Chapitre 12 : Infiltration, Partie 2

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Le carrosse stationnait dans la cour arrière du bâtiment donnant sur une rue pratiquement déserte. Cette issue avait probablement été aménagée pour éviter de se retrouver coincés par la foule toujours massée devant le Primera.

Le véhicule était splendide. C’était une magnifique voiture à quatre roues, étincelant de richesse et d’élégance. Deux raptors noirs était attelés à l’avant, maitrisés par un cocher arborant lui aussi une tenue aux couleurs du Primera. Ce cortège aurait facilement pu passer pour celui d’un prince ou d’un roi. Triss n’était pas vraiment surprise, cependant. C’était en effet le carrosse de la femme la plus riche de Lutécia.

Sheamon et Amalia descendirent peu après, escortés par Noémy, ce qui permit à Triss de faire également ses adieux à cette dernière. Elle alla ensuite serrer une dernière fois dans ses bras Mérissa, qui semblait sur le point de pleurer.

Amalia entra dans le carrosse et Triss s’apprêtait à faire de même quand la main de Sheamon l’arrêta.

  • Nous sommes des serviteurs, gamine, lui rappela-t-il. N’agit pas aussi familièrement avec Amalia ou nous serons facilement repérés. Notre place est à l’arrière.

Triss hocha la tête. Sheamon avait raison. Si elle commençait à paraitre suspecte, l’opération entière tomberait à l’eau. Elle s’installa donc à l’arrière en compagnie du renégat. Sur un signal de Sheamon, le cocher cria un ordre aux raptors qui se mirent en mouvement. Deux employés se chargèrent d’ouvrir le grand portail de fer et le carrosse s’engouffra dans la ruelle. Triss fit un dernier signe de main à Mérissa et Noémy qui lui répondirent. Puis la voiture tourna à l’angle de la rue et elles disparurent.

La jeune fille sentit la tristesse l’envahir tandis qu’elle regardait le Primera s’éloigner de plus en plus. Elle secoua la tête pour se débarrasser de ses idées noires. Elle devait rester concentrée sur la mission. Son sort en dépendait.

Ils se retrouvèrent bientôt sur un axe principal où les passants se bousculaient. Le cocher dut crier pour se frayer un passage parmi les piétons peu désireux de s’écarter. Triss remarqua que ces derniers montraient le carrosse du doigt avec admiration, certains enlevant même leur chapeau pour saluer le cortège.

  • Amalia est plutôt populaire, remarqua Triss.
  • Je te l’ai dit, elle a un grand poids politique, répondit Sheamon. La plupart des familles de Lutécia ont au moins un des leurs qui travaille pour elle. Amalia paye très bien ses employés, en plus de leur offrir une protection sociale. Ce n’est pas étonnant qu’elle soit respectée.

Triss savait personnellement combien Amalia était généreuse. La directrice du Primera méritait largement ces acclamations.

Il ne leur fallut pas moins d’une demi-heure pour atteindre la forteresse de Lutécia, dont les tours et les remparts étaient bondés de miliciens surveillant les alentours. Même un rat n’aurait pu se glisser à l’intérieur du château sans être repéré. Déjà, une longue file de carrosses s’étirait devant l’entrée, règlementée par une nuée de miliciens. Grâce à sa vision d’aigle, la jeune fille observa que les passagers comme leurs véhicules étaient minutieusement fouillés avant d’être autorisés à pénétrer dans le château, dont une barrière d’énergie écarlate interdisait l’entrée. Chaque fois qu’un passant franchissait les portes, un milicien de l’autre côté appuyait sur un eyra (une sorte de cristal coloré auquel on avait apposé un enchantement afin de l’imprégner de magie, comme l’absordium de Sheamon) pour abaisser la barrière.

