Chapitre 1 : La fille de la nuit, Partie 2

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La nuit tombait sur Florence, mais dans le Quartier Umbrella, la journée commençait à peine. Les jeunes vampires profitaient de ce ciel noir sans danger pour enfin sortir et se mêler aux Florentins pour faire la fête. Les plus âgés, pour qui la ville des simples mortels avait depuis longtemps perdu son charme, préféraient rester entre eux.

Sirius continuait de lire et de signer des papiers : autorisations diverses, lettres de doléances auxquelles il prêtait une attention méticuleuse, notices d’imposition, rapports de la milice concernant la sécurité globale de la cité... Ces tâches faisaient partie de son travail en tant que Maitre du Quartier Umbrella. Après être enfin venu à bout d’une nouvelle proposition ronflante d’Ernold visant à interdire les créatures magiques dans l’enceinte du quartier, Sirius posa sa plume et soupira. Il était à la fois étrangement heureux et triste, mais l’anxiété continuait à le tenailler. L’exorciste avait finalement accepté la mission sans trop de difficultés. Cela lui avait coûté un peu plus que prévu, mais ce n’était rien. Sirius aurait été prêt à dépenser bien plus encore pour s’assurer les services de l’illustre Sheamon Wave. Ses pensées dérivèrent alors vers son passé lointain, à l’époque où son frère et lui étaient très proches. Puis il se remémora leur séparation, la rancœur qu’il avait éprouvée pour ce dernier, mais aussi sa tristesse au fil des années.

  • J’ai fait ce que j’ai pu, Jorenn, murmura-t-il. Sheamon Wave est l’homme de la situation. Du moins je l’espère…

On frappa soudain à sa porte, ce qui ramena Sirius à la réalité.

  • Entrez, dit-il en se ressaisissant.

Il s'agissait de Philippa qui lui apportait un plateau avec une tasse de café fumant. Les vampires ne pouvaient consommer que du sang, mais ils appréciaient beaucoup le vin et le café. Les aliments solides comme la viande ou les végétaux étaient du poison pour eux. Comme les exceptions à leur régime alimentaire étaient rares, ils en raffolaient d’autant plus.

  • Votre café, Maitre Aleyran, annonça sa secrétaire. Tous les autres employés sont déjà rentrés. Comme je savais que vous alliez être très occupé, j’ai organisé moi-même avec Ernold les tours de garde devant l’entrée du quartier.
  • Merci, ma chère Philippa… Je ne sais pas ce que je ferais sans ton efficacité.
  • Vous ne manquez pas de ressources vous-même, voyons, répondit la jeune femme avec un petit sourire.

Sirius le lui rendit. Cela faisait sept ans maintenant que Philippa avait rejoint le Quartier Umbrella. Ancienne esclave d’un nosferatu, elle avait été libérée par une escouade d’exorcistes et d’anges qui avaient pris d’assaut le palais de son ancien maitre en Allemagne et l’avait éliminé. Après avoir pris en charge les rescapés, les exorcistes avait demandé à Sirius et au Quartier Umbrella s’ils pouvaient en accueillir certains. Philippa en faisait partie. Traumatisée par son expérience, orpheline séparée de ses parents par son maitre, la jeune femme avait néanmoins réussi à s’intégrer avec brio dans le Quartier Umbrella après sa période de probation à l’extérieur de l’enceinte, et Sirius lui avait offert un poste dans son administration. Elle s’était rapidement imposée comme une personne motivée et disciplinée, capable d’expédier les requêtes des citoyens avec efficacité, et c’était tout naturellement que Sirius avait fini par en faire sa secrétaire. Appréciée par tous, et surtout par sa nièce qui l’adorait, Philippa le secondait maintenant en tout. L’instinct de la jeune femme lui avait déjà permis de démasquer plusieurs traitres à la solde des Nocturii qui avaient tenté de s’infiltrer dans leur refuge, et elle était désormais aussi en charge d’examiner les nouveaux vampires postulant à la citoyenneté. C’était elle également qu’il envoyait négocier avec les gros fournisseurs du quartier et les autres responsables à l’extérieur de l’enceinte tandis que lui s’entretenait avec les représentants des trois factions pour veiller à la sécurité du Quartier Umbrella.

  • Votre nièce n’est toujours pas rentrée, déclara Philippa en posant la tasse devant lui. Ne devrions-nous pas envoyer quelques minotaures à sa recherche ?

