Chapitre 8 : Le Primera, Partie 2

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Triss fit aussitôt volteface tout en s’emparant de son épée. La porte de sa chambre s’ouvrit pour laisser passer deux servantes en uniforme vert et or. La première était une jeune femme aux longs cheveux roux qui semblait un peu plus âgée qu’elle. Elle sursauta en voyant Triss, l’épée pointée vers sa poitrine. Le verre qu’elle tenait dans sa main faillit lui échapper. Elle pâlit, ce qui eut pour effet d’accentuer les taches de rousseur recouvrant son visage. La seconde, du même âge à peu près et aux cheveux bruns coupés au niveau des épaules, portait une pile de draps propres qu’elle laissa tout bonnement tomber en se plaquant au mur avec un cri d’épouvante, comme si elle avait vu un fantôme.

Et c’était peut-être le cas. Triss ne s’était pas regardée dans un miroir, mais sa peau pâle, ses yeux rouges et ses cheveux en bataille devaient lui donner l’allure d’une revenante cherchant à se venger des vivants…

  • Pas un mot ! les avertit la jeune vampire en se rapprochant d’elles. Si vous essayez d’alerter qui que ce soit, je n’hésiterai pas à vous…
  • Nous ne sommes pas vos ennemies ! s’empressa de dire la servante rousse en levant les mains, veillant tout de même à ne pas renverser le liquide contenu dans le verre avant de continuer d’une voix hésitante : Vous… vous devriez vous recoucher… La guérisseuse nous a dit que vous avez besoin de beaucoup de…
  • Qui êtes-vous ? la coupa Triss. Quel est cet endroit ? Où est l’homme qui m’accompagnait ?
  • Vous êtes au Primera, l’Hôtel-Casino le plus grand de Lutécia. Mon nom est Mérissa, et je travaille ici.
  • Lutécia ? répéta Triss.
  • Le vingt-et-unième arrondissement de Paris, expliqua la servante, puis, devant l’expression sceptique de Triss, elle ajouta : Nous sommes sous la ville humaine, entre les Enfers et la Surface.

Triss, surprise, examina le visage de son interlocutrice qui paraissait on ne peut plus sérieuse. Elle décida de mettre de côté les questions qui lui venaient aux lèvres. Retrouver Sheamon était le plus important.

Mérissa fit alors signe à sa camarade, qui déglutit avant de s’incliner brièvement devant Triss et de préciser d’une voix tremblante :

  • Je suis Noémy, également servante au Primera… Enchantée, miss Aleyran.

Triss ne laissa pas échapper ce détail. Elle pointa son épée vers Noémy, qui recula aussitôt, terrifiée.

  • Comment connais-tu mon nom ? l’interrogea-t-elle.

Malheureusement, elle semblait trop apeurée pour répondre. Mérissa s’interposa alors entre son amie et la lame.

  • C’est monsieur Wave qui nous l’a dit ! lui apprit la servante. Il vous a amenée ici il y a une semaine. Vous étiez très malade, et nous avons dû faire venir une guérisseuse réputée pour vous soigner. Noémy et moi avons pris soin de vous pendant que vous étiez inconsciente.
  • Tu… tu as bien dit une semaine ? balbutia Triss. Je suis restée inconsciente pendant tout ce temps ?
  • Oui... répondit Noémy, qui semblait avoir repris de l’aplomb. Vous aviez contracté la Fièvre Magique.
  • La guérisseuse a dit que votre corps avait dépassé ses limites et qu’il vous fallait beaucoup de repos pour vous remettre. C’est assez fréquent chez les jeunes magiciens qui découvrent leurs pouvoirs… la magie se développe en eux et leur corps met du temps à s’y habituer. Mais chez vous, elle était très agressive. Vous étiez dans un tel état d’épuisement que vous n’arriviez plus à vous nourrir.