Triss se souvient brusquement de ses cours de géomagie. Le cristal était un réceptacle naturel d’énergie qu’il captait autour de lui. Ainsi, les cristaux les plus purs et les plus grands étaient capables d’absorber des quantités astronomiques d’énergie. Les magiciens avaient rapidement appris à utiliser cette incroyable source de pouvoir naturelle qui s’auto générait naturellement afin de faire fonctionner leurs vaisseaux et leurs divers appareils. Les mortels utilisaient l’électricité, le pétrole, le nucléaire… Tandis que les races magiques recouraient aux eyras. Son professeur lui avait expliqué que la prochaine étape dans l’évolution humaine passerait précisément par la découverte de l’énergie des eyras, pure, autosuffisante et infiniment plus efficace que leurs sources primitives. Mais, avait-il ajouté avec un air sombre, le jour de cette découverte serait probablement aussi celui de la prise de conscience par l’humanité du monde magique qui coexistait en secret avec eux depuis des millénaires. Or les conséquences d’une telle découverte pourraient s’avérer catastrophiques…

La jeune fille secoua la tête pour empêcher son esprit de vagabonder. L’heure n’était pas à se rappeler ses anciennes leçons ! Il lui fallait rester concentrée.

Triss sentit l’appréhension la gagner, bien qu’elle sût depuis le début ce qu’ils auraient à affronter. Dast, par son ami dans la forteresse, avait pu obtenir une liste détaillée des moyens déployés par la milice pour assurer la sécurité de la forteresse pendant la fête. Le premier obstacle serait cette barrière magique et les gardes. Mais s’ils s’en tenaient au plan, tout devait bien se passer.

Normalement.

Leur tour arriva une vingtaine de minutes plus tard, trop vite au goût de Triss. Six gardes armés jusqu’aux dents les entourèrent. Leur capitaine (reconnaissable immédiatement grâce à sa cape écarlate et son casque à cimier) ordonna aux passagers de descendre et de s’aligner devant lui. Il leur lança un regard méprisant, comme s’il s’adressait à des insectes. Mais il s’inclina avec déférence quand les yeux d’Amalia se posèrent sur lui.

  • Madame, si vous voulez bien vous donner la peine de mettre pied à terre, demanda-t-il à celle-ci d’un ton obséquieux à travers la fenêtre du carrosse. Si cela ne tenait qu’à moi, vous seriez déjà à l’intérieur… Hélas, le maire a ordonné une inspection méticuleuse de chaque invité…

Triss le détesta immédiatement. Il n’ignorait sûrement pas l’identité d’Amalia et ne la traitait obséquieusement que dans l’espoir de se faire bien voir mais, de toute évidence, il méprisait tous ceux qu’il considérait comme inférieurs.

  • On n’y peut rien, déclara Amalia avec un gracieux signe de la main. Vous accomplissez simplement votre devoir, officier. Toutefois, je crains que ma robe ne me permette pas de dissimuler une quelconque arme sur moi…

Ce dernier s’empressa alors d’offrir son aide à la maîtresse du Primera pour descendre les marches de son carrosse. Il fit ensuite un signe de tête à ses hommes avant de s’adresser de nouveau à Amalia.

  • Je suis certain que Madame comprendra, mais seuls les miliciens sont autorisés à porter des armes à l’intérieur de la forteresse, pour des raisons évidentes de sécurité… Votre garde sera donc contraint de laisser la sienne ici. Elle lui sera bien évidemment rendue à votre départ.
  • Cela me semble correct, acquiesça la maîtresse du Primera avant d’adresser un signe de tête à Sheamon.

Ce dernier décrocha son épée et la tendit au garde qui s’était avancé pour la récupérer. Triss savait qu’ils ne viendraient jamais la récupérer. Cette arme avait été acheté la veille chez un receleur clandestin de Lutécia. Ce n’était qu’une partie du déguisement de Sheamon.

Trois miliciens fouillèrent Triss, Sheamon et le cocher, tandis que les deux autres inspectaient le carrosse dans les moindres recoins, vérifiant que les banquettes ne recelaient pas une cache secrète remplie d’armes mortelles…

L’homme fouilla Triss sans ménagement et cette dernière s’y soumit en maîtrisant de son mieux les impulsions meurtrières qu’elle sentait monter en elle de seconde en seconde. Il ne parut pas s’apercevoir qu’il s’agissait d’une fille. Son attention se tourna brièvement vers la pièce écarlate incrustée dans sa ceinture, mais il s’en désintéressa aussitôt pour palper ses bottes et s’assurer que rien ne s’y cachait.

