Chapitre I (globalité des pages)

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Ce minuscule hameau ne payait pas de mine en apparence, et pourtant il faut avouer qu’il y faisait bon vivre. Les rues pavées offraient un charme bien particulier à cette modeste bourgade.

Des fleurs de toutes les couleurs s’exhibaient fièrement aux fenêtres des maisons, embaumant les allées d’une douce odeur de jasmin.

La grande place du village formait un gigantesque cercle, accueillant à ses extrémités tous les commerces nécessaires à la vie courante. Tous s’y exposaient dignement, les résidants arrivaient à dénicher tout ce dont ils avaient besoin, et s’en satisfaisaient parfaitement. L’existence qu’ils menaient leur convenait en tout point, ils ne comptaient pas s’encombrer l’esprit d’inutilité.

Étonnement. Jamais une goutte de pluie ne venait ternir ce magnifique paysage en journée. Il y faisait beau pour ainsi dire tout le temps.

Les récoltes y demeuraient abondantes. Ici, personne ne manquait de rien. Les fermiers cultivaient du blé, du maïs, de l’orge. Leurs champs s’étendaient à perte de vue jusqu’aux montagnes avoisinantes.

Les éleveurs quant à eux, disposaient d’immenses troupeaux, composés de milliers de têtes, qu’ils laissaient paitre en toute liberté.

Unique ombre au tableau de cette contrée si idyllique, l’intimité inexistante ! Ici, chacun se tutoyait. Et surtout, tout le monde s’immisçait dans la vie d’autrui. Personne n’y trouvait rien à redire, il s’agissait là de leur manière de veiller les uns sur les autres.

La boulangère colportait tous les racontars, le cordonnier épiait les faits et gestes des promeneurs. Et il ne s’agissait pas des seuls ! Il fallait croire que toute cette communauté de gens passait son temps libre à s’espionner.

Ils se réunissaient en comité sur la place du village, assis sur les marches de la mairie, surplombée de l’immense horloge, et s’échangeaient entre eux les derniers potins.

Ils choisissaient en commun qui allait se voir aspergé de leurs venins. Sans crier gare, du jour au lendemain, n’importe qui risquait d’en faire les frais !

Les sujets de médisances se trouvaient aussi divers que variés. Cela allait de la simple altercation futile, à d’autres thèmes bien plus sensibles. En règle générale, les absents se retrouvaient d’office pris pour cible.

Dans tous les cas, les propos abordés lors de ses assemblées improvisées avivaient au sein du patelin, une paranoïa croissante. Chacun y allait de son grain de sel et les gens n’osaient quasiment plus sortir de chez eux passer une certaine heure par peur des rumeurs inopportunes.

Telles des caméras, ils enregistraient les moindres faits et gestes afin de les étaler au moment opportun. Un petit groupe composé de personnes plus zélées que d’autres tenaient même des registres sur tout et n’importe quoi, qui pouvaient leur sembler d’intérêt public.

Un sujet se détachait pourtant clairement du lot à chacune de ses réunions, « le nouveau voisin ». Toutes leurs discussions finissaient fatalement par s’articuler autour de cette personne. On le désignait encore par ce terme alors que celui-ci avait emménagé depuis presque deux ans maintenant.

On accablait ce pauvre bougre de tous les maux. Et bien évidemment, on ne lui donnait jamais l’opportunité de se prononcer !

On empêchait les enfants de s’approcher de lui. On l’affublait de surnoms ridicules. La plupart du temps, le cloporte l’emportait sur tout autre qualificatif.

Les téméraires s’amusaient à lui balancer des œufs, à saccager sa boite aux lettres, à lui lancer des pierres allant même jusqu’à cracher devant lui lors de son passage.

Cet homme suscitait d’ailleurs un vif conflit au sein de cette paisible communauté. Comme dans chaque controverse, des partisans prônaient son acceptation.

D’autres au contraire, bien déterminés à en découdre, comptaient user de tous subterfuges à leurs dispositions, histoire de le chasser au plus vite de leurs terres.

Mais chacun d’entre eux se ralliait finalement à l’avis du prêtre ! Lui qui d’habitude prêchait la bonne parole tous les dimanches, bénéficiait pour ainsi dire d’un jugement bien tranché sur la question.

