L'arrivée au refuge

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Plus qu’une centaine de mètres. La montée a été plus éprouvante que prévu, mais le but est enfin atteint. Il est surpris que des randonneurs soient déjà attablés devant le bâtiment principal. Quelle heure est-il ? Ils sont déjà en train de manger, se dit-il. J’aurais dû arriver vers 17h. Comme d’habitude, lorsqu’il part en rando, il essaie de laisser derrière lui tous ses problèmes de la vie quotidienne. Cela inclut donc la montre et le téléphone. Tout au fond du sac en cas d’urgence pour ce qui est du téléphone, bien sûr. Même pour une très courte rando comme celle-ci, il n’a pas dérogé à sa règle. Il a normalement une bonne notion du temps passé, c’est pourquoi il est surpris.

Préoccupé par l’envie de se poser au plus vite, il n’y prête pas trop attention et rejoint le refuge quelques minutes plus tard.

— Bonjour tout le monde ! Je vois que vous êtes déjà tous à table.

— Quand c’est l’heure, c’est l’heure, lui répond un des randonneurs avant de reprendre sa conversation avec ses compagnons de marche.

Max n’insiste pas et se dirige vers l’entrée du refuge pour voir le gardien. Bien qu’il ait retiré ses lunettes en franchissant le seuil, il est gêné, comme d’habitude, par la différence de luminosité. Après quelques secondes pour s’acclimater, il aperçoit un homme disparaître dans une des pièces du fond.

— Bonjour, dit-il aussitôt.

Pas de réponse, l’homme ne l’a pas entendu.

— Bonjour et bienvenue, entend-il derrière lui.

Il se retourne immédiatement et se retrouve face à une ombre chinoise découpée dans le cadre de la porte d’entrée. Sans rien voir de la personne qui lui a parlé, la silhouette et la voix ne laissent aucun doute.

— Bonjour Madame. Je suis Max Perrin, j’ai réservé…

— Pas de madame ici, Max. Moi, c’est Héléna.

— C’est noté. Bonjour Héléna. Je vous disais donc que j’ai réservé pour une nuit.

— Bizarre, ça ne me dit rien. Suivez-moi, on va regarder ça ensemble.

En quelques secondes, elle est déjà derrière son comptoir pour vérifier la réservation. Il avait à peine eu le temps de la suivre. Une frêle jeune femme d’une trentaine d’années aux longs cheveux roux et bouclés, dont la carrure contrastait avec une activité de gestion d’un refuge de montagne. Max la rejoint au plus vite.

— C’est vous qui gérez le refuge ? demande-t-il timidement pour lancer la conversation.

— C’est exact ! Avec mon mari, Laszlo que vous avez aperçu en entrant. J’espère que cela ne vous pose pas de problème, lance-t-elle en relevant immédiatement la tête.

Pas impressionnée par les presque deux mètres de son interlocuteur, elle soutient son regard avec un air de reproche.

— Oh non ! Ne vous méprenez pas. Bien au contraire. Enfin, je veux dire…

— Je vous fais marcher. Désolée si j’ai eu l’air de vous effrayer, lance-t-elle dans un éclat de rire qui tranche avec son attente précédente.

Souvent gêné dans ses contacts avec des inconnus, Max cherche à se rattraper, mais ne sait pas trop quoi dire. Heureusement, son interlocutrice reprend aussitôt.

— Vous me dites que vous avez réservé. Perrin, c’est bien ça ?

— P. E. Deux R. I. N. C’est bien ça. Pour une nuit. Nous sommes bien le 23 juillet. Je ne me suis pas trompé de date, j’espère.

— Rien à ce nom, désolé. Ni pour aujourd’hui ni à aucune autre date.

— Ce n’est pas possible. J’ai eu votre mari au téléphone, il y a moins d’une semaine. Il m’a confirmé que je pourrai avoir une de vos tentes dôme. Passez une nuit insolite la tête dans les étoiles, dit votre site.

— C’est étrange. LASZLO ! Tu peux venir s’il te plaît ? dit-elle d’une voix forte. Ne vous inquiétez pas, on va trouver une solution, ajoute-t-elle, pour le rassurer.

Quelques secondes de silence plus tard, son mari arrive du fond de la pièce principale. La cuisine probablement, se dit Max.

— Qu’est-ce qui se passe ? J’ai pas beaucoup de temps, tu sais bien à cette heure. Un problème ?

— Rien de grave, mais ce monsieur, Max, précise-t-elle, m'explique qu’il t’a eu au téléphone la semaine dernière pour réserver un dôme, mais je ne vois rien dans les réservations.

— S’il n’y a rien dans les réservations, c’est qu’il n’y a rien, lance-t-il en rejoignant sa femme.

A peine plus grand qu’elle, il tranche toutefois par sa carrure large et imposante. Après quelques secondes, il confirme.

— C’est exact, il n’y a aucune réservation. Vous êtes certains que vous ne vous êtes pas trompé de refuge ? Je n’ai pas souvenir d’une réservation par téléphone. Presque tout le monde passe par le site, vous savez.

— Tout à fait certain. Je reconnais même votre voix. Enfin, je crois. Pas toujours facile par téléphone.

— Désolé, pas vraiment le temps de discuter. Comme vous avez vu en arrivant, c’est l’heure. On n’est pas au resto ici. Il y a des horaires que tout le monde essaie de respecter. Tu veux bien essayer de régler ça, j’y retourne, lance-t-il à sa femme tout en s’éloignant.

