# 12 Le pommier
# 12.1 - Le pommier - vie réelle
Je porte fièrement le pot rempli de terre avec mon petit pommier planté dedans. Il mesure déjà 10 centimètres de hauteur, et ses quatre feuilles vert tendre balancent à chacun de mes pas.
C'est la fin de l'année scolaire, nous sommes fin juin et j'apporte le cadeau à ma maitresse de CE2.
Cette maitresse, je l'adore !
Elle est gentille, elle a une voix toute douce. Elle ne crie presque jamais. Ses cours sont toujours intéressants surtout lorsqu'elle accroche des cartes de la France au tableau. Tu sais, les grandes cartes un peu plastifiées qu'on pendait aux deux crochets plantés au dessus du tableau vert.
Il y a plusieurs cartes à l'école que toutes les classes se partagent : une pour les rivières et fleuves de France, une autre pour les départements, une autre pour placer l'industrie sucrière, une pour l'Europe afin de placer les pays, une en planisphère pour apprendre les continents et les océans du monde.
Ma maitresse nous en a appris des choses en géographie, cette année !
J'ai adoré cette matière autant que ma maitresse. A moins que ce ne soit ma maitresse qui m'ait fait adoré la géographie.
Quand elle nous parle des fleuves avec leurs sources, elle nous fait voyager en nous décrivant les lieux, en nous montrant des images dans des livres.
C'est rigolo de voir comment un fleuve peut être aussi petit à sa source et ensuite se transformer pour devenir aussi large lorsqu'il se jette dans la mer.
De sa voix toute douce, elle nous donne tous les affluents qui alimentent et font grossir les principaux fleuves.
Elle nous montre également des photos de chaque confluent.
C'est magique de se dire qu'à cet endroit les eaux de deux rivières se mélangent pour n'en faire plus qu'une seule. Parfois, je me mets à rêver que je suis un poisson qui glisse et voyage d'une rivière à une autre. Ainsi, je peux aller visiter de nombreuses villes, passer sous des ponts pour m'y reposer et rester à l'ombre ou bien glisser dans les écluses parmi les péniches.
Les cours avec Madame Guérini (c'est le nom de ma maitresse) sont toujours passionnants. En plus, elle nous fait apprendre plein de choses sans qu'on s'en rende vraiment compte. Elle nous fait repéter tous ensemble le nom des fleuves et des affluents. Elle le fait dans un sens, de la source à l'aval et puis dans l'autre sens de l'aval vers l'amont.
Elle joue sur les sons de chaque mot répetés plusieurs fois avec son accent un peu chantant. Elle écrit les noms au tableau et nous montre une photo. Ainsi en une heure de cours, nous maitrisons déjà parfaitement au moins deux fleuves et tous leurs affluents.
Ensuite, elle demande à un élève de venir réciter au tableau, et, s'il se trompe, elle ne lui dit rien, bien au contraire ! Elle demande si l'un de nous sait et veut bien venir à côté de lui pour continuer.
Madame Guérini dit toujours :
-"Une classe est là pour s'entraider, il y aura toujours l'un d'entre vous pour vous aider à trouver la réponse !"
Et ça marche très bien, cette méthode, car je peux vous dire que jamais on ne se moque de celui ou celle qui est au tableau surtout quand il ne sait pas. Quand il ou elle est bloquée, on lève la main et si Madame Guérini nous autorise, on se lève, et, on se place à côté de lui pour continuer.
Une fois, toute la classe s'est retrouvée debout devant la tableau, et Madame Guérini était seule assise à son bureau. Nous avons tous bien ri et appris qu'ensemble nous avions réussi à retenir toutes les informations qu'elle venait de nous montrer.
Et notre maitresse concluait le chapitre avec :
- "Voilà, pour ce soir pendant vos devoirs à la maison, vous n'aurez qu'à vous souvenir qui a trouvé le nom de l'affluent qu'il vous manque pour trouver son nom."
Cette méthode est géniale car les devoirs et les leçons, à faire le soir, passaient toujours très vite.
Cette maitresse a été gentille avec nous dès le début de l'année. Je pourrai raconter que dès la rentrée, j'avais décidé de lui faire un cadeau vraiment particulier mais l'histoire ne s'est pas tout à fait déroulée ainsi.
Nous sommes fin septembre, je viens de manger une pomme délicieuse du jardin des voisins.
Elle est tellement sucrée avec son jus généreux qui a coulé tout autour de mes doigts que je lèche avec avidité afin de ne pas en perdre une miette.