Il annonçait de sa grosse voix à qui voulait l’entendre.

— Mes Frères, ne laissons pas entrer le diable aussi facilement en nos chaumières, prenons soin les uns des autres, comme nous avons toujours su le faire. L’adversité s’approche à grands pas. Maintenant plus que jamais, nous nous devons de garder notre unité intacte.

Ces quelques mots imprégnaient fortement les pensées de tous les villageois et résonnaient en eux, tel un cri de ralliement.

Parfois, les habitants restaient même aux aguets, se tenant stoïques aux abords des routes, debout, à scruter frénétiquement le moindre passage qui leur semblait suspect.

Dans de rares occasions, de leurs yeux auscultant le plus petit des mouvements, ils arrivaient à apercevoir des têtes qui leur apparaissaient totalement méconnues.

Et dans ces moments-là, ils s’écriaient.

— Tien, v’là un nouveau ! Il a l’air de s’être paumé celui-là !

On aurait pu imaginer que les résidants du hameau voyaient en ses visiteurs, la possibilité de se divertir quelque peu, ou bien d’arrondir éventuellement leurs fins de mois grâce au tourisme.

Mais non ! Toutes les fois où des personnes étrangères à la ville osaient parcourir les rues, les habitants leur jetaient leurs plus mesquins regards comme pour les dissuader de s’approcher. Les commerçants refusaient de les servir.

À leurs entrées dans le seul restaurant, tous restaient muets en vue de leur faire clairement comprendre qu’ils devaient partir au plus vite.

Quand de pauvres touristes perdus demandaient leurs chemins à des gens de passage, certains détournaient le regard, d’autres leur répondaient dans un patois incompréhensible.

Personne n’espérait voir sa tranquillité troublée par l’afflux massif de visiteurs. Tous s’évertuaient à empêcher quiconque de traverser leurs paisibles demeures.

Les riverains vivaient comme égarés au sein d’une lointaine époque, et cela leur correspondait parfaitement. Réfractaires aux nouvelles technologies, ils ne souhaitaient pas se prendre la tête avec tous ces gadgets qu’ils jugeaient totalement inutiles à leurs bien-être.

L’électricité à l’intérieur de leurs modestes habitations leur suffisait amplement ! Ici, tous circulaient à vélos ! Les travaux de paysannerie se faisaient sans aucun moyen mécanique, encore à l’aide des chevaux et des bœufs.

Dans ces contrées montagneuses, les lignes téléphoniques ne passaient pas, internet et les mobiles restaient inconnus aux yeux de tous. Les voitures et autres machines agricoles furent perçues dès leurs premières apparitions, comme une damnation.

Les gens demeuraient pieux, ils se retrouvaient tous les dimanches afin d’assister à la messe, festoyaient lors des anniversaires, organisaient de grandes fêtes.

La bonne entente ainsi que l’entraide régnait en maitre ! Du moins entre eux !

Tous les vingt du mois venu, Fernand le charcutier prenait plaisir à égorger sa plus belle bête en vue de l’offrir en dégustation sur la place du village. Estelle, la boulangère, quant à elle s’occupait de préparer le pain. Les fermiers apportaient leurs meilleures eaux-de-vie et la partageaient avec quiconque le désirait. Chacun contribuait à ces festivités à la hauteur de ses moyens, des stands se dressaient le long des rues.

Les enfants s’amusaient à tout décorer. Cet immense parvis s’habillait pour l’occasion de guirlande et de ballons de toutes les couleurs.

Le Père Baptiste participait aussi très souvent. Ce vieil homme adorait venir s’asseoir à l’une des tables élevées spécialement pour l’occasion, il y restait là de longues heures, stoïques, scrutant avec attention tout ce qui se tramait aux alentours.

Les festivités se prolongeaient toute la nuit durant, la musique résonnait. Comme pour faire pâlir d’envie les bourgades avoisinantes, les occupants prenaient plaisir à chantonner l’hymne du village dès l’ouverture du banquet, chacun y donnait de la voix.

Ce même rituel se répétait inlassablement à chacune de ses fêtes. Les plus anciens se bousculaient afin d’entamer la mélodie les premiers, eux qui ont vu de leurs yeux se profiler les heures les plus sombres du pays, savaient pertinemment ce que la cohésion de tous représentait. Ils souhaitaient par cette action, exacerber l’unité.

