Chapitre 9

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Amber —

Je ne sais même pas ce que je suis censée mettre dans cette foutue valise.

Le stress commence à monter, et plus j’essaie d’ignorer cette sensation, plus elle s’accroche. Franchement, qu’est-ce qui m’a pris d’accepter ce voyage ?

Topaze… Elle a ce don, parfois, pour me convaincre de tout et n’importe quoi. C’est presque surnaturel. Elle pourrait vendre des glaçons à un esquimau sans même cligner des yeux. Pas étonnant qu’elle soit commerciale…

Et puis, au fond, il y a la culpabilité.

Ce n’est pas si vieux, la mort de maman, et voilà que je m’apprête à laisser cette maison vide, à partir loin comme si de rien n’était. J’ai l’impression de l’abandonner une seconde fois.

Ma gorge se serre, je sens les larmes qui ne demandent qu’à déborder… Mais non. Hors de question de replonger là-dedans. Je l’entends presque me gronder dans ma tête : “Arrête de t’apitoyer, Amber, vis.”

Alors j’attrape la valise et j’essaie de m’activer, un t-shirt après l’autre, presque mécaniquement.

Il paraît que se mettre en mouvement, ça aide à débloquer la tête. On va vérifier si c’est vrai.

J’empile des fringues, sans vraiment réfléchir.

Un maillot de bain rouge (mon préféré, matière incroyable, couleur qui claque), deux robes légères, des shorts, quelques crop tops, et un treillis au cas où Topaze a la bonne idée d’organiser une randonnée en pleine jungle ou une chasse au trésor, qui sait… Je glisse aussi mes chaussures de marche.

Avant même de m’en rendre compte, la valise est bouclée. C’est fou comme le corps sait faire sans l’accord du cerveau.

Ces derniers temps, je me surprends à m’intéresser à la psychologie, à tous ces petits mécanismes bizarres qui nous font agir à contre-courant.

Peut-être que ça m’aide à comprendre les autres… ou juste à m’excuser auprès de moi-même quand je panique pour rien.

Demain, réveil à l’aube. Le vol est à 9h, donc lever 5h30. Je n’ai jamais été une fille du matin, mais on ne va pas chipoter. De toute façon, je dormirai dans l’avion… Enfin, j’espère.

Je descends me faire une tisane, comme une vieille mamie. Impossible de trouver le sommeil, comme toujours ces dernières semaines.

La bouilloire finit par s’arrêter, “ding”. Je regarde le grille-pain bleu vintage sur le plan de travail — maman en était folle. Je me revois sur la brocante, elle l’avait repéré à dix mètres, elle aurait pu traverser la foule en courant rien que pour ce grille-pain.

Pendant deux semaines, c’était pain grillé, avocat, œuf au plat tous les matins. Sa façon à elle de célébrer les petits plaisirs de la vie.

Je sirote ma camomille, en espérant que Morphée sera clémente ce soir.

Avant de monter me coucher, je vais faire un tour dans la chambre de maman. Un rituel, presque chaque soir depuis l’enterrement.

J’ouvre la porte, je reste plantée devant sa coiffeuse, à détailler chaque flacon, chaque rouge à lèvres (le Yves Saint-Laurent, c’était son préféré).

J’enfouis mon visage dans une écharpe, je ferme les yeux, j’essaie de la retrouver à travers l’odeur qui flotte encore. Ça me réchauffe autant que ça me brise, mais ça m’aide à tenir.

Je referme la porte, doucement, comme si j’avais peur de la réveiller.

Je me glisse sous les draps, je serre la couverture contre moi, comme si je pouvais lui donner une forme humaine. Les nuits sont longues, mais au moins, ce soir, j’ai l’impression d’avancer.

Le matin, la maison est encore endormie quand je traîne ma valise jusqu’à la porte. Chaque objet me fixe comme un témoin silencieux. Je pourrais rester plantée là des heures, mais je me force : passer à l’action, encore et toujours.