Arrivée au trognon, je récupère un maximum de pulpe et suce toutes les saveurs bien concentrées au coeur de cette belle pomme. Bientôt dans l'assiette, il ne me reste plus que les pépins et la queue toute marron et bien droite. Je me suis régalée !
Rassasiée, je regarde les pépins dans l'assiette et me souviens du cours de la semaine dernière, pour faire pousser un arbre.
Soudain, j'ai très envie de faire pousser un arbre, et puis, si je parviens à faire pousser un arbre avec ses pépins, c'est sûr l'an prochain, nous pourrons nous regaler avec des bonnes pommes directement dans notre jardin.
Alors, je me lève et demande à ma maman si elle accepte de me prêter un bout de coton et un petit verre pour faire pousser mes graines.
Je rassemble mes trésors sur la table de la cuisine. Je dépose délicatement mes pépins dans le coton, placé au fond du verre.
Je pousse la chaise jusqu'à l'évier. Une fois montée dessus, je peux actionner le robinet et faire couler un peu d'eau sur mon coton.
Je décide de placer le verre sur le rebord de la fenêtre de la cuisine.
Le premier jour, je suis venue une douzaine de fois afin de vérifier si mes graines commençaient à germer.
La première semaine, j'arrossais bien conscieusement mon coton tous les après midi en revenant de l'école mais il ne se passait rien.
J'étais déçue, je ne comprenais pas pourquoi c'était aussi long.
La seconde semaine, il a commencé à faire froid alors ma maman m'a conseillé de descendre mon verre au sous sol près de la fenêtre.
Forcément, je l'ai oublié un bon moment : il est resté sans eau mais avec pas mal de lumière et surtout la douce chaleur de la chaudière à côté qui s'était mise à ronfler pour nous aider à affronter l'automne déjà bien entamé.
Un après midi, alors que je faisais du patin à roulettes dans le sous sol débarassé des voitures de mes parents, je fonce au fond et je m'accroche, afin de ne pas tomber, à l'étagère sur laquelle se trouve mon verre-cocon de pépin !
Et là, mon petit nez se retrouve juste au dessus de lui. Je me penche agréablement surprise de retrouver ce verre complètement oublié, et, je regarde étonnée les petites tiges vertes qui sont sorties de chaque pépin.
Je crie, je hurle ma joie :
-"Wouah ! les graines ont germé ! Les graines ont germé !"
Du bout des doigts, je caresse les petites tiges biscornues et d'un vert tendre magnifique. Je suis tellement contente de les voir ainsi, petites choses aussi fragiles miraculeusement sorties de mes petites graines marrons foncées. Je suis fière d'avoir réussi, même si en fait sans moi au final, elles ont réussi leur travail alors que je les attendait beaucoup plus tôt.
Je me débarrasse de mes patins à roulettes, et remonte mon verre doucement comme si je tenais le coufin d'un nouveau-né dans la cuisine pour le montrer à ma maman.
J'ai besoin qu'elle m'explique l'étape suivante car je ne sais pas si je dois encore les laisser dans le coton ou si je dois les planter dans la terre.
On décide de laisser encore une semaine aux racines de mes pépins à arrosant juste un petit peu le coton afin qu'ils grandissent encore un peu et surtout deviennent plus solides.
Pendant ce temps, elle me donne un pot que nous remplissons de terre du jardin et préparons le trou qui accueillera mes pépins germés.
Le grand jour de la mise en terre arrive enfin. Je suis inquiéte car on a recouvert tous les pépins germés et maintenant on ne voit plus que la surface de la terre dans le pot. C'est vide, c'est marron, c'est terreux et surtout j'ai l'impression qu'il n'y a rien dans ce pot, mes trésors sont enfouis.
Ce n'est pas passionnant le jardinage, en fait.
Nous avons redéposé le pot rempli de terre sur l'étagère dans le garage, un petit peu d'eau sur la terre et le voilà parti pour hiberner. Forcément comme avec le coton, au début je suis beaucoup venue le voir pour être à chaque fois déçue par le vide.
Ce n'est qu'au printemps suivant que dame nature m'a offert un merveilleux cadeau : un minuscule pommier est sorti de terre ! Nous avons placé le pot sur la terrasse afin qu'il profite de la chaleur du soleil et du mur pour la nuit.
C'est mon trésor !
Un arbre auquel j'ai donné la vie ! Quelle fierté, quelle joie pour la petite fille que je suis. Je me suis dit alors
Je le garderai toute ma vie, il grandira avec moi et je le planterai dans mon jardin quand je serai grande.