Elle passa derrière lui afin de tirer les rideaux de la baie vitrée.

  • Comment ? Oh oui, ce n’est pas important. Je suis persuadé qu’elle passe encore la soirée chez ses amis. C’est de son âge, après tout. Elle finira bien par rentrer.
  • Mais cela reste dangereux pour elle de se promener toute seule… vous savez à quel point elle est téméraire.
  • Elle ne peut pas quitter le Quartier Umbrella, les gardes ne la laisseront pas passer sans ma permission. Mais vous avez raison, Philippa, je vais devoir sévir à son retour. C’est une habitude qu’il serait déraisonnable d’encoura…

Une soudaine explosion retentit, accompagnée par une onde de choc qui fit trembler la pièce entière. Sirius sursauta, alarmé.

  • Que se passe-t-il ? s’exclama le vampire en se redressant brusquement. Ce bruit venait de…

Soudain, une main puissante l’attrapa brutalement par les cheveux avant de lui décocher un coup de pied dévastateur derrière le genou, lui faisant perdre l’équilibre ; il s’écrasa sur le bureau. Sous le choc, il sentit son nez se briser. La même poigne de fer lui releva la tête sans ménagement, et il sentit une lame effilée contre sa gorge.

  • Où est-elle ? siffla Philippa à ses oreilles.

En un clin d’œil, Sirius comprit. Le Maitre d’Umbrella était autant stupéfait que dégoûté. Il s’attendait au couteau dans le dos, il savait que le traitre était près de lui. Mais sa propre secrétaire ? Comment avait-il pu être aussi bête ? Avait-il été aveuglé à ce point par l’affection de sa nièce pour Philippa ?

  • C’était vous… grimaça-t-il. Depuis combien de…

Il ne put finir sa phrase. La lame s’enfonça dans sa poitrine, puis Philippa le projeta avec une force surhumaine par-dessus le bureau. Il atterrit sur le dos, les mains crispées sur le manche de l’arme en tentant vainement de la retirer. Ce fut peine perdue. La secrétaire le plaqua au sol, immobilisant ses bras en lui agrippant le poignet. Elle enfonça un peu plus la lame dans le corps de sa victime, arrachant un rugissement de douleur à Sirius. La pointe était surement à quelques centimètres de son cœur.

  • Vous ne mourrez pas si je vous tranche la gorge, Maitre Sirius, ironisa Philippa, ses yeux rougeoyant de cruauté. Nos capacités de régénération nous permettent de survivre à ces blessures. Et même si je vous embroche le cœur, il vous faudra du temps pour rendre l’âme. L’arracher entièrement ou même vous décapiter serait beaucoup plus rapide. Je peux aussi vous faire souffrir avant de vous achever. Que préférez-vous ?
  • La milice vous arrêtera, répliqua Sirius avec difficulté. Vous ne sortirez pas d’ici.
  • Pensez-vous vraiment que j’ai provoqué cette explosion juste pour m’amuser ? C’était le bruit de la caserne qui partait en fumée. J’ai ouvert l’entrée du Quartier. Maintenant tout le monde peut pénétrer dans l’enceinte… y compris mes amis !

Sheamon se figea d’effroi. Dehors des bruits d’affrontements se mêlaient en effet aux cris des habitants submergés par la terreur. Le vacarme qui accompagne les batailles…Sirius tenta vainement de se dégager de l’étreinte surpuissante de Philippa. Quelque chose n’allait pas. Même s’ils étaient tous les deux des vampires, et que lui était affaibli, il était tout de même un ancien gladiateur habitué à se battre et à endurer les coups… Se pouvait-il que ces années de paix l’eussent affaibli à ce point ?

Non… C’était tout simplement Philippa qui était trop forte. Son agilité et sa puissance… n’étaient pas celles d’un simple vampire.Sirius entendit alors les portes de l’hôtel de ville éclater et les mugissements indignés des minotaures policiers, signe que l’ennemi avait pénétré à l’intérieur.

La dague s’enfonça encore plus dans la plaie, arrachant un cri de douleur à Sirius.

  • Dois-je me répéter ?

Sirius émit un ricanement étouffé.

  • Je ne dirai rien, répéta-t-il en tentant de sourire de son mieux.

