Chapitre 11 : La lettre, Partie 2

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Sheamon ressortit quelques minutes plus tard du grand bâtiment sombre puis se mêla à la foule. Il devait faire le tour du marché pour récolter les ingrédients nécessaires à l’élaboration du sérum anesthésiant dont il enduirait ses carreaux d’arbalètes pour l’opération. Il se refusait à tuer de simples miliciens qui n’auraient pas eu d’autre tort que de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Surtout, laisser des cadavres derrière soi lors d’une mission d’infiltration était généralement une très mauvaise idée... Cette sortie ne servirait toutefois pas qu’à refaire son stock. Ce serait également un excellent moyen d’en apprendre davantage sur la situation actuelle du monde en écoutant les conversations dans la ville.

Il se sentit soudain épié. Son sixième sens l’alerta d’une étrange présence dissimulée dans la foule, à une trentaine de mètres derrière lui. Elle ne paraissait pas véritablement hostile, mais Sheamon sentait que son attention était fixée sur lui. Son aura semblait être celle d’un démon… Brusquement, l’exorciste se retourna, balayant la rue d’un rapide coup d’œil qui se voulait volontairement incomplet, pour que son poursuivant ne se doutât pas qu’il l’avait repéré.

L’un des passants, un homme dissimulé dans un grand manteau noir, se cacha aussitôt derrière un bâtiment. Sheamon retint un sourire triomphant. Au lieu de cela, il fronça les sourcils et secoua la tête, comme si ce qu’il avait cru ressentir n’était rien d’autre que le fruit de son imagination. Puis il reprit sa marche d’un pas tranquille. Il sentit que l’aura menaçante continuait de le suivre en gardant ses distances. De toute évidence, le démon n’avait nullement l’intention de l’attaquer. On lui avait simplement ordonné de prendre l’ange déchu en filature.

Cela ne pouvait être que l’œuvre de Dorkos. Ce dernier n’avait pas attendu longtemps pour tenter de piéger Sheamon… Il essayait de connaitre la cachette du renégat, sans doute pour tenter de savoir où se trouvait le millions d’inferis restant afin de le dérober, avant de livrer Sheamon au plus offrant. Ce dernier obliqua soudain dans une ruelle à droite, pressant le pas pour s’enfoncer davantage dans les passages étroits et déserts. Le démon le suivait toujours, accélérant quelque peu pour ne pas perdre sa cible de vue.

Parfait.

Après avoir tourné une dernière fois au coin d’une ruelle, Sheamon s’adossa contre le mur, attendant en silence. Il entendit soudain résonner les pas précipités du démon qui essayait de ne pas perdre sa trace. Dès que celui-ci fut à sa portée, Sheamon l’attrapa avant de plaquer sa main contre sa poitrine.

« Division » ordonna-t-il mentalement.

Sa paume laissa échapper un flash de lumière blanche, tandis que l’énergie vitale du démon était drainée hors de son corps en quelques instants. Dès que l’exorciste retira sa main, son poursuivant s’écroula, assommé. Il mettrait probablement quelques heures à récupérer. Néanmoins, Dorkos comprendrait le message.

Libéré de cet espion imprévu, Sheamon se dirigea vers le marché de Lutécia. C’était l’heure de pointe pour les marchands, le centre-ville était donc noir de monde. Les carrioles peinaient à avancer et étaient parfois forcées de rebrousser chemin sous l’injonction des miliciens chargés de réglementer la circulation. L’exorciste passa plus de trois heures à se déplacer d’échoppe en échoppe, achetant et négociant les ingrédients aux prix les plus élevés. Même s’il dut fouiller une grande partie des étalages, Sheamon réussit tout de même à rassembler tout ce dont il avait besoin. Il se trouvait à Lutécia et rares étaient les choses qu’on ne pouvait trouver au marché mondialement connu de cette ville démoniaque.

De nombreux groupes de mercenaires arpentaient la ville, scrutant tous les passants d’un air belliqueux. Ils cherchaient probablement tous l’homme qui valait un million. Sheamon baissait la tête et rasait les murs quand il ne pouvait les éviter en passant par d’autres rues. Même s’il était déguisé, il ne tenait pas à attirer leur attention. L’ange déchu sentait que les passants jetaient des coups d’œil nerveux aux mercenaires. Les miliciens eux-mêmes les toisaient avec méfiance, leur jetant un regard méprisant que les mercenaires leur rendaient aussitôt. La ville était sous tension… Pour l’instant, les deux groupes se toléraient. Mais il suffirait d’une seule étincelle pour mettre le feu aux poudres.