Début juin, mon arbre fait déjà presque dix centimètres de haut ! Il a quelques feuilles sur quatre petites ramures.
Je réalise alors que je n'aurai pas de pomme pour cet été, il va me falloir attendre beaucoup plus longtemps, et cela me semble ressembler à une éternité. D'autant que ma mamam m'a parlé de greffes pour qu'il devienne un arbre fruitier.
Oh la la, moi, je déteste les opérations !
il n'est pas question qu'on incise mon pommier, et en plus personne ne sait le faire à la maison.
Alors lorsque vient la fin de l'année scolaire, ma maman me demande si je souhaite faire un cadeau à ma maitresse, et évidemment, cette année, je lui réponds :
- "Oh Oui! Un beau cadeau ! Madame Guérini est la plus chouette des maitresses !"
Ma maman me répond alors :
-" Je te propose que tu réfléchisses à ce cadeau. Qu'aimerais-tu lui offrir sachant que je ne mettrai pas beaucoup d'argent? C'est bien le geste du cadeau qui compte pour la remercier de son travail pour cette année."
Quand tu as 8 ans et que tu as adoré ta maitresse, tu lui offrirais quoi comme cadeau de fin d'année?
J'ai réfléchi et je me suis dit que je devais lui offrir un trésor qui durerait longtemps afin qu'elle pense à moi, à la joie, aux leçons qu'elle nous a enseignées avec passion et douceur pendant très longtemps même après mon départ pour la classe suivante.
Alors j'ai décidé de lui offrir mon tout premier pommier, mon trésor, ma fierté de cette année afin que madame Guérini pense à moi comme je pense à elle bien des années plus tard !
# 12.2 - Le pommier - vie rêvée
Cette histoire est déjà si belle que je ne l'ai pas rêvée en tant que tel.
J'ai plutôt rêvé la suite de la vie de mon pommier.
Madame Guerini est très touchée par mon cadeau. Elle trouve l'idée ravissante et tellement pertinente car elle part à la retraite dans une année.
Elle m'explique qu'elle pourra planter le pommier dans le jardin de sa nouvelle maison qu'elle a acheté avec son mari pour y passer sa retraite dans le sud de la France.
Il reste encore 3 jours d'école avant les grandes vacances, alors, elle a déposé le pot sur un rebord en hauteur au dessus de classe, à gauche de la porte d'entrée.
Il est inondé de lumière.
La maitresse m'a demandé d'expliquer à mes camarades comment j'avais fait pour faire pousser ce petit arbre.
Je suis fière de leur expliquer comment j'ai réussi. J'omet évidemment de dire que parfois j'ai abandonné le pot pendant de longues semaines. Je prétends sans vergogne que je savais que cela prenait beaucoup de temps pour la germinaison...
Sans hésiter et aucune humilité, mon cadeau est le plus beau des cadeaux qu'a reçu Madame Guérini. Enfin, je le décide ainsi.
Le dernier jour de classe, je ferme les yeux quelques minutes et j'imagine :
Madame Guérini est arrivée dans le jardin de sa maison située dans le sud de la France. Elle est arrivée la veille avec sa voiture, tandis que son mari arrive aujourd'hui avec le camion de déménagement.
Elle a décidé de ne prendre dans sa voiture uniquement des biens précieux pour elle dont elle voulait s'assurer la sécurité pendant le transfert entre son ancienne et sa nouvelle maison.
Elle a pris ses albums photos : celui de son mariage, ceux des mariages de ses soeurs et de ses neveux et nièces. Avec son mari, ils n'ont pas eu d'enfant, alors nous, ses élèves, nous avons tous été un peu comme les enfants qu'elle n'a pas eus.
ll y a également un album dédié à toute les photos des classes auxquelles elle a enseignées pendant un peu plus de quarante années de carrière. Elle y a ajouté les photos de ses collègues et les petits mots qu'elle a reçus pour son départ à la retraite. Tous les albums sont dans des cartons bien installés dans son coffre à côté de son sac de vêtements pour les premiers jours d'installation.
Son bien le plus précieux est bien calé derrière son siège conducteur : il s'agit de mon petit pommier!
Ses petites branches et feuilles oscillent selon les irrégularités de la route même si Madame Guérini roule très prudemment afin de ne pas l'abimer.
Arrivée à destination, Madame Guérini ouvre en grand les volets et les fenêtres de sa nouvelle maison. Elle inspire le bon air frais et parfumé de la campagne. Elle contemple quelques minutes son nouveau jardin déjà bien fleuri des plantations qu'elle a réalisées pendant les vacances de l'hiver dernier.
