Chapitre 1 : La fille de la nuit

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Le soleil de Florence était écrasant en ce début de juillet. Il était quatre heures de l’après-midi, et la ville italienne était toujours baignée par les implacables rayons du soleil d’été. Ses habitants avaient tous adopté des vêtements légers pour se préserver de la chaleur insupportable. Les coins d’ombre étaient pris d’assaut, tandis que les plus courageux profitaient du ciel parfaitement dégagé pour se promener le long de l’Arno. En effet malgré les températures étouffantes, la plupart des habitants, touristes et commerçants, voulaient profiter au maximum de ce soleil éclatant.

Un seul homme se distinguait de la foule. Grand, les cheveux noirs en bataille jusqu’aux épaules avec une barbe d’une semaine, l’individu portait un lourd manteau noir recouvrant ses genoux, ainsi que des bottes et un pantalon en cuir style métal à faire pâlir d’envie un rocker. Autre détail qui attirait l’attention, un chat blanc tigré marchait à ses côtés.

Les gens qui le croisaient détournaient immédiatement le regard et faisaient souvent un grand écart pour éviter cet étrange personnage. Puis ils se frottaient vigoureusement les yeux avant de se retourner pour vérifier que leur esprit ne leur jouait pas des tours à cause de la chaleur. Ce devait être un original de plus…

Pourtant, si leurs yeux n’avaient pas été trompés par la Poussière Divine, ils auraient pu distinguer clairement l’arbalète en argent qui pendait à la ceinture de l’homme en noir, l’épée courte dans son dos et le saphir étincelant sur le front du chat, de la même couleur que ses yeux. Le monde surnaturel et celui des humains s’étaient une nouvelle fois croisés de peu.

Sheamon Wave continuait de marcher d’un pas vif, ignorant les regards anxieux ou réprobateurs dont il était la cible. Il s’en moquait complètement, préférant admirer la ville avec nostalgie. Cela faisait cent trente ans qu’il n’était pas venu en Italie. Peut-être qu’après ce contrat-là, il pourrait en profiter pour revisiter la région. Il avait tant de souvenirs là…

Un miaulement le ramena à la réalité. Il se trouvait à une intersection et son chat se dirigea lentement vers sa gauche après lui avoir jeté un regard interrogateur. Sheamon se secoua intérieurement et sourit au félin :

  • Tu as raison Ryku, le travail d’abord.

Dix minutes plus tard, Sheamon aperçut ce qu’il cherchait. Un symbole d’œil rouge sur un mur entre deux bâtiments de style renaissance, qui aurait pu passer pour un graffiti sans importance aux yeux du commun des mortels. Sans hésiter, il se dirigea vers celui-ci et frappa deux coups secs à cet endroit précis.

Aussitôt, l’œil rougeoya avant de se braquer sur Sheamon.

  • Qui demande à entrer dans le Quartier Umbrella ? questionna une voix sèche avec un écho métallique.
  • Sheamon Wave. Je suis attendu par Sirius Aleyran.

Quelques secondes de silence, puis Sheamon entendit un léger bourdonnement. La barrière magique derrière l’illusion venait de s’évanouir.

  • Bienvenue monsieur Wave. Maitre Aleyran vous attend à l’hôtel de ville. Vous serez prié de bien vouloir laisser vos armes à la caserne. Elles vous seront rendues quand vous quitterez le quartier.

Sheamon effleura le mur d’un doigt, lequel passa à travers sans dommage. Il franchit donc l’obstacle illusoire et se retrouva aussitôt dans un monde totalement différent de celui qu’il venait de quitter. Pourtant, il s’agissait bien de Florence…

Une grande avenue menait jusqu’à une place carrée avec un grand bâtiment en son centre, un élégant petit hôtel de ville. Tout autour, les édifices restaient dans le même style renaissance, donnant l’impression d’être remonté quelques siècles en arrière. La soudaine pénombre, par contre, l’étonna. Sheamon leva les yeux et s’aperçut qu’au-dessus de sa tête, le ciel s’était considérablement assombrit, comme si la nuit était tombée dès qu’il avait franchi la barrière magique. En observant plus attentivement, il remarqua la présence de cristaux qui semblaient suspendus en l’air telle de petites étoiles. Sheamon esquissa un sourire. Ce plafond était rempli de magie. Il s’agissait surement d’un enchantement miroir destiné à reproduire un faux climat nocturne pour protéger cet endroit du soleil… la pénombre garantissait un climat frais, et les lampadaires qui longeaient la rue produisaient suffisamment de lumière pour que l’obscurité ne fût pas gênante.