La jeune Nocturii se souvint alors de l’état dans lequel elle s’était retrouvée après son affrontement contre Meira. Jamais elle n’avait utilisé ses pouvoirs à un tel niveau de puissance. Pour combattre la guerrière aux six sabres, Triss avait littéralement tout donné. Et elle s’était pratiquement retrouvée à court d’énergie vitale. Comme une voiture en panne d’essence, elle s’était tout simplement arrêtée de fonctionner.

Mérissa hésita avant de continuer :

  • Monsieur Wave n’est pas là pour l’instant, mais il rentrera bientôt, j’en suis certaine. Sinon, nous pouvons prévenir Madame Amalia que vous êtes réveillée…
  • Qui est-ce ?
  • C’est la directrice du Primera, elle connait bien Monsieur Wave.

Triss se rappela alors que Sheamon l’avait avertie à Nice qu’il comptait contacter son amie de Paris. Était-ce cette Madame Amalia ? Elle réfléchit. L’histoire que lui racontaient les deux servantes était crédible. Et cela expliquait la sensation d’engourdissement qu’elle ressentait dans tous ses muscles. Si cela faisait une semaine qu’elle ne s’était pas éveillée…

En plus, donner à une captive une chambre avec deux grandes fenêtres dégagées et lui laisser son arme à portée de main était inconcevable de la part d’un quelconque ennemi. Mais Triss refusait néanmoins de baisser sa garde ; son oncle et le Quartier Umbrella avaient péri à cause de cela. Ce scénario était peut-être une ruse très élaborée pour la manipuler sans qu’elle ne s’en rendît compte.

  • C’est d’accord, accepta la jeune fille en abaissant son épée. Mais je viens avec vous.

Mérissa s’empressa d’acquiescer. Son regard glissa soudain sur le verre qu’elle tenait toujours dans sa main droite. Le visage de la servante s’illumina comme si elle venait de se souvenir du but de sa visite.

  • Je n’y pensais plus mais… c’est pour vous, miss Aleyran, précisa-t-elle en lui tendant le verre.

Méfiante, Triss le saisit et en inspecta le contenu. Du sang. Son estomac émit aussitôt un grondement inquiétant, telle une bête s’éveillant d’un trop long sommeil. C’est à ce moment-précis qu’elle se rendit compte combien sa gorge était sèche.

Aussi répugnant que cela pouvait être aux yeux de Triss, son instinct de vampire la poussait à vider le verre d’un trait. Le liquide vermeil l’attirait irrésistiblement, et c’est avec peine que la jeune fille en détourna le regard.

  • Je ne bois pas le sang de n’importe qui… répliqua Triss. Rien ne me prouve que vous ne l’avez pas mélangé avec du poison.
  • Ils s’agit de mon sang, répondit Mérissa en levant sa manche droite, révélant un pansement récent près de son coude. Noémy et moi avons été chargées par Madame Amalia de prendre soin de vous pendant votre convalescence. Monsieur Wave s’en charge la plupart du temps mais comme il n’est pas toujours présent… Dans ce cas c’est nous qui… vous voyez…

Son instinct lui soufflait que Mérissa disait la vérité, et même si ce n’était pas une source indéfectible, Triss décida de s’y fier, tout en restant méfiante. Elle hocha la tête, se sentant un peu coupable. Elle avait menacé celles qui s’étaient occupées d’elle pendant sa convalescence et qui avaient donné leur sang pour la nourrir. Face à la gentillesse dont faisait preuve Mérissa, Triss commençait à se sentir ridicule en agissant comme une criminelle.

La jeune fille prit une inspiration et vida le verre, sentant le froid liquide couler le long de sa gorge jusque dans son estomac, diffusant une douce fraicheur dans chaque parcelle de son être.

