Chapitre 7 

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Tricia

Ouh, qu’est-ce qu’il fait frisquet aujourd’hui ! Mais il faut que je reste concentrée. Pas question d’être en retard, pas aujourd’hui.

J’accélère le pas dans ma robe argentée, qui brille de mille feux. On dirait que j’ai littéralement démonté une fusée en métal pour m’en faire une robe… Et attendez, ce n’est pas tout : j’ai même les cuissardes assorties.

J’arrive presque à destination. Ce shooting est primordial pour moi. J’en ai vraiment besoin ! Financièrement, c’est chaud ces derniers temps. Dans ce métier, tout est volatil : certains mois, j’ai plein de propositions ; d’autres, c’est le désert, zéro.

À l’endroit du rendez-vous, mes yeux s’écarquillent, mes sourcils remontent comme ceux d’une sorcière à qui on aurait volé son balai magique. Ma mâchoire se décroche.

Une autre fille est déjà en train de poser, alors que j’étais censée être seule pour ce shooting.

Je m’approche doucement d’un membre de l’équipe.

— Bonjour, je suis Tricia Makuka, j’ai rendez-vous pour le shooting… qui normalement doit commencer dans dix minutes.

— Bonjour, Mademoiselle Makuka. Je suis navré de vous annoncer ça, mais finalement le client a opté pour un autre profil qui correspondait mieux à ses attentes pour la campagne. Toutefois, nous ne manquerons pas de revenir vers vous si votre profil correspond à un autre client.

Mes lèvres se pincent pour ne pas craquer, ça m’aide à contenir ma colère. Je prends une respiration, fixe son front quelques secondes, puis le détaille de haut en bas. J’ai qu’une envie : le rembarrer… mais je peux pas, je ne peux pas me griller avec cette agence. On ne sait jamais, ils auront peut-être besoin de moi dans le futur.

— Ah… j’en suis terriblement désolée. Je comptais sur ce shooting, et j’ai dû faire tout le trajet jusqu’ici… Enfin, je suppose que ces changements de dernière minute arrivent.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, je tourne les talons et je m’en vais. Sinon, je sens que mes mains pourraient bien agir toutes seules.

Je marche presque de manière frénétique, bouillonnante de colère. Pourquoi il faut toujours que ce genre de merde m’arrive ? Je fais tout pour tenir ferme, gérer, être un pilier pour ma mère… Malgré tout ça, je garde la tête haute et le sourire, mais parfois j’ai l’impression que le destin se déchaîne contre moi. Comme si j’étais aspirée par un siphon en pleine mer.

Le temps de me taper tout le trajet inverse, je rentre chez moi. Et la seule chose qui m’attend, c’est une grosse pile de factures sur la table du salon. Je jette un œil dans la pièce : la poussière s’est nichée dans tous les coins. La vaisselle s’accumule dans l’évier. L’odeur des poubelles que j’ai oublié de vider me monte au nez. Faut que je me reprenne, c’est plus possible. Je peux pas continuer à négliger mon espace de vie et ma carrière… Je dois prendre les choses en main. D’ailleurs, j’ai déjà mon petit projet pour ça.

Je m’envoie deux cigarettes d’affilée pour essayer de décompresser. Ensuite je passe en revue les factures : je compte, je recompte, j’additionne, je soustrais, je multiplie… Heureusement que j’ai économisé pendant les bons mois : je devrais pouvoir éponger les factures de ce mois-ci, et tenir encore un peu derrière.

Je n’ai même pas le temps de finir cette pensée que le téléphone sonne. Je décroche.

— Allô ? Bonjour, Mademoiselle Makuka ?

— Bonjour, oui, c’est bien moi. (Je lui réponds d’une voix tremblante. J’ai reconnu le numéro de l’hôpital où est ma mère. S’ils m’annoncent une mauvaise nouvelle, c’est fini pour moi, je coule.)

— Je vous appelle au sujet de votre maman. Tout se passe bien ici, mais malheureusement, les soins vont devoir continuer. La maladie est assez avancée et, pour ne prendre aucun risque, il faut vraiment éradiquer toute possibilité de rechute. D’après sa fiche, ses soins sont payés pour les deux prochains mois, mais cela risque de durer plus. Je vous préviens en amont, il faudra faire le nécessaire au moins une semaine avant l’échéance, car on va sûrement devoir prolonger les soins pendant minimum cinq mois supplémentaires.

— Évidemment, je ferai le nécessaire d’ici là. Merci de votre appel. Et une dernière chose : si possible, j’aimerais que cet appel reste entre nous. Ce n’est pas la peine d’en parler à ma maman.

— Aucun souci, Mademoiselle Makuka. Excellente journée à vous.

— Au revoir.

Aïe, c’est encore pire que ce que je pensais… Va vraiment falloir que ça marche, parce que là, on va atteindre un stade critique. Cette journée est infernale : je suis passée de l’enthousiasme au shooting à la colère, pour finir sous une pression qui doit bien peser une tonne.

J’ai une envie folle de me ronger les ongles, mais je me retiens. Je dois garder de belles mains si d’autres shootings se présentent… et je n’ai certainement pas d’argent à dépenser dans une manucure !

Cette nouvelle m’a bien secouée. Je crois que j’ai besoin de m’allonger. Je vais dans ma chambre et je m’allonge sur le lit sans le défaire. Les draps manquent clairement de fraîcheur, je le sens à l’odeur dès que je m’étends dessus. Leur couleur n’est plus vraiment blanche, mais tire vers le jaune, comme les dents d’une vieille accro au café. Mais bon, c’est pas ma priorité en ce moment…

Je me concentre et fais mes exercices de respiration. Ça me calme presque immédiatement, j’ai appris ça avec ma psy, quand j’avais encore les moyens d’en avoir une.

En face de mon lit, il y a le cadre avec la photo de ma mère et moi, quand j’étais petite. Mon cœur se réchauffe, un sourire me monte aux lèvres. Ça ravive tellement de souvenirs… Comme la fois où j’étais revenue de l’école, vexée de ne pas avoir été invitée à la boum d’une camarade. J’étais en colère, toutes les filles étaient invitées sauf moi !

Ma mère a organisé une boum rien que pour moi. Il y avait tout ce que j’aurais pu imaginer : des bonbons à profusion, deux gâteaux maison, de la musique… Elle a dansé avec moi pendant des heures. Le lendemain, je suis retournée à l’école, toute fière, racontant à qui voulait l’entendre ce que ma maman avait fait pour moi. Je disais même : « Vous voyez, je suis une vraie princesse, je parie qu’aucune de vos mamans ne vous a déjà fait une boum rien que pour vous. »

C’est elle qui m’a appris ma valeur et à avoir confiance en moi. Je l’aime de tout mon cœur et je serais prête à tout pour elle.

La fatigue m’envahit. Mais avant de m’endormir, j’ai encore une chose à faire. J’ai vu des billets d’avion ce matin pour le voyage : franchement, les prix sont très compétitifs. Mais il faudra partir à des dates précises… Je vais envoyer toutes les infos aux filles et faire en sorte qu’on boucle ça. Je pense que c’est déjà bien amorcé. Ça devrait pas être trop difficile…

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