Jaden, le semi-elfe
Cette journée d'été était particulièrement chaude. Les rayons brûlants du soleil illuminaient la vallée de Peregia, située au pied des Monts de Fer, frontière naturelle entre les Royaumes Humains et Nains de l'Empire d'Algaësia. Des soubassements de cette chaine de montage, naissait timidement une forêt, qui s'étendait à perte de vue vers le nord, toujours plus épaisse. Dégringolant des flancs abrupts, une rivière s'écoulait joyeusement en direction de la forêt, avant de se perdre sous la cime des arbres. Un peu à l'est de la vallée, se trouvait un petit village qui ne payait pas de mine, calé entre le pied des montagnes, et la forêt, à une centaine de mettre de la rivière. Le village était entouré de quelques champs verdoyants, et une route étonnamment grande pour un si petit village semblait le traversé de part en part, comme si le village avait été coupé au couteau. Cette dernière sortait de la forêt, traversait le village et montait en zigzaguant sur les flancs montagneux.
Elphoas était un village peu peuplé, mais prospère. Il profitait en effet du commerce entre les Hommes, au nord, et les Nains, au sud. Il servait d'étape pour les caravanes qui transportaient armes, joaillerie ou or nain dans un sens, et céréales, agrumes ou encore soieries dans l'autre sens. Ce transit de biens parfois précieux avait permis au petit village de se doter d'une caserne habitée par quelques hommes d'armes chargés de surveiller et défendre les caravanes transitant dans la région. La caserne était un bâtiment aussi modeste que le village : une simple bâtisse de bois, un peu plus imposante que les maisons alentours, derrière laquelle s'étendait une cour fermée, parsemée de râteliers d'armes et de mannequins d'entraînements.
Et justement, en ce brûlant début d'après midi, seules deux âmes semblaient assez courageuses pour braver la chaleur en s'escrimant contre les mannequins. Le premier était assez petit, mais trapu, blond, d'une trentaine d'années. Le deuxième était, lui, beaucoup plus proche de la vingtaine, mais cela ne l'empêchait pas d'être nettement plus grand que son voisin, quoique moins costaud que lui. Il avait les cheveux bruns et le teint mât, mais ce qui le rendait si particulier était la couleur de ses yeux : d'un jaune proche du doré, ainsi que ses oreilles étrangement étirées en pointe. Les deux hommes paraissaient s'échiner sur leurs mannequins depuis plusieurs heures au vu de leurs vêtements trempés de sueurs.
Après plusieurs minutes, le plus âgé des deux s'arrêta, bu une gorgée dans la gourde se trouvant entre les deux mannequins tout en s'épongeant le front, puis se tourna vers son collègue.
— Quelle chaleur, j'en peux plus, souffla-t-il en tendant la gourde à son acolyte.
— Comme tu dis. Je vais m'arrêter là, Aren et Ylphias ne devraient plus tarder de toute façon.
L'autre homme ne répondit pas, accaparé par l'analyse des deux mannequins.
— Jaden, tu triches, dit-il après plusieurs minutes à observer les entailles d'épées.
— Comment ça ? répondit le brun en s'approchant.
— Regarde-moi ça, répliqua l'autre en pointant les entailles. Tu fais des marques plus profondes que les miennes alors que je suis trois fois plus costaud que toi.
— Ça doit être ton épée, affirma Jaden, un sourire au coin de la bouche.
— Mon épée, bien sûr. On utilise les mêmes, nigaud. Fait pas semblant de pas comprendre, rigola son acolyte. À tous les coups, c'est encore à cause de ton sang d'elfe ça.
— Ouais bah fallait être semi-elfe, Khane, riposta Jaden.
— On a pas tous cet honneur, monsieur, le railla Khane.
— Je t'avoue, je me serai bien passé de cet "honneur" si cela avait pu m'éviter d'être orphelin, soupira Jaden en reprenant une gorgée d'eau.
Leur conversation fût soudainement interrompue par deux hommes qui débarquèrent dans la cour.
— Ah, voilà Ylphias et Aren. Alors comment était votre patrouille ? les héla Khane.