Elle jeta un coup d’œil à Sheamon, qui supportait son inspection d’un air impassible. Avait-il suffisamment bien caché les siennes ? Apparemment oui, car le garde du corps s’écarta de lui en hochant la tête à l’intention du capitaine, qui consulta d’un coup d’œil ses autres hommes. Puis son regard tomba sur Triss.

  • Dis-moi, gamin, tu es petit pour un garde du corps, déclara-t-il d’un ton soupçonneux. Quel âge as-tu ?
  • Il a… commença Sheamon.
  • Ferme-la, grand-père ! C’est au gamin que je parle !
  • Seize ans, Msieur, répondit Triss en adoptant une voix plus grave.

Le capitaine éclata de rire.

  • Et moi, je suis Raziel le Phénix ! ironisa-t-il.

Ses gardes frissonnèrent, en entendant ce nom… Comme si sa simple évocation fût synonyme de malheurs imminents. Nul doute que la plaisanterie n’était pas à leur goût. Le capitaine se rendit compte qu’il n’avait pas obtenu l’effet escompté et parut encore plus furieux. Il posa une main raide sur l’épaule de Triss.

  • Je ne crois pas vraiment à ton baratin, gamin. Tu t’es probablement enfui de chez tes parents après avoir fait les quatre cents coups, hein ? Viens avec moi, on va tirer ton histoire au clair.

Triss sentit la panique monter en elle. L’opération allait-elle échouer dès le début à cause de sa stupidité et son entêtement ? Elle jeta un regard vers Sheamon dont la paume de la main semblait s’illuminer discrètement… Il lui lança un regard qui signifiait « tiens-toi prête ». Triss cessa de respirer et se concentra. Sur un signe du capitaine, deux autres gardes s’approchèrent d’elle. Sa main glissa doucement vers la pièce écarlate incrustée dans sa ceinture…

  • Que se passe-t-il mon garçon ? se moqua le capitaine avec un sourire cruel. Tu as l’air aux abois…

Triss s’apprêtait à décrocher sa pièce, lorsqu’une main douce se posa sur son épaule, l’incitant au calme. Du coin de l’œil elle vit avec soulagement qu’il s’agissait d’Amalia.

  • Il s’agit d’un orphelin du nord des Enfers, dont le village a été ravagé par les partisans du Phénix, déclara-t-elle d’une voix chargée de colère. Il ne lui reste plus rien de son ancienne vie. Je l’ai recueilli et en ai fait mon assistant. Votre plaisanterie de mauvais goût a remémoré à ce pauvre garçon les pires moments de son existence. Sachez, officier, que vous en prendre à l’un de mes serviteurs équivaut à une attaque directe contre moi…
  • Je… Je ne savais absolument pas que… il n’était pas dans mes intentions de…
  • Mais vous mettez tout de même en cause mon intégrité. Peut-être devriez-vous aller prévenir le maire qu’Amalia Da Silva ne participera pas à sa fête, sans oublier de lui expliquer pourquoi !

Le capitaine déglutit. Il n’ignorait probablement pas l’importance d’Amalia aux yeux du maire. Et il savait qu’une telle erreur pouvait lui coûter sa place.

  • Ce… ce ne sera pas nécessaire, Madame… assura-t-il en essuyant la sueur de son front pour se redonner une contenance. Vous pouvez bien évidemment passer.
  • Mais il faut encore les soumettre au détecteur, capitaine ! protesta l’un des gardes, en tenant un appareil semblable à celui qu’utilisait Ernold, l’intendant du Quartier Umbrella, pour sonder magiquement les visiteurs.

Sheamon avait prévenu Triss qu’il avait ajouté sur leur déguisement magique un puissant enchantement de brouillage censé trompé de tels engins. Mais il avait aussi ajouté que son effet fonctionnerait tout au plus dix secondes et ne pourrait être utilisé qu’une seule fois. Tout devait donc bien se passer, du moins en théorie… Mais si l’inspection durait plus de dix secondes, ce serait échec et mat pour eux.

  • Ferme-la, Douglas, et obéis ! rétorqua le capitaine. Tu crois vraiment, idiot, que Madame Da Silva comploterait contre le maire de Lutécia ?

Il fit un geste à l’intention du garde de l’autre côté de la barrière ; celui-ci posa sa main sur l’eyra devant lui pour la faire disparaitre. Le dénommé Douglas recula en grommelant dans sa barbe, et Triss se permit de respirer. Ils avaient échappé à l’inspection.

