Chapitre 20 : Les sorcières de Qaltra, Partie 3

16 minutes de lecture

Une foule se massait déjà devant l’estrade. L’homme se pencha et attrapa la femme-satyre par la nuque. Inerte, celle-ci ne réagit pas.

  • Regardez, chers clients ! proclama le marchand avec fierté. Il y en a pour absolument tous les goûts ! Celle-là vient des plaines d’Ombreroc, où elle a été capturée il y a deux semaines seulement ! Pour la modique somme de quatre cents inferis, elle sera à vous !

Des mains se levèrent aussitôt parmi la foule, ceux désirant être les premiers à mettre la main sur l’esclave. Certains la désignaient en ricanant, se moquant de son apparence, tandis que d’autres la dévoraient des yeux comme un repas alléchant…

  • Et pour ceux qui achèteraient cette ravissante femelle… Je vous en offre la version miniature pour cent inferis de plus !

Il fit signe à l’un de ses subordonnés, qui se pencha derrière l’estrade, pour soulever une petite fille satyre d’environ dix ans, également enchainée. Elle pleurait à chaudes larmes, mais le contremaître la poussa sans ménagement sur le devant de la scène.

  • Venez, lança Jonas en détournant le regard, sombrement. On doit y aller.

Mais Triss resta figé sur place, tétanisée. A la vue de l’enfant, la femme satyre parut reprendre conscience. Elle poussa un cri de désespoir et se répandit en supplications.

  • Pas ma fille je vous en supplie ! Pitié, pitié ! s’écria-t-elle en poussant des lamentations déchirantes, tandis que la petite tendait les bras vers elle en l’appelant à l’aide.

Profondément agacé, l’homme leva la main pour la frapper, puis après réflexion se ravisa : probablement soucieux de préserver sa marchandise, il se contenta finalement de la jeter au sol et de la maintenir avec son pied.

  • Voyez chers clients, à quel point elles sont en bonne santé, ironisa-t-il avec un sourire cruel. Alors, qui sera l’heureux élu qui achètera ces deux pièces de qualité ? A ce prix-là croyez-moi, c’est un véritable cadeau du ciel !

De nouveaux rires fusèrent. Triss serra les dents devant ce spectacle répugnant et une nouvelle fois la colère l’enflamma. Comment ces gens osaient-ils vendre des personnes comme de vulgaires marchandises ? N’avaient-ils donc aucun respect pour la vie des autres ? Le dégoût et la rage accumulés en elle jusqu’à cet instant se déversèrent dans son cœur tels une énergie noire dont celui-ci se nourrit aussitôt. Certes, Jonas lui avait dit de faire profil bas et il avait raison. La réussite de leur plan en dépendait. Mais c’était impossible.

Elle avait laissé passer trop de choses. Il était hors de question de tolérer un pareil crime.

Sa main allait chercher la pièce écarlate à sa ceinture, lorsque Jonas lui attrapa brusquement le poignet.

  • A quoi joues-tu, princesse ? s’alarma-t-il.
  • Je vais les libérer, gronda Triss. N’essayez même pas de m’en empêcher !
  • Si tu fais ça, on est morts ! Le marché des esclaves existe depuis des siècles à Qaltra, et tu crois vraiment qu’en risquant ta vie pour en sauver quelques-uns, tu vas anéantir cette pratique ?
  • Peut-être que non, répliqua Triss en observant le devin avec résolution. Mais si personne ne commence à se révolter, ce n’est pas près de s’arrêter !

Jonas ouvrit la bouche avec l’intention de protester, mais il fut interrompu par Syana.

  • Tu peux compter sur moi, Triss Nocturii, déclara-t-elle.

Triss se retourna vers la lamia et réalisa que cette dernière fixait l’estrade avec une rage glaciale dans le regard. Les bras de la femme-serpent tremblaient tant ses efforts pour se contrôler étaient grands. Si la colère de Triss grondait, celle de Syana était sur le point d’exploser.

