#9 La boulangère
#9.1 – La boulangère - vie réelle
- « Alors ma p’tite dame, vous voulez quoi avec vos 3 croissants ? »
- « Je vais prendre 1 baguette de pain, aussi »
- « Voilà ! Ça fait 5 francs. »
- « Merci ! » me répond ma cousine-cliente en attrapant les 3 croissants et la baguette.
Enfin en les attrapant, n’exagérons pas : attraper des croissants fabriqués en sable, c’est loin d’être aussi simple. Ils ont plutôt tendance à se désintégrer dès qu’ils quittent le sol de la plage. Mais peu importe, ce n’est pas cela qui nous amuse !
Je suis sur la plage en Bretagne avec ma petite cousine.
J’ai cinq ans et demi, et elle, bientôt cinq ans.
Nous sommes au mois de juillet, ce sont les vacances. Nos parents et nos grands-parents nous ont amenées sur la plage : le temps est magnifique et cela fait déjà plusieurs heures que nous jouons à « la boulangère ».
Nous adorons jouer à la boulangère, avec ma cousine.
Dès que nous arrivons sur la plage, une fois les adultes installés. Nous sommes autorisées à aller ouvrir notre stand !
Aussitôt, nous partons avec nos petits seaux pour les remplir d’eau de mer.
Cette semaine, la marée est basse l’après-midi.
Nous sommes en Bretagne dans les Côtes du Nord (maintenant les Côtes d'Armor), en bord de Manche, donc les marées sont de véritables marées avec la mer qui parfois se retire tellement loin que l’on ne l'aperçoit même plus à marée basse surtout qu'on a cinq ans!
Nous devons marcher assez longtemps pour trouver le bord de mer qui s’est retirée loin, mais l’eau est indispensable pour la confection de nos produits !
Nous adorons cette longue marche : c’est comme partir à la découverte loin des adultes avec pour seul horizon le clapotis des vagues et le cri des mouettes et des cormorans.
Ma cousine, Laurence, porte un petit short de maillot de bain rouge, le mien est bleu. Je suis à peine plus grande qu’elle. Nous nous ressemblons beaucoup avec nos couettes qui gigotent à chacun de nos pas décidés pour atteindre le bord de mer.
Nos petits pieds claquent sur le sol dur et sableux. Lorsque nous marchons sur un coquillage, notre rythme est à peine ralenti tellement l’impatience et la soif de liberté nouvelle nous habitent. Nous ne faisons même pas attention aux odeurs qui nous entourent, bien trop occupées à arriver le plus vite possible au bord de l’eau.
Et nous papotons toutes les deux tout le long du chemin, tellement heureuses de courir et de pouvoir profiter de ces moments de liberté loin des adultes.
D’une main, nous portons notre seau, de l’autre, nous tenons serrés contre notre petit corps notre râteau, notre pelle et nos moules en plastique.
Nos grands-parents nous ont offert, à chacune de nous, au début des vacances, un petit seau avec la passoire, le râteau et la pelle enfoncés dans les deux trous de la passoire, avec à l’intérieur du seau, six moules en forme de coquillage. Le tout dans un beau plastique bien brillant et bien polluant aussi, mais cela, on ne le savait pas et on s’en préoccupait encore moins.
Laurence et moi, nous adorons nos seaux.
Ce sont de véritables trésors quand on a cinq ans ! Quand on les a vu la première nous avons crié ensemble :
- « Ils sont trop beaux ! »
Pas mes grands-parents, mais les seaux bien sûr !
Même si nos grands-parents ont été très gentils nous faire ce cadeau !
De retour avec nos seaux remplis d’eau, nous décidons du lieu de notre boutique pour cet après-midi.
C'est du sérieux notre affaire, nous nous concertons afin de définir le meilleur endroit possible.
Nous l’installons à mi-chemin entre les serviettes des adultes et le bord de l’eau. Nous préférons anticiper si la mer remonte, elle pourrait détruire notre œuvre éphémère bien trop rapidement avant que nous n’ayons eu le temps d’ouvrir et de vendre tous nos trésors !
Laurence et moi commençons par tracer le tour de notre boutique sur la plage. A l’aide de nos pelles, nous marquons le sable en dessinant un semblant de rectangle. Ce rectangle est immense du haut de nos cinq ans. La langue presque sortie, le front plissé, nous sommes concentrés sur nos traits.
C'est du sérieux de dessiner les limites de notre boulangerie. Et puis, on doit penser à tout.
Ce premier exercice est toujours le point de départ de notre activité !
Avec un sérieux, digne de deux petites filles de cinq ans, nous déclarons notre boulangerie créée !