« Astucieux… » songea Sheamon.

La rue était bordée de magasins colorés, dont les marchandises auraient paru totalement illégales à n’importe quel humain non-averti. L’une des boutiques vendait des vêtements nobles et distingués qui auraient fait fureur du temps de Louis XIV, mais aussi des tenues plus récentes qui auraient pu passer totalement inaperçues dans le monde extérieur. Une forge située à côté résonnait des coups de marteau sur l’acier. Plus loin encore, une librairie et une confiserie, ainsi qu’un bar débordant de monde et un antiquaire. Une boutique proposait des animaux exotiques, une autre des grimoires et des artefacts… tout ce dont les habitants du quartier et les voyageurs de passage pourraient avoir besoin se trouvait là.

Le quartier Umbrella… c’était la première que Sheamon y mettait les pieds. Un endroit à part comme il en existait dans de nombreuses villes humaines, et qui servait de refuge aux races magiques. Certains, comme les exorcistes, y faisaient seulement étape quelques temps, mais d’autres y vivaient souvent depuis des générations. Vivre dans un endroit sans avoir à cacher son identité avec des gens du même univers était rassurant, cela va sans dire.

La foule qui déambulait était composée de différentes races, que l’œil expert de Sheamon repéra tout de suite. Des minotaures en armure qui devaient servir comme forces de police, quelques humains, des nirgaëns, des démons aussi… et surtout une grande majorité de ces satanées créatures de la nuit... Sheamon se retint de caresser le manche de son arbalètes. Il ne les appréciait pas vraiment pour avoir dû en affronter plusieurs au cours de sa carrière. Elles étaient imprévisibles et promptes à mordre.

  • Monsieur Wave ? demanda une voix féminine.

Sheamon tourna la tête, et aperçut une jeune femme en tailleur noir très ajusté avec des talons hauts et un badge épinglé « Secrétaire Philippa, à votre service ! ». Elle avait des yeux rouge sang derrière de sobres lunettes, le teint pâle et des cheveux blonds savamment maitrisés grâce à un chignon. Sheamon n’eut même pas besoin de sentir son aura pour la reconnaitre. C’était l’une d’entre eux.

Un vampire.

  • C’est bien moi, confirma-t-il.
  • Enchantée, je suis Philippa, la secrétaire de Maitre Aleyran. Il m’a envoyée vous chercher afin de vous escorter jusqu’à son bureau. Si vous voulez bien déposer vos armes à la caserne…

Ce faisant, elle désigna d’un geste de la main la boutique derrière elle. Contrairement aux autres qui resplendissaient, cette dernière était uniquement composée d’un guichet séparé par un comptoir et une solide grille avec un vampire derrière. Sûrement l’intendant des lieux. Deux minotaures en armure l’encadraient et dévisageaient Sheamon avec méfiance.

L’exorciste s’exécuta sans prêter attention aux deux monstres. Il se débarrassa de son épée et de son arbalète, ainsi que de trois sphères de cristal remplies d’un liquide scintillant qu’il posa en douceur sur le comptoir.

  • Faites attention, recommanda Sheamon. Il s’agit d’eau bénite...

L’intendant prit les armes avec délicatesse, en faisant bien attention de ne pas toucher l’arbalète en argent à main nue. Il les plaça dans l’un des nombreux casiers derrière lui, qu’il referma à clé avant de se tourner vers Sheamon. Il prit ensuite une grande lentille de verre vissée sur un pupitre dont les bords étaient gravés de runes. Il la braqua sur Sheamon, l’examinant des pieds à la tête pendant quelques secondes.

  • Je détecte de la magie dans votre aura… indiqua-t-il en levant les yeux. Vous êtes magicien ?
  • C’est exact, acquiesça Sheamon.
  • Démon ?
  • Ange déchu.
  • Hum… lâcha le vampire, sur ses gardes. Un exorciste, j’imagine… Rien d’autre à déclarer ?
  • Non. Prenez soin de mes affaires, je vous prie.
  • Je n’oublie jamais le visage d’un visiteur. Quand vous repartirez, il vous suffira de venir les réclamer. J’attire votre attention sur le fait que le moindre acte agressif de votre part ici vous vaudra une exclusion simple et définitive. Notre police ne tolère aucun écart.

Sheamon lui adressa un signe de tête puis se dirigea vers Philippa.

  • Attendez ! le rappela soudain l’intendant. Votre chat !