Tous avaient d’ailleurs donné de leurs personnes pour cette bourgade, Charles perdit un œil durant la Grande Guerre, Léon fut amputé de la jambe. Marc, le plus bavard d’entre eux, quant à lui, prit même l’initiative lors de la dernière soirée organisée, d’exhiber fièrement sa blessure à la fesse gauche.

Ce fragment de balle jamais retiré constituait pour lui son plus beau fait d’armes. Inutile, de préciser que le triste spectacle de cet homme âgé de quatre-vingt-huit ans, le pantalon baissé et le postérieur à l’air, n’amassait pas foule.

Mais lui ne s’en souciait guère, il hurlait au visage de tous sur un ton qui en agaçait plus d’un.

— Sans mon flasque derrière, vous parleriez tous allemand !

Marc demeurait ce que l’on peut appeler « un bon vivant », il se déplaçait de stand en stand, goûtant frénétiquement cette niôle que lui offraient généreusement les villageois.

Lentement mais surement, ses propos devenaient de plus en plus incohérents au fil de son avancée à travers le parvis. Même les quelques personnes admiratives de cet héroïque postérieur ne comprenaient pas comment cette blessure lui fut réellement infligée.

Un coup, un Allemand lui tirait dessus, alors qu’il tentait de fuir. Une autre fois, à lui seul fait battre en retraite tout un escadron ennemi.

Quoi qu’il en soit, personne ne doutait un instant de la véracité, de ses dires, et ce malgré le fait, que sa version changeait à chaque verre d’alcool absorbé.

Le prêtre Baptiste, vraisemblablement agacé par la vision de cet homme imbibé, proférant des propos incohérents, bondit de sa chaise, l’attrapa brutalement par la manche, l’emmena à quelques pas de la foule.

Et sur un ton ferme, lui dit.

— Qu’est-ce que les gens vont penser de toi ? Quel triste spectacle offres-tu à la vue de tous ? Un ancien combattant cul nul ! Regarde-toi, tu n’arrives même plus à te tenir debout ! Tes phrases ne veulent rien dire ! Tu n’as pas honte de ce que tu es !

Lui tenant tête, le fixant droit dans les yeux.

Marc semblait très peu impressionné par le discours moralisateur du prêtre.

Lui s’était toujours tenu à l’écart de ses braves hommes d’Église, garants de la bonne conscience et propagateur de valeurs qui ne paraissaient plus ressembler aux siennes depuis bien longtemps.

Il n’accordait que peu d’importances aux conventions sociales, aux apparences, et à tout ce qui en général venait à lui dicter sa conduite. Il ne possédait d’ailleurs rien à lui, aucune famille, pas d’enfants, pas de domaines aucune terre.

Dormant très souvent à même le sol à la bonne étoile, et ce malgré son âge avancez. Il se contentait de ce que la vie daignait bien lui offrir, une soupe de temps à autre, un bout de pain par-ci par-là. Il se portait généralement volontaire pour aider aux travaux des fermes, un sourire en guise de paiement lui suffisait amplement.

Il marchait la plupart du temps ivre à travers les rues, les vêtements déchirés, le béret de travers, la chemise ressortie de son pantalon taché.

Il n’impressionnait certes pas grand monde accoutré de la sorte, et ne possédait pas le charisme que l’on imaginait lier à son âge, mais qu’importe.

Cette existence, il l’avait choisie ! Aussi sordide soit-elle, d’apparence pour autrui, elle lui convenait parfaitement !

Les gens le croisaient de bon matin et il les saluait tous exhibant chaque fois son plus beau sourire afin de conjurer le sort. Et ce même quand ses semblables tiraient la tronche et ne lui renvoyaient en retour qu’un regard mesquin. Lui ne s’en offusquait pas ! Non ! Il savait pertinemment, mieux que quiconque, que cette vie n’octroyait de cadeaux à personne et que ce qu’elle donnait d’une main, elle le reprenait de l’autre bien plus violemment.

Ce monde abritait déjà bien assez de gens désespérés. Donc, à quoi bon arborer sa mine d’enterrement ? Même si son sourire ne laissait apparaitre que trois dents de travers, et qu’il s’agissait là de sa seule possession, il l’offrait de bon cœur à n’importe qui.