— Je suis désolé de la gêne… énonce Max en se tournant vers Héléna.

— Pas de problème. Excusez-le, il est un peu bougon quand on le dérange en plein travail. Mais pas méchant, rassurez-vous, ajoute-t-elle en riant. On va trouver une solution. On est en pleine saison, mais vous avez de la chance. On a eu une annulation ce matin. Justement pour un dôme. Vous allez pouvoir dormir à la belle étoile, comme prévu. Et en profiter pour vous tout seul, c’est un couple qui a annulé.

— C’est parfait, merci beaucoup mad… Héléna.

— Posez votre sac où vous voulez et installez-vous à une table. Je vais vous servir. Soupe maison, viande en sauce avec gratin de crozet et dessert maison. Ça vous convient ?

— Ce sera parfait, merci, répond-il en laissant son sac contre le comptoir, là même où il l’a posé en arrivant.

— Heureusement ! C’est menu unique, lui répond-elle en riant.

Max s’installe sur le banc près de la porte en attendant qu’elle revienne pour le servir.

— Quelque chose ne va pas ? entend-il soudainement.

— Tout va bien, répond-il en sursautant. Je me suis visiblement endormi. Bizarre, ça ne m’arrive jamais, tente-t-il de se justifier.

— Je vous abandonne cinq minutes et vous êtes déjà dans les bras de Morphée. C’est l’altitude. Ça arrive quand on n’est pas habitué.

— Je suis de la région et j’ai l’habitude. Encore toutes mes excuses.

— Ne vous excusez pas. Disons que c’est juste un coup de fatigue. Il n’y a plus de place libre à nos tablées. Ça vous dérange si je vous installe à cette petite table ? demande-t-elle.

— Aucun problème, répond-il, soulagé.

La fatigue ou le malaise qu’il a eu durant la montée, il ne saurait dire, toujours est-il qu’il ne se sent pas de se lancer dans les conversations qui vont déjà bon train.

— Et voilà ! Un bon pichet d’eau fraîche et pure comme on n’en trouve pas ailleurs et une soupe de légumes maison. Pomme de terre, poireau, céleri branche et croûtons.

— Merci Héléna. C’est parfait.

Tout en mangeant sa soupe machinalement, il repense à la montée. Il ne comprend pas bien ce qu’il lui est arrivé. Cette sensation soudaine et étrange. Cette fatigue intense. Et son retard. Bien deux bonnes heures sur l’horaire prévu, estime-t-il sans moyen de vérification.

— La soupe vous a plu ? lui demande Héléna en amenant la suite.

— C’était excellent. Vous êtes une cuisinière hors pair !

— Pour ça, c’est à Laszlo qu’il faudra présenter vos compliments. Je me débrouille très bien en cuisine et je ne laisse pas ma part de travail, mais aujourd’hui c’est lui qui s’y est collé. C’est peut-être pour ça qu’il était grognon quand vous l’avez vu, ajoute-t-elle, avec un regard complice.

Il continue son repas sans vraiment apprécier le moment, toujours plongé dans ses pensées. Je suis certain de ne pas m’être trompé pour la réservation, se dit-il encore une fois. Une vingtaine de minutes plus tard, Héléna revient avec le dessert.

— Vous n’avez pas aimé ? lui demande-t-elle en voyant son assiette à moitié pleine.

— Si, si. C’était très bon, mais je n’ai pas très faim. La fatigue peut-être.

— Vous vous laissez tenter par ma tarte quand même ? demande-t-elle en faisant mine de la reprendre.

— Votre tarte, demande-t-il en insistant sur le premier mot ?

— Pour ne pas faire fuir les clients, pour les desserts, c’est toujours moi !

— Alors, je me laisse tenter.

— Tarte aux myrtilles, dit-elle en déposant l’assiette, tout en faisant une sorte de révérence.

Aussitôt le repas terminé, il n’a qu’une envie. Dormir. Inquiet par son état inhabituel, il se dit que seule une bonne nuit de sommeil lui fera retrouver son énergie.

— Ce repas était excellent, dit-il en entrant pour prendre son sac. Encore toutes mes félicitations au cuisinier. Et à la pâtissière, ajoute-t-il.

— Merci pour le compliment. C’est dommage que vous ne soyez pas là demain soir, j’avais prévu de faire ma spécialité.

— Votre spécialité ! Et c’est quoi ? demande-t-il timidement.

— Pour le savoir, il faudra revenir, lui répond-elle d’un air faussement mystérieux.

— Promis, je reviendrai. Pour le moment, compte tenu de ma fatigue, je vais me retirer.

— Un petit digestif pour faire passer le tout avant ?

— Non merci. Ça ne serait pas raisonnable.

— Et bien dans ce cas, je vous souhaite une bonne nuit réparatrice sous les étoiles, Max. A demain ! Les dômes sont juste derrière le refuge. Les autres ont déjà posé leurs sacs. Le dernier, c’est le vôtre. Vous trouverez ou vous avez besoin de moi ?

— Je trouverai, merci. A demain Héléna, dit-il en prenant son sac.

Une fois installé dans son dôme, Max n’a qu’une envie. Sortir son sac à viande et dormir. Aussitôt installé, il ne peut s’empêcher encore une fois de repenser à la montée et à cette sensation étrange qu’il a ressentie. Il se sent mieux maintenant, si ce n’est la fatigue, mais il a l’étrange impression que les symptômes peuvent revenir à tout moment. Au travers du dôme, il regarde le ciel étoilé et se laisse rapidement partir dans un profond sommeil réparateur.

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