L’exorciste s’arrêta, légèrement agacé. Ryku se pressa contre lui, en crachant à l’encontre des minotaures qui avaient instinctivement encerclé son maitre. Philippa s’avança, intriguée :

  • Que se passe-t-il Ernold ? le questionna-t-elle.
  • Le chat tigré à ses pieds, il dégage une aura magique assez impressionnante… Je pensais au début qu’il s’agissait de l’aura de monsieur, mais elles sont différentes, se justifia l’intendant. Il n’est pas normal… le plus prudent est qu’il reste ici.
  • C’est hors de question, refusa Sheamon. Ryku vient avec moi.
  • Je ne vois pas de problème avec le chat de Monsieur Wave, accepta Philippa en redressant ses lunettes. Ernold, je pense que cela n’a pas d’importance. Ce n’est pas une arme.
  • Il est dangereux, objecta l’intendant. Et j’ai la responsabilité de la sécurité du quartier Umbrella, miss Philippa. Tout ce qui est dangereux n’a pas sa place ici.

Les deux minotaures levèrent leurs haches, menaçants. Certains passants s’arrêtèrent à bonne distance, chuchotant entre eux. En quelques instants, une foule de curieux s’était rassemblée pour assister à l’altercation. Philippa, inquiète, allait s’interposer de nouveau, mais Sheamon ne lui en lança pas le temps.

Rapide comme l’éclair, il agrippa les deux haches au niveau de la lame. A peine les toucha-t-il qu’un flash de lumière éblouît tout le monde. Quand ils rouvrirent les yeux, les deux armes avaient disparu, laissant leurs propriétaires désemparés. Sheamon ouvrit alors les mains, chacune contenant une réplique exacte des haches, taille Playmobil. Des murmures de stupéfaction se répandirent dans la foule. Sheamon était habitué à ce type de réaction.

  • Soyons clair, déclara-t-il à l’attention de Philippa. Je suis venu en paix. J’ai laissé mes armes conformément à vos lois. Maintenant si vous souhaitez tout de même utiliser la force…

Les deux modèles réduits se changèrent en poussière.

  • Sachez juste que je n’ai pas besoin d’arme pour être un adversaire redoutable.

Les minotaures eurent un mouvement de recul instinctif. Même dans la foule, un sentiment de malaise se répandit… Des murmures paniqués se firent entendre :

  • Un exorciste ici ?
  • C’est dangereux ! Que fait la milice ?!
  • Mes excuses pour cet incident, continua Sheamon en se dirigeant vers Philippa. Ryku est un compagnon très précieux…
  • Je… je comprends ! assura Philippa. Ernold, le chat de Monsieur Wave ne représente aucunement un danger pour le quartier, je m’en porte garante. C’est Maitre Aleyran lui-même qui l’a fait venir. Fais une exception juste pour cette fois, d’accord ? Il nous attend…

L’intendant parut sur le point de se rebeller, mais son regard croisa celui de Sheamon et il se ravisa :

  • Très bien. C’est votre responsabilité.

Sheamon le remercia d’un signe de tête. Puis il suivit la secrétaire qui se frayait un chemin dans la foule à coups de « Excusez-moi je vous prie » et de « Navrée pour le dérangement ».

  • Votre sécurité est-elle toujours aussi tendue ? demanda-t-il en passant devant une armurerie qui possédait des armes de belle facture.
  • Le quartier Umbrella est… spécial. Beaucoup de personnes sont venues ici pour chercher un refuge contre le monde extérieur parce qu’ils savent que c’est un endroit sûr. La barrière magique, le fait que nous soyons en plein cœur d’une ville humaine et notre police de minotaures, tout cela nous protège contre d’éventuelles menaces extérieures. Cependant ces mesures doivent être contrebalancées. Nos citoyens tiennent à leur sécurité, mais cet endroit accueille aussi beaucoup de voyageurs. Ce serait très mauvais pour le commerce si nous refusions les étrangers. Et nos citoyens doivent bien gagner leur vie aussi. Nous avons donc instauré un compromis en empêchant les voyageurs de porter leurs armes pendant toute la durée de leur séjour dans le quartier. De cette manière, la sécurité reste préservée et le commerce aussi.
  • Dans ce cas pourquoi les armes sont-elles interdites à l’intérieur si on peut en acheter directement dans le quartier ? N’est-ce pas un peu étrange ?
  • Il y a une règlementation très précise sur l’achat d’armes à Umbrella. Le client ne pourra pas la recevoir immédiatement. Elle sera livrée à l’armurerie et entreposée avec ses affaires personnelles. Seuls les citoyens du quartier ont le droit d’acheter et de porter des armes à l’intérieur.
  • Ce n’est pas très équitable.
  • C’est la loi, Monsieur Wave.