  • Vous pouvez poursuivre votre chemin, Madame, l’invita le capitaine en s’inclinant bien bas. Un serviteur vous escortera à l’intérieur du palais.

Amalia lui adressa un sourire charmant, comme si rien ne s’était passé. Ils avaient peut-être échappé au pire. Le cocher remonta dans le carrosse ; il attendit que tout le monde fût installé avant de crier un ordre aux montures reptiliennes, qui se mirent aussitôt en marche.

Ils pénétrèrent dans l’immense cour intérieure, bondée d’attelages en tous genres que les serviteurs peinaient à ranger correctement. En descendait une foule colorée de personnes en robes de soirée et costumes coûtant probablement une fortune. Les gens se saluaient, discutaient en riant, tandis que les serviteurs leur demandaient avec une pointe d’agacement de se diriger vers l’entrée du palais municipal afin de ne pas encombrer davantage la cour.

  • Thénardier n’a pas lésiné sur les moyens, constata Amalia tandis que Sheamon l’aidait à descendre. Il y a absolument toute la haute société de Lutécia !
  • Je comprends mieux pourquoi Dorkos voulait tant y être, murmura Sheamon. Il serait ainsi passé du statut de sale type crasseux que personne ne veut fréquenter à celui de noble type crasseux à qui tout le monde veut parler. Une véritable réussite pour lui…
  • Ce qui n’arrivera jamais ! Thénardier veille bien à ne pas trop donner d’importance à Dorkos. Il sait que cela affecterait beaucoup ses relations avec la Colonie Neuf et la Cathédrale de Notre-Dame. Dorkos est pour lui une sorte de chien errant. Il veille à le nourrir avec quelques restes, mais il n’en veut surtout pas chez lui.

Amalia se tourna vers le cocher qui attendait ses instructions.

  • Je laisse notre attelage à tes bons soins, Ernest, lui dit-elle. Je risque de ne pas rentrer avant plusieurs heures, alors tu es libre d’en profiter. Va te chercher quelque chose en cuisine si tu as faim, et précise-leur que tu travailles pour moi s’ils sont réticents.

Le dénommé Ernest hocha la tête et se tourna vers les raptors dont il flatta l’encolure en leur murmurant des paroles apaisantes. Les trois complices se mêlèrent ensuite à la foule qui se dirigeait vers l’entrée de la forteresse. De nombreux nobles saluèrent Amalia avec déférence, l’inondant de compliments. La maîtresse du Primera répondait par de gracieux sourires et quelques inclinaisons de la tête. Triss se surprit à penser qu’elle aurait facilement pu passer pour une noble comtesse avec une telle prestance. Sheamon à ses côtés jouait parfaitement son rôle de garde du corps, en jetant des regards peu amènes à ceux qui passaient un peu trop près d’Amalia, ces derniers s’écartant d’ailleurs aussitôt.

  • Madame Da Silva ?

Les trois complices se retournèrent. Le serviteur qui avait parlé s’inclina devant Amalia.

  • Monsieur Thénardier m’a ordonné de vous escorter personnellement jusqu’à la salle de réception, lui apprit-il. Si vous voulez bien me suivre…
  • Quelle délicate attention, s’exclama Amalia d’un ton princier.

Ils suivirent donc l’homme qui naviguait dans le flot d’invités en criant « Place, place ! Laissez passer, je vous prie ». Grâce à ce dernier, ils n’eurent pas trop de mal à atteindre le hall d’entrée, décoré pour l’occasion de magnifiques guirlandes de fleurs. De part et d’autre de l’entrée, deux grands escaliers de marbre permettaient d’accéder aux étages.

La salle de banquet était située juste en face du hall. Le serviteur les laissa devant l’entrée de celle-ci en s’inclinant à nouveau.