Soudain, la porte s’ouvrit brutalement, livrant le passage à deux silhouettes encagoulées entièrement vêtues d’une combinaison noire, et dont seuls les yeux rouge sang étaient visibles. Les deux créatures arboraient une courte épée couverte de sang. Sirius n’en avait plus vu depuis deux siècles, mais ils hantaient encore ses cauchemars. C’était des shinobis, les guerriers masqués au service des Nocturii…

Ce fut au tour de Philippa de sourire. Elle arracha brutalement le couteau, manquant de faire s’évanouir Sirius.

  • Ne vous inquiétez pas, vous allez parler, lui promit-elle. Mon maitre vous fera chanter, s’il le faut... Si nous allions faire un tour dehors ?

Elle adressa un signe aux shinobis, qui le relevèrent sans ménagement. En traversant l’hôtel de ville, Sirius pu voir les corps sanglants des minotaures de la police locale et ceux de ses concitoyens impitoyablement massacrés. Philippa, qui les précédait, enjambait leurs cadavres sans laisser transparaitre un seul regret. Sirius secoua la tête. Sa secrétaire gentille et volontaire avait disparu pour laisser place à cette vipère au sang-froid… Comment avait-il pu se fourvoyer à ce point ?

Les portes principales avaient été arrachées de leurs gonds. Philippa fut la première à sortir puis s’écarta pour laisser passer les shinobis. Ces derniers forcèrent Sirius à s’agenouiller devant les marches de l’hôtel de ville. Il put enfin avoir une vision de la situation d’Umbrella.

En cet instant précis, il aurait souhaité de tout son cœur être frappé de cécité plutôt que d’être confronté à l’horreur qui s’étalait devant lui.

La voute de verre et de cristaux, qui générait le ciel nocturne et les préservait de la lumière du soleil, reposait désormais en morceaux sur le sol, laissant transparaitre à travers les décombres la véritable nuit et les rayons de la lune à travers les flammes et la fumée qui s’élevaient. Sirius entendait au loin les sirènes des camions de pompiers humains qui ne devaient pas comprendre ce qui se passait. Les dégâts dans le centre de Florence devaient être tout aussi importants.

Les boutiques et les bâtiments colorés étaient pour la plupart soit en ruines, soit la proie des flammes. Des centaines de corps tailladés de tout âge gisaient dans une mare de sang. Tout ce qu’il avait construit, tous ceux qu’il avait juré de protéger…. en un éclair, leurs ennemis avaient tout détruit. Les serviteurs des Nocturii avait réussi à atteindre le Quartier Umbrella en frappant en plein cœur d’une ville humaine au nez et à la barbe des trois factions. Combien d’innocents étaient morts pour réussir un tel tour de force ? Sirius en eut les larmes aux yeux.

Des centaines de shinobis se tenaient au garde-à-vous sur la place centrale, entourant l’hôtel de ville, tels une vague noire s’apprêtant à tout engloutir. Au centre de cette formation, les derniers survivants avaient été rassemblés en cercle. Ils n’étaient pas plus d’une vingtaine…

  • Qu’avez-vous fait… balbutia Sirius, atterré.

C’est alors qu’un sifflement aigu retentit à ses oreilles, le figeant sur place. Sirius s’aperçut que ses mains tremblaient, et il sentit que la cicatrice sur son visage le lançait douloureusement. Son instinct lui criait de s’enfuir aussi loin que possible. Cette sensation… il aurait préféré ne plus jamais la ressentir.

Une nuée de chauves-souris envahit soudainement la grande place, provoquant la panique parmi les survivants rassemblées. Les shinobis s’inclinèrent d’un seul et même mouvement. Philippa elle-même mit un genou à terre. Les chauves-souris se regroupèrent en une colonne qui plongea en piqué sur le perron de l’hôtel de ville, juste en face de Sirius. Cependant, après avoir touché le sol, elles semblèrent fusionner entre elles pour donner vie à une nouvelle silhouette. Quand elles s’effacèrent, Il apparut…

Un vampire capable de voler et de maitriser la magie. Un seigneur parmi les créatures de la nuit, craint par tous et n’ayant de compte à rendre qu’aux Nocturii.

Un Nosferatu.

