Page 1 - 6

5 minutes de lecture

Ce minuscule patelin ne payait pas de mine, et pourtant il faut avouer qu’il y faisait bon vivre. Les rues pavées offraient un charme bien particulier à cette modeste bourgade.

Des fleurs de toutes les couleurs s’exhibaient fièrement aux fenêtres des maisons, embaumant les allées d’une douce odeur de jasmin.

La grande place du village formait un gigantesque cercle, accueillant à ses extrémités tous les commerces nécessaires à la vie courante. Tous s’y exposaient dignement, les résidants arrivaient à dénicher tout ce dont ils avaient besoin, et s’en satisfaisaient parfaitement. L’existence qu’ils menaient leur convenait en tout point, ils ne comptaient pas s’encombrer l’esprit d’inutilité.

Étonnement. Jamais une goutte de pluie ne venait ternir ce magnifique paysage en journée. Il y faisait beau pour ainsi dire tout le temps.

Les récoltes y demeuraient abondantes. Ici, personne ne manquait de rien. Les fermiers cultivaient du blé, du maïs, de l’orge. Leurs champs s’étendaient à perte de vue jusqu’aux montagnes avoisinantes.

Les éleveurs quant à eux, disposaient d’immenses troupeaux, composés de milliers de têtes, qu’ils laissaient paitre en toute liberté.

Unique ombre au tableau de cette contrée si idyllique, l’intimité inexistante ! Ici, chacun se tutoyait. Et surtout, tout le monde s’immisçait dans la vie d’autrui. Personne n’y trouvait rien à redire, il s’agissait là de leur manière de veiller les uns sur les autres.

La boulangère colportait tous les racontars, le cordonnier épiait les faits et gestes des promeneurs. Et il ne s’agissait pas des seuls ! Il fallait croire que toute cette communauté passait son temps libre à s’espionner.

Ils se réunissaient en comité sur la place du village, assis sur les marches de la mairie, surplombée de l’immense horloge, et s’échangeaient les derniers potins.

Ils choisissaient en commun qui allait se voir aspergé de leurs venins. Sans crier gare, du jour au lendemain, n’importe qui risquait d’en faire les frais !

Les sujets de médisances se trouvaient aussi divers que variés. Cela allait de la simple altercation futile, à d’autres thèmes bien plus sensibles. En règle générale, les absents se retrouvaient d’office pris pour cible.

Dans tous les cas, les propos abordés lors de ses assemblées improvisées avivaient au sein du patelin, une paranoïa croissante. Chacun y allait de son grain de sel et les gens n’osaient quasiment plus sortir de chez eux passer une certaine heure par peur des rumeurs inopportunes.

Telles des caméras, ils enregistraient les moindres faits et gestes afin de les étaler au moment opportun. Un petit groupe composé de personnes plus zélé que d’autres tenaient même des registres sur tout et n’importe quoi, qui pouvaient leur sembler d’intérêt public.

Un sujet se détachait pourtant clairement du lot à chacune de ses réunions, « le nouveau voisin ». Toutes leurs discussions finissaient fatalement par s’articuler autour de cette personne. On le désignait encore par ce terme alors que celui-ci avait emménagé depuis presque deux ans maintenant.

On accablait ce pauvre bougre de tous les maux. Et bien évidemment, on ne lui donnait jamais l’opportunité de se prononcer !

On empêchait les enfants de s’approcher de lui. On l’affublait de surnoms ridicules. La plupart du temps, le cloporte l’emportait sur tout autre qualificatif.

Les téméraires s’amusaient à lui balancer des œufs, à saccager sa boite aux lettres, à lui lancer des pierres allant même jusqu’à cracher devant lui lors de son passage.

Cet homme suscitait d’ailleurs un vif conflit au sein de cette paisible communauté. Comme dans chaque controverse, des partisans prônaient son acceptation.