  • Je n’ai pas demandé ton aide, rétorqua néanmoins Triss.
  • Et j’aurais préféré ne pas te la proposer, riposta la lamia. Mais s’il y a une chose que je ne peux pas tolérer, c’est l’esclavage. Si tu t’en prends à ces criminels, je me ferai une joie de te seconder.

Les deux guerrières échangèrent un regard, pour la première fois dénué d’aversion l’une envers l’autre. Au final, elle et Syana n’étaient peut-être pas si différentes…

  • Comme tu veux, décida Triss en se dégageant de l’emprise de Jonas pour décrocher la pièce écarlate de sa ceinture. Tant que tu ne me gênes pas…
  • Par les cornes de Satan, pourquoi faut-il que ce soit précisément maintenant que vous tombiez d’accord ? déplora Jonas. Ecoutez, je vous rappelle que nous sommes ici pour entrer en contact avec une sorcière…
  • Justement, faire du grabuge est le meilleur moyen de les attirer ! répondit Triss.

Syana approuva d’un hochement de tête, Jonas se cacha alors le visage avec désespoir.

  • Vous plaisantez, j’esp…

Triss fléchit les jambes pour se propulser dans les airs en effectuant un bond prodigieux ; elle atterrit avec légèreté sur la plateforme, juste devant le contremaître tenant la femme satyre. Des cris de surprise s’échappèrent de la foule. Mais l’attention de la jeune fille était entièrement dirigée sur le marchand d’esclaves, qui l’observait avec stupéfaction.

  • Mais que… commença-t-il étonné.

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase ni de saisir le fouet à sa ceinture que le pied de Triss s’écrasait sur son ventre, l’envoyant violemment valser hors de l’estrade. Il retomba sans connaissance. Se penchant aussitôt sur lui, trois voleurs entreprirent de le délester de sa bourse et de ses vêtements.

En deux secondes à peine, une véritable émeute éclata.

Certains tentèrent de fuir en criant, renversant les étals des marchands. D’autres poussèrent des acclamations :

  • Une bagarre ! Une bagarre !

Dans ce chaos soudain, les coups se mirent à pleuvoir. Ceux qui avait été frappés dégainèrent leurs armes. Ce fut une véritable mêlée générale.

  • Sale vermine de la nuit ! rugit un homme derrière Triss.

La jeune fille se tourna juste à temps pour esquiver un coup de hachoir du second contremaître. D’autres gardes d’esclaves montèrent sur l’estrade pour l’arrêter, armés de haches et de longs couteaux. Triss lança sa pièce écarlate qui se transforma en rapière. Elle para un second coup de hachoir sans effort, repoussant brutalement son assaillant. Deux autres se jetèrent sur elle, mais une flèche se planta dans la nuque du premier tandis que le second s’écroulait, une balle dans la poitrine.

Syana, grâce à son long corps sinueux de serpent, réussit à se glisser jusqu’à l’estrade et se dressa aux côtés de Triss, menaçante. Loin derrière, luttant pour les rejoindre, Jonas essayait de remonter vers la scène au milieu de l’émeute qui faisait rage. Sept autres hommes faisaient face aux deux jeunes filles, mais après avoir vu leurs camarades impitoyablement écrasés, ils ne semblaient pas vraiment pressés d’attaquer les premiers.

  • C’est votre dernière chance de vivre, tenta Triss. Donnez-nous la clé pour libérer les esclaves.

L’un des gardes esquissa un sourire cruel. Avant même que les deux guerrières eussent le temps d’esquisser le moindre geste, il attrapa la petite fille terrorisée et posa son hachoir contre la gorge de sa victime.

  • Je crois plutôt que c’est vous qui allez-vous rendre, répliqua-t-il. Sinon, je lui tranche la…

Au même moment, une balle lui perfora la tête et il s’écroula tandis que ses alliés s’écartaient de lui avec horreur. Triss tourna son regard vers Jonas, qui abaissa le canon de son arme.