C’était une grande pièce carrée dont les murs était tapissés de grands portraits d’hommes en tenue d’apparat et à la pose conquérante. Des tables chargées de mets et de boissons en tous genres avaient été installées à des endroit stratégiques, de façon à ce que tout le monde pût se sustenter sans s’agglutiner. Triss remarqua que tous les côtés de la salle possédaient également une sortie. Le mur en face de l’entrée principale était divisé par de grandes fenêtres offrant une vue imprenable sur de magnifiques jardins extérieurs avec une fontaine au centre. Triss se rappela qu’Amalia les avait mentionnés lorsqu’ils avaient élaboré le plan de l’opération. Ils étaient, tout comme la salle, pris d’assaut par des invités bavardant gaiement, tandis que des serviteurs portant de lourds plateaux chargés de verres assuraient le service. Des miliciens en armures intégrales se tenaient immobiles contre les murs, lance au poing. Certains serviteurs en uniforme attendaient également, à distance respectueuse de leur maître, mais prêts à accourir au moindre signe de ce dernier.

  • Par Azaël, je me demande si toute la ville n’a pas fait le déplacement ! déclara Amalia. Comment trouver le maire dans cette foule…

Triss essaya de repérer quelqu’un qui se démarquerait de la multitude. Son regard s’attarda soudain sur les tableaux tapissant les murs. Sa curiosité l’incita à tenter de déchiffrer l’un des portraits, qui était intitulé « Xavière D’Artois, vingt-troisième ».

  • Ce sont les anciens maires de Lutécia, l’informa Sheamon à voix basse quand il surprit son regard. Auparavant, cette pièce était décorée avec des tableaux à la gloire du comte de Lutécia, le dernier gouverneur noble. Ils ont été détruits après la Révolution. Et depuis, la tradition est d’afficher le portrait de tous les maires successifs.
  • Une façon pour Lutécia de tourner la page, j’imagine… murmura Triss, pensive.

Un attroupement attira soudain son attention. Un grand homme avec de longs favoris trônait au centre d’un groupe compact de courtisans. Il portait un costume écarlate à queue de pie qui avait dû coûter une fortune. Il serrait les mains tendues des hommes et embrassait celles des femmes avec un sourire éclatant. Triss le vit prendre quelqu’un par l’épaule en lui donnant l’accolade comme s’ils se connaissaient depuis des années, ce qui eut l’air de flatter l’heureux élu. L’homme aux favoris ajouta quelques mots qui firent rire aux éclats son public. Mais quelque chose dans ses manières dérangeait Triss. Ses sourires étaient froids, dénués de sincérité… En bref, il agissait comme un politicien.

Elle réprima un rire. Son identité était évidente, d’autant qu’il se tenait juste devant son propre portrait. Mais ce qui attira son attention fut ce qui pendait à sa poitrine : une chaine dorée avec un grand médaillon doré frappé du signe astrologique de la balance.

  • Je crois que j’ai trouvé Thénardier, annonça-t-elle à Amalia et Sheamon en le désignant d’un signe de tête. Il porte en pendentif un sceau avec un signe de balance. C’est celui qu’on veut, j’imagine.

Amalia poussa un petit rire.

  • Bien joué, Triss, la félicita-t-elle. Il ne me reste plus qu’à entrer en contact avec lui et le tour est joué.
  • Attends mon signal avant de l’entraîner ailleurs, lui souffla Sheamon tandis qu’ils se dirigeaient vers le maire. Je dois avant tout retrouver Jonas Perceval. Tu es sûre que c’est bien de ce sceau-là dont il s’agit ?
  • Certaine ! Je l’ai déjà vu plusieurs fois.

Elle se dirigea vers Thénardier, Sheamon et Triss restant prudemment en retrait pour bien marquer leur rang. Ils n’eurent heureusement pas à se frayer un chemin à travers les admirateurs du maire. Dès que le regard de Thénardier se posa sur Amalia, un grand sourire éclaira son visage, tandis que ses yeux étincelèrent, comme s’il venait de mettre la main sur un trésor d’une valeur inestimable. Triss se demandait si c’était la beauté d’Amalia qu’il admirait ainsi, ou plutôt l’immense fortune de celle-ci.

  • Amalia ! s’exclama-t-il. Quelle joie de vous voir ici ce soir !

Les courtisans s’écartèrent de son passage quand il s’élança au-devant de la directrice du Primera pour baiser avec délicatesse la main que cette dernière lui tendait avec beaucoup d’élégance.

