessé et saignait.

« Laisse-le tranquille ! » dis-je en avançant de nouveau vers mon ami pour le tirer contre le mur.

L’homme s’installa sur la table, les bras croisés et le regard satisfait. Il resta planté là, comme s’il regardait un programme à la télévision… sauf que c’était nous, le programme. J’aidai Aki à s’appuyer contre le mur et soulevai son t-shirt poisseux de sang. Une entaille sanguinolente zébrait son ventre. J’attrapai un pan de ma robe de chambre pour le déchirer et essayer de faire pression sur la blessure pour arrêter le sang, comme j’avais vu dans les films. Le héros avait toujours un ami blessé ou sur le point de mourir et, à chaque fois, il disait qu’il fallait stopper l'hémorragie. Alors, je reproduisais ce que j’avais vu.

Le tissu se gorgeait de sang et Aki serrait mon bras. Son visage était défiguré, gonflé par les coups et la violence. C’était à peine s’il pouvait ouvrir les yeux. Sa lèvre était fendue, son corps couvert de bleus, ses yeux gonflés et violacés. Il n’était vraiment pas beau à voir. Je jetai un regard assassin à l'homme qui avait fait cela. Celui-ci pouffa de rire, me faisant frémir de colère.

« Ne fais pas cette tête. On lui a pas fait grand-chose à ton p’tit copain. »

Je serrai mon ami contre moi pour le protéger de ce monstre. Celui-ci finit par se lever et sortir de la pièce. Je le suivis du regard, attendant un mauvais coup de sa part, mais il n’en fit rien.

Une fois seuls, j’observai Aki. Il n’était vraiment pas en bon état et s’était évanoui, sûrement à cause de la douleur. Je le gardai contre moi un long moment jusqu'à ce qu’il se réveille. Il avait commencé à dégonfler un peu au niveau des yeux. Lorsqu'il les ouvrit, un petit sourire timide s’installa sur son visage.

« Les renforts sont arrivés », chuchota-t-il faiblement.

Cette simple phrase me retourna le cœur. Quand mon père travaillait longtemps au bureau ou qu’il partait en voyage d'affaires, ma mère acceptait qu’Aki vienne jouer à la maison. On s’amusait avec mes figurines de super-héros, et sa phrase favorite avait toujours été celle-ci : « Les renforts sont arrivés. » C’était lui, le renfort. Il était venu pour moi.

« Comment as-tu su que j’étais là ?... »

« Je t’ai vu quand tu es sorti tout seul de chez toi… Et j’ai vu l'homme qui te parlait. Comme il avait l’air étrange… Je vous ai suivis… Et me voilà. »

Chaque mot lui demandait un effort monumental. Son corps tremblait d’épuisement et de douleur. Je me sentais tellement impuissant, incapable de l’aider alors qu’il était venu me chercher.

« C’était dangereux, Aki. Et s’ils t’avaient tué ?... » le sermonnai-je.

Il ne répondit rien et se contenta d’enrouler ses bras autour de mon cou pour me serrer contre lui. Je fis de même et nichai mon nez dans ses cheveux. Même si l’odeur du sang était forte, son parfum rassurant était perceptible. C’était comme si j’étais de nouveau à la maison. Je soufflai un merci et fermai les yeux pour reprendre des forces. Nous allions devoir réfléchir à un plan pour nous évader, mais à deux, tout était possible. J’avais bien moins peur maintenant qu’il était avec moi. Aki m’avait souvent défendu contre des enfants à l’école. Il n’était pas très bavard avec les autres, calme et observateur, mais il n’hésitait jamais à me défendre, comme un super-héros. Mon héros.

“Il va falloir qu’on trouve un plan pour partir.” Soufflai-je.

“On va trouver, ça sera comme quand on joue. Une mission secrète.”

J’hochai la tête, sans jamais me détacher de lui. Nous restâmes ainsi un long moment, peut-être même toute la nuit ou toute la journée. J’avais déjà perdu toute notion du temps, les lumières étaient allumées en permanence, ne nous permettant pas de nous reposer ou de savoir quand il faisait jour ou nuit. J’étais épuisé et encore douloureux. Mon ventre criait famine sans arrêt. Je me demandai s’ils allaient nous laisser mourir de faim mais la porte s'ouvrit enfin. Nous étions allongés dans les bras l'un de l’autre à l’angle de la pièce quand l’immonde s'avança, des gamelles à la main.

“Salut les enfants.”

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