Les cheveux blancs noués en longues tresses derrière sa nuque, en contraste total avec le rouge feu de ses yeux, il arborait une armure écarlate et sur sa cape de la même couleur était gravée une fleur de lys, symbole de la royauté chez les vampires.Même s’il ne l’avait jamais vu, Sirius pouvait le nommer sans hésiter. Parmi tous les Nosferatus, il était en effet célèbre pour les nombreux massacres qu’il avait commis au nom de Sa Majesté, ou tout simplement parce qu’il s’ennuyait. Ses esclaves, qui ne survivaient jamais très longtemps à sa tyrannie, lui avaient donné un surnom qui se répétait avec crainte chez les rescapés du Royaume Submergé.

Forlwey, le Comte Sanglant.

  • Eh bien, c’est un bel endroit que vous avez bâti ici, commenta ce dernier en observant autour de lui. Vraiment très beau. J’ai toujours adoré l’Italie, même si le climat y est insupportable l’été… Dommage que ce petit coin de paradis soit en ruines maintenant…

Il s’adressa ensuite aux shinobis :

  • Fouillez le bâtiment, retournez chaque grain de poussière s’il le faut… Et trouvez-la !

Trente guerriers se précipitèrent dans l’hôtel de ville. Son regard s’attarda sur Sirius, et un sourire sadique étira ses lèvres. Il appréciait de le voir au fond du désespoir, dans l’incapacité totale d’esquisser le moindre geste contre lui.

  • Comment… murmura Sirius, mais Philippa l’interrompit en lui administrant un coup sur la tempe.
  • Tu ne parles que lorsque le Seigneur Forlwey t’y autorise ! gronda-t-elle.
  • Allons ma douce Philippa, du calme voyons… Imagine le choc pour Maitre Aleyran, trahi par sa propre secrétaire, celle qui était toujours dans son ombre ! Il mérite au moins une explication, n’est-ce pas ?

Le Nosferatu attrapa le menton de Philippa dans sa main droite, ses crocs à un centimètre de sa gorge à découvert.

  • Vois-tu mon cher Sirius, Philippa est mon esclave. Elle est à moi. Le moindre de ses souffles m’appartient. Elle fait tout ce que je désire... N’est-ce pas, ma belle ?
  • Oui… Maître… murmura cette dernière en le regardant avec un mélange de crainte et de… Était-ce de la haine ?
  • C’est sur mon ordre qu’elle a infiltré votre communauté, afin de te retrouver mon ami. Pendant toutes ces années, elle cherchait un moyen de grimper les échelons et d’obtenir la confiance du quartier Umbrella afin de saisir une occasion de le détruire de l’intérieur. Tu as été très malin, à tisser tout un réseau d’alliances avec les trois factions. Cela vous a rendus intouchables. Il nous a fallu du temps et beaucoup de finesse afin de corrompre suffisamment de responsables pour rendre cette opération possible. Philippa devait faciliter tout cela pour vous livrer, toi et ta communauté de fugitifs, sur un plateau d’argent. Ne lui en veux pas, elle n’a fait que suivre les ordres. Mes ordres, bien sûr.

Sirius reprenait son souffle, jugeant inutile de répondre. Il se contenta de jeter un regard haineux au Nosferatu. Ce dernier éclata de rire.

  • J’aime ce regard ! déclara-t-il. Ces yeux qui brûlent d’envie de me voir mourir dans une lente et douloureuse agonie ! Le regard d’un homme qui donnerait volontiers sa vie pour m’entraîner avec lui dans la mort. Sais-tu ce qui me plait dans ce regard, Sirius Aleyran ?

Forlwey passa sa langue sur ses lèvres avec délectation, avant de braquer les yeux sur ce dernier.

  • C’est lorsque ce regard de défi se change en supplication, quand je brise cette fierté pour qu’ensuite ma victime me supplie de l’achever…

Sirius eut un frisson instinctif de peur. Cet homme n’était pas simplement puissant, il était aussi fou que le laissait supposer sa sombre légende !