Il demeurait tel un symbole de liberté que peu de gens décelaient en lui, mais que tous lui enviaient inconsciemment.

L’église il la fuyait comme la peste ! L’uniformisation de la société, voilà ce que représentait pour lui cette grenouille de bénitier qui prêchait son conventionnalisme à tout va, les forts d’un côté et les faibles de l’autre. Inutile de préciser à quelle cause s’étaient ralliés ceux-là depuis des millénaires.

Marc, fier comme un paon, adorait se pavaner à cette misérable fête de village, et bien entendu la manière lui faisait défaut.

Oui, sa consommation d’alcool excessive lui occasionnait du tort ! Non, il ne se lavait pas tous les jours ! Oui, il demeurait grossier et vulgaire ! Et puis quoi ?

Cette balle dans sa fesse gauche représentait peut-être le seul accomplissement de sa vie ! Tout le monde lui avait tourné le dos, toute sa vie durant, et ce depuis son plus jeune âge. (à étoffer, anecdote sur l’enfance)

Quoi qu’il en soit, les mots du prêtre l’agaçaient au plus haut point. Des dizaines avant celui-là, se succédèrent les uns après les autres, et plus d’un se trouvaient exaspérer par sa personne, mais aucun d’entre eux n’a jamais osé lui parler de la sorte !

Mais cette fois-ci, le marteau frappa l’enclume si fort qu’il s’en retrouva brisés. Comment résister à la meute ? Tous adoraient cet homme, les gens se délectaient de ses paroles tous les dimanches, chacun puisait dans ses prêches un réconfort certain.

Certes, il demeurait saoul, mais l’ivresse de la colère dépassait largement celle de l’alcool ! Et cela n’avait pas grand-chose à voir avec les remontrances du prêtre, qui n’ont provoqué qu’une légère égratignure à sa dignité disparue depuis des décennies maintenant.

Ce qui le peinât le plus, dans toute cette histoire, c’est que celui-ci, lui avait serré si fort le poignet en voulant attraper sa manche, qu’il ne put pour ainsi dire plus le bouger.

Ce déploiement de force inutile n’offrait qu’une seule justification, celle d’asseoir sa supériorité et de le rabaisser devant tout le monde. Ce vieil homme souffrait donc en l’occurrence d’une autre blessure bien plus préoccupante et qui apparaissait de fait beaucoup plus discrète.

Il s’agissait d’une lésion à son amour propre, et ce genre de dommage ne pouvait pas se soigner aussi facilement qu’un os déboité.

Effectivement, tous eurent l’occasion d’admirer de leurs yeux grands ouverts cet individu trainé par un prêtre tel un enfant qui se verrait asséner une correction.

Le regard de tous ces gens fixés sur lui devenait de plus en plus difficile à supporter. Qu’envisageait-il pour laver cet affront ? Il ne pouvait quand même pas entreprendre de se battre avec lui. Impossible pour son âge, même si ce n’est pas l’envie qui lui manquait.

Il savait qu’il ne suffisait pas de désirer quelque chose pour que cela se produise ! Il devait clairement se rendre à l’évidence, ses bras s’alourdissaient, ses mouvements devenaient lents, sa vision faiblissait. À peine aurait-il eu le temps de lever la main sur cet individu, qu’il se serait retrouvé au sol.

Totalement décomposée, par ce qu’il subissait, une idée lui vint à l’esprit au bout de quelques secondes d’observation.

Sans prévenir, tel un ultime pied de nez à toute convenance la plus élémentaire. Il baissa à nouveau son pantalon et se mit cette fois, à uriner à grand jet, sur la soutane du prêtre, lui criant par la même occasion.

— Et toi ? Tu n’as pas honte ?

Horrifié et littéralement abasourdi, le curé se liquéfia sur place. Ne sachant plus quoi dire son visage vira totalement au rouge. Sa robe pleine d’urine le répugnait ! Cet énergumène avait-il osé l’humilier ainsi devant tout le monde ?

Énervé, il poussa Marc de toutes ses forces, qui tomba instantanément, s’étalant de tout son poids au sol. Le grondement du corps de cette personne âgée fracassant les pavés installa au sein de cette foule d’habitude si enjouée immédiatement le silence.