Sheamon n’insista pas. La présence d’un nombre important de vampires en ces lieux et le toit magique simulant la nuit lui indiquaient que toutes ces précautions visaient à assurer leur sécurité et qu’ils devaient constituer la majeure partie des citoyens du quartier. Généralement les vampires n’étaient pas très bien vus dans le monde magique. Depuis mille ans, ils avaient en grande majorité quitté la Surface, où il restait seulement une poignée de réfugiés sans patrie. Ostracisés, craints, ils vivaient généralement en solitaires ou en petits groupes. Quand le malheur frappait, ils étaient les premiers à être pointés du doigt. C’est pourquoi Sheamon était étonnée quand il voyait la richesse de cet endroit et les incroyables moyens de protection déployés pour assurer la sécurité de la population vampire... Le Quartier Umbrella bénéficiait surement d’appuis puissants.

Philippa le conduisit à l’entrée de l’hôtel de ville dominant la place centrale du quartier.

  • Voici l’Hôtel du Maitre Aleyran, déclara Philippa. C’est ici que les décisions concernant le quartier Umbrella sont prises.

Ils passèrent la porte d’entrée entre quatre minotaures particulièrement imposants qui suivirent scrupuleusement Sheamon du regard. Ils avaient peut-être aperçu de loin son altercation avec leurs collègues.

Cinq minutes plus tard après lui avoir fait gravir les étages de cet immeuble particulièrement décoré, Philippa s’arrêta au troisième niveau, en face d’une porte en chêne verni. Elle frappa quatre coups secs avant d’annoncer :

  • Maitre Aleyran ? J’ai amené Monsieur Wave.
  • Merci Philippa, répondit une voix d’homme, juste derrière. Faites-le entrer.

La secrétaire ouvrit la porte, puis s’écarta pour laisser passer Sheamon avant de refermer derrière lui.

Le bureau était une pièce rectangulaire aux murs couverts d’étagères croulant sous le poids de livres et autres documents. Un lustre de cristal au plafond et la baie vitrée derrière le massif bureau en croissant de lune éclairaient la pièce.

Installé confortablement dans un fauteuil, le vampire aux cheveux blonds plaqués en arrière, et vêtu d’un costume blanc impeccable, se leva pour accueillir Sheamon. Une cicatrice en demi-cercle près de son œil gauche venait toutefois durcir l’image de gentleman que le personnage arborait. Sheamon pouvait l’affirmer d’un simple coup d’œil : cette blessure avait été portée avec l’intention de tuer. Et la forme indiquait que Sirius avait pu dévier le coup. Ce n’était pas qu’un simple administrateur de quartier. C’était un ancien soldat.

  • Bienvenue, Monsieur Wave ! le salua-t-il avec un sourire soulagé. C’est un honneur de vous rencontrer ! Je vous en prie, prenez place. Un verre de vin italien ?
  • Ce ne sera pas nécessaire, Maitre Aleyran, refusa l’exorciste. Je ne bois pas.

Pas avec des gens qu’il ne connaissait pas en tout cas.

  • Oh je vois… Prenez place, je vous prie !

Sheamon le remercia d’un signe de tête et s’installa sur le siège que lui avait présenté Sirius. Quelque chose se pressa contre sa jambe et il vit Ryku s’allonger à ses côtés.

  • Je suis navré pour l’incident à votre arrivée, déclara Sirius en reprenant sa place.
  • Vous êtes déjà au courant ?
  • Notre intendant m’a contacté juste après votre départ pour m’avertir concernant votre chat. Il estimait que c’était important. Je m’excuse profondément. Il a tendance à faire preuve d’un zèle excessif… mais sachez qu’il n’a aucune mauvaise intention. Son seul souci est de protéger le quartier Umbrella.
  • C’est ce que j’ai pu observer, répondit Sheamon. Vous ne plaisantez pas avec la sécurité, ici.

Sirius haussa les sourcils.

  • Et qu’en pensez-vous ? l’interrogea-t-il avec un léger sourire poli.