Un sentiment de fierté nous fait bomber le torse. Nos yeux pétillent d'impatience de commencer à préparer nos gâteaux, pains et autres viennoiseries.
Au milieu du grand rectangle, nous traçons un autre trait : une partie sera pour notre cuisine et l’autre partie sera pour la boutique.
La priorité est de préparer rapidement nos croissants sable, nos pains au chocolat-cailloux, nos pains aux raisins-coquillages afin de les placer dans notre boutique. Les baguettes sont trop compliquées à déplacer donc on les fabrique directement dans la vitrine de la boutique.
Notre histoire est bien rôdée : chacune notre tour, nous allons chercher de l’eau afin d’avoir toujours du sable mouillé à notre disposition et ainsi réussir nos moulages. Pendant ce temps, l’autre commence la confection des croissants et autres victuailles.
Nos doigts, nos mains patouillent dans l'eau et le sable pour notre plus grand bonheur. La texture du sable mouillée est douce, fraiche par ce bel après midi d'été. De temps en temps, on s'arrosse l'une l'autre, et, on rigole comme deux petites folles.
L’un de nos moments préférés est évidemment celui du démoulage de nos chef d’œuvre. Nous faisons bien attention de ne pas mettre trop d’eau sinon le démoulage est impossible, et si nous n’en mettons pas suffisamment, la sculpture ne tient pas.
C’est tout un art, les moulages sur le sable !
D’autant que nous devons les transporter de notre cuisine à la vitrine de notre boutique. C’est un moment délicat car nos petites mains ne suffisent pas toujours à tenir en entier le pain aux raisins en sable qui parfois se cassent avant même d’arriver à peine un mètre plus loin, dans la vitrine en sable de notre boulangerie.
Laurence et moi prenons un air sérieux et appliqué à réaliser toutes nos confections éphémères. Nous sommes concentrées, avec une envie de bien faire notre travail, de faire comme si nous étions des adultes.
Nos petites jambes supportent sans problème les nombreux allers et retours du rivage à notre boutique. Nous ne regardons pas nos parents, ni nos grands-parents alors qu’eux nous surveillent de loin à tour de rôle. Ils s’amusent de nos airs si sérieux et notre détermination à réaliser la plus jolie boulangerie en sable de la plage.
C’est l’heure du véritable goûter : nos parents nous appellent et interrompent nos créations. C’’est plus la soif que la faim qui nous poussent à suspendre momentanément nos va et vient.
Nous nous asseyons à côté des adultes, buvons notre verre d’eau maintenu fraiche grâce à la belle gourde orange et mangeons notre biscuit au chocolat.
Ce que je préfère : c’est enlever l’un des cotés du biscuit et lécher le chocolat au milieu. Je me retrouve avec des moustaches de chocolat sur le bout du nez et sur les joues.
Ma cousine rigole de me voir ainsi et je me fais gronder d’avoir manger comme un cochon. Mais je m’en fiche, c’est les vacances et sur la plage on peut se salir, il suffit ensuite d’aller se baigner pour que toutes les traces disparaissent !
Aussitôt notre goûter avalé, nous filons vers notre boutique dans laquelle nous attendent nos seaux, pelles et moules abandonnés dans le coin de la cuisine.
Nous fabriquons quelques baguettes que nous creusons directement dans le sable : nous savons qu’elles seront impossibles à soulever alors nous n’y mettons pas trop d’énergie.
D’ailleurs, il est temps de commencer à vendre.
Aujourd’hui, ce sera moi la boulangère et Laurence la cliente. Souvent, on alterne avec Laurence.
Moi, je préfère faire la boulangère : il faut prendre les articles sans les casser, et surtout faire semblant de taper sur la caisse enregistreuse pour calculer le prix. Cette caisse, je l’ai dessinée sur le sable : elle a un petit écran pour afficher les calculs et des touches avec des chiffres pour y taper le montant de chaque article. J’aime taper sur cette caisse et imiter le bruit que fait la touche « total ».
Je fais toujours avec ma petite voix fluette :
- « Kling !
- Cela vous fera 5 francs ! »
Le soleil est plus bas sur l’horizon. La fin de l’après-midi et l’heure du retour sont déclenchées soit par la mer qui est venue doucement mais sûrement lécher puis envahir notre boutique ou par les cris des adultes :
- « C’est l’heure les filles, on rentre à la maison ! »
Notre fin de journée préférée est bien entendu celle où la mer est venue chatouiller puis engloutir nos dernières créations. Nous poussons des petits cris comme ceux des mouettes qui nous regardent posées un peu plus loin sur le sable.