Sinistre spectacle projeté à la vue de tous. Que ce corps gisant là face à l’église sous la pleine lune. D’autant plus que le religieux se trouvait l’instigateur du coup porté.

Tous visualisaient cette tragédie avec la plus grande attention ! De mémoire de villageois, personne n’avait jamais observé un homme d’Église frapper quelqu’un. Et encore moins un vieillard décoré de guerre ! Mais pour sa défense personne n’avait jamais uriné sur un abbé, non plus !

Des voix s’élevaient parmi les habitants de cette contrée.

— Quoi ? Il a vraiment osé ?

— Quel chien, celui-là !

Le prêtre sentant le vent tourné et prenant peur de la réaction de la foule décida d’orienter la situation à son avantage.

L’opportunité de se débarrasser de Marc se vit enfin servie sur un plateau. Il aurait eu tort de ne pas en profiter ! Ce pauvre bougre représentait inconsciemment tout ce qu’il détestait !

Plus jamais il ne s’aviserait de tendre l’autre joue à ce misérable vieillard marginal ! Ce maudit provocateur libertaire ! Ce poivrot sans respect avait tiré là sa dernière carte !

Une fois, son funeste projet gravé au sein de son esprit. Il se retourna vers cette cohue formée par tous ses villageois qui s’agitait, parlant entre eux.

Il leva les bras au ciel comme pour invoquer le Seigneur, prit sa voix la plus solennelle et prononça ces quelques mots assez forts afin que tous puissent les entendre.

— Mes bien chers frères, comme vous avez pu l’apercevoir, j’ai ce soir été victime d’un acte des plus odieux. Certes, cela a atteint ma dignité d’homme, je ne peux affirmer le contraire. Mais chacun doit savoir mettre de côté sa fierté. Bien au-delà de l’individu blessé que je suis, comprenez bien que cet ignoble affront ne m’était pas destiné ! J’ai constamment répondu présent. J’ai toujours donné de moi-même afin de vous venir en aide. Aucun de vous n’a jamais trouvé sur son chemin ma porte close. Je n’ai jamais porté de jugements sur quiconque. Entendez bien mes frères, que cette humiliation vous visait tous au cœur. Vous avez pu sentir en vous la dépravation de cet homme, sa haine et sa rancœur envers vous tous. Ces provocations futiles ne cachent qu’un seul but, celui de…

Avant qu’il ne puisse venir à bout de ce discours interminable, Marc se releva, la tête lourde, le corps encore endolori par sa dégringolade et les bras écorchés.

Son poignet affichait un hématome considérable, qui lui infligeait une souffrance insoutenable. Sa chemise en plus de ses banales tâches de sueurs présentait maintenant une trainée de sang séché au niveau de la manche.

Dues probablement à sa chute ou plus vraisemblablement à cette eau-de-vie engloutie à la hâte quelques minutes avant son altercation. Ses idées voguaient au loin ; il peinait à recouvrer ses esprits.

Se retournant, titubant, il s’avança de deux pas et découvrit à nouveau devant lui ce satané prêtre prêchant à son habitude de toute son éloquence ses fidèles convaincus.

Comme hypnotisé par ce joueur de flute, tous avalaient de bon cœur cette soupe ecclésiastique, assortie de son couplet accusatoire.

Indéniablement, les mots qui volaient à ses oreilles n’attisaient que d’autant sa rage. Le sang-froid lui manquait !

L’humiliation qu’il venait d’endurer, ne demeurait rien en comparaison de celle qu’il se voyait infliger maintenant, et ce devant tout le monde. On le prenait pour le dindon de la farce ! Tous ces gens bien sous tous rapports le regardaient comme le diable.

Et non pas qu’il accordait une quelconque importance à ce que les autres pensaient de lui. Mais la vérité se devait de faire son apparition aux grands jours.

Durant toute sa vie, jamais il n’eut à rougir devant quiconque ! Et cela n’allait pas commencer aujourd’hui ! Pour rien au monde, il ne l’aurait permis !

Certes, l’alcool demeurait son point faible. Mais quelle personne osait se prévaloir de l’incarnation de l’homme parfait ? Lui au moins restait fidèle à lui-même en toute circonstance.