  • Je suis désolée, s’excusa Triss devant les deux servantes. De vous avoir soupçonnées et menacées. Quand je serai certaine que… ce n’est pas un piège… je m’excuserai proprement.
  • Ce n’est pas une surprise, murmura Noémy en détournant la tête, comme si elle était gênée de prendre la parole. Monsieur Wave nous avait prévenues que vous risquiez de réagir comme ça si vous vous réveilliez en son absence… C’est pourquoi nous vous avions laissé votre arme, pour vous prouver que nous ne sommes pas vos ennemies.
  • J’ai beaucoup trop d’adversaires pour accorder ma confiance sur un coup de tête, rétorqua Triss un peu brutalement. Le seul en qui je puisse avoir confiance est…

Sheamon Wave. Un exorciste renégat engagé par son oncle et dont la motivation à l’aider était liée à sa vengeance personnelle. Quelqu’un qu’elle ne connaissait que depuis deux jours à peine, depuis son réveil dans ce fameux hôtel (Ou plutôt depuis plus d’une semaine désormais) et qui était aussi puissant qu’effrayant. Un mercenaire dangereux capable de tenir tête au Harakaï et de terrasser un élémental à mains nues. Un ancien criminel banni par son propre peuple, condamné à porter le lourd fardeau d’être un paria… son seul allié dans ce monde glacial !

  • Laissez tomber, reprit Triss en posant le verre sur le bureau derrière elle. Emmenez-moi juste voir votre directrice. Enfin… attendez que je me sois changée.

Mérissa et Noémy, surprises par ce revirement, s’inclinèrent néanmoins et attendirent en silence. Triss se changea aussi rapidement que possible, et remarqua que sa veste en cuir avait été raccordée avec précision, de telle sorte qu’on ne voyait pratiquement pas la déchirure infligée par Meira.

La jeune fille annonça aux deux servantes qu’elle était prête à partir. Le groupe sortit alors dans le couloir, Mérissa et Noémy en tête, Triss légèrement en retrait.

Elles parcoururent plusieurs longs couloirs, tapis rouge au sol, richement décorés de statues de marbre, de tableaux représentant des scènes de batailles épiques et des portraits de personnages célèbres… Tout ici respirait le luxe et la beauté. Triss remarqua que les nombreuses portes placées à intervalles réguliers étaient numérotées.

  • Combien de chambres possède le Primera ? demanda soudain Triss.
  • Actuellement plus de quatre cents, répondit Mérissa, non sans une pointe de fierté. Nous sommes au quatrième étage.
  • Quatrième ? Combien y en a-t-il ?
  • Le Primera possède sept niveaux ; le premier regroupe bien entendu le casino, les différents jeux, le bar, le restaurant… Le second est l’étage VIP divisé en plusieurs salons privés. Il est utilisé par nos clients les plus riches qui veulent profiter du casino dans l’intimité sans avoir à se mêler à la foule. Ils ont leurs propres serviteurs, tables de jeux et bien entendu, leur propre bar ! Le troisième, et le quatrième sont réservés aux chambres d’hôtel classiques. Le cinquième abrite les suites de luxe, et le sixième, les chambres des employés. Quant au septième… c’est là que réside Madame Amalia. Les deux derniers étages ne sont accessibles qu’aux employés.

Ils arrivèrent face à une grande pièce circulaire sur laquelle débouchaient trois autres couloirs semblables à celui qu’elles venaient de traverser. Au centre de la pièce se trouvait un immense aquarium en forme de tour, qui semblait partir de la base de l’immeuble et monter jusqu’à presque atteindre un magnifique plafond de verre. Des bancs de poissons et des méduses colorées nageaient tranquillement dans un décor de récifs et de plantes aquatiques. Tout autour du gigantesque aquarium, des plateformes gravitaient lentement en vrombissant. Dès que Triss et les servantes s’approchèrent, l’une d’elles s’anima et vint tout de suite se placer au niveau de l’étage pour leur permettre de monter dessus. Mérissa s’éclaircit la gorge :

  • Septième étage.

