Chapitre 11

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Amber—

Nous avons fini par atterrir à Tokyo, le temps d’une escale aux allures de rêve interrompu. Quelques heures à déambuler dans un aéroport fantôme, puis déjà l’embarquement, l’avion qui redécolle dans la nuit noire.

Le sommeil a été bref, saccadé, traversé de fragments de pensées et de cette excitation sourde qui ne me quitte pas. Puis enfin, après ce qui m’a semblé être une éternité en suspens, l’avion amorce sa descente vers Jakarta.

Cette fois, c’est la bonne. Nous avons atterri.

Les portes s’ouvrent, une chaleur moite me frappe au visage, presque suffocante après tant d’heures dans l’air conditionné. Je cligne des yeux, avale une bouffée de cet air saturé d’odeurs — essence, épices, pluie. Tout semble à la fois étouffant et vibrant.

L’aéroport bourdonne. Les annonces résonnent dans un écho métallique, se mêlant aux bruits secs des roulettes sur le carrelage. Des voyageurs pressés, fatigués, traînent leurs ombres dans cette jungle artificielle.

Nous récupérons nos bagages dans un ballet chaotique, les chariots s’entrechoquent, les conversations s’emmêlent. Puis enfin, nous franchissons les portes automatiques. La nuit nous engloutit.

Un ciel noir, épais, saturé de nuages. Des rangées de néons clignotent au loin, ponctuées par les palmiers qui se tordent dans la moiteur. L’air colle à ma peau comme un drap humide.

C’est là que je le vois : un homme nous attend, pancarte à la main, l’air détaché.

“Miss Tricia – Group”.

Nous grimpons dans un van blanc, massif, climatisation poussée au maximum — une gifle glaciale après la touffeur extérieure. Les sièges en simili-cuir collent aux jambes nues. Les valises s’entassent dans le coffre, comme des corps empilés.

La route s’étire devant nous, avalée par les phares. Un long ruban d’asphalte bordé de palmiers et d’enseignes lumineuses. Les klaxons éclatent dans la nuit, stridents, comme des cris d’oiseaux affolés. À travers les vitres, des gouttes de pluie commencent à strier le paysage.

Je sens la fatigue me gagner, mais sous cette torpeur rôde une excitation étrange. C’est maintenant que tout commence.

Au début, les conversations fusent, hésitantes, comme pour tenir la fatigue à distance. Mais très vite, un silence flottant s’installe. Une tension discrète, palpable. Peut-être la lassitude… ou autre chose.

Topaze finit par briser le silence, d’un ton où perce l’agacement :

— Sérieux… on a encore beaucoup de route pour arriver au port ? Et… pourquoi un bateau de nuit ? C’est pas hyper rassurant.

Mon regard glisse vers Molly. Elle lance à Tricia un coup d’œil qui me glace.

Pas un simple regard contrarié. Non. Quelque chose de plus dur. Une ombre, presque menaçante.

Tricia réplique aussitôt, avec une assurance qui sonne un peu forcée :

— Trois quarts d’heure, à peu près. Et pour ce genre d’hôtel, c’est normal que les transferts se fassent la nuit. La plupart des touristes arrivent d’Amérique du Nord… Les vols atterrissent tard, comme le nôtre.

Sa main trahit son calme apparent : elle se gratte nerveusement le genou.

— Ouais… J’espère qu’il n’y aura pas de tempête ou un truc comme ça, marmonne Topaze, crispée.

Je détourne les yeux, cherchant un point d’ancrage. J’ouvre mon carnet, ces fiches de développement perso que j’ai rédigées avant le départ. Un geste réflexe, pour me reconnecter. Pour respirer.

Mais à peine ai-je plongé dans mes notes qu’une voix sèche fend l’air.

— Tu fous quoi, là ? Tu fouilles dans mes affaires ?

Je relève brusquement la tête. Tricia s’est tournée vers Molly, les yeux durs comme du verre. Sa voix a claqué comme un coup de fouet.

Molly se fige, le visage écarlate. On dirait qu’elle va imploser.

— N… non ! Je… je me suis juste trompée de sac.

Un silence lourd s’abat dans le van.

Tricia se penche légèrement, ses lèvres étirées en un sourire froid :

— La prochaine fois, fais gaffe.

Elle appuie sur le mot, lentement, comme une menace.

Molly ne bronche pas. Elle soutient son regard, sans un mot. Ses yeux sont devenus deux lames, silencieuses, mais coupantes.

Quelque chose vient de changer. Je le sens. Et ça me glace plus que la clim qui me mord la peau.

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