Ses défauts, ils les expérimentaient depuis toujours. L’ivresse à outrance, la paresse, son médiocre caractère, et bien d’autres encore l’affligeaient de tous leurs poids. Mais la vilénie et la dépravation. Au grand jamais ! Ces odieuses bassesses, ils les abandonnaient volontiers à d’autres !

Marc n’apparaissait pas fin stratège. Toutes ces mesquineries, ces jeux de pouvoir, ainsi que cette réalité inventée de toute pièce ne signifiaient pas grand-chose pour lui.

Néanmoins, il savait pertinemment que les vainqueurs écrivaient l’histoire, en prenant soin de ne laisser aucune trace des perdants.

Inadmissible, que ce prêtre se moque de lui plus longuement ! il le ferait taire, quoi qu’il advienne ! Sa décision lui apparaissait irrémédiable, la deuxième manche devait commencer !

Sans réfléchir plus longtemps, il rassembla ses dernières forces, pris son élan, et sauta sur l’abbé qui se trouvait de dos en train de parler.

À son grand étonnement, lui qui pensait que la confrontation allait se réengager de plus belle. Tout le contraire se produisit.

Le curé vacilla vers l’avant. En trébuchant, sa tête heurta les pavés si fort qu’un bruit creux en résonnât. Il gisait maintenant au sol à son tour !

Le Père Baptiste mettait en réalité habilement en œuvre son machiavélique stratagème. Certes, il ne s’attendait pas à une chute si rocambolesque. Mais, tant mieux ! Cela n’aurait que plus d’impact sur la population ! Tel un acteur au plus haut sommet de son art, sa prestation ne pouvait s’interrompre à cause d’une vulgaire erreur de parcours.

Marc quant à lui, pauvre imbécile qu’il était, pensait enfin tenir entre ses mains, cette vengeance tant espérée. Amusé par la situation, il se réjouissait.

Hurlant, il bondissait malgré son âge. Sautant dans tous les sens, il peinait difficilement à contenir cette frénésie s’emparant peu à peu de tout son être.

Il lui avait quand même rendu la monnaie de sa pièce et d’apparence bien plus violemment qu’elle ne lui avait été donné. Il s’affichait fièrement tout sourire aux lèvres.

Mais ses réjouissances furent brèves. À peine avait-il eu le temps d’esquisser un sourire de satisfaction et d’entamer son effrénée danse de la victoire, qu’une dizaine de villageois lui tomba dessus et l’empoigna par le col sur-le-champ.

Ceinturé comme un ennemi en terre hostile. Impossible pour lui de se mouvoir, dix individus le tenaient fermement de tous les côtés.

Il se débattait misérablement de toutes ses forces, criant.

— Laissez-moi ! Vous ne voyez pas qu’il vous manipule !

Mais personne ne daignait accorder d’importances aux affirmations du vieux Marc.

Les gens le fustigèrent, les uns après les autres, le tirant dans tous les sens, ils le projetaient au sol. Les coups et les crachats s’abattaient de tous leurs poids, sur ce vieil homme sans défense.

— Tais-toi ! Sale ivrogne ! Clochard !

Baptiste se releva instantanément comme de rien, et malgré le bruit sourd de sa chute il se montrait en parfaite forme. Il admirait ces gens tabassés de toutes leurs forces, ce vieil homme, se retenant de rire aux éclats.

Les habitants accouraient. S’attroupant tous autour de lui, affligés par ce qui venait de se produire et préoccupés par sa santé, ils lui demandèrent.

— Vous allez bien, mon Père ? Vous souhaitez que l’on fasse intervenir le médecin ?

À l’entente de ses mots, il jubila intérieurement, sans pour autant répondre à la question.

Il se délectait du moment, il s’agissait là d’un coup de maitre que peu de gens arrivaient à maitriser. Manipulateur avisé, il tirait les fils de cette pitoyable marionnette à sa guise. Ce qui soit dit en passant, exaltait d’autant plus son plaisir. Il manœuvrait cet homme de droite à gauche, de haut en bas. Et le jeu semblait à mille lieues d’être fini.

Il allait enfin pouvoir lui faire admirer toute l’étendue de ses prouesses. Ce pauvre bougre ne s’en remettrait jamais. Il était loin de s’imaginer ce qu’il lui réservait pour la suite.

