Enveloppe n°6
Fredricksburg, Texas.
Le 5 février 2 018
Sky !
J'ai attendu ta réponse chaque jour depuis que j'ai glissé mon enveloppe dans la fente de la boîte aux lettres de ma ville. Je pensais réellement que tu n'allais plus me répondre alors, imagine toi le soulagement que j'ai ressenti quand ma mère m'a donné ta lettre.
D'ailleurs, elle commence à se poser des questions et me demande sans cesse avec qui je communique de cette façon. Elle est étonnée que je n'utilise pas mon téléphone pour t'envoyer de nombreux sms. Que dois-je lui répondre ? Que tu es mon ami ? Que nous le sommes devenus par le fruit du hasard et que désormais, je suis le passage du facteur avec insistance pour surveiller ce qu'il glisse dans la boîte aux lettres ? Je ne sais pas trop comment nous définir, je crois que tu es devenu important pour moi. Ça peut être bête ou niais mais tu m'as donné l'envie de prendre un stylo et d'écrire avec le sourire, parfois avec mélancolie et douleur mais sans cette sensation d'obligation. C'est libérateur, je crois, de pouvoir te parler de tout et de rien sans avoir aucune gêne comme lorsque je discute avec mes amis au lycée. Il y a des sujets que je ne peux pas aborder avec eux et pourtant, lorsque je te les écris, ça me soulage d'un poids et ça me fait plaisir qu'on apprenne à se connaître. C'est vrai, je n'ai jamais rien abordé de très important, pourtant, je ne parle de mon père à personne, ni de cette ville que j'aime mais qui m'empêche d'être celui que je suis intérieurement. Tu sais, je ne peux pas exprimer la totalité de mes sentiments sous risque d'être jugé, pointé du doigt ou même harcelé et insulté.
Toi, que dirais-tu, comment réagirais-tu si je te confiais mon secret ? Celui que je m'interdis de hurler et qui commence à peser, à m'étouffer ?
Enfin, je m'égare du sujet principal, excuse-moi, je crois que j'ai réellement angoissé à l'idée que tu ne me répondes plus. Si ça avait été le cas, j'aurais sûrement écrit une autre lettre et encore une, jusqu'à ce que tu finisses par me répondre... ou pas, finalement.
Je passe probablement pour un idiot, mais je m'en fiche. Toi et moi, nous ne sommes pas si différents. Enfin, j'en sais rien à proprement parler mais je le ressens. Oui, au fond de moi, je crois qu'on se complète d'une certaine manière. Je suis plus fragile que ce que je laisse paraître, tout comme toi tu es plus fort que ce que tu peux imaginer, oui, je le sais. C'est étrange, je ne sais pas comment l'expliquer. Comme la lune et le soleil, le ciel et la terre, on se complète, on s'apprivoise sans pour autant s'approcher. On se regarde de loin, on se sourit, on se retrouve durant l'écriture d'une lettre, la lecture d'un courrier puis on s'éloigne, et on disparaît dans la mémoire de l'autre jusqu'à la prochaine enveloppe.
Pardon, je m'épanche sur un sujet absurde. C'est déjà la deuxième page que je retourne pour continuer mon monologue. Peut-être que tu en auras marre de me lire mais, tu vois, aujourd'hui c'est un jour sans. Mon ciel est sombre, il a perdu sa lumière. J'ai mal au cœur et j'ignore encore comment faire mon deuil. Comme tu peux le voir, j'ai mal moi aussi, et te le dire me soulage.
Tu veux connaître mon plus beau souvenir ? En fait, je crois qu'il est dispersé en millier de petits morceaux. Chaque bout est une journée que j'ai passé avec mon père. À la foire, au stade de foot, au garage dans lequel on retapait une vieille voiture ou juste, à la maison quand on se faisait des soirées devant la télé. Mes meilleurs moments, ce sont ceux-là, ceux qui m'ont fait sourire ou rouler des yeux, des instants du quotidien d'une banalité tranquille mais qui, avec du recul, resteront à jamais des souvenirs que je chérirai. Je hais ce monde dans lequel il n'est plus là. J'ai ma mère à soutenir et mon petit frère à consoler mais moi, qui me console ? Il savait toujours quoi dire ou quoi faire, mais, il ne m'a pas appris à sécher les larmes d'un enfant de cinq ans qui ne comprend pas pourquoi son papa ne rentre plus à la maison.
Skylar, mon père est mort d'une rupture d'anévrisme et c'est arrivé si vite que l'on a même pas eu le temps de s'en apercevoir. Un jour il allait bien et le lendemain il était mort. C'est injuste, tu ne trouves pas ?
Pardon, encore une fois. J'ai sûrement cassé l'ambiance, toi qui t'attendais à un joli récit, tu te retrouves avec des larmes séchées sur un bout de papier.
Ton grand père avait l'air d'être un homme extraordinaire. Il semblait beaucoup t'aimer et ta lettre m'a fait sourire malgré ma propre douleur et la mélancolie qui découle de tes mots.
Ma prochaine lettre sera moins triste, je te le promets.
À bientôt, Sky.
P.S : je veux bien être ton psychanalyste, aussi laborieux je serais dans ce rôle, si tu acceptes d'être mon ciel.
P.S n°2 : pardonne-moi pour le fouilli de cette lettre désastreuse.
– Harlem
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