  • Henry, répondit Amalia avec un sourire charmant. Je ne pouvais absolument pas manquer votre réception, mon cher ! Après tout, vous êtes le protecteur de Lutécia, ce qui ne doit pas être simple de nos jours… Notre devoir à nous en tant qu’habitants est de vous soutenir de notre mieux.
  • Votre sollicitude me touche, Amalia… Il est en effet nécessaire en ces temps troublés de faire front commun contre les ennemis de Paris qui n’attendent qu’une seule faille de notre part pour provoquer notre perte. Je suis cependant profondément navré que tout le monde ne soit pas aussi droit que vous. J’ai envoyé une invitation à Tanya Madeleine, mais elle a refusé en m’accablant des pires ignominies…
  • Elle n’est pas la cheffe de l’opposition pour rien, Henry, répondit Amalia avec un petit rire. Lady Viviane et le Révérend Maxwell ne sont pas encore arrivés ?

Le sourire de Thénardier se tordit en grimace.

  • Malheureusement, j’ai reçu deux messages à ce sujet… déplora-t-il en secouant la tête. Apparemment, Alliance Sorcière a provoqué plusieurs incidents majeurs chez les anges et les exorcistes. Il n’y a pas eu de victimes, mais de gros dégâts matériels… Viviane et Maxwell ne seront probablement pas là avant une heure ou deux.

Triss s’en réjouit. Cela voulait dire que Dorkos avait rempli sa part du marché. Au moins, il ne les avait pas trahis… Pas encore en tout cas.

  • Quel dommage… regretta Amalia en parfaite comédienne. Il me tardait de pouvoir à nouveau bavarder avec Lady Viviane…
  • Quel dommage, en effet ! renchérit le maire. Mais ces incidents les rendront probablement plus sensibles à mes arguments de front commun. Non pas que ce malheur soit une bonne chose, bien entendu ! Toutefois se débarrasser de ces fanatiques du Culte est une priorité absolue !

Ses admirateurs qui n’avaient pas perdu une miette de la conversation applaudirent bruyamment. Thénardier reçut ces acclamations avec un sourire modeste, en remerciant ses partisans d’un signe de tête. Mais ses yeux restaient toujours aussi froids… Triss comprit qu’il se moquait d’Alliance sorcière. Ce qu’il voulait, c’était désigner un bouc émissaire à la colère de ses électeurs et s’élever en protecteur. Et il serait ainsi probablement réélu comme un sauveur…

  • Et il en va de même pour les criminels qui gangrènent Lutécia, comme le terrible Sheamon Wave, cet odieux criminel ! poursuivit le maire en s’adressant à ses partisans qui l’approuvèrent à grand cris. On dit qu’il est venu jusqu’ici dans l’espoir de se cacher dans notre belle cité. Eh bien moi, Henry Thénardier, je refuse que notre joyau devienne l’asile de ce monstrueux renégat et de tous ceux de son engeance ! Je fais ici le serment solennel de débarrasser notre ville de cette racaille et de l’immonde boucher d’Umbrella ! Mon cœur se serre à la pensée de toutes ces victimes innocentes… Si je pouvais… s’il se tenait devant moi maintenant, je n’hésiterais pas une seule seconde à l’anéantir pour ses infamies ! Car la justice, que j’incarne en tant que maire grâce à votre confiance, est éternelle et toute puissante !

C’était donc ainsi qu’il avait justifié la traque de Sheamon et le durcissement des mesures de sécurité prises pour attraper le renégat ; il avait mis le massacre du Quartier Umbrella sur le compte de celui-ci afin d’attirer sur lui les foudres de l’opinion publique. Triss se retint de rire en constatant que Sheamon avait haussé un sourcil en entendant Thénardier. Si le maire avait su que « l’odieux criminel » était juste devant lui, il se serait probablement jeté à ses genoux en le suppliant d’épargner sa vie…

Mais la foule qui n’avait rien remarqué continuait d’acclamer le maire à grands cris. Amalia applaudissait également en esquissant un sourire ; pourtant, si son regard avait eu le pouvoir de tuer, Thénardier serait déjà mort une centaine de fois.