Après avoir réuni ce qui lui était nécessaire. Sheamon entra dans la taverne la plus proche. L’endroit était tellement bondé que les serveuses devaient circuler avec précaution en portant leurs commandes au-dessus de leur tête. Il se faufila jusqu’au bar et parvint tout de même à trouver une place. Le barman, un homme imposant aux bras couverts de tatouages se tourna vers lui :

  • Qu’est-ce que vous prenez ? demanda-t-il d’un ton bourru.
  • Une vodklass, répondit Sheamon.

Le barman saisit une bouteille sous son comptoir, remplit le verre qu’il tenait d’un liquide bleu dégageant une brume glaciale et le fit glisser jusqu’à Sheamon, qui posa sur le comptoir les trois inferis de bronze demandés.

Le renégat s’empara de son verre et fit mine de le boire lentement, comme s’il était complètement déconnecté du monde extérieur. En réalité, il tendait l’oreille pour écouter chaque conversation susceptible d’être intéressante.

Et l’une d’entre elles ne tarda pas à attirer son attention.

  • … Augmente encore les taxes sur la laine de bélier triple-cornes ! déclarait une voix masculine exaspérée. Il profite du fait que la gare et les portes sont sous son contrôle pour faire la pluie et le beau temps à Lutécia !
  • Comment va-t-on pouvoir vivre, je te le demande ? renchérit un autre homme. C’est sûrement la faute de sa nouvelle secrétaire… Depuis qu’elle est arrivée, il y a eu dix décrets renforçant les pouvoirs de la milice. Je me suis fait prendre trois fois à leur contrôle de sécurité préventif ! Et tout ça pour rien !
  • Probablement pour capturer ce Sheamon Wave dont tout le monde parle… déclara un troisième. C’est à cause de lui que Lutécia est envahie par les mercenaires et que la milice est sur les nerfs… Ils sont persuadés que ce type se planque ici en essayant d’atteindre les Enfers.
  • Tout le monde veut la prime, tu veux dire ! rétorqua le premier homme en ricanant. Un million d’inferis ! Tu imagines ce qu’on pourrait se payer avec une somme pareille ? Si Wave était devant moi, je l’aurais…
  • Tu l’aurais rien du tout, imbécile ! rétorqua son compagnon. S’il y a une somme pareille sur sa tête, c’est parce qu’il est dangereux ! Je préfère faire une croix sur la richesse et rester en vie, moi ! Laisse donc les autres risquer la leur pour l’attraper.
  • De toute manière s’il est vraiment à Lutécia, il ne tardera pas à se faire coincer. Personne ne peut réussir à échapper à autant de poursuivants. Ils le feront payer pour les crimes qu’il a commis et on pourra enfin respirer un peu !
  • J’espère… La tension qui règne en ville est très mauvaise pour le commerce. Les mercenaires et les miliciens ont failli se battre entre eux la nuit dernière, vous le saviez ? Des fugitifs ont tenté de franchir en douce l’entrée des Enfers.
  • Ouais j’ai entendu la rumeur…
  • Moi j’étais présent ! Je livrais une cargaison de rhum dans une taverne près des Portes quand l’émeute a éclaté. Des mercenaires qui rôdaient autour ont été alertés et ont exigé de voir qui les miliciens avaient arrêté. Ça allait tourner en bain de sang mais, heureusement, le chef de la milice est arrivé en renfort. Les mercenaires se sont rapidement dispersés, mais c’était à la limite de dégénérer !
  • C’est devenu courant entre mercenaires et miliciens, Otto, répondit le second à avoir pris la parole. Ils se surveillent attentivement pour être sûrs que les autres ne mettent pas la main sur Wave.
  • Ouais, mais ce n’était pas le plus étrange, Bart. Quand ils ont fait monter les quatre prisonniers dans la charrette milicienne, j’ai eu le temps de voir leurs têtes à la lueur des torches et des lampadaires de la rue. C’étaient des vampires, des gamins peut-être, mais de véritables vampires, je vous jure… Ils ont été prestement emmenés, et sous bonne garde, en plus ! Croyez-le ou non, mais c’est le capitaine de la milice lui-même qui les escortait avec ses hommes ! Il y avait au moins une centaine de soldats rien que pour quatre fugitifs... C’est louche, non ?

