17 - Libération

6 minutes de lecture

20 juin 2025

J'allume la télévision, une Alerte Enlèvement passe en boucle sur toutes les chaines. Ils décrivent une jeune fille blonde aux yeux bleus, portant un jogging noir, une veste rose, un sac de sport et des baskets Adidas. Je me redresse dans mon lit, augmente le son. Je reconnais la jeune fille à l'écran. C'est Anaïs. Mon cœur se serre. L'image de ma petite sœur avec sa jupe bleue qui virevolte et son manteau blanc scintillant me revient. C'était le jour de notre départ pour Crozon. Pourquoi cette vision ? Elle me manque... Elle n'est jamais venue me voir en huit mois ici. Peut-être que mes parents l'ont empêchée de venir. Peut-être même qu'elle s'est enfuie pour venir me voir ? Ou alors... elle a été rattrapée par les Korrigans. J‘éteins la télévision, serre les poings. J'ai été sage pendant trois mois, aucun dérapage, aucun comportement suspect et pourtant, je suis toujours coincé ici ! Ça suffit ! Ce soir, je me sauve, je ne laisserai pas Charlotte s'en prendre à Anaïs.

Je me prépare, enfile un sweat noir et un jean, me faufile sous la couette. J'ai élaboré mon plan mentalement. Le soir, l'infirmière vient avec sa seringue. Je sais que c'est pour me calmer, une sorte de substance à base de somnifères, mais c'est elle qui va se la prendre dans le cul. J'ai regardé la énième rediffusion de la Fureur du Dragon. Bon, je ne sais pas si je vais y arriver, mais il faut que je tente quelque chose. Ce n'est pas le moment de flancher.

J'entends des pas lourds arriver jusqu'à moi, je distingue ses crocs bleus. Je me prépare à agir. Elle soulève la couette en prononçant mon nom de famille. Ni une, ni deux, j'attrape son poignet, elle pousse un cri de stupéfaction. Je profite de cette seconde d'inattention pour lui voler la seringue, puis la piquer dans la cuisse. Elle me gifle, recule et tente de fuir. Je bondis hors de mon lit, la rattrape et plaque ma main sur sa bouche pour l'empêcher d'hurler. J'attends que le liquide administré fasse effet. Son corps devient lourd, elle glisse. Je la tire par les bras jusqu'au lit, la soulève par la taille pour la poser sur le matelas. Je regarde son visage, elle a les yeux à moitié fermés, puis elle se met à ronfler. Je lui retire sa blouse et recouvre son corps avec la couette.

J'enfile la blouse grise, un peu petite pour moi, le tissu craque sous mes aisselles, tant pis. Je chope un masque chirurgical, le mets, puis sors tranquillement dans le couloir, tête basse. Je croise un aide-soignant qui ne me prête pas attention. Je file vers les escaliers de secours, les dévale, sors de l'établissement. La femme de l'accueil me dévisage, me suit d'un regard suspicieux. J'accélère le pas, je l'aperçois prendre le combiné téléphonique, puis elle m'interpelle.

— Vous, là ! Attendez !

Je ne réponds pas, fonce, elle alerte les vigiles, trop tard je suis dehors, cours le plus vite possible, aussi vite que mes jambes me le permettent, en direction de l'arrêt de bus. J'ai de la chance, le numéro 13 vient tout juste d'arriver. Je grimpe dedans, fonce à l'arrière, retire ma blouse, la met en boule dans ma poche de sweat et me cache le visage avec la capuche, jette un coup d'œil derrière moi. Le bus démarre, les vigiles arrivent en courant. Ils font des signes au chauffeur, mais il ne les aperçoit pas et file. Mon cœur bat à tout rompre, respire bruyamment pour me calmer, essuie la sueur sur mon front avec ma manche. Je regarde le trajet de la ligne. Je descendrai à l'arrêt Liberté Morvan dans vingt-trois minutes pour ensuite marcher à pied jusqu'à la gare de Brest. Les trains ne vont plus jusqu'à Crozon depuis 1967, mais des cars de la SNCF circulent.