De longs cercles azurés apparurent sur la surface de la plateforme. Une légère bulle d’énergie bleutée entoura soudain le grand disque doré, qui s’éleva alors dans les airs. Triss comprit que la plateforme était un ascenseur desservant les différents étages. Tandis qu’il montait à un rythme soutenu, la jeune fille regarda passer les différents niveaux devant elle en sentant l’appréhension la gagner. Qui était cette mystérieuse Madame Amalia ? Tout cela n’était-il pas un piège très élaboré pour lui arracher des renseignements sur Sheamon Wave, ou bien sur ses liens avec Némésis ? Pouvait-elle vraiment accorder sa confiance à Mérissa et Noémy ?

L’ascenseur s’arrêta au dernier étage, où le sol était en fait le plafond de verre du gigantesque aquarium. En regardant en dessous d’elle, Triss parvenait presque à distinguer les étages inférieurs à travers les bancs de poissons et les décors marins. Mérissa et Noémie lui firent traverser la salle et s’arrêter devant une massive porte en bois verni avec le symbole d’une chouette dorée. Un écriteau en dessous indiquait :

« Madame Amalia, directrice »

Mérissa s’approcha et frappa. Une voix féminine s’éleva alors à travers la porte :

  • Qui est-ce ?
  • Madame Amalia, c’est Noémy et Mérissa ! répondit cette dernière. Nous sommes avec Mademoiselle Aleyran, qui vient de se réveiller… Elle voudrait vous…

Un déclic se fit entendre et la poignée s’actionna, faisant pivoter légèrement la porte.

Mérissa s’écarta pour laisser passer Triss, qui pénétra avec appréhension à l’intérieur du bureau de la maitresse du Primera.

Triss se reprit aussitôt, car définir cette pièce comme un simple bureau était une aberration pure et simple. L’endroit était trois fois plus grand que celui de son oncle, et ne ressemblait en aucun cas à un lieu de travail. Au centre de la pièce, se trouvait un grand bassin d’eau claire alimenté par une fontaine et entouré de colonnes de marbres. Le mur du fond était percé d’un grand vitrail circulaire doré avec un as de pique en son centre. Des statues et tableaux décoraient également les murs entre des étagères remplies d’ouvrages de cuir, et plusieurs portes laissaient supposer que cet endroit s’étalait sur tout l’étage. Près du bassin, enfin, fauteuils et autres canapés blancs avaient été installés en cercle autour d’une table basse sur laquelle était posé un service à thé en argent.

Triss se sentit intimidée. Son oncle était riche, elle était donc habituée au luxe. Mais cet endroit était d’une tout autre dimension. Elle avait l’impression d’avoir pénétré dans le palais d’une reine.

Sur l’un des canapés justement, les attendait une femme d’une trentaine d’années vêtue d’une longue robe rouge qui dessinait des motifs de flammes dorées sur tout son corps. Elle dévisageait Triss avec intérêt, avec au coin de la bouche une étrange paille en argent, dont l’embout incliné laissait échapper une légère fumée verte. Ses longs cheveux châtains avaient été noués en un chignon étroitement serré autour d’un long pic à cheveux doré. De légères rides aux coins des yeux, mais un regard toujours vif et alerte. Cette femme possédait une certaine aura, différente de celle de Meira, mais tout aussi puissante. Là où cette dernière faisait penser à une puissante forteresse indestructible, Amalia évoquait davantage une œuvre magnifique et délicate. Cependant, son regard aiguisé indiquait que cette apparence de rose fragile cachait probablement des épines redoutables.

La femme écarta alors l’étrange objet de sa bouche et adressa un demi-sourire inquiétant à Triss.

  • Merci, Mérissa, Noémy, dit-elle. Vous pouvez attendre dehors. Veillez à ce que personne ne nous dérange.

Les deux servantes s’inclinèrent avec respect et sortirent en silence. L’étrange femme reporta alors son attention sur Triss.

