Le poids de la colère
Une autre idée lui vient en tête, une idée qu'Ambrose lui avait suggérée avant son départ : aller chercher des idées dans la salle des archives. Après tout, c'est là que réside le savoir du palais, les secrets du passé. Peut-être y trouvera-t-elle une réponse à ses questions, un moyen de lutter contre la voix qui la tourmente. Avec une détermination renouvelée, elle quitte sa chambre et se dirige vers les archives, déterminée à percer les mystères du palais et à reprendre le contrôle de son esprit.
Le soleil inonde à présent la salle des archives, illuminant les piles de documents que Béatrice a épluchées sans relâche. Après des heures de lecture, de recherche effrénée, le désespoir la gagne. Rien. Absolument rien sur le passé de ce palais. Pas le moindre indice sur sa construction, aucun plan architectural, et encore moins une mention de la "maladie" qui semble l'affecter elle-même. La frustration monte, la gorge de Béatrice se serre.
Dans un geste brusque, elle saisit la cloche argentée posée sur une table voisine et la fait tinter. Immédiatement, les quatre automates surgissent, leurs mouvements synchronisés et mécaniques. "À votre service, Madame. Comment pouvons-nous vous aider ?" résonne leur phrase préprogrammée, un écho monotone qui accentue le sentiment d'impuissance de Béatrice.
Elle repose la cloche, la main tremblante. "Qui a construit ce palais ?" demande-t-elle, sa voix à peine audible. Le silence est la seule réponse. Les automates restent immobiles, leurs visages impassibles.
"Très bien," reprend-elle, les yeux brillants de larmes. "Alors, pouvez-vous me dire d'où viennent mes spasmes ? Pourquoi suis-je tourmentée par cette voix ?"
Mais au lieu de répondre, les automates répètent en chœur, d'une voix uniforme et sans émotion : "À votre service, Madame. Comment pouvons-nous vous aider ?"
Béatrice recule, le souffle court. Ces machines, pensait-elle, avaient l'air de pouvoir répondre à toutes ses questions. Mais il semblerait qu'elle surestime leur potentiel. Sa frustration se transforme en rage impuissante. Elle a l'impression d'être piégée dans un labyrinthe sans issue, entourée de murs de silence et d'énigmes impénétrables. Que faire ? Où se tourner, maintenant ?
La rage l'envahit comme une marée montante. Béatrice saisit un épais volume relié de cuir, le premier qui lui tombe sous la main, et le lance avec force à travers la pièce. Le livre décrit une trajectoire brutale et vient frapper de plein fouet la tête d'un des automates. L'impact est sec, inattendu. Immédiatement, l'automate se met à bégayer, un son rauque et étrange qui tranche avec la voix synthétique habituelle. Des étincelles jaillissent de son mécanisme interne, accompagnées de petits chocs électriques audibles. Ses mouvements, autrefois synchronisés et précis, deviennent erratiques, désordonnés.
Il vacille, tremble, puis s'immobilise complètement, une statue de métal figée dans une posture grotesque. Béatrice reste pétrifiée, le souffle coupé. Elle n'arrive pas à croire ce qui vient de se produire. Elle a détruit un automate, une machine d'une valeur inestimable, un objet qu'elle ne pourra jamais remplacer. La panique la saisit. Elle s'approche de l'automate inerte, le touche timidement du bout du doigt. Rien.
Il ne réagit pas. Elle tente de l'appeler, de lui parler, mais seul le silence lui répond. Prise de désespoir, elle saisit la cloche et la fait tinter frénétiquement. Les trois automates restants accourent, reprenant en chœur leur litanie monotone : ´À votre service, Madame. Comment pouvons-nous vous aider ?´ Mais leurs paroles sonnent creux, dérisoires, face à la catastrophe qu'elle vient de provoquer. Béatrice les ignore, les yeux rivés sur l'automate brisé. Un sentiment de culpabilité et de honte l'envahit.
Elle a agi sous l'impulsion de la colère, sans réfléchir aux conséquences. Et maintenant, elle doit assumer les conséquences de son geste. Mais comment ? Que va dire Ambrose quand il rentrera ? La peur la tenaille, froide et paralysante. Elle se sent plus seule et désemparée que jamais.
Face à l'ampleur du désastre, Béatrice décide de faire preuve d'un calme qu'elle ne ressent pourtant pas. L'inquiétude ne résoudra rien, se dit-elle. Tout s'arrangera lorsque Ambrose reviendra. En attendant, elle doit se changer les idées. Elle quitte les archives, laissant derrière elle l'automate inerte et les trois autres, toujours aussi serviables mais incapables de comprendre l'étendue de son désarroi.

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