9 - Korrigan

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Chaque joueur est sans doute, en ce moment même, vissé sur sa chaise, les yeux scotchés sur son écran d'ordinateur à épier le moindre mouvement suspect dans le feuillage des arbres, les ondulations sur les marais, les graviers du sentier. Un brouillard s'épaissit sur la vallée. Je ne bouge pas de ma cachette.

— Vous allez payer votre barbarie envers les Korrigans, lance la voix féminine.

Un rire diabolique me brûle les tympans, puis plus rien, le silence est pesant et insoutenable.

— Hey Maxence, c'est quoi les Korrigans ?

— Je sais pas. Je ne suis pas breton, je viens de Paris !

— Je viens de Paris aussi... enfin, de la région parisienne.

— Pourquoi tu dis que t’es Allemand alors ?

— Ce sont les origines de mes parents... C’est le drapeau qui m’a été attribué. Je représente le pays de mes ancêtres.

— Moi aussi... répond Lucas. Je viens de Saint-Maur-des-Fossés.. Et mes parents sont d’origine italienne.

— Hello à tous. Je m’appelle Colin et je suis d’origine Écossaise. Comme vous, je viens de Paris. J’habite du côté de St Laz.

— S’lut, Abdel. Moi aussi. Je viens de Clichy. J’suis d’origine marocaine.

— Ji-Hyun. De Paris... Côté saint Germain des Prés... Parents coréens.

J'entends d'autres voix se manifester. Tous les joueurs viennent de la même région. C'est insensé.

— Et qu’est-ce que vous faites ici, en Bretagne ?

— Mon père a été muté pour quelques mois à l’usine d’eau potable de Poraon... répond Lucas.

— Le mien aussi, ajoute Ulrich. Et ça fait plus d’un an que nous sommes ici...

— Nos parents travaillent tous au même endroit ? s'exclame Ji-Hyun.

— C’est étrange comme coïncidence, répond Lucas. Qu’est-ce qui se passe dans ce bled ?

Silence. Nous nous posons tous la même question.

— Une IA contrôle le jeu ? dis-je.

— Une IA pourrait faire ça ? ajoute Lucas.

— Ça n’explique pas comment nous pouvons subir les attaques dans la vraie vie..., explique Ji-Hyun. Ce doit être autre chose... un fait lié à cette légende...

— Du paranormal vous croyez ? dit Lucas.

— Qui nous en voudrait, hein ?

— Hey, les histoires celtes ça me connait un peu, intervient Colin. J’ai fait des recherches sur les Korrigans. Ils ne sont pas comme représentés dans le jeu...

— Ok, répond Ulrich. Vas-y, raconte, on t’écoute.

— Les Korrigans sont une sorte de lutins ou de gnomes. Ils ont une apparence chétive, vivent exclusivement en Bretagne, surtout au château de Dinan, sur la presqu’île du Crozon.

— Là où nous vivons quoi... dis-je, nerveux.

— Ce sont les gardiens des trésors des collines. Ils sont extrêmement riches, mais aussi incroyablement avares.

— Mais ça n’existe pas ! s'écrie Lucas.

— La ferme ! gueule Ulrich. Laisse Colin finir !

Je soupire, puis écoute attentivement Colin, malgré le fait que le casque me chauffe les oreilles.

— Ces lutins sont des esprits prenant l’apparence de nains dans la légende bretonne.

— C’est ce qu’on a affronté dans WAR P KOR, dis-je. Des nains de jardin avec des bonnets rouges ou verts... Les Korrigans auraient pris cette apparence pour cacher leur véritable identité ?

— Sans doute... Ce sont des créatures bienveillantes, ou... malveillantes. Ils sont décrits comme des êtres ayant une magnifique chevelure et des yeux rouges lumineux pour ensorceler les mortels. Ils sont petits, velus, coiffés de chapeaux plats avec des rubans de velours, et ont de grosses têtes laides et ridées.

Cette description me fait frissonner et grimacer.

— Ça ne donne pas envie de les rencontrer... lance Lucas.

— Si vous en croisez un, il faut fuir, ajoute Colin.

— Ce n’est qu’une légende, hein ? dis-je.

— Rien n'est logique en ce moment...

— Sont-ils vraiment si méchants ? demande Ulrich.

— Et bien... ce sont des êtres redoutables qui aiment s’amuser à égarer les hommes et à leur faire peur. Il ne faut pas les affronter. L’un d’eux a réglé le compte d’un voleur en le pendant à un arbre, en lui arrachant les ongles des pieds et des mains. Et s’il n’était pas mort au matin, il l’aurait fouetté jusqu’à ce que son corps tombe en lambeaux.

— Ça fait froid dans le dos ce genre d’histoire... s'exclame Lucas.

— Le Korrigan est un être magique. Il ne faut pas se fier à son apparence fragile. Un seul d’entre eux est capable d’infliger une fin particulièrement atroce à un homme qui fait quatre fois sa taille. Forcer le passage est donc très stupide.

— Que faut-il faire alors ?

— Détourner leur attention en jetant au sol devant eux des grains de blé, du sel ou du millet. C’est plus fort qu’eux, ils vont les ramasser un à un et les compter jusqu’au lever du jour. Des êtres espiègles à éviter.

En entendant ces adolescents discuter, je secoue la tête, dépité.

— Non mais attendez ! OH ! Vous délirez ou quoi ?! Ça n’existe pas les Korrigans ! Ce ne sont que des histoires pour faire peur aux touristes !

— Bah, je me pose des questions... dit Colin. J’ai perdu une oreille à cause de ce jeu.

— Et moi, j’ai une blessure au bras, ajoute Lucas. Toi, Maxence, t’es blessé à la cuisse.

— Vous ne croyez tout de même pas que c’est la faute de ces nains ?

— Des Korrigans ! s'exclame la voix féminine. Des lutins si tu veux, mais pas des nains ! Un peu de respect veux-tu !

C'est pas croyable, elle nous écoute depuis le début ? Cette histoire me fait sérieusement flipper.

— Qui... qui êtes-vous ? ose Lucas, en bredouillant.

La femme se contente de rire telle une hyène tournant autour de sa proie.

— C’est un cauchemar, ça ne peut pas être réel...

— D’autres légendes racontent qu’ils s’amusent et jouent des tours pendables à tous ceux qui leur manquent de respect et qui les dérangent... explique Colin.

— Ils se vengeraient contre nous, car... nous les avons tués dans WAR P KOR ? Impossible !

— C’est... surréaliste. Mais... comment expliquer ce qui nous arrive ? Et puis, ils sont connus pour proposer des défis aux hommes. S’ils sont réussis, ils donnent droit à un vœu. S’ils échouent, ces défis se transforment en pièges mortels menant tout droit en enfer ou dans une prison sous terre sans espoir de délivrance.

À cet instant, le tonnerre gronde.

— Nous sommes déjà dans cette prison, ajoute Ulrich.

— Comment mettre fin à ce jeu ? demande Lucas.

— Il n’y qu’une seule solution pour se sortir de là : relever le défi et gagner !

— En nous... tuant ? balbutie Ji-Hyun.

— Exactement !

— Ne... devrait-on pas refuser ?

— Hors de question de renoncer au trésor !

D'autres acquiescent, ils pensent comme Ulrich. Quels imbéciles. Nous devrions plutôt coopérer, nous entraider contre... contre... quoi au juste ? Je suis perdu.

— Formons une équipe, dis-je.

— Je suis ici pour gagner, répond Ulrich.

Un son de cloches tinte dans mes oreilles. La voix féminine rauque prend la parole.

— Message à tous, une nouveauté va faire son apparition sur votre écran. Attention, un, deux, trois, tadam !

Je scrute mon écran et découvre une liste. Le prénom de chaque joueur est indiqué dans une colonne à gauche. Devant chaque prénom est notifié le drapeau de leur pays. Enfin, dans la colonne de droite intitulée « VAINCU » est mentionné le prénom et le pays du joueur éliminé. Sur les cases me mentionnant, je lis « HOUSSEN - PAKISTAN – TUÉ PAR BALLE » à côté de mon nom « PAR MAXENCE - FRANCE ». Mon coeur s'emballe, mon pouls s'accélère, j'ai du mal à respirer. Tout le monde va le voir, tous vont savoir qu'Houssen est mort par ma faute... Je suis dans la merde.

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