  • Bon retour parmi les vivants, Triss Aleyran, lui souhaita-t-elle avec un sourire plus chaleureux. Je me demandais quand tu allais te réveiller. Comment te sens-tu ?
  • Etonnamment bien… répondit la jeune fille, hésitante. A part le fait que mon corps soit encore engourdi, je suis en pleine forme.
  • Je suis rassurée d’entendre ça. Tu étais dans un triste état quand tu es arrivée ici, à tel point que j’ai dû faire venir la meilleure guérisseuse de Lutécia pour te soigner. Elle était étonnée qu’une vampire contracte la Fièvre Magique, surtout à ton âge. Généralement ce sont plutôt les enfants entre neuf et onze ans qui en sont atteints quand la magie se manifeste en eux. Oh, ne t’inquiète pas, elle n’est pas bavarde. Je la paye trop bien pour cela. Enfin de toute manière, tu n’en serais pas arrivée là si cet idiot avait fait son travail correctement. Laisser une enfant sans défense à la merci de ses ennemis… Généralement, il est plus malin que ça !

Triss fronça les sourcils.

  • De qui parlez-vous ? Demanda-t-elle, incertaine.
  • De Sheamon, bien sûr. Mais je manque à mes devoirs en oubliant de me présenter ; je suis Amalia Da Silva, la directrice du Primera. Assieds-toi je t’en prie. Veux-tu du thé ?

La jeune fille marqua un temps d’arrêt. Cette femme avait traité Sheamon d’idiot sans méchanceté, presque avec affection. Ils devaient se connaitre depuis longtemps… Quelle était sa relation avec son protecteur ? Intriguée, elle s’assit docilement en face d’Amalia tout en hochant la tête.

Cette dernière claqua des doigts, et la théière s’éleva d’elle-même dans les airs pour servir Triss. Puis la tasse et sa soucoupe flottèrent à leur tour jusqu’à arriver à mi-hauteur de la jeune fille, qui s’en saisit :

  • Merci, dit-elle en avalant une gorgée (du thé à la menthe, étonnamment sucré), s’efforçant de ne pas laisser paraître ses sentiments.

Mais ce fut peine perdue. Le demi-sourire d’Amalia parut se prolonger :

  • Je peux sentir que tu brûles de me poser des dizaines de questions. Ne t’en fais pas et prends ton temps. Je n’ai pas l’intention de quitter cette pièce.
  • Où est Sheamon ? L’interrogea alors Triss, toujours méfiante.
  • Sheamon est allé à la rencontre d’un antiquaire spécialisé en objets magiques, sortilèges et autres artefacts illégaux... Mais je préfèrerais que nous attendions son retour pour en parler, si cela ne te dérange pas. Il t’expliquera mieux que moi la situation. Je pense qu’il ne tardera pas à rentrer.

La méfiance de Triss ne parut pas lui échapper.

  • Crois-moi, c’est préférable, continua Amalia. Essayer de t’expliquer cela ne fera que susciter davantage d’interrogations auxquelles je ne pourrais pas te répondre aussi bien que lui, et tu finiras par te sentir encore plus confuse. Mais cela ne nous empêche pas de discuter ! Tu peux me poser autant de questions que tu veux, j’y répondrai de mon mieux. Et puis… je dois dire que je suis moi-même intriguée… C’est la première fois que je vois une des Nocturii qui font tant trembler les gens.
  • Je ne suis pas comme eux ! répliqua vivement Triss.
  • Pardonne-moi, s’excusa son interlocutrice. je n’avais pas l’intention de te blesser. Je sais que tu n’es en rien semblable au reste de ta famille. Tu as été élevée par Sirius Aleyran d’après ce que Sheamon m’a dit ?
  • Vous…connaissez mon oncle ?
  • De réputation seulement. J’avais entendu parler de lui et du refuge qu’il avait bâti dans la région de Florence. Je sais qu’il était respecté pour avoir réussi à établir un véritable lien de confiance entre vampires et humains.