  • Bon, je n’ai malheureusement pas le moment d’échanger des banalités. L’Eglise doit déjà être au courant de la catastrophe. Les anges ne vont donc pas tarder à rappliquer. Où est la fille ?
  • Maître… intervint Philippa en se courbant respectueusement. J’ai cherché partout, mais elle reste introuvable depuis le début de la journée…
  • Certains des fugitifs se sont enfuis, elle se trouve peut-être avec eux. Sirius sait sûrement quelque chose, tu l’as bien évidemment surveillé de près, n’est-ce pas ?
  • Je l’ai collé comme son ombre. Il devait confier la jeune fille d’ici deux semaines à un groupe de mercenaires ayant pour mission de l’escorter jusqu’à Varenn, un refuge situé dans les Enfers.
  • C’est ce qu’indiquait ton rapport. Mais je viens ici exprès en avance, j’annihile tout le quartier, et je ne vois pas la fille. J’en déduis qu’il y a un problème. Elle ne s’est pas enfuie toute seule, non ?
  • Je… je l’ignore, Maître… Sirius Aleyran n’a rien fait d’anormal aujourd’hui. Excepté confier une valise à un exorciste, pour cette même colonie… Mais je l’ai chargée moi-même selon ses ordres. Elle contenait une importante aide financière tirée des caisses d’Umbrella et une lettre indiquant d’accélérer les préparatifs pour la rébellion…
  • Oh… voilà qui est intéressant. Ainsi, notre bien aimé Sirius Aleyran et ses petits camarades voulaient lancer une véritable révolution contre Sa Majesté ? C’est très courageux… stupide, mais courageux !

Forlwey éclata de rire, comme si l’idée elle-même était hilarante. Mais Sirius distinguait une joie subtile dans son regard, comme si, curieusement, il se réjouissait à l’idée d’une révolte… il pouvait presque l’entendre penser « Enfin un peu d’action ! ». Quand le Nosferatu se fut calmé, il envisagea Sirius d’un œil amusé.

  • Tu sais, Sirius Aleyran, je vais te proposer un marché. Dis-moi où se trouve la fille, et j’épargnerai vos vies.
  • Je n’y crois pas une seule seconde, rétorqua Sirius.
  • Moi non plus. Evidemment, vous allez tous mourir. C’est une question d’exemple, je ne peux pas laisser des fugitifs s’en sortir indemnes. Mais je vais être miséricordieux. Je vous accorde à tous une mort rapide pour m’excuser des dégâts collatéraux… c’est préférable plutôt que de mourir dans l’arène, n’est-ce pas ?

Sirius déglutit en se rappelant cette part sombre de son passé, mais il soutint le regard de Forlwey sans broncher. Ce dernier haussa les épaules.

  • C’est ton destin après tout. Tu comprendras que je suis dans l’obligation de te torturer pour obtenir ce que je veux. Crois-moi, tu parleras. La reine obtient toujours ce qu’elle désire.

Un shinobi ressortit alors de l’hôtel et s’inclina à la hâte devant Forlwey.

  • Monseigneur, nous avons découvert quelque chose qui pourrait vous intéresser. Elle était cachée sous le lit dans une des chambres des étages supérieurs.

Deux autre shinobis apportèrent alors une lourde valise de cuir noir. Elle ne paraissait avoir aucune ouverture, hormis un sceau avec un symbole d’étoile gravé dessus. Philippa poussa un hoquet de surprise en la voyant, ce qui n’échappa pas à Forlwey.

  • Et bien au final, je n’aurais pas eu à aller bien loin pour retrouver cette fameuse valise, ironisa-t-il. Il semble que tes plans n'aient pas aboutis…
  • Maître, intervint Philippa alarmée. C’est impossible que ce soit la même ! J’ai vu l’exorciste l’emporter de mes…

Elle se tut sous le choc. Sirius restait silencieux. Un doute sembla se former sur le visage de Forlwey.

  • Ouvrez-là ! ordonna-t-il à ses sbires.

L’un d’entre eux pressa le centre de l’étoile, qui pivota sur elle-même avant de relever la partie supérieure, dévoilant le contenu de la valise aux yeux de tous. Elle était remplie à ras bord de sacs de toiles, sur lesquels était posée une lettre fermée par un sceau imprimé dans la cire. L’un des shinobis ouvrit l’un des sacs d’un coup d’épée, et un flot d’inferis s’en échappa. Le visage de Forlwey n’exprimait plus aucun amusement. Une sombre colère froide, plutôt.

  • Philippa, lança-t-il d’une voix glaciale. Avant que l’exorciste n’embarque la valise, as-tu revérifié son contenu ?
  • Je… je n’y ai pas pensé, Maître… Je devais aller installer la bombe dans la caserne, alors je l’ai laissée à l’entrée pour que l’exorciste la récupère comme Sirius Aleyran me l’avait demandé. A mes yeux, cet argent n’avait aucune importance puisque le quartier allait être annihilé.