D’autres au contraire, bien déterminés à en découdre, comptaient user de tous subterfuges à leurs dispositions, histoire de le chasser au plus vite de leurs terres.

Mais chacun d’entre eux se ralliait finalement à l’avis du prêtre ! Lui qui d’habitude prêchait la bonne parole tous les dimanches, bénéficiait pour ainsi dire d’un jugement bien tranché sur la question.

Il annonçait de sa grosse voix à qui voulait l’entendre.

— Mes Frères, ne laissons pas entrer le diable aussi facilement en nos chaumières, prenons soin les uns des autres, comme nous avons toujours su le faire. L’adversité s’approche à grands pas. Maintenant plus que jamais, nou nous devons de garder notre unité intacte.

Ces quelques mots imprégnaient fortement les pensées de tous les villageois et résonnaient en eux, tel un cri de ralliement.

Parfois, les habitants restaient même aux aguets, se tenant stoïques aux abords des routes, debout, à scruter le moindre passage qui leur semblait suspect.

Dans de rares occasions, de leurs yeux auscultant le plus petit des mouvements, ils arrivaient à apercevoir des têtes qui leur apparaissaient totalement méconnues.

Et dans ces moments-là, ils s’écriaient.

— Tien, v’là un nouveau ! Il a l’air de s’être paumé celui-là !

On aurait pu imaginer que les résidants du hameau voyaient en ses visiteurs, la possibilité de se divertir quelque peu, ou bien d’arrondir éventuellement leurs fins de mois grâce au tourisme.

Mais non ! Toutes les fois où des personnes étrangères à la ville osaient parcourir les rues, les habitants leur jetaient leurs plus mesquins regards comme pour les dissuader de s’approcher. Les commerçants refusaient de les servir.

À leurs entrées dans le seul restaurant, tous restaient muets en vue de leur faire clairement comprendre qu’ils devaient partir au plus vite.

Quand de pauvres touristes perdus demandaient leurs chemins à des habitants qui passaient au travers des rues, certains détournaient le regard, d’autres leur répondaient dans un patois incompréhensible.

Personne n’espérait voir sa tranquillité troublée par l’afflux massif de visiteurs. Tous s’évertuaient à empêcher quiconque de traverser leurs paisibles demeures.

Les riverains vivaient comme égarés au sein d’une lointaine époque, et cela leur correspondait parfaitement. Réfractaires aux nouvelles technologies, ils ne souhaitaient pas se prendre la tête avec tous ces gadgets qu’ils jugeaient totalement inutiles à leurs bien-être.

L’électricité à l’intérieur de leurs modestes habitations leur suffisait amplement ! Ici, tous circulaient à vélos ! Les travaux de paysannerie se faisaient sans aucun moyen mécanique, encore à l’aide des chevaux et des bœufs.

Dans ces contrées montagneuses, les lignes téléphoniques ne passaient pas, internet et les mobiles restaient inconnus aux yeux de tous. Les voitures et autres machines agricoles furent perçues dès leurs premières apparitions, comme une damnation.

Les gens demeuraient pieux, ils se retrouvaient tous les dimanches afin d’assister à la messe, festoyaient lors des anniversaires, organisaient de grandes fêtes.

La bonne entente ainsi que l’entraide régnait en maitre ! Du moins entre eux !

Tous les vingt du mois venu, Fernand le charcutier prenait plaisir à égorger sa plus belle bête en vue de l’offrir en dégustation sur la place du village. Estelle, la boulangère, quant à elle s’occupait de préparer le pain. Les fermiers apportaient leurs meilleures eaux-de-vie et la partageaient avec quiconque le désirait. Chacun contribuait à ces festivités à la hauteur de ses moyens, des stands se dressaient le long des rues.

Les enfants s’amusaient à tout décorer. Cet immense parvis s’habillait pour l’occasion de guirlande et de ballons de toutes les couleurs.

Annotations

Vous aimez lire Breadcrumbs Wilson ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0