Le dénommé Otto se tut quelques instants, probablement le temps d’avaler le contenu de son verre.

  • Et il n’y a eu aucune annonce concernant leur capture, continua-t-il. Comme si le maire ne voulait pas que les habitants soient au courant. Dans ce cas, il a raté son coup ! Ces rumeurs sont déjà connues de tout le monde. Certains disent que ce seraient des rescapés du massacre d’Umbrella…

A ces mots, Sheamon faillit se retourner. Des survivants du massacre ? L’exorciste avait du mal à croire que le nosferatu eût laissé certaines de ses proies glisser entre ses griffes…

  • C’est peut-être pour ça qu’ils sont si bien gardés. Ce sont probablement les seuls témoins de la catastrophe.
  • Et quelle importance, que ce soient des témoins ?! rétorqua le premier avec agressivité. C’est Wave qui a fait le coup, non ?
  • On n’en sait strictement rien, lui répondit Bart. Ce n’est pas parce que le maire le dit que c’est forcément vrai ! Il est peut-être innocent, ce pauvre type.
  • Ha ! Un type avec une prime pareille n’est pas innocent ! marmonna le premier. Mais le traquer juste pour avoir grillé quelques suceurs de sangs… Je l’aurais félicité, moi ! Fichus vampires… Pourvu que le maire les laisse pourrir en prison pour l’éternité ! Cette race de monstres n’aurait jamais dû voir le jour !
  • Tiens ta langue, Claudwel ! l’apostropha Otto en remarquant que la voix forte de son compagnon attirait sur eux les regards intrigués des autres clients.

Sheamon avala le reste de son verre et quitta la table d’un pas rapide. En passant devant ceux dont il avait espionné la conversation, Il claqua des doigts. La chaise sur laquelle était assis le dénommé Claudwel se trouva aussitôt réduite à une taille de figurine, provoquant la chute de son hôte, dont le verre se renversa sur son visage. Il tenta de se remettre debout en toussant et crachotant sous les rires de la foule. Ses amis se précipitèrent pour l’aider à se relever, sans se douter qu’ils étaient passés à quelques centimètres de l’homme le plus recherché de Lutécia…

Sheamon franchit la porte d’un pas rapide. Normalement, il aurait haussé les épaules et passé son chemin, sans plus se préoccuper de l’opinion d’un ignorant. Mais malgré lui, les élucubrations de ce Claudwel l’avaient agacé, énervé plutôt… L’image de Triss s’était formée dans son esprit et la fureur l’avait embrasé. S’il était resté quelques instants de plus, son poing aurait fait sauté les dents de ce sale type.

Pourquoi avait-il réagi aussi violemment ? Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes… Triss n’était rien pour lui, simplement un moyen de se rapprocher de sa vengeance. Mais même ce mantra qu’il se répétait depuis quelques jours sonnait de plus en plus creux… Le mercenaire savait pourtant mieux que quiconque que s’attacher à quelqu’un, c’était souffrir au moment de sa disparition.

« Non », pensa-t-il résolument en chassant ses doutes. Il ne s’était pas attaché à la gamine. Sheamon se préoccupait simplement d’elle parce qu’elle devait arriver entière au refuge de Varenn. Assurer sa sécurité faisait simplement partie de son travail.

Une autre question surgit dans son esprit. Devait-il mettre Triss au courant de cette rumeur sur de possibles survivants ? Si cette histoire se révélait fausse, Sheamon lui aurait donné de faux espoirs. Mais s’il s’agissait de véritables survivants du Quartier Umbrella… Ce serait presque encore pire.

L’instinct de Sheamon lui soufflait de se méfier. Il se rappela ce qu’il avait déclaré à Triss sur la sécurité du Quartier Umbrella lors de leur première rencontre : qu’un espion était certainement parvenu à s’introduire au sein du refuge pour annihiler toutes les défenses magiques et ainsi permettre aux serviteurs des Nocturii d’entrer.

Or si cette rumeur était un piège, l’espion se cachait forcément parmi les survivants, attendant que Triss se montre pour essayer de les sauver. Forlwey s’était probablement renseigné sur la jeune fille et connaissait son caractère. S’il avait voulu attirer la princesse rebelle dans un piège, il ne s’y serait pas pris autrement.