Lui demandait-il son avis, ou souhait-il simplement entretenir la conversation ? Sheamon n’aurait pu le dire, mais il choisit d’être franc :

  • Pour une communauté aussi restreinte, il y a aussi une concentration anormale de vampires. Je n’en ai jamais vu autant au même endroit, à vrai dire. Ce qui m’incite à penser que ce quartier est avant tout un refuge pour eux, n’est-ce pas ? Vous êtes à la fois camouflés dans une ville humaine aussi grande, et vous avez en outre toutes les proies qu’il vous faut à portée de main...

Le sourire de Sirius disparut, puis il se mit à observer intensément Sheamon.

  • C’est ainsi que vous nous voyez ?
  • Du moins c’est ce que j’ai d’abord cru, en effet. Puis j’ai aussi remarqué la présence d’humains très proches de certains vampires. Et je me suis dit que si jamais des cas de vampirisme aggravés étaient remarqués à Florence, les exorcistes ou l’Eglise ne resteraient pas sans réagir. Je doute qu’ils ignorent la présence d’une communauté aussi importante dans la région de Florence. Votre système de sécurité vise avant tout à vous protéger d’une menace plus directe je dirais. L’ennemi qui vous force à vous cacher ici, par exemple.
  • Vous êtes perspicace, apprécia Sirius. Nous sommes une communauté de vampires pacifiques, et nous essayons de vivre en parallèle des humains. Ceux qui ne font pas partie de notre monde évidemment. Nous coexistons sans jamais nous croiser. Mais il y a beaucoup de couples mixtes entre vampires et humains au Quartier Umbrella. Ce sont eux qui donnent volontairement leur sang afin d’assurer notre survie. Grâce à l’aura des humains, notre communauté reste secrète, et seuls les voyageurs qui sont déclarés sans danger peuvent pénétrer ici. En échange, nous protégeons la ville d’autres vampires susceptibles de s’en prendre aux humains. C’est une coopération mutuelle.
  • Impressionnant… Mais j’imagine que votre richesse attise les convoitises à l’extérieur de ces murs.
  • La barrière magique qui protège le Quartier Umbrella nous met à l’abri de la plupart de ces risques car seules les personnes autorisées peuvent pénétrer dans l’enceinte, et notre milice assure le maintien de l’ordre à l’intérieur. Nous avons aussi noué des liens étroits avec les trois factions. L’Eglise, les anges déchus, les démons… ils sont devenus nos partenaires commerciaux et de précieux alliés qui protègent nos intérêts dans la région. Quiconque souhaitant entrer dans le Quartier Umbrella doit avant même de se plier à notre règlement, obtenir une recommandation officielle de leur part. Et toute personne qui s’avérerait hostile au Quartier Umbrella deviendrait aussitôt leur ennemie.
  • Je vois, déclara Sheamon en hochant la tête. Avec la protection des trois factions, il existe peu d’ennemis qui seraient capables de vous atteindre. Mais pourtant… il y en a, n’est-ce pas ?

Sirius ne répondit pas tout de suite, mais son visage s’était assombri.

  • C’est vrai, finit-il par lâcher. Notre système de sécurité est si efficace, que nous ne craignons plus grand-chose des criminels isolés, ou des gangs de semi-humains marginaux. Le danger en fait, vient des autres vampires. Ceux qui sont extérieurs à notre communauté, j’entends.

Le vampire prit une gorgée de vin, puis reprit :

  • Comme vous le savez certainement, notre race est divisée en trois grandes castes; Les Servilis qui sont les serviteurs (bien souvent esclaves) des Nosferatu, la noblesse vampire…

Sheamon savait en tout cela. Il l’avait appris alors qu’il était encore étudiant à la Colonie Six. Les vampires inférieurs étaient plus forts que les humains avec des sens accrus et la capacité de régénération propre à leur race. Mais les Nosferatu étaient différents. Non seulement ils étaient supérieurs en tous points aux Servilis, mais ils étaient capables d’utiliser la magie et de voler comme les autres races immortelles qu’étaient les anges, les exorcistes et les démons. Un Nosferatu, considéré comme un seigneur parmi les vampires, avait habituellement sous ses ordres un grand nombre de serviteurs. Au-dessus encore…

  • … Qui obéit elle-même aux Nocturii, la famille royale au sang le plus pur. Dans notre société, si tant est qu’on puisse parler de « société vampire » tant nous sommes divisés, cette hiérarchie est absolue. Il n’y a pas de place pour les droits des plus faibles dans le Royaume Submergé où règnent les Nocturii. C’est pourquoi certains essayent de tenter leur chance à la Surface, même si quitter le Royaume Submergé est passible de la peine de mort. Notre communauté regroupe essentiellement des réfugiés qui ont réussi à s’échapper. Nous nous sommes rassemblés pour être capables de nous soutenir mutuellement, mais jamais nous n’infligerions aux humains ce que les Nosferatu nous ont fait subir. La plupart d’entre nous savent ce que signifie être réduit en esclavage…

Sirius se leva et tourna le dos à Sheamon, son regard embrassant la vue que lui procurait la baie vitrée sur le quartier Umbrella.