  • C’est le troisième à gauche qui a la clé ! cria-t-il pour se faire entendre malgré le vacarme.

Triss et Syana chargèrent immédiatement, avant que les gardes encore confus ne se ressaisissent. La jeune vampire trancha la gorge d’un ennemi d’un revers de lame, puis de sa main libre attrapa l’enfant qu’elle attira vers elle.

  • Reste derrière-moi ! lui ordonna Triss alors que trois autres adversaires, dont celui qui avait la clé, s’en prenaient à elle.

La jeune fille para toutes leurs attaques. Elle comprit bien vite qu’ils n’étaient pas habitués à frapper autre chose que des esclaves désobéissants. Leurs coups n’ayant aucune finesse, ils comptaient entièrement sur leur force brute pour vaincre. De plus, ils étaient lents et si proches les uns des autres qu’ils se gênaient mutuellement lorsque l’un d’entre eux voulait attaquer.

Triss bloqua l’un des hachoirs et d’un coup de pied brutal dans le flanc, envoya valser son propriétaire, avec probablement quelques côtes cassées d’après le sinistre craquement qu’elle avait entendu. Le second assaillant se jeta sur elle en poussant un cri de guerre, couteau brandi au-dessus de sa tête. Triss esquiva aisément l’attaque, puis lui trancha l’abdomen horizontalement. Il s’effondra en crachant du sang.

Le dernier était toujours debout, mais semblait tétanisé par la peur. A sa ceinture, outre un fouet, pendait une clé en bronze.

  • Donne-la-moi et je te laisserai en vie, déclara Triss.

Mais le garde avait beau être effrayé, il lui restait encore suffisamment de force pour répliquer avec hargne :

  • Tu te prends pour qui, sale verm…

Le cadavre de l’un de ses amis atterrit soudain à ses pieds. Syana glissa vers eux, les griffes ensanglantées, une expression meurtrière sur le visage. Derrière elle, les trois autres gardes gisaient, sans vie.

Le regard de l’homme passa sur le corps à ses pieds, puis de Syana à Triss. Sans un mot, il détacha la clé de sa ceinture et la lança.

  • Vous me laissez partir, hein ? les implora-t-il.
  • Disparais ! rétorqua Triss avec dégoût. Si je te revois vendre des esclaves un jour…

Le garde détala. Jonas grimpa à son tour sur l’estrade et les rejoignit, le couteau à la main, qu’il rengaina pour récupérer son fusil. La foule parut alors se rendre compte de ce qu’il se passait.

  • Les esclaves s’enfuient ! cria un homme.
  • Tuons-les tous ! vociféra un autre, acclamé par la foule.
  • La satyre est à moi ! rugit une femme en brandissant un hachoir.

La plupart des combattants cessèrent alors de se battre pour monter sur l’estrade, arme au poing, la convoitise brillant dans leurs yeux. Ils avaient désormais un ennemi commun et entendaient bien étancher leur soif de sang sur les victimes ainsi désignées par le sort.

  • Génial, il ne manquait plus que d’autres invités pour continuer la fête ! grommela Jonas en rechargeant son fusil puis en s’avançant devant ses deux acolytes. Princesse, si on s’en sort en vie, je veux une prime.

Triss voulut le rejoindre, mais Syana s’interposa.

  • Libère les esclaves, lui lança-t-elle en encochant une flèche sur son arc.

La jeune fille hocha la tête et se tourna vers l’enfant toujours terrifiée.

  • Tout va bien, d’accord ? lui dit-elle d’une voix rassurante tout en passant la clé dans la serrure de ses menottes. Nous allons vous sauver, toi et ta maman.

L’enfant parut s’apaiser un peu en entendant sa voix. Dès que les fers entravant ses mains et ses jambes tombèrent, elle courut se jeter dans les bras de sa mère, qui pleura de soulagement. Les autres esclaves s’agitèrent à leur tour, suppliant Triss de les libérer.