Sheamon ne croyait pas au hasard, du moins plus depuis que sa propre famille avait été assassinée. Il ne tomberait pas dans le piège du nosferatu. Mais Triss voudrait les sauver. Elle refuserait d’entendre raison. Sheamon imagina un instant libérer les quatre vampires prisonniers. Cependant, outre les difficultés supplémentaires que de nouveaux passagers impliqueraient, l’agent potentiellement caché parmi eux sauterait sur la première occasion pour s’emparer de Triss ou révéler leur position à leurs poursuivants. Le renégat ne pouvaient pas prendre un tel risque.

Il était presque six heures quand Sheamon rentra au Primera. Il croisa Mérissa, qui lui apprit que Triss venait de remonter dans sa chambre. Une vingtaine de minutes plus tard, Sheamon frappait à la porte de la jeune fille.

  • Gamine, tu es réveillée ? demanda-t-il.

N’entendant pas de réponse, il sonda la pièce avec ses sens magiques. L’exorciste capta la présence de la jeune fille à l’intérieur de la chambre, mais elle paraissait immobile. Sheamon enfonça aussitôt la porte d’un coup de pied et se précipita à l’intérieur…

…Pour se retrouver face à un verre vide lancé droit sur son visage. Son corps réagit instinctivement, et il intercepta le projectile juste avant d’être atteint. Il fixa Triss avec colère.

  • Pourquoi ? grommela-t-il, furieux.

La jeune fille était assise sur le sol en tailleur, adoptant la posture de méditation qu’il lui avait enseignée. Quand elle ouvrit ses yeux, ce fut avec agacement qu’elle avisa Sheamon.

  • Pour le mot de ce matin ! répliqua-t-elle avec véhémence. Et aussi parce que je ne peux pas essayer de méditer deux secondes dans ce casino sans que quelqu’un vienne aussitôt me perturber !

Sheamon comprit qu’elle travaillait ardemment dans l’espoir d’ouvrir suffisamment son esprit pour développer son sixième sens. Un sourire narquois étira ses lèvres tandis qu’il retirait son collier magique, recouvrant ainsi une apparence normale.

  • Ce n’est pas en six jours que tu vas t’améliorer, gamine, déclara-t-il avec une ironie à peine dissimulée. Pas suffisament pour me vaincre en tout cas.

Il s’attendait à ce que Triss pousse un cri de rage, soulève le bureau pour le lui lancer dessus. Mais contre toute attente, Triss sourit à son tour et resta parfaitement calme en se relevant.

  • Qui sait ? dit-elle.

Sheamon haussa les sourcils. Elle lui cachait quelque chose, c’était évident. Aurait-elle trouvé un moyen de l’atteindre ? Avait-elle déjà réussi à maitriser la prescience ?

Non, c’était strictement impossible. Même quelqu’un avec un aussi grand potentiel que le sien, Triss ne pouvait tout simplement pas acquérir en moins d’une semaine la discipline et la concentration que seul un travail acharné permettait d’obtenir. Alors pour quelle raison celle-ci affichait-elle une telle confiance ?

La jeune fille se tourna vers la fenêtre, le regard perdu au loin.

  • Alors, comment s’est passée la rencontre avec Dorkos ? demanda-t-elle brusquement.

Sheamon resta impassible.

  • Plutôt bien, répondit-il, prudemment. Amalia n’avait pas menti, l’avidité du Tisserand est sans bornes. Mais il nous aidera. Il n’a pas hésité à trahir le maire dès que ses yeux ont vu l’or. Les hommes de Dorkos s’occuperont de détourner l’attention de Lady Viviane et du Révérend Maxwell. Cependant nous devrons rester prudents. Dorkos sait peu de choses, mais il va tenter de nous rouler, j’en suis certain.

Triss enregistra ces informations en hochant la tête.

  • Des nouvelles de la ville ? l’interrogea-t-elle à nouveau.

L’ange déchu se figea, mais Triss qui lui tournait le dos ne remarqua pas sa crispation.

  • Rien de particulier, mentit le mercenaire. Les habitants sont toujours sous tension à cause du nombre croissant de chasseurs de primes.

Il fit taire les reproches que sa conscience lui adressait. Mieux valait lui taire la rumeur qu’il avait entendu. Quoi qu’il arrivât, aider ces fameux prisonniers était beaucoup trop dangereux. Cela risquait de compromettre leur plan. Mais si Triss l’apprenait, elle foncerait tête baissée… Sheamon ne pouvait pas le permettre.