C’est un moment dans lequel se mêle la joie et la tristesse ! La tristesse d’assister à la destruction de notre création, et aussi, la joie de voir que seules les vagues peuvent briser notre boutique plutôt que les garçons, avec leur ballon, postés un peu plus loin sur la plage.
Dans la voiture, sur la route du retour, souvent nous nous endormons épuisées et galvanisées par notre après-midi de labeur !
Ce n’est pas toujours facile de faire comme les adultes et d'être des boulangères !
#9
#9.1 – La boulangère - vie rêvée
Laurence et moi arrivons sur la plage : elle est immense, la mer s’est retirée tellement loin qu’on peine à en voir le rivage.
Même si nous n’avons que cinq ans, nous réussissons à nous téléporter au bord des vagues en quelques secondes. C’est presque comme si nous volions avec les mouettes et les cormorans. Merci les rêves car avec nos petites jambes, c’est sacrément pratique de pouvoir voler d’un point à un autre sur une aussi grande plage.
Nos parents sont uniquement là pour nous aider, au début, et c’est nous qui nous avons accepté qu’ils viennent à la plage et non l’inverse !
Nous leur avons donné des consignes strictes : Ils sont en charge d’aller chercher de l’eau avec de grands seaux qu’ils nous déposent près de l’emplacement que nous avons dessiné sur le sable proche du sable sec. Ensuite, ils doivent disparaître et nous laisser jouer jusqu’au moment où nous déciderons d’arrêter.
Evidemment, ils nous ont acheté plusieurs dizaines de moules en forme de croissant, de pain au chocolat, d’éclairs au chocolat, de tarte aux fraises. Nous avons aussi des passettes magiques, ainsi qu’une caisse enregistreuse qui fonctionne en faisant beaucoup de bruit : dès qu’on appuie sur une touche, un joli « kling » retentit. Et lorsqu’on appuie sur la touche totale, le tiroir à billet et pièces s’ouvre !
Je dessine sur le sable les limites de notre boutique : elle est immense car nous avons beaucoup de clients.
Il suffit que je trace sur le sable une ligne avec ma pelle pour que les murs verticaux apparaissent. La vitrine de notre boutique est blanche avec des touches de violet.
Notre boulangerie s’appelle :
« La boulangerie des rêves » de Laurence et Céline
C’est écrit en gros en violet avec des petits cœurs à côté de nos deux prénoms. Juste deux petits cœurs , sinon ça risque de faire un peu trop filles.
Face à la devanture de notre boutique, Laurence et moi, sommes déjà fières du résultat : notre boutique attire déjà plein de clients. Alors vite, nous rentrons à l’intérieur et retournons la pancarte face ouverte vers nous pour que les clients comprennent que l’heure de l’ouverture n’est pas encore pour maintenant.
Nous partons directement dans la cuisine afin de préparer nos desserts, viennoiseries de toutes sortes, mais aussi, réaliser les commandes qui ont été passées la veille, et qui sont toutes affichées sur le panneau en inox au-dessus de notre plan de travail brillant de mille feux.
L’eau stockée dans les grands seaux amenés par nos parents arrive directement par un robinet : nous pouvons ainsi doser pour chaque moulage la quantité d’eau suffisante en fonction du sable utilisé.
Nous mélangeons, nous patouillons nos mixtures de sable et d’eau avec nos petites mains. On adore cela.
Le meilleur moment est quand nous démoulons nos créations : elles se transforment alors et deviennent croissants à la peau brillante de beurre, ou pain au chocolat légèrement doré avec le morceau de chocolat débordant des deux côtés du pain comme un appel à la gourmandise ! Les petites framboises roulées une à une en sable se transforment en fruits rouges, juteux et appétissants à souhait sur nos fonds de tartes.
Dans notre rêve, les odeurs iodées se mêlent aux odeurs de nos pâtisseries encore chaudes sorties du four. C’est un paradis sur la terre, la boulangerie de nos rêves !
Avec Laurence, nous inventons de nouvelles recettes comme celles des framboises fourrées au chocolat sur un lit de compote de fraise, des éclairs fraises et chocolat, des baguettes de pain croustillantes avec des morceaux de chocolat et un peu de beurre déjà prêtes, des chaussons aux pommes avec une pâte feuilletée réalisée avec du beurre demi-sel de notre grand-mère : quand on croque dedans on sent les cristaux de sel qui craquent sous la dent et parfument le bon goût du beurre breton !
Les mouettes, goélands et autres fous de bassan virevoltent au-dessus de nos têtes. On a l’impression qu’ils appellent tous les clients de la plage pour l’ouverture prochaine de notre boulangerie. Notre boulangerie n’a pas de toit : elle n’en a pas besoin, il ne pleut jamais dans notre rêve, et ainsi on peut travailler en regardant le ciel bleu.