  • Cela fait deux-cents ans que j’ai aménagé cet endroit, Monsieur Wave, confia-t-il. Je me suis investi sans compter dans ce refuge. J’ai travaillé d’arrache-pied pour persuader les trois factions de notre pacifisme. Ce fut ardu, mais j’ai réussi à faire prospérer le quartier Umbrella, même si nous craignons toujours la vengeance de nos anciens maitres...
  • Je doute qu’ils puissent encore vous atteindre ici, objecta Sheamon.
  • Les Nocturii ont le bras long, Monsieur Wave, très long. Croyez-moi, ils peuvent très bien nous atteindre partout dans le monde… Chaque vampire qui souhaite faire partie de notre communauté est soumis à une enquête très poussée suivie d’une période de probation longue et difficile avant d’être admis comme citoyen. C’est nécessaire si nous voulons éviter les traitres, qui ne manquent pas. Nous devons impérativement nous assurer qu’aucun serviteur des Nocturii ne puisse franchir nos défenses, sans quoi le résultat serait… désastreux.

Sirius Aleyran resta silencieux pendant quelques secondes, et Sheamon ne le pressa pas.

  • Mais laissons cela de côté, si vous le voulez-bien, reprit-il en se retournant vers son visiteur. Parlons plutôt de votre contrat.
  • J’ai été plutôt surpris par votre offre, déclara Sheamon. Une récompense aussi élevée avec très peu d’informations sur la nature du travail… Vous prétendiez même avoir quelque chose que je chercherais à tout prix. J’avoue avoir été très intrigué. Suffisament pour faire le voyage.
  • C’était voulu, Monsieur Wave. J’ai eu vent de vos exploits et de votre capacité à vous adapter à n’importe quelle situation. Si je ne me trompe pas, vous étiez capitaine chez les Indomptables, qui est me semble-t-il le groupe d’élite chez les exorcistes, et dont la légende n’est plus à faire.
  • C’était il y a longtemps…
  • Néanmoins, vous êtes l’homme qu’il me faut. Parlons avant tout de l’offre.

Sirius se leva et se dirigea vers un unique tableau représentant une famille d’aristocrates. Il l’effleura de son index. Un déclic retentit, et la toile pivota sur elle-même, laissant entrevoir une cavité assez large qui abritait une dizaine de sacs assez imposants remplis de pièces d’or avec une couronne, entourée par deux cornes de démon, frappée sur sa face recto, l’autre représentant le palais des Enfers.

Des inferis d’or, la monnaie officielle dans le monde magique. On pouvait identifier la provenance des pièces grâce aux symboles présents dessus. Les exorcistes et les anges avaient également la même monnaie, mais les symboles frappés sur les pièces différaient (La croix pour les anges, les ailes et deux épées entrecroisées pour les exorcistes). La décision avait été prise par les trois factions de créer une monnaie commune pour valoriser les échanges entre elles mais aussi la paix, même si chacune avait sa propre manière de battre sa monnaie. Leur valeur était de dix inferis d’argent, ou de cent inferis de bronze. Et, à en juger par le poids du sac, il devait au moins y en avoir…

  • Mille inferis d’or, venant tous des Enfers, annonça Sirius en posant le sac sur le bureau. Voici la première partie de la récompense, vous aurez l’autre partie après l’accomplissement de votre mission.
  • Cent mille inferis… c’est beaucoup d’argent, commenta Sheamon, méfiant. Il y a de quoi attirer les mercenaires les moins scrupuleux. Comment pouvez-vous être certain que je n’empocherai pas directement la prime et mettrai les voiles juste après notre conversation ?
  • Je suis assez bon pour juger les gens, Monsieur Wave. Surtout, l’argent ne constitue que la première partie de la prime. Et à vos yeux, je pense qu’il s’agira de la moins intéressante…

Sirius retira de l’un des tiroirs sous son bureau un rouleau de parchemin qu’il déplia soigneusement avant de le tendre à Sheamon. Ce dernier s’en saisit avec appréhension.