Quelqu’un frappa de nouveau à la porte.

  • Entrez, déclara Triss machinalement avec un air résignée.

La porte s’ouvrit sur Amalia et Ryku, qui se dirigea vers son maître d’un pas princier. Sheamon se baissa et lui caressa la tête ; le félin ronronna aussitôt de plaisir.

  • Je sors d’une discussion mouvementée avec la nouvelle secrétaire du maire ! annonça Amalia en serrant les dents. C’est à croire que cette prétentieuse veut étrangler Lutécia ! Elle m’a annoncé vouloir imposer une taxe spéciale sur les entreprises produisant des boissons !
  • Ça te met en danger ? l’interrogea Sheamon en haussant les sourcils.
  • Non, je peux m’en acquitter sans problème. Ce serait même à mon bénéfice personnel, plutôt. Beaucoup d’entreprises risquent d’avoir du mal à payer, surtout en cette période compliquée pour l’export de marchandises. Certains de mes concurrents survivent presque uniquement grâce à cela. Une partie d’entre eux sera contrainte, soit de fermer boutique, soit de réduire leurs effectifs, ce qui forcément avantagera les gros producteurs comme moi. Mais combien d’employés vont se retrouver à la rue à cause de cette nouvelle taxe ?

Amalia croisa les bras avec mauvaise humeur.

  • Je me demande pourquoi le maire est si agressif ces temps-ci, lui qui essaye toujours de se donner belle figure en public… Il profite de l’état d’urgence pour faire passer ses réformes à tout va en se passant de l’accord du peuple ! C’est à croire qu’il veut devenir gouverneur à vie comme aux temps d’avant la Révolution…

Elle soupira, puis avisa Sheamon :

  • -Comment s’est passée ta rencontre avec Dorkos ? lui demanda-t-elle à son tour.

Sheamon lui raconta alors en détails le marché conclut avec Dorkos, puis l’altercation avec son poursuivant chargé de le suivre discrètement. Amalia adopta aussitôt un petit air supérieur.

  • Je t’avais bien dit que Dorkos serait difficile à acheter ! lui lança-t-elle. Qu’aurais-tu fait si tu ne m’avais pas écouté ?
  • Je sais… Je t’en dois une, Amalia.
  • Dans ce cas j’imagine que tu feras un effort pour remettre de temps en temps cette magnifique tenue de soirée que je t’ai achetée ?

Sheamon émit un grognement imperceptible.

  • Ce qui m’inquiète, éluda-t-il. C’est que Dorkos a deviné sans difficultés que je comptais m’introduire dans la forteresse. Ne pourrait-il pas prévenir le maire ?
  • Je ne le pense pas, répondit Amalia en redevenant sérieuse. Sa cupidité est son pire défaut. Il voudra absolument toucher le reste de la récompense et il n’aura aucun moyen de l’avoir si tu es arrêté par la milice. Ce serait alors Thénardier qui s’emparerait du million d’inferis restant. Pire, s’il apprend que Dorkos a reçu une partie de la récompense en avance, il pourrait exiger que le Tisserand la lui remette. Niveau cupidité et manipulation, le maire n’a rien à lui envier. Dorkos a donc tout intérêt à ce que le maire ignore nos plans. En plus, Thénardier l’a récemment vexé, donc il ne va pas se précipiter pour lui lécher les bottes.
  • En revanche, il pourrait très bien essayer de te tendre un piège pour te livrer à Forlwey une fois que tu lui auras remis le reste de l’argent, intervint Triss.
  • Le connaissant, il y pense déjà, acquiesça Amalia. Néanmoins sans Dorkos, nous ne pourrons pas éloigner Lady Viviane et Maxwell de Lutécia. Autant dire que notre plan tomberait immédiatement à l’eau…
  • Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer comme prévu, confirma Sheamon. Il nous suffira de ne pas baisser notre garde et Dorkos ne pourra pas contrecarrer nos plans.
  • Et concernant ce fameux prisonnier, que vas-tu faire ? Dorkos saurait très vite que tu ne l’as pas tué...
  • Que pourrait-il oser de plus que tenter de nous trahir ? Je n’ai pas l’intention de lui faciliter la tâche ou de le revoir. Le million d’inferis qu’il a déjà empoché est tout ce qu’il aura. Il ne pourra pas remonter ma piste et même s’il y parvient, je l’écraserai. De toute manière, Triss et moi serons déjà loin quand il s’en rendra compte.