Profitant de l’ivresse de cette foule, il tendit dramatiquement le doigt en direction de Marc, se retourna face à ces gens. Et dit à haute voix.

— Mes frères et sœurs. Regarder donc ce parasite ! À nouveau, vous avez pu constater cette rage et cette vilénie dont il fait preuve, et ce en toute circonstance. Ce vaurien a même eu l’audace de penser, pouvoir cette fois-ci, imposer ses idées par la force.

Mais la vraie question est bien là. Que voulez-vous ? Que quelqu’un vienne propager ses idées libertaires. Que cet égoïste puisse continuer à profiter de nous, en toute impunité ? Pouvons-nous le laisser s’enivrer à la vue de tous, bafouant par la même occasion toutes règles les plus élémentaires de savoir-vivre ? Non, je ne pense pas ! Ces valeurs ne sont pas les nôtres ! Je pense pouvoir affirmer au nom de tous que personne d’entre nous ne souhaite que notre lieu de vie se transforme en un lieu de débauche abritant tous les insectes du coin.

Et Dieu seul m’en est témoin, j’ai essayé de venir en aide à cet homme, à maintes et maintes reprises. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’il a voulu me faire taire par la force.

Vous savez mes frères et sœurs, trop longtemps, ce misérable s’est caché, bien à l’abri du regard de Dieu, ne prenant même pas le courage de renier ses dépravations. Mais soyez-en certains, le tout puissant de là où il se trouve sait tout. N’oubliez pas que le jour du jugement approche à grands pas, et j’espère pour nous tous que personne n’aura à rougir de ses actes le moment venu.

Arrêtons de laisser les choses évoluer inconsciemment. Sachons dire non, quand il le faut ! Restons pour une fois les seuls à décider de nos vies. Vous savez ce misérable vieillard, fais partie de cette gangrène qui tente par tous les moyens de s’immiscer en nous. Nous devons nous en séparer le plus vite possible.

À l’entente des paroles du prêtre, les villageois restèrent bouche bée. Sans réfléchir plus longtemps, ils s’organisèrent instinctivement en cortège, se plaçant les uns derrière les autres. Ils agrippèrent Marc tel un vulgaire sac de pommes de terre et lui attachèrent les mains entre elles à l’aide d’une corde.

Exhibant fièrement ce pauvre homme en tête de cette parade improvisée, ils marchèrent tous à la chaine, déambulant dans les rues, droit vers la sortie du village.

Les têtes de files de cette expédition punitive n’étaient autres que les plus fidèles apôtres du prêtre. Et ils profitaient d’ailleurs habilement de cette occasion tel un exutoire à leurs frustrations, afin de proférer envers Marc moult insultes, lui déchirant au passage ses vêtements déjà souillés par le sang et les crachats subis auparavant.

Tous ces gens comme déchaînés par une force démoniaque qu’il ne percevait même pas donnaient tellement de leurs personnes afin de châtier ce pauvre homme. Qu’enfin arrivé à destination, Marc ne demeurait plus que l’ombre de lui-même !

Une fois, le peu de dignité qui subsistait au sein de son être évaporé. Il avançait devant tous, la tête basse, sans réfléchir, tout simplement guider par les coups de bâtons qui finissaient tous inéluctablement par marquer son corps à vif.

Amoindris, totalement nu, le corps tuméfié et le visage méconnaissable. Les résidents du hameau brisèrent par la force toute forme de rébellion qui l’habitait.

Ce symbole de liberté qu’il représentait disparaissait même peu à peu au fil de son avancée. Ne laissant de lui que l’image d’un pauvre vieillard piétiné par ses congénères.

Ce misérable finit même par prier en vain inconsciemment tous les Dieux afin qu’ils lui viennent en aide et daignent épargner sa misérable vie.

Avant de perdre définitivement connaissance, affligé, ne supportant plus la douleur des coups, qu’il recevait frénétiquement à chacun de ses pas.

Il cria de toutes ses forces, pleurant à chaude larme.

— Pitié, je sais que je demeure le pire de tous. Mais je vous en supplie, ne me tuer pas !

Enfin, ils le jetèrent finalement inertes, au sol sous le regard satisfait du prêtre, abandonnant de fait cet énergumène à son triste sort devant la seule maison qui n’appartenait pas au village.

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