Le parchemin représentait une flèche en acier bleuté finement ciselée avec des runes inscrites sur l’ensemble du manche. Le bout de la hampe ressemblait à une paire d’ailes angéliques. Un objet probablement mortel, et hautement magique. Même si ce n’était qu’un dessin, il se dégageait de lui une aura dangereuse… Sheamon ressentit un étrange malaise, comme si l’idée qu’une telle arme existe réellement l’effrayait. Mais, simultanément, son cœur se mit à battre beaucoup plus vite.

  • C’est bien ce que je crois ? demanda-t-il, son ton ne parvenant pas à dissimuler sa surprise.
  • Une Aurora. Une flèche divine, créée par le souffle de Dieu lui-même. Cette arme divine purifie tout ce qu’elle touche. Vous connaissez ses ravages... une seule Aurora a dévasté l’Egypte, une autre a transformé le Groenland en désert de glace pour ne citer que ces exemples. J’en ai fait l’acquisition chez un brocanteur qui, par chance, n’avait probablement aucune idée de sa valeur. Vous vous en doutez également, l’Eglise ne sait pas que je la possède, sans quoi… il y aurait des problèmes. C’est une arme unique, qui contient en elle le pouvoir de Dieu.

Sirius regarda intensément son interlocuteur.

  • Elle est terriblement puissante, surtout contre un seigneur démon…

Sheamon soutint son regard :

  • Vous semblez en savoir beaucoup sur moi, Maitre Aleyran… murmura-t-il du bout des lèvres.
  • Avant de vous confier ce travail, il me fallait en apprendre davantage sur vous, Monsieur Wave, répliqua Sirius. La connaissance est bien plus utile que l’or. Comprendre vos motivations m’a permis de vous faire une offre que vous ne pourrez pas refuser. Je vous donne les moyens d’accomplir votre vengeance : de l’or pour vous mener jusqu’à votre cible et l’arme pour l’éliminer. J’imagine que vous saurez quoi en faire le moment venu…

Sheamon examina l’or, puis le parchemin. Cela faisait longtemps qu’il cherchait une occasion comme celle-ci. Depuis qu’il était devenu un renégat errant, Sheamon avait enchaîné les contrats pour pouvoir financer sa vengeance contre le démon qui avait massacré sa famille. Cela faisait un siècle déjà qu’il le traquait sans relâche. Après en avoir appris autant que possible sur lui, Sheamon cherchait désormais à le retrouver et lui faire payer le prix de ses crimes. Mais son ennemi juré était loin d’être sans défenses ni soutiens… C’était même l’un des criminels les plus dangereux et les plus influents du monde. Sheamon savait qu’il n’aurait pas le droit à l’erreur, et c’est pourquoi il tenait à s’assurer la réussite de son plan avant d’agir. L’Aurora était exactement ce qu’il lui fallait…

Sirius Aleyran avait raison, c’était une offre qu’il ne pouvait pas refuser.

  • Vous savez négocier, maître Aleyran, soupira Sheamon. Très bien, je suis fortement intéressé. Allez-vous enfin me dire en quoi consiste ce contrat ?
  • Bien sûr. Si vous voulez bien m’accorder quelques secondes…

Le vampire paraissait soulagé. Il effleura un miroir disposé sur son bureau dont la surface se mit à onduler, avant de laisser apparaitre le visage de sa secrétaire.

  • Philippa, veuillez nous apporter le « colis » pour monsieur Wave, ordonna Sirius. Nous n’en avons que pour une dizaine de minutes.
  • Pas de problème Maitre Aleyran, répondit la voix de sa secrétaire. J’en profite pour vous avertir que votre nièce est introuvable depuis ce matin, et son professeur d’histoire ne…
  • Elle doit sûrement se cacher chez l’un de ses amis pour éviter d’avoir à étudier… inutile de s’inquiéter. Je suis certain qu’elle sera de retour à la nuit tombée. Néanmoins consignez-la dans sa chambre si elle rentrait avant. Je lui parlerai.

Philippa hocha la tête, et la surface du miroir redevint normale. Sirius reporta alors son attention sur Sheamon.