Le sourire d’Amalia disparut soudainement et son visage devint grave :

  • Et j’ai appris la destruction du Quartier Umbrella il y a une semaine. Tout Lutécia… non, tout Paris était en ébullition. Beaucoup se demandaient si les Nocturii n’avait pas finalement décidé d’envahir la Surface. Et maintenant un nombre impressionnant de mercenaires a débarqué en ville. Ils prennent garde de respecter les lois, mais leur présence ici rend les gens nerveux. Avec tout ce qui se passe en ce moment, la région entière est sous tension. Les exorcistes de la Colonie Neuf…

Triss faillit s’étouffer avec son thé. Elle reposa la tasse tout en sentant les battements de son cœur s’accélérer.

  • Il y a une colonie d’exorcistes, ici ?! S’exclama-t-elle entre deux quintes de toux. Vous voulez dire un avant-poste ?
  • Bien sûr, c’est aussi une école pour les jeunes anges déchus qui apprennent à combattre et à manipuler la magie. Mais je t’assure qu’ils n’ont rien à envier aux véritables soldats. Ils sont formés spécialement pour traquer et éliminer les monstres dangereux pour la paix.
  • Alors cette ville, Lutécia… Elle est sous le contrôle des exorcistes ?
  • Non, répondit Amalia. Lutécia appartient aux démons, même si de nombreuses familles d’anges et d’exorcistes y vivent. Cet endroit est une sorte de carrefour entre le monde des humains et le monde magique, et c’est surtout l’un des principaux accès à l’Enfer. Lutécia accepte facilement d’autres peuples, du moment qu’ils respectent ses lois. Beaucoup de gens appartenant au monde surnaturel préfèrent vivre ici plutôt qu’en haut parmi les humains. Cela leur évite d’avoir à se cacher perpétuellement et ils peuvent être eux-mêmes. Si tu regardes dans les rues, tu verras qu’il y a de nombreuses races magiques qui cohabitent ici.

Triss hocha de nouveau la tête. Cela l’avait en effet surprise quand elle avait regardé par la fenêtre. La diversité semblait en effet bien plus importante qu’au Quartier Umbrella, où il n’y avait pratiquement que des vampires et des humains, bien que son oncle accueillît également toutes les races magiques. Mais ce n’était pas une intersection entre les mondes comme pouvaient l’être Paris et Lutécia. Se retrouver entre les Enfers et la Surface avait dû largement contribuer à sa croissance. Cependant, il restait un point qu’elle ne comprenait toujours pas.

  • Vous voulez dire que les exorcistes et les démons se partagent Paris ? voulut-elle s’assurer, un peu incrédule.

Amalia haussa les sourcils :

  • Tu ne le savais pas ? Paris est une ville particulière. Elle est divisée en trois parties : le sud est aux exorcistes de la Colonie Neuf commandés par Lady Viviane. Au nord de la Seine qui délimite leur territoire, les démons dirigent l’ouest de Paris, sous lequel a été bâti Lutécia, tandis que les anges occupent l’Est depuis la cathédrale Notre-Dame. Ils sont commandés respectivement par le Maire Thénardier et le Révérend Maxwell.

Triss se souvint alors qu’une fois son professeur de géographie avait parlé de la situation politique compliquée de Paris, mais celui-ci n’était pas entré dans les détails... Cependant, c’était la première fois qu’elle entendait parler d’une ville divisée entre les trois factions, ce qui était tout de même assez stupéfiant à ses yeux. Même si elles étaient officiellement en paix, les factions angéliques, démoniaques et exorcistes gardaient toujours des rancunes et des préjugés datant de l’Aube Ecarlate, ce qui suscitait des relations tendues que des siècles de paix n’avaient jamais adoucies. Certains efforts comme l’adoption d’une monnaie unique avaient été menés pour rapprocher les trois peuples, mais cela n’avait pas suffi à combler le profond fossé les séparant. Aujourd’hui, chaque faction évitait surtout de provoquer les deux autres. Cet équilibre était précaire, mais au moins la paix tenait.