Les oiseaux ne fondent pas sur nos produits car ils préfèrent largement les produits de la mer à nos gâteaux sucrés. Leur vol est plutôt contemplatif : comment deux petites filles peuvent-elles réaliser d’aussi beaux et appétissants produits ?
Certains volent jusqu’à la plage voisine pour rameuter d’autres humains. Les oiseaux déposent des petites feuilles présentant notre boulangerie et précisant l’heure d’ouverture qui sera fixée à seize heure cet après-midi.
Evidemment, Laurence et moi sommes très consciencieuses, alors nous goûtons chacune de nos recettes. Nous avons des moustaches de chocolat, de fruits rouge qui nous couvrent une bonne partie des joues, presque jusqu’à nos oreilles ! Nous rions de nous voir, ainsi toutes les deux, grimées avec un sourire de ravissement et de fierté collé à nos lèvres.
Nous terminons de remplir la vitrine qui brille sous le soleil. Nous sortons admirer notre œuvre : comme elle donne envie cette boutique ! Les viennoiseries scintillent avec le beurre, les tartes généreuses en fruits sont un appel à la gourmandise, les éclairs bi-goût chocolat fraise sont une de nos plus belles réussites.
Nous courons vers la mer afin de nous accorder une pause baignade bien méritée, et aussi afin de nous débarbouiller le visage ! L’eau est chaude et nous avons pied tout le temps. Les vagues déferlent juste à la bonne hauteur pour nous chatouiller le ventre sans trop nous éclabousser. Les oiseaux semblent rire avec nous du haut de leur vol planant dans le vent tiède de cet après midi d’été.
Nous serons deux à jouer les vendeuses de la boulangerie puisqu’on aperçoit déjà les premiers clients qui se pressent devant la porte. Il est bientôt seize heures, cela va être à nous de jouer !
Nous sortons de l’eau en nous éclaboussant une dernière fois. Aussitôt sorties, nos parents nous tendent nos serviettes et nos tenues de boulangères. Nous avons des blouses blanches toutes immaculées, une petite casquette sur la tête comme de véritables boulangères !
Une fois rentrée dans la boutique, Laurence retourne le panneau ouvert direction l’extérieur et ouvre la porte à nos premiers clients. L’odeur envahit aussitôt le reste de la plage : la pâte feuilletée, le pain frais et chaud, les fonds de tartes encore tièdes parfument l’air chaud de la plage.
Quant à moi, je suis postée derrière le comptoir, et déjà, je salue notre première cliente :
- « Bonjour madame, que voulez-vous manger aujourd’hui ? »
- « Et bien, je voulais déjà vous rencontrer car ce n’est pas commun de voir deux petites filles aussi jeunes que vous deux tenir une telle boutique, et ma voisine m’a dit qu’en plus vos gâteaux étaient excellents. Que me conseillez vous de goûter en premier ?
Un sourire fend mon visage de plaisir et de contentement : enfin un adulte qui trouve notre travail formidable !
Je lui propose alors :
- « Merci m'dame, c’est très gentil.
- Si vous aimez les fruits je vous conseille une belle tarte aux framboises chocolat pour ce soir et en attendant, pour le goûter, prenez quelques viennoiseries pour régaler vos enfants ! »
La cliente suit mes conseils. Je tape le prix de chaque article sur ma caisse enregistreuse rutilante et bruyante à souhait.
Le total apparait sur l’écran : ce sera 15 francs ! Le tiroir de la monnaie sort accompagné « du Kling » vigoureux de la touche total. En fait, ce tiroir ne sert qu’à y déposer l’argent car les clients ont toujours exactement l’appoint pour nous payer. Ainsi, nous n’avons pas à leur rendre la monnaie, d’autant que nous ne savons encore vraiment compter, normal à cinq ans.
Pendant plusieurs heures, nous conseillons, vendons, emballons chacun de nos produits. Quel plaisir de se dire qu’on va régaler autant de monde !
On regarde au loin sur la plage, entre deux clients, les enfants qui dégustent nos viennoiseries. Le beurre coule entre leurs doigts qu’ils lèchent goulument. Certains parents regrettent déjà de ne pas en avoir pris pour eux, les plus courageux refont la queue pour finalement se laisser tenter à leur tour.
A cinq ans, cet après midi de rêve se termine tranquillement par la destruction de notre boutique par la marée montante.
Les vagues qui lèchent la vitrine, puis celles plus fortes qui font s’effondrer les murs nous font rire. Nous avons tout vendu, il est temps que la nature reprenne ses droits.
Le moment de la destruction est aussi plaisant que celui de la construction car le plus grand des bonheurs est de se dire qu’on va recommencer demain !
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