  • Je dois vous laisser, Amalia, s’excusa soudain Thénardier en affichant une mine désolée. Mes devoirs d’hôte… vous comprendrez certainement…
  • Je comprends tout à fait, Henry, le rassura royalement Amalia. Auriez-vous un moment à m’accorder un peu plus tard dans la soirée ? J’aimerais vous parler de cette nouvelle taxe sur les boissons…

Pendant une demi-seconde, Le visage de Thénardier prit une expression agacée. Mais il se recomposa si vite un air enjoué que Triss crut avoir rêvé.

  • Bien entendu, Amalia, répondit-il. Votre avis compte beaucoup pour moi. Toutefois si vous le souhaitez, ma secrétaire ne devrait pas tarder à arriver. C’est elle qui s’occupe de rédiger le décret, comme vous le savez. Vous aurez ainsi l’occasion de lui faire part directement de votre ressenti. Sur ce, si vous voulez bien m’excuser…

Sur un dernier signe de tête, Thénardier se dirigea vers l’entrée où les invités continuaient d’affluer. Son groupe de courtisans lui emboita le pas, et Amalia le suivit du regard.

  • Tanya n’aurait jamais accepté son invitation, murmura-t-elle à l’intention de Sheamon et Triss. Il a un culot invraisemblable de lui avoir proposer de venir ! Son père, l’ancien chef de la milice, a été condamné pour haute-trahison à deux siècles de prison il y a quelques décennies en pleine campagne électorale, alors que les sondages le donnaient vainqueur face à Thénardier. Miraculeusement, les preuves et les témoignages accablants se sont soudainement accumulés contre lui. Deux mois plus tard à peine, il s’est apparemment suicidé de remords dans sa cellule en s’étouffant avec son uniforme. Tanya n’a jamais accepté le jugement rendu et a toujours crié au complot… Depuis quelques années, elle a pris la tête de l’opposition et veut limiter les pouvoirs du gouvernement de Lutécia. J’ai beaucoup de sympathie pour elle. Elle te croit d’ailleurs innocent, Sheamon. Tanya clame partout que tu n’as rien à voir avec le massacre d’Umbrella, et qu’il s’agit d’une machination du maire pour renforcer son emprise sur la ville.
  • C’est rassurant… répliqua Sheamon, pince-sans-rire.
  • Pourquoi les électeurs ne l’ont-ils pas élue si elle est aussi bien ? s’étonna Triss. Et pourquoi vous ne la soutenez pas ?
  • La désinformation et les rumeurs… De nombreux électeurs croient tout ce que raconte le journal de Lutécia, porte-parole du maire. C’est la fille d’un traître, pratiquement folle à lier et, pire encore, elle aurait des liens avec la pègre… Voilà le portrait que le journal a brossé d’elle. Les gens se méfient de Tanya à cause de cela. Et pour répondre à ta seconde question, lui apporter mon soutien publiquement ne servirait à rien dans la situation actuelle. Elle a trop peu d’influence et d’innombrables détracteurs. C’est Thénardier qui détient le pouvoir. En l’appuyant, j’acquiers suffisamment d’influence pour soulager la vie des ouvriers de Lutécia. Si je soutenais Tanya, je perdrais ce moyen de pression sur le maire sans être certaine que Tanya puisse remporter les élections. Cela ne m’empêche pas de la soutenir anonymement sur le plan financier et de lui rapporter tout ce que j’apprends sur le maire…

Triss hocha la tête. Elle comprenait la situation d’Amalia. Cette dernière avait les mains liées, mais faisait de son mieux pour limiter les abus du maire en secret. La politique de Lutécia était bien plus complexe que celle du Quartier Umbrella, où son oncle avait toujours disposé de la pleine confiance de ses concitoyens. Il n’y avait jamais eu d’élection à proprement parler, puisque personne n’avait remis en question l’autorité de Sirius, respecté par tous. Mais son oncle n’avait jamais empêché ses concitoyens d’exprimer leurs doléances et s’efforçait de les satisfaire.

  • Bon, je vais saluer quelques personnes et me mêler aux conversations, sinon les gens risquent de trouver mon comportement étrange, annonça Amalia. Allez avec les autres serviteurs avant d’attirer davantage l’attention, et faites ce qui vous incombe. J’attends ton signal pour passer à l’action, Sheamon.

Elle leur tourna le dos sans plus de façon et se dirigea vers un groupe composé de dames bavardant gaiement qui l’accueillirent à grand renforts d’exclamations.

A suivre...

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