— Bof, la routine quoi, répondit Aren en déposant son épée sur un ratelier.
— On a dû aider un nain à réparer la roue de son chariot, sinon rien de particulier, ajouta Ylphias.
— Bon bah à notre tour, dit Jaden en prenant son épée et l'attachant à sa ceinture.
Son compagnon fit de même, et les deux hommes rejoignirent la route après avoir salué leurs camarades. Ils remontèrent lentement le chemin en direction de la forêt, tout en saluant les quelques connaissances et caravaniers qu'ils croisaient. Après quelques minutes de marche en silence, Khane se tourna vers Jaden.
— Je me demandais, tu sais d'où vient ton sang d'elfe ?
— Comment ça ? répondit Jaden avec un haussement de sourcil.
— Bah, c'est peu courant de voir des elfes par ici, leur royaume est à plusieurs mois de marche vers l'ouest, continua Khane.
— C'est vrai, j'en ai jamais vu à vrai dire. Le comble pour un semi-elfe, je dirai, rigola Jaden. Mais pour te répondre, je n'en ai aucune idée. Probablement un elfe voyageur, qui s'est épris d'une humaine. Je sais juste que mon père adoptif m'a retrouvé déambulant seul dans la forêt, un jour. J'avais quatre ans, je crois, mais je n'en ai aucun souvenir. Mes parents sont morts dans une attaque d'Urgaïk, je suppose, vu qu'on a jamais retrouvé leur corps.
Les Urgaïk, une espèce bestiale mi-humaine mi-animale, qui arpentait il y a plusieurs années les contrées d'Algaësia, en quête de chair et de sang, lançant des raids sur les villages et les caravanes, se repaissant de leurs malheureuses victimes. À cette époque, voyager était très dangereux. Face à cette menace de plus en plus croissante, les trois royaumes de l'Empire : elfe, nain et humain, s'était uni pour repousser les Urgaïk dans l'extrême ouest d'Algaësia.
Les deux hommes continuèrent leur patrouille en silence, mais il semblait évident à Jaden que son collègue brûlait de lui poser d'autres questions. Après plusieurs minutes, Khane se décida enfin.
— Tu... ça va surement de paraitre idiot comme question mais... tu peux faire de la magie ? souffla Khane, hésitant.
— C'est marrant que tu me poses cette question que maintenant, on se connaît depuis plusieurs mois maintenant, répondit Jaden.
— C'est vrai que je me suis posé la question quand je t'ai vu pour la première fois, lorsque tu as rejoint la brigade au printemps dernier, mais ça m'était sorti de l'esprit avant qu'on discute des bienfaits du sang elfe tout à l'heure, répliqua Khane.
— Y'a pas tant de bienfaits que ça. Les gens sont tous persuadés que je suis mage ou je ne sais pas quoi. Mais que je sache, ce n'est pas le cas, j'ai juste des capacités physiques un peu plus élevées que la moyenne, affirma Jaden en haussant les épaules.
— Hmm, t'as aussi hérité de quelques attributs physiques elfiques, je dirai, ajouta Khane sur le ton de l'humour.
— C'est juste, sans ça je n'aurai jamais su que j'avais du sang elfique d'ailleurs, conclu Jaden.
Ces "attributs elfiques", comme les appelaient Khane, rendaient en effet Jaden particulièrement atypique au milieu de ses congénères. Même si, comme l'avait souligné son collègue, peu de gens de la région avait déjà vu un elfe, tous savent que les yeux dorés et les oreilles pointues de Jaden ne peuvent venir que de cette espèce légendaire. Il était donc maintenant habitué aux questions en tout genre sur ses origines, comme celle que venaient de lui poser Khane. Il n'aimait pas trop être au centre de l'attention de la sorte, mais il ne pouvait pas y faire grand-chose. Heureusement, il n'avait pas (trop) hérité de la mythique beauté elfique. Parfois, Jaden se demandait combien de temps il vivrait, les elfes étant réputés pour être quasiment immortels.
Jaden fut subitement tiré de ses pensées par des éclats de voix venant d'un peu plus loin sur la route.
— ESPÈCE DE SALE VOLEUSE ! REND MOI ÇA IMMÉDIATEMENT ! s'égosillait un homme.