Je tire la porte, et je sens le poids du monde me tomber sur les épaules. Tant pis, j’avance.

À l’aéroport, les filles sont déjà là, sourire aux lèvres. J’essaie de sauver la face, de faire semblant que tout va bien. Ça fait longtemps que je ne les avais pas vues…

La tendresse de Paige me prend par surprise : elle me serre dans ses bras comme si elle voulait recoller les morceaux à elle seule. Et bizarrement, ça marche.

Pour la première fois depuis longtemps, j’arrive presque à sourire sans effort.

———

Nous sommes assises devant la porte d’embarquement, et rien qu’à regarder la file des passagers, je me sens déjà épuisée.

Le trajet va être interminable. Environ 19 heures de vol jusqu’à Jakarta, avec une escale à Tokyo. Et encore, ce n’est que le début…

Après ça, il y aura le van pour rejoindre le port, puis le bateau pour la fameuse île.

Il ne manque plus que le train et la fusée, et on aura testé tous les moyens de transport existants.

Je me surprends à sourire toute seule, perdue dans mes pensées, pendant que les annonces d’embarquement résonnent en fond, à moitié couvertes par le brouhaha des voyageurs.

L’éclairage blafard, la moquette grisâtre, l’odeur de café tiède… On sent qu’on n’est plus vraiment chez soi, et pas encore ailleurs.

Paige et Molly sont assises en face de moi. Molly a le visage fermé, les épaules rentrées, et elle tripote nerveusement la manche de son sweat. Je tends l’oreille, discrètement.

Molly —

— Tu es vraiment sûre que ce voyage était une bonne idée ? Je suis pas rassurée, tu vas me prendre pour une folle, mais j’ai un mauvais pressentiment.

Paige —

— Mais non ! Tout va bien se passer. Il faut être positif, c’est une expérience incroyable, une vraie chance ce qu’on va vivre. Je comprends que tu sois stressée, c’est la première fois qu’on part aussi loin, mais ça va être le feu ! Je sais que t’aimes pas trop les photos, mais je te préviens, t’auras pas le choix. Je veux plein de souvenirs, et je nous ferai un album à chacune, pour qu’on puisse montrer ça à nos enfants plus tard.

Molly —

— Si tu le dis… En tout cas, je suis contente qu’on soit ensemble.

(Elle pose sa tête sur l’épaule de Paige, un sourire timide aux lèvres.)

Molly a vraiment un bon fond. On sent qu’elle voudrait profiter, mais ses pensées la dépassent. Toujours en alerte, toujours à analyser… Je comprends pourquoi elle et Paige sont inséparables. Paige, c’est l’enthousiasme et la vie ; Molly, la logique et la retenue. Elles s’équilibrent parfaitement.

J’aperçois Tricia au loin. Elle fait les cent pas, téléphone à la main, les sourcils froncés. Quand elle s’assoit enfin à côté des filles, je me demande si elle ne culpabilise pas de laisser sa mère malade ici.

Topaze —

— Ça va ? T’as l’air dans le néant depuis tout à l’heure.

Amber —

— J’étais juste en train de réfléchir, mais tout va bien.

Topaze —

— Je suis trop excitée pour ce voyage ! Ça va être inoubliable !

— Oui, ça c’est sûr… Va falloir bien s’accrocher, il y a plus de 24h de trajet avant d’arriver à l’hôtel.

— Je sais, mais on pourra dormir dans l’avion, et puis si on s’ennuie, j’ai pris un Uno. Prépare-toi à perdre, comme à l’époque !

Quelques éclats de rire fusent. Je les observe, un peu en retrait, un peu rassurée finalement de ne pas être seule pour cette aventure.

Un instant de flottement, le temps ralentit. On se regarde, un peu fébriles, un peu excitées, prêtes à décoller vers l’inconnu.

Au fond, c’est sûrement ça qui fait le sel de ce voyage.

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