Le renégat fit un signe de tête à Triss.

  • Gamine, Je n’ai pas encore eu l’occasion de tester tes progrès. Il est temps de voir si tu réussiras enfin à m’atteindre.

Le regard de Triss s’enflamma et elle esquissa un sourire de défi.

  • -C’est quand tu veux, Sheamon ! répliqua-t-elle alors qu’Amalia soupirait avec découragement. Ne traine pas !

Elle sortit comme une furie dans le couloir, impatiente de se mesurer à lui. L’exorciste croisa le regard amusé d’Amalia.

  • Quoi ? s’enquit-il.
  • Tu as l’air de t’attacher à cette fille, non ? lui dit-elle avec un sourire nostalgique.

Sheamon se referma aussitôt.

  • Pas le moins du monde, rétorqua-t-il en se dirigeant vers la porte. Je lui apprends juste à se défendre pour qu’elle ne soit pas une proie facile. Ce n’est rien de plus qu’une partie de mon travail.
  • Je te connais, Sheamon. Tu ne réagis ainsi que lorsque tu es personnellement impliqué. Tu te préoccupes d’elle, je le vois bien. C’est peut-être un signe du destin, non ?

Sheamon secoua la tête.

  • Cela fait bien longtemps que je ne crois plus au destin, ironisa-t-il avec un rire amer.

Il allait poser la main sur la poignée de la porte quand la voix d’Amalia le fit tressaillir.

  • Tu ne trouves pas qu’elle lui ressemble ? Et la façon dont tu réagis avec elle… Cela me rappelle Elly…

Sheamon maîtrisa ses tremblements de son mieux. Amalia lui aurait fait moins mal en lui plantant une dague dans le cœur.

  • Ce n’est… Elle n’a pas…
  • C’est normal que tu te comportes ainsi avec Triss. Vous vous ressemblez après tout. Elle a tout perdu, elle aussi.

En un éclair, il revit le manoir en ruines, ses serviteurs baignant dans une mare de sang… Et surtout sa fille, crucifiée aux côtés de Layla… les battements de son cœur s’accélérèrent, tandis que son esprit était submergé par une violente tempête d’émotions complexes. Rage, désespoir, culpabilité, horreur. Haine…

Des bras fins lui enserrèrent la taille, tandis qu’Amalia se serrait contre lui. Il reçut cette vague de tendresse en fermant les yeux. Petit à petit, ses souvenirs cauchemardesques se retrouvèrent relégués au confins de son esprit.

  • Tu as tant souffert, Sheamon, lui murmura Amalia d’une voix douce. Tu as dû porter tellement de poids sur tes épaules… Ne crois-tu pas qu’il serait temps de faire la paix avec toi-même ? Layla et Elly ne voudraient pas te voir comme ça.

Le renégat resta figé pendant quelques minutes. Oui… Sa femme et sa fille n’auraient jamais voulu qu’il risquât sa vie à traquer un monstre sanguinaire dans le seul but d’apaiser sa peine. Elles auraient voulu qu’il tournât la page pour passer à autre chose. Mais Sheamon savait que c’était impossible. Ces images le hanteraient à jamais. Accomplir sa vengeance ne diminuerait certainement pas sa tristesse et surtout la culpabilité qu’il éprouvait de ne pas avoir été là pour les protéger lors de cette nuit tragique. Il le savait mieux que personne. Et pourtant…

Sheamon se dégagea doucement de l’étreinte d’Amalia.

  • Je ne peux pas oublier, murmura-t-il avec fatalité. Je n’en ai pas le droit. Il n’y aura rien de possible pour moi tant que je n’aurai pas accompli ma vengeance. Ma haine pour lui et l’envie de le voir mourir submergé par la souffrance, les yeux remplis d’horreur quand il comprendra qui est responsable de sa chute… C’est tout ce qui me reste. Je veux qu’il regrette du plus profond de son âme ce qu’il a fait cette nuit-là. Et ça, je dois le voir de mes propres yeux, Amalia. C’est le seul futur que j’ai...

Il se détourna de son amie qui lui souriait tristement sans chercher à le retenir, et sortit de la pièce pour rejoindre Triss, s’efforçant de son mieux de rester impassible.

A suivre...

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