  • Voici votre mission : Vous allez devoir livrer une valise contenant quelque chose de très précieux à une autre colonie de vampires. Je vais vous remettre dès maintenant une première partie de votre prime comme acompte. Vous n’aurez ensuite qu’à assurer le transport de la marchandise jusqu’au lieu convenu. Une fois là-bas, ils vous remettront l’Aurora, et vous pourrez alors considérer votre contrat comme rempli.
  • C’est tout ? demanda Sheamon en haussant les sourcils.
  • Exactement.
  • Vous espérez que je vais avaler cela ? Vous prenez la peine de rassembler une prime aussi conséquente, et vous me contactez personnellement uniquement pour que je joue les coursiers ?
  • Je n’ai jamais dit que ce serait facile, rétorqua Sirius. La colonie en question se situe en Enfer, et la situation actuelle du royaume souterrain étant compliquée, vous devrez trouver un moyen de passer le contenu de la valise discrètement en évitant les contrôles. Mais je suppose que ce ne sera pas un problème pour vous… Cependant, malgré le secret qui entoure cette transaction, il est possible qu’elle attire certaines convoitises… cela vous fait-il peur ?
  • Peur ? répéta Sheamon avec un rictus. Laissez-moi être clair : Je n’ai pas peur du danger, parce que je n’ai plus rien à perdre. Demandez-moi de vous débarrasser d’un nid de goules, d’éliminer des monstres sauvages, de vous servir de garde du corps, je le ferai sans hésiter. C’est mon métier et on me paye pour ça. En revanche, j’aime savoir dans quoi je m’engage, Maitre Aleyran. Et j’ai beau être un mercenaire, j’ai tout de même certains principes avec lesquels je ne transigerai pas. Donnez-moi plus d’informations ou trouvez quelqu’un d’autre.

Sirius resta silencieux pendant quelques secondes. Sheamon voyait bien qu’il lui cachait quelque chose, de peur peut-être qu’il refusât le contrat malgré tout. Mais ce n’était pas son problème. Allait-il prendre le risque de lui révéler la vérité ?

Apparemment non, car Sirius reprit le sac d’or et se dirigea vers le tableau qui cachait son coffre-fort. Sheamon l’entendit pivoter sur lui-même avec le cliquetis métallique des pièces entre elles. Il laissa partir l’argent sans regret, mais contint sa déception en regardant le dessin de l’Aurora. Une chance comme celle-ci ne se représenterait pas deux fois… Il s’était juré de tout faire pour accomplir sa vengeance. Et on lui offrait précisément l’occasion d’y parvenir.

Sheamon allait se retourner pour lui dire que finalement il acceptait quand Sirius posa un nouveau sac d’or devant lui. Sa stupeur fut totale quand il vit que le sac était bien plus gros que le précédent.

  • Vous avez raison, Monsieur Wave, déclara Sirius. Malheureusement je ne peux absolument pas discuter du contenu de cette valise ici... mais je suis conscient du bien fondé de vos objections. C’est pourquoi je double la somme de départ. Deux-mille inferis d’or.

Pour la première fois, Sheamon fut complètement pris de court. Stupéfait, Il regarda successivement le gros sac d’or posé devant lui et Sirius.

  • Qu’en pensez-vous ? continua ce dernier. Cela vous paraît-il raisonnable ?
  • Je pourrais aussi accepter le marché et ouvrir la valise pour m’assurer moi-même de son contenu quand je serai hors de Florence, pour décider si oui ou non j’empoche votre argent sans remplir ma part du marché, objecta Sheamon.
  • Vous le devrez de toute manière, mais pas avant d’avoir quitté la ville. Car à l’intérieur de la valise se trouvera une lettre vous donnant quelques détails concernant le chargement et les indications exactes menant à la colonie en Enfer qui est assez bien cachée, et surtout très bien protégée…

Sirius fit une petite pause, avant de continuer :

  • On raconte beaucoup de choses sur vous Monsieur Wave, mais tous s’accordent à dire que vous honorez vos engagements. Et puis, je ne prends pas vraiment de risques car l’argent ne vous intéresse pas autant que l’Aurora : or vous ne l’aurez que si vous amenez le contenu de cette valise là-bas. Menez cette mission à bien, et vous aurez votre vengeance... C’est un marché équitable, non ?

Sheamon regarda le sac d’or, puis Sirius. Le maitre d’Umbrella était tendu. Le renégat avait la certitude que le vampire voulait absolument que cette valise et son mystérieux contenu quittent la ville au plus tôt. Nul besoin d’être un grand détective pour comprendre que cette mission allait être hautement dangereuse. Cette valise avait toutes les chances de lui attirer une multitude d’ennuis… son instinct lui soufflait donc de refuser la proposition de Sirius.

Puis son regard passa sur le dessin de l’Aurora, et le souvenir de cette nuit fatidique raviva sa colère.

  • J’accepte, déclara-t-il.

A suivre...

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