La jeune fille libéra la mère aussi rapidement que possible, et celle-ci lui serra les bras avec un regard de reconnaissance éperdue.

  • Merci, merci ! lui dit-t-elle de joie et de gratitude.
  • Vous n’êtes pas encore tirées d’affaire, répliqua Triss en l’aidant à se relever. Savez-vous comment quitter la ville en toute sécurité ?

La mère secoua la tête avec désespoir.

  • Moi je sais ! intervint un autre esclave, un naga mi-homme mi-reptile. Il y a une ancienne mine sous la ville qui sert d’égout maintenant. Certaines galeries débouchent loin d’ici. Je les connais toutes parce que j’y ai habité pendant des années. Je peux les escorter si tu me détaches !
  • Non, moi d’abord ! rétorqua un nirgaën à tête de panthère.

D’autre se mirent aussitôt à protester.

  • Je détacherai tout le monde, répliqua Triss avant de se tourner vers le naga. Et toi, tu les conduiras tous à l’extérieur de la ville, d’accord ?

Le naga hocha la tête. Triss le libéra, puis s’attaqua aussitôt à son voisin, un puissant minotaure.

  • Ramassez les armes des gardes dès que vous êtes libres pour aider mes amis ! ordonna Triss dès qu’elle eut délivré l’esclave.
  • Il n’y en a pas assez pour tout le monde ! rétorqua un autre détenu.
  • Que ceux qui sont armés protègent ceux qui n’en ont pas !

Triss avançait vite maintenant qu’elle avait pris le coup de main ; en quelques minutes, la plupart des esclaves avaient été libérés. Ils se joignirent à Jonas et Syana pour repousser ceux qui tentaient de monter sur l’estrade. Petit à petit, leurs agresseurs reculèrent en voyant tomber leurs camarades. La jeune fille libéra le dernier esclave, puis s’empara de son épée et vint se placer aux côtés de ses deux compagnons.

  • Mission accomplie ! leur annonça-t-elle.
  • Formidable ! maugréa Jonas en arborant une expression qui contredisait ses paroles. Maintenant on doit s’enfuir d’ici, mais surtout réviser notre plan pour…

Il s’interrompit. Un bourdonnement sourd résonna dans l’air, grondant de plus en plus fort au point d’interrompre momentanément l’affrontement qui faisait rage. Tous les combattants tournèrent le regard vers le ciel. Triss repéra rapidement la source de ce bruit.

Un gigantesque oiseau provenant de la tour qui dominait Qaltra volait dans leur direction à vive allure. Mais Triss s’aperçut soudain que le volatile était en fait composé de femmes habillées de vêtements blancs et rouges chevauchant des engins qui semblaient être… des balais en argent ! Elles menaient ces étranges montures d’une main, tandis que l’autre elles tenaient un long sceptre dont la forme variait pour chacune d’entre elles.

  • Les sorcières ! hurla un homme.

Ce cri déclencha une débandade générale. Plus personne ne songeait à se battre, chacun essayant de fuir la place au plus vite. Jonas agrippa le bras de Triss.

  • Sous l’estrade, maintenant ! ordonna-t-il avant de s’adresser aux autres d’un ton impérieux. Obéissez si vous ne voulez pas mourir !

Triss se laissa glisser au sol et s’accroupit pour passer sous la plateforme, suivie par le reste de leur groupe. Il était temps.

Les sorcières arrivèrent au-dessus de la place en levant leurs sceptres. Des éclairs écarlates s’en échappèrent, pulvérisant ceux qu’ils touchaient et faisant éclater les dalles du sol par la puissance des impacts. De nombreuses personnes furent ainsi massacrées impitoyablement. Manifestement, les maitresses de Qaltra n’avaient aucune considération pour sa population.

Et sans l’intervention de Jonas, ils auraient tous subi le même sort.

  • Elles vont tous les tuer ! paniqua la femelle satyre en serrant sa fille. Mais pourquoi ?
  • Les sorcières se