Forlwey tourna alors son regard ardent vers Sirius, qui se permit un sourire moqueur :

  • Tu nous as trompés, n’est-ce pas, Maître Aleyran ?
  • Exactement, Votre Seigneurie, répondit Sirius en mettant un maximum d’ironie dans sa voix. Vous n’avez pas été aussi discret que vous l’escomptiez. Je me doutais depuis un moment qu’il y avait des traîtres dans mon entourage. J’ignorais quand et comment vous frapperiez, mais je savais que le coup allait venir. C’est pour ça que j’ai pris les devants. J’ai monté cette petite mascarade pour m’assurer que vous ne la trouverez pas. Elle est déjà loin à l’heure actuelle. Et votre reine peut aller se faire…

Forlwey tendit sa paume, et une ronce noire en sortit pour embrocher Sirius, laissant un trou béant dans sa poitrine. Un froid intense envahit ce dernier, tandis qu’il sentait petit à petit son esprit dériver dans un océan de chaleur. Il mourut avant même que son corps ne retombât sur le sol quand la ronce se rétracta dans la paume de Forlwey. Ce dernier resta un moment sans bouger, perdu dans ses pensées. Puis il rompit soudain le silence :

  • Comment s’appelait l’exorciste ?
  • Sheamon Wave, répondit aussitôt Philippa.
  • Je vois… Changement de plan, on mobilise tout le monde. Retrouvez-moi cet ange déchu et la fille ! Et faites passez le message à tous les chasseurs de primes disponibles. J’offre une récompense de quatre cent mille inferis pour sa tête.

Forlwey était furieux, mais il lui fallait réagir vite. Tout d’abord, prévenir Sa Majesté du retard qu’il aurait dans sa mission. Il était impensable de faire attendre la reine des vampires. En effet, c’était sa tête qu’il risquait dans ce cas. L’élimination d’un nid de traîtres lui permettrait tout de même de présenter au moins un résultat convenable à celle-ci. Puis, il se concentrerait sur la traque de Sheamon Wave... Avec un peu de chance, dans un jour ou deux il récupérerait la fille.

  • Que fait-on des prisonniers, Maître ? lui demanda Philippa.

Malgré ce dénouement plutôt rageant, Forlwey se voulut magnanime.

  • Tuez-les vite, ordonna-t-il avant de se transformer à nouveau en nuée de chauves-souris.

« Sheamon Wave… » Susurra Forlwey en son for intérieur, ses pensées déjà tournées vers sa nouvelle cible.


***


A quelques heures de Florence, dans une petite bourgade isolée, l’unique bar du village accueillait quatre derniers clients alors qu’il était presque minuit. Le barman avait annoncé qu’il fermerait bientôt. Depuis, seul le son de la petite télévision accrochée dans un coin et qui diffusait des informations en continu troublait le silence monotone.Sheamon vida son verre, en essayant de contenir son euphorie.

Après toutes ces années de traque, il avait enfin un moyen d’atteindre sa cible avec une arme capable de lui assurer la victoire. Tant de patience à attendre son heure enfin récompensée… Ryku l’attendait dehors lové sur le rebord d’une fenêtre, gardant un œil discret sur l’extérieur du bar.Cela faisait maintenant plusieurs heures qu’il avait quitté Florence, roulant en respectant les limitations humaines de vitesse. Il lui aurait été facile de prendre la voie des airs, mais Sirius lui avait recommandé la plus grande discrétion et cette route était assez fréquentée. Sheamon avait donc décidé d’attendre d’être passé en France pour s’envoler en direction de Paris, la plus proche entrée des Enfers.

Pas une seule fois il ne s’était arrêté, conformément au souhait de Sirius. Une fois la frontière franchie il ouvrirait la valise pour prendre la lettre contenant les indications à suivre. Sheamon ne voulait pas passer une nuit blanche quand il saurait enfin ce qu’elle contenait. En vérité, il aurait même préféré ne jamais avoir à l’ouvrir, de manière à ne pas s’impliquer davantage dans cette histoire. Savoir que cette valise lui attirerait des ennuis lui était suffisant. Mais Sirius y tenait, et il avait payé cher pour ce contrat. Sheamon se devait d’en respecter les termes.