— Du travail pour nous, on dirait, sorti Khane en pressant le pas.
Jaden le suivit de près, et tous deux rejoignirent le lieu de la dispute. Ils découvrirent deux hommes, manifestement des caravaniers au vu des deux chariots à l'arrêt, en train de violenter une jeune fille n'ayant pas plus d'une dizaine d'année, qui semblait terrifiée. Elle tenait quelque chose dans les mains.
— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? déclara Khane avec force.
Les deux hommes se tournèrent vers Khane, l'un d'eux lâcha la jeune fille et répondit.
— Cette sale gosse a essayé de nous voler de la nourriture !
— Du calme. Pour commencer, lâchez-la, intima Jaden.
— Pour qu'elle s'enfuie avec notre nourriture ? Sans façon ! protesta le deuxième homme.
Jaden s'approcha et posa une main sur l'épaule de la jeune fille.
— Je m'occupe de m'assurer qu'elle ne s'enfuie pas, répondit-il, alors que l'homme lâchait la jeune fille en dévisageant Jaden.
— Elle à quoi dans les mains Jaden ? demanda Khane, qui surveillait les deux hommes.
— De la nourriture, je vous dis, répliqua l'un des deux.
— Une miche de pain, confirma Jaden. Pas de quoi en faire toute une histoire...
— Elle n'a pas à nous voler ! objecta l'autre homme. Qu'elle aille acheter du pain si elle en veut.
— Vu son accoutrement et son âge, je ne pense pas qu'elle puisse, raisonna Khane calmement. On vous paye la miche de pain et elle la garde, ça vous convient ?
— Mmmh... si vous y tenez, grommela l'homme.
Khane sorti quelques pièces et les donna aux caravaniers avant de les intimer de reprendre leur circulation. Jaden lâcha l'enfant, qui partit en courant en direction du village.
— Probablement une orpheline...
— Espérons qu'elle ai au moins un toit, déclara tristement Khane.
Les deux hommes allaient reprendre leur patrouille quand un puissant coup de vent balaya la route, faisant se tordre les arbres et s'envoler la poussière.
— Qu'est-ce que...
Mais avant que Jaden ai pu finir sa phrase, une gigantesque ombre s'étira sur le village, le recouvrant intégralement. Une immense bête ailée entra alors dans leur champ de vision, survolant la route, puis le village, ses battements d'ailes provoquant de violentes bourrasques.
— Un dragon, souffla Jaden, ébahis.
— Merde, qu'est-ce que fait un dragon ici ?! Il n'a pas intérêt à attaquer le village, on n'a aucun moyen de se défendre ! paniqua Khane.
Les deux hommes se mirent alors à courir vers le village aussi vite que possible.
— C'est étrange, il vient de la forêt et pas des montagnes, cria Jaden à son collègue. Les dragons sauvages vivent dans les montagnes normalement, non ?
— C'est pas la question là, on y pensera après, cours ! répliqua Khane.
Intrigué, Jaden scruta le dragon qui tournait en rond au dessus du village. Il remarqua alors une selle sur son dos. Le dragon semblait monté par une personne. Ce qui signifiait que...
— Khane, attends ! Il y a quelqu'un sur le dos du dragon ! C'est un dragonnier !! s'écria Jaden.
— Un dragonnier ? Mais qu'est ce qu'un dragonnier viendrait faire à Elphoas ? répondit Khane.
Il a raison, se dit Jaden, que viendrait faire un dragonnier dans un si petit village ? Ces derniers vivaient soit à la capitale, soit à Vroengard. Ils étaient considérés par la population comme des demis-dieux, de part leurs pouvoirs immenses. Et ils ne se déplaçaient que pour des raisons qui dépassaient largement les populations d'Algaësia. C'était d'ailleurs surement la première fois qu'un dragonnier était vu dans cette région. Que pouvait-il bien se passer qui nécessite la présence d'un dragon ?
Le dragon plongea alors vers le sol, et se posa dans un bruit sourd qui fit trembler la terre et provoqua une ultime bourrasque. Les deux hommes se précipitèrent vers l'immense bête.
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