Amalia émit un petit rire discret :

  • Je vois que tu as du mal à y croire, Triss. C’est vrai qu’en théorie, une telle cohabitation aurait toutes les chances de finir en bain de sang. L’histoire de Paris est loin d’être rose. Et pourtant, malgré la haine millénaire que nous nous vouons, nos différences, nos rancunes… Paris est restée debout. Et cela dure depuis des siècles. Je ne dis pas que le ciel est toujours bleu au-dessus de la Ville Lumière, mais pour l’instant aucune tempête ne l’a jamais terrassée. Et il n’y pas un seul ennemi en ce monde qui ne réfléchirait pas à deux fois avant de l’attaquer...

Amalia parut se retrouver plongée dans ses souvenirs, comme si cette évocation lui avait remémoré une partie de son passé. Puis elle frissonna légèrement et reporta à nouveau son attention sur Triss.

  • Excuse-moi, je me suis perdue dans mes propres pensées. Cela arrive avec l’âge. Tu voulais parler de Sheamon, n’est-ce pas ?

Triss hocha la tête.

  • Il a été banni des exorcistes, non ? continua-t-elle avec une inquiétude palpable. Alors s’il va près de la Colonie Neuf…

La directrice lui adressa un léger sourire :

  • Tu t’inquiètes pour lui ?
  • C’est mon protecteur, se justifia Triss.

Le sourire d’Amalia s’accentua et Triss se mordit la lèvre. Elle avait l’impression que la directrice du Primera s’amusait beaucoup. Cette dernière lui répondit cependant sur un ton plus sérieux.

  • Sheamon risque de se faire exécuter, c’est vrai. Mais ne t’inquiète pas, il est malin et en dernier recours, il saura se défendre. Je doute cependant qu’il prenne le risque d’aller chez les exorcistes. Il sait que Lady Viviane ressentira aussitôt sa présence dès qu’il posera le pied sur son territoire et même lui préfère éviter de l’affronter.

Triss haussa les sourcils. Jusqu’à présent, la personne la plus puissante qu’elle avait rencontrée, c’était Sheamon lui-même. Entendre parler de quelqu’un qui inquiétait même son puissant protecteur n’était donc pas particulièrement rassurant...

  • Cette Lady Viviane est aussi puissante que cela ?

Amalia tira une bouffée de son curieux instrument avant de lui répondre :

  • J’oubliais, tu ne connais pas beaucoup de choses concernant les exorcistes, n’est-ce pas ? J’imagine que pour vous autres, vampires, nous sommes des ennemis naturels. Lady Viviane est la directrice de la Colonie Neuf. Elle était l’un des premiers anges déchus bannis par Dieu et a également participé à l’Aube Ecarlate aux côtés d’Azaël. Dans la hiérarchie des exorcistes, Lady Viviane fait partie du sommet, juste en dessous d’Azaël bien sûr et de Shinru, qui est son bras droit ainsi que le directeur de la Colonie Six en Amérique. C’est d'ailleurs là-bas que j’ai fait mes études et que j’ai rencontré Sheamon. C’était il y a un peu moins de cent-quarante ans, et le monde était tout de même bien différent, je dois dire… Mais je m’en voudrais de te faire perdre ton temps avec les souvenirs d’une vieille dame.

Triss sauta sur l’occasion. C’était pour elle une chance unique d’en apprendre davantage sur son protecteur, qu’elle n’avait rencontré que récemment et avec qui elle avait pourtant frôlé la mort plus de trois fois (ce qui en quatorze ans d’existence, laissait peu d’espoir quant à son espérance de vie). Depuis qu’elle avait appris de Meira quel avait été le crime qui lui avait valu le bannissement, la jeune fille voulait en apprendre plus sur son protecteur. Bien sûr, elle savait que c’était impoli de fouiller dans le passé de quelqu’un mais, après tout, Sheamon était lié à elle par contrat. Elle se devait de connaitre son associé pour lui accorder sa confiance…

  • Sheamon n’est pas encore rentré, non ? l’encouragea-t-elle d’une voix timide. Alors, j’ai tout mon temps…

La directrice du Primera esquissa un sourire. Elle ferma les yeux quelques instants avant de commencer son récit :

A suivre...

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