Soudain, un bruit de verre brisé retentit, rompant la monotonie ambiante dans le bar et faisant sursauter Sheamon. Le responsable n’était nul autre que le barman, qui tenait toujours le torchon avec lequel il essuyait son verre dans les mains, le visage figé dans une stupeur incrédule en direction de l’écran de télévision.

Sheamon se retourna immédiatement pour écouter ce que disait la journaliste qui apparaissait sur l’écran :

  • Aux alentours de vingt-trois heures, le centre de Florence a été victime d’une puissante explosion ayant engendré une violente secousse ressentie dans toute la ville. Les autorités sur place ont aussitôt déployé un périmètre de sécurité, tandis que les secours essayaient d’éteindre les flammes. Le nombre de victimes est actuellement encore inco…

Sheamon n’écoutait plus. Ses yeux étaient rivés sur les images prises depuis un hélicoptère de l’emplacement précis où se trouvait le quartier Umbrella, qui n’était plus qu’une mare de flammes que les pompiers peinaient à contenir.

  • Gardez la monnaie, déclara Sheamon avant de laisser tomber un billet de vingt euros sur le comptoir. C’était bien plus que ce qu’il avait consommé, mais le barman ne remarqua même pas qu’il partait.

L’exorciste sortit du bar en coup de vent. Ryku sauta aussitôt de son perchoir et atterrit avec agilité à ses côtés. Ensemble, Ils s’enfoncèrent dans une ruelle obscure. Sheamon sortit d’une de ses poches une sphère de la taille d’une petite boule de Noël, contenant le modèle réduit d’une Aston Martin noire des années soixante, customisée grâce à la magie. Sheamon l’avait obtenue en battant son ancien propriétaire aux cartes, alors qu’il menait une enquête sur un esprit frappeur. L’une de ses meilleures victoires…

Il laissa la sphère tomber et rouler au sol. Dans un flash de lumière éblouissant, Le modèle réduit devint grandeur nature. Sheamon se dirigea vers l’arrière du véhicule, et ouvrit le coffre.La valise en cuir noir, dont le poids l’avait étonné quand Sirius la lui avait remise, était toujours là. Sheamon aurait préféré ignorer encore un peu ce qui l’attendait, mais ce n’était désormais plus possible. Son commanditaire étant probablement mort, il lui fallait immédiatement obtenir des réponses à ses questions.Il ne faisait aucun doute à ses yeux que le contenu de son chargement était la raison de cet incident. Sirius avait pressenti le danger, et c’est pourquoi il avait tout fait pour que Sheamon acceptât de se charger de la valise. Mais que pouvait bien contenir cette dernière pour avoir été la cause indirecte de la destruction du quartier Umbrella ? En prenant une grande inspiration, il l’ouvrit et écarta la partie supérieure.

A l’intérieur, affublée d’un jean déchiré accroché avec une chaîne et d’un tee-shirt noir avec un symbole de chauve-souris blanc, le cou orné d’un foulard gris, était recroquevillée une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de quatorze ans, les genoux blottis contre sa poitrine. Elle avait les yeux fermés et sa respiration était régulière, Sheamon en conclut que celle-ci dormait profondément, sans doute sous l’influence d’un puissant somnifère. C’était étrange pourtant, il n’avait pas senti sa présence avant d’ouvrir la valise. Le mercenaire inspecta le cuir du regard, décela quelques runes gravées sur la poignée. Probablement un enchantement de camouflage… Sirius tenait à ce que le contenu de la valise fut en sécurité jusqu’au bout.

Il reporta son attention sur la fille. Sa chevelure noire de jais était coupée à la garçonne, s’arrêtant un peu après la nuque. Son teint pâle et l’aura qu’elle dégageait ne laissaient aucun doute quant à son identité. Maintenant qu’il avait ouvert le couvercle, Sheamon sentait une puissante magie en elle. Il n’osait pas en croire ses yeux. Instinctivement, sa main agrippa la poignée de son arbalète…Une nosferatu… Il y avait une nosferatu dans cette valise !

A côté de la fille endormie reposait une lettre cachetée. Sheamon la prit et déchira vivement l’enveloppe. Ce qu’il lut le laissa sans voix.

Monsieur Wave,

Si vous lisez ce message, c’est que vous avez accepté le contrat. Je m’excuse d’avance de vous avoir placé dans cette situation, mais je vais probablement mourir bientôt. Les émissaires de la reine sont sur mes traces, et je sais que dans mon entourage se cache un traitre, peut-être même plusieurs. Mon temps est compté désormais. Comme je vous l’aurai auparavant signifié, vous trouverez les indications concernant la localisation exacte de Varenn, le refuge dont je vous ai parlé, au dos de cette lettre.