Après s'être désaltérée et avoir sorti le salon de jardin, elle s'assoit sur son transat et commence à réfléchir à quel endroit elle va planter mon pommier. Elle veut pouvoir le voir de son salon et de sa cuisine, et aussi de sa terrasse, car elle sait ce que cet arbre sera magnifique quand il aura poussé dans quelques années.
Elle a trouvé le coin idéal, entre son abricotier et son cerisier.
Mon ancienne maitresse de CE2 est tellement impatiente qu'elle n'attend pas son mari. Elle file chercher une pelle dans la remise et commence à creuser un trou. Il faut qu'il soit assez profond même si mon arbre est encore petit.
Elle y ajoute du terreau, celui qu'elle a récupéré de son bac à compost de l'année dernière.
Après avoir versé l'eau de son grand arrosoir au fond du trou, elle retourne sur son transat savourer le travail accompli et boire une bonne tasse de thé. Elle sait qu'elle ne doit pas planter mon pommier tout de suite. Il faut laisser le temps à la terre de s'aérer.
Et puis, elle veut le planter avec son mari pour ensuite arroser cette nouvelle plantation avec lui !
Quelques jours plus tard, le pommier est en terre. Madame Guérini est heureuse qu'un nouvel arbre provenant d'une de ses élèves soit dans son jardin. A chaque fois, qu'elle le regarde grandir saison après saison, elle se dit :
Tiens, Céline a dû bien grandir elle aussi ! Cette année elle va rentrer au collège....
Cette année elle doit rentrer au lycée...
Mon pommier mesure désormais un mètre cinquante. Madame et Monsieur Guérini ont effectué la greffe avec l'aide de leur voisin afin que mon pommier devienne bien un arbre fruitier.
Encore quelques printemps, et les abeilles lui donneront un coup de main, en butinant de ses fleurs à celles des pommiers voisins afin que mon pommier donne de belles pommes juteuses et sucrées.
Quelques années plus tard, Madame Guérini fête son anniversaire : soixante dix ans ! Elle et son mari ont invité tous leurs amis et voisins pour un dîner champêtre de fin d'été.
Elle est née le dix septembre, et ça tombe bien la plupart des pommes sont mûres.
Son mari en a ramassé déjà quelques cageots qu'il entrepose dans sa cave afin de préserver les fruits de l'humidité, et des trop grandes variations de températures de l'hiver à venir.
Naturellement, il a aussi préparé des compotes, des confitures, de gelées ainsi que son célèbre poulet au cidre accompagné de pommes farcies.
Les pommes sont juteuses à souhait. Madame Guérini en mange une tous les matins à son petit déjeuner. Souvent, elle a les yeux dans le vague en pensant à ma petit frimousse lorsque je lui ai apporté le pot ! Elle se dit que j'ai dû bien grandir et que c'est le cadeau le plus beau qu'elle ait reçu de toute sa carrière !
Pour le dessert de son anniversaire, son mari a préparé des tartes aux pommes fondantes, délicieuses avec les pommes de mon arbre ! Il a bien entendu fait lui même les pâtes brisées, puis, il a ajouté un lit de compote maison, et ensuite, il a tranché des pommes qu'il a disposées en cercle sur le dessus.
Les tartres, en cuisant dans le four de la cuisine, ont répandu une odeur de sucre, de fruits caramélisés, de beurre qui a fait fondre tous les invités arrivés en fin d'après midi.
Le soleil est couché, le fromage et la salade avalés, les invités ont hâtes de goûter les tartes qui ont doucement refroidies sur le bord de la fenêtre de la cuisine. Madame Guérini reste assise pendant que son mari et ses soeurs vont chercher les tartes sur lesquelles ils disposent les soixante dix bougies.
Avant de souffler ses bougies, Madame Guérini ferme les yeux quelques instants et voit les élèves de ses classes défiler. Bien sûr, il y a eu des classes plus agréables que d'autres, des élèves plus turbulents, moins assidus mais elle a toujours voulu enseigner à chacun l'envie d'apprendre, l'envie de soutenir ses camarades.
Elle sourit quand elle me revoit dans ses pensées et se dit :
Comme ce serait drôle de voir Céline, ce soir, de voir comment elle a grandi. Je pourrais lui montrer son pommier. Je pourrais lui montrer comment j'en ai pris bien soin, et surtout, je pourrais lui faire déguster les belles pommes que son arbre nous donne depuis quelques années !
Alors elle se met à souhaiter très fort que j'apparaisse quand elle rouvrira les yeux après avoir soufflé ses bougies.
Evidemment, son mari m'a invitée : il savait que ce serait un magnifique cadeau pour sa femme de me revoir.
Il ne se doutait pas que le cadeau était autant pour sa dulcinée que pour moi. Je fus très touchée lorsqu'il m'a contactée pour m'inviter. Son appel a fait resurgir le goût de la pomme sucrée que j'avais dégustée tellement d'années auparavant, et qui m'avait donnée les pépins devenus pommier que j'avais offert à sa femme.
De mon côté, j'avais aussi souvent penser à Madame Guérini. Ma maitresse tellement douce, tellement maligne qui nous a appris bien plus que le français, la géographie ou les mathématiques. Celle qui a su me montrer que savoir vraiment enseigner ne se limite pas à des compétences techniques. Elle savait enseigner avec son coeur et dans le respect de chaque élève, en voulant le faire grandir avec les autres et pas contre les autres.
Je n'ai rencontré qu'un seul professeur au lycée qui avait toutes les mêmes aptitudes qu'elle. Mes autres professeurs, il leur manquait toujours un petit quelque chose : pas assez d'écoute, favoriser trop les meilleurs, écraser les moins bons, n'avait plus aucune motivation...
Madame Guérini avait ce don pour l'enseignement que peu de professeurs possèdent.
Je patiente derrière le portail en attendant que son mari m'appelle. Je porte un petit bouquet de fleurs, et dans ma voiture, j'ai amené deux autres plantes en pot à planter dans son jardin : le choix du cadeau fut assez simple !
Monsieur Guérini m'appelle discrètement : sa femme a fermé les yeux alors j'entre dans le jardin.
Je m'approche doucement du bout de la table et m'assois à côté des cadeaux emballés et déposés par les invités.
Madame Guérini souffle ses bougies aidée par ses soeurs et son mari, puis elle ouvre les yeux !
Tous ses amis, voisins applaudissent et lui souhaite un bel anniversaire.
Ses yeux papillonnent quelques secondes le temps de s'habituer à la luminosité des guirlandes lumineuses accrochée aux arbres du jardin et au toit de la terrasse. Soudain, son regard se pose sur le bout de la table, attiré par le brillant des papiers cadeaux, puis elle me voit.
Un instant, elle se dit
Mais qui est cette jeune femme? Je ne la connais pas. Mon mari aurait pu me prevenir, tout de même. Je vais avoir l'air maligne si je ne connais pas son nom quand je vais devoir la remercier...
Pendant qu'elle commence à pester contre son mari, elle me fixe dans les yeux, et là soudain, elle me reconnait !
Je lui fait un grand sourire, je me lève. Et je la prend dans mes bras, ma petite maîtresse de CE2 toujours aussi douce, gentille mais qui est désormais devenue si petite.
Désormais, j'ai vingt ans, et, je mesure un mètre soixante dix, quant à elle, elle ne mesure qu'un mètre soixante. Quand j'avais 8 ans, elle me semblait pourtant grande !
Je suis aussi émue qu'elle. Mon coeur bat mille à l'heure. Je replonge dans mon enfance, pourtant pas si lointaine, en quelques secondes. Des images, des sons, des odeurs m'envahissent : que de bons souvenirs !
J'ai évidemment beaucoup plus changé que Madame Guérini. Je suis devenue une adulte, pendant que son visage s'enrichissait de quelques rides supplémentaires autour des yeux et sur son front. Mais son regard comme le mien n'ont pas changé, et, c'est grâce à eux que nous sommes reconnues !
Après tant d'émotions et avant mon départ, Madame Guérini m'attrape le bras et me dit :
- "Viens Céline ! Il faut que je te montre mon jardin, et surtout que tu vois comment ton pommier est devenu magnifique. Je me régale chaque matin, en saison, de ses pommes, mais aussi, l'hiver quand il se fortifie sans ses feuilles, au printemps quand il est en fleurs, l'été, je lis allongée sous son ombre et à l'automne, mon mari me gâte avec des recettes toutes délicieuses et savoureuses.
Ton cadeau est le plus des cadeaux que j'ai reçu, et tous les jours, j'ai pu penser à toi, et te voilà. Sais-tu que tu as grandi, comme lui, et je suis tellement heureuse que tu sois là ce soir !
Ce pommier a pris vie grâce à toi, et ensuite, tu me l'as offert : c'était un geste magique.
Merci infiniment, Céline, pour ces années de bonheurs !
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