Enveloppe n°8

4 minutes de lecture

Fredricksburg, Texas.

Le 20 février 2 018

Bonsoir Sky,

Enfin, je pense que tu liras cette lettre en pleine journée alors, bonjour.

Il est très exactement deux heures trente-six du matin et je n'arrive pas à dormir. En ce moment, mes nuits sont longues et mon repos bien trop court. Je dors mal ou pas du tout parfois. Je suis fatigué pourtant le sommeil me fuit. J'ai tout essayé, les tisanes avant de me coucher, les séances de sport pour m'épuiser, les vidéos ou musiques relaxantes pour m'apaiser mais rien n'y fait. Je ne me repose pas, ou très peu, je cauchemarde et me réveille en nage, comme si l'angoisse s'immisçait en moi pour m'empêcher de me revigorer. Ce n'était pas arrivé depuis des années. J'ai déjà été insomniaque au point que mes parents, alarmés par mon teint pâle et mes cernes noirs, avaient pris rendez-vous chez un médecin. J'ai fait des cures de vitamines, pris des traitements à base de plantes médicinales pendant des semaines puis, comme par enchantement, mon cycle de sommeil s'est régulé et mes insomnies ont disparues. Sauf que voilà, elles sont revenues et semblent encore plus tenaces. Les médicaments ne fonctionnent pas et mon corps commence à s'épuiser lui aussi.

Je sais, encore une fois, mes mots ne sont pas fort joyeux et je m'en excuse. Je m'étais pourtant juré d'être moins triste que toi afin de pouvoir te soutenir et t'apporter l'aide dont tu as besoin. Ça n'a pas fonctionné, j'en suis navré. J'avais commencé l'ébauche d'un courrier hier, après avoir reçu le tien, j'étais plutôt optimiste, enfin, en apparence. Je l'ai chiffonné en me maudissant de ne pas être transparent avec toi. Bien que plus enjouées, mes phrases n'avaient rien de vraies. Je ne souhaite pas te mentir en simulant un regain d'énergie ou de gaieté, je suis toujours atterré. Il m'arrive, souvent, de me dire que ta lettre n'est pas arrivée chez moi par hasard. C'était le coup du sort, le destin qui t'a mis sur mon chemin afin que l'on ramasse chacun nos morceaux brisés. Mon cœur est émietté, pas par un Jason qui me harcèle ou des parents indifférents, pas par manque d'attention ou d'écoute, pas non plus parce que mon père est mort. En réalité, je crois que faire semblant commence à m'étouffer. Ce n'est pas une image, j'ai la sensation que des doigts se referment sur ma gorge et serrent au point de me faire suffoquer.

Je pense que tu es le plus à même à me comprendre. J'avais pourtant promis que ma prochaine lettre serait paisible.

Pardon.

Je n'ai tout simplement pas su résister à l'envie de te parler comme si rien ne pouvait te heurter ou t'éloigner. Je sais que, quoi que je te dise, tu me répondras.

Non, je n'en sais rien.

La seule certitude que j'ai, c'est celle qui me soulage et me brise aussi, oui, c'est insensé. C'est celle qui hurle dans ma tête lorsque je déchire tes enveloppes. Elle dit que je te répondrais, que peu importe ce que je découvrirais sur ton courrier froissé, je m'empresserais d'attraper un stylo pour te partager tout ce que j'ai sur le cœur.

Tu sais, j'ai encore plus insensé. J'espère que mes mots ne te troubleront pas mais cette nuit, je désire seulement être moi-même. Alors, je me permets d'être honnête en oubliant le fait que tu puisses ne plus jamais me retrouver à travers nos bouts de papiers.

Lorsque je ne sais pas dormir, c'est toi qui m'apaise. Je relis tes courriers, plusieurs fois, à tel point qu'il m'arrive d'avoir peur de les user. Puis, j'imagine ton image, je façonne tes traits en me demandant si tes yeux sont bleus ou marrons, peut-être verts ou alors, d'aucunes de ces teintes que je superpose sur un visage aux courbes singulières. Elles ne sont pas pleines, elles sont délicates, joliment tracées, presque timides pour des lèvres rouges ou roses, pulpeuses ou fines mais harmonieuses. J'imagine ta tignasse brune, elle est sombre et enjolive le reste de ton minois. Il est fort probable que je me trompe, après tout, je ne suis pas magicien. Alors, j'attrape des crayons et tente de dessiner plusieurs Skylar aux iris parfois foncés et aux cheveux dorés. Le blond t'irait bien aussi, mais tes boucles, je les vois aussi noires que l'ombre de nos cieux. Peut-être que tes cheveux sont rasés ou lisses, indomptables ou simplement indomptés. Et ta peau, est-elle blanche ou hâlée ? Sur mes dessins, elle est parfois aussi pâle que la porcelaine, bronzée et marquée d'ecchymoses mal cicatrisées. C'est tout un panel de couleurs et de sentiments mêlés.

Je deviens sûrement fou, je crée des versions de toi sans même connaître un seul détail de ta beauté, fragile ou angélique, banale ou immanquable.

Puis, quand je suis satisfait de mes essais ou juste épuisé de me demander si tes traits sur mes cahiers s'approchent de la réalité, je tente de donner une sonorité à ta voix. Est-elle grave ou suave ? Éraillée à trop pleurer ou cassée à force de crier ? De hurler les injustices et les inégalités, les douleurs et ces erreurs. Celles de ces gens qui te blessent sans s'en soucier. Celles que je regrettent parce qu'il m'est impossible de t'avouer qui je suis et ce que tu es.

Tu m'as dit que je pouvais t'écrire des dizaines de pages, je suis capable de le faire si tu m'en laisses l'opportunité.

Ne prends pas peur par ce qu'il va suivre, mais, moi aussi, je crois avoir trouver la personne avec qui me libérer.

À très vite, je l'espère. Mon ciel...

P.S : Dans ta prochaine lettre, ne me dis pas à quoi tu ressembles. Un jour, on se verra et je suis certain de pouvoir te reconnaître sans même savoir. À trop t'imaginer, je finirais bien par te trouver.

– Harlem

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