Je vous dois quelques explications concernant la jeune fille dans cette valise. Il s’agit de ma nièce, Triss Aleyran. Ce n’est cependant qu’un nom d’emprunt, utilisé pour dissimuler sa véritable identité aux yeux de tous.Mon frère et moi étions tous deux esclaves des Nosferatus en tant que gladiateurs, combattant dans leurs arènes sordides pour leur bon plaisir. Il y a deux-cent cinquante ans, une rébellion a éclaté et nous en avons profité pour tenter de nous échapper du Royaume Submergé. Mais nous avons été rattrapés par les soldats de la reine, et mon frère s’est sacrifié pour me permettre de m’enfuir. Depuis ce jour, je l’ai cru mort, jusqu’à ce qu’un soir, il frappe à la porte du quartier Umbrella, blessé et accompagné de sa fille, une enfant de cinq ans. Il avait changé, au point d’être devenu un Nosferatu à son tour…

Mais il m’a supplié de prendre Triss avec moi et de la protéger de ses ennemis. Je l’ai donc recueillie il y neuf ans lorsque son père me l’a confiée avant de disparaître pour semer ses poursuivants... Il n’a dès lors jamais plus donné de nouvelles, mais il y a de grandes chances qu’il ait été tué par les serviteurs des Nocturii. Les seules choses qu’il m’ait dites avant de s’enfuir sont l’identité de la mère de Triss et qu’il est vital qu’elle soit placée en sécurité.

Son véritable nom est Triss Nocturii, fille de Némésis Nocturii, la Reine de la Nuit. Elle fera tout pour récupérer sa fille, car celle-ci est également la seule vampire au monde qui ne craigne pas la lumière du soleil.

Sheamon lança un regard surpris en direction de la jeune fille endormie. Jamais il n’avait entendu parler d’un vampire insensible au soleil… Mais cela expliquait sans peine pourquoi tout le monde la recherchait, et pourquoi Sirius avait tant sécurisé le Quartier Umbrella… Il protégeait Triss de sa famille et des personnes avides de son pouvoir !

Triss ne doit surtout pas tomber entre ses mains, Monsieur Wave. Némésis a depuis longtemps le projet d’asservir le monde. Le soleil est une barrière naturelle qui freine ses sanglants projets de conquête. Mais si jamais elle pouvait, grâce à Triss, se doter elle et les siens d’une insensibilité au soleil, je n’ose imaginer les conséquences... Je vous en supplie, de nombreuses vies dépendent du destin de Triss. Protégez-la jusqu’à Varenn.

L’Aurora vous attendra là-bas,

Sirius Aleyran.

Sheamon lut à nouveau la lettre puis la relut derechef.

Souvent, ses contrats avaient impliqué des transactions illégales, comme transporter des reliques sacrées de l’Eglise en Enfer, ou s’occuper de la livraison de monstres sauvages. Il avait parfois aussi été engagé comme garde du corps. Il s’était juré d’être prêt à pratiquement tout pour atteindre sa vengeance, même s’il s’était fixé certaines limites, par peur de perdre ce qu’il restait de son intégrité d’avant. Mais jamais il n’aurait pu imaginer ce qui lui était tombé dessus quand il avait accepté ce contrat !

Le mercenaire se rendait compte qu’il venait d’être impliqué, pour le meilleur et surtout pour le pire, dans la disparation d’une princesse. Et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agissait de la fille de la Reine du Royaume Submergé. Or Némésis Nocturii n’était pas le genre de personne que l’on pouvait impunément provoquer. Les rumeurs disaient qu’elle avait une puissance et une influence similaires à celles des quatre Seigneurs Primordiaux qui dirigeaient ce monde. Il ne s’écoulerait donc pas longtemps avant que sa tête fût mise à prix.

Car Sheamon avait enlevé une princesse Nocturii. Et involontairement ou pas, cela restait une déclaration de guerre. Le renégat serait traqué sans relâche par les serviteurs de la famille royale, les mercenaires voulant faire fortune… Il venait de devenir l’ennemi d’une nation entière.

Sheamon Wave était mal.

Très mal…


A suivre…

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