Je fouille dans mes poches, pas d'argent. Je réfléchis, jette des coups d'œil à droite à gauche. J'aperçois un sac à main ouvert au deuxième rang devant moi. Il appartient à une vieille dame. Je secoue la tête, je suis incapable de voler. Ma jambe tremble, je croise les bras, nerveux. J'ai besoin d'argent pour m'acheter un billet de car. Les voyageurs descendent au fur et à mesure aux stations, jusqu'à ce que je me retrouve seul avec la vieille dame dans le fond du bus. Je me fais la scène mentalement. Je me lève, attrape le porte-monnaie dans son sac, puis déguerpis en vitesse. Je me ronge les ongles, je n'ai jamais fait ça. Ma jambe tremble de plus en plus, l'anxiété monte. Je guette l'arrêt. J'y suis. Je me lève, souffle un bon coup, j'y vais ! Je chope le porte-monnaie qui dépasse, le fourre dans ma poche de sweat, descends du bus d'un bond, puis marche d'un pas rapide. Je me retourne, personne ne me poursuit, aucune réaction. Je me sens nerveux, désolé Madame...

Je cours vers la gare de Brest. J´entre, m'arrête devant les écrans. Un départ de car est prévu dans quinze minutes. Je sors le portefeuille, l'inspecte, constate qu'il y a trente euros à l'interieur. Je me dirige vers l'accueil et achète un aller simple pour Crozon. Il reste de la place, je suis chanceux. Je m'installe sur le banc de la voie numéro deux, baisse la tête lorsque je croise deux policiers, puis chope le journal Actu Brest en libre-service. Je lis l'article sur la disparition d'Anaïs. Quatre autres adolescents n'ont toujours pas été retrouvés : Colin, Lucas, Ulrich et Ji-Hyun. Je peste, entends un klaxon, le car s'arrête. Tenez bon, j'arrive.

Arrivé à Crozon, direction le parking de taxi. J'en accoste un, il me demande quinze euros pour la course jusqu'à la pointe de Dinan. J'accepte, monte. Il ne me reste plus que quatre euros cinquante. Je soupire, observe le paysage défiler, le ciel s'assombrir au fur et à mesure que nous approchons du rocher en forme de château. Il se met à pleuvoir, puis à grêler. Le ciel noir se strie d'éclairs rouges. Ce n'est pas normal. Le conducteur appuie sur l'accélérateur. Je regarde derrière moi, les arbres semblent se courber pour fermer la route. Mon pouls s'accélère, je me tourne vers le gars, tapote son épaule.

— Monsieur... Vous pouvez ralentir ?

Il ne réagit pas, se contente d'écraser à nouveau la pédale. L'aiguille du cadran de vitesse du tabeau bord monte dangereusement. Il roule à 100km/h sur une route sinueuse et rocailleuse. Je suis balloté dans l'habitacle.

— Hey ! Vous roulez trop vite !

L'homme se contente de ricaner, comme une hyène. J'écarquille les yeux, m'accroche au dossier du conducteur, ma poitrine me fait mal, ma respiration s'accélère. Il tourne brusquement la tête vers moi à 180°. Je hurle en apercevant ses yeux rouges brillants, sa peau tombe en lambeaux dévoilant un visage gris et ridé, ses cheveux dressés sur sa tête dansent telle une flamme. Il dévoile ses dents jaunes pointues et rit à gorge déployée. Non, non ! Je tombe dans le fond de ma place, je plaque mes mains sur les oreilles, son rire est strident et insupportable. La sueur ruisselle sur mon front.

Il roule de plus en vite, puis stoppe net. Je suis projeté en avant, traverse le pare-brise et me retrouve devant la voiture qui vrombrit. Je suis sonné, sens un liquide couler le long de mon visage. Je me redresse péniblement sur mes bras. Mais quelque chose me bloque. Je ne sens plus mes jambes. Je les regarde, elles sont cassées au niveau des genoux dans une position irréelle, arquées vers l'extérieur. Les tibias sortent de la chair. Du sang coule lentement sous les rotules. À cette vue, je me mets à hurler, des larmes coulent sur mes joues. J'entends des ricanements de plus en plus forts et nombreux. J´observe les horizons, aperçois les Korrigans sautiller dans les broussailles, ainsi qu'une silhouette fantomatique d'une petite fille blonde. Anaïs ? Le temps de plisser les yeux, elle s'évanouit dans la nature.

Le conducteur sort de la voiture, claque la portière. Il se poste devant moi, bras ballants. Ses griffes noires brillent à la lueur des éclairs. Je tente de reculer, il se contente de pencher la tête sur le côté, son sourire s'étire jusqu'à ses oreilles pointues. J'en frissonne de peur, mes dents claquent, mes lèvres tremblent. Je suis foutu ! Un jet de lumière blanche passe devant mon visage, je lève une main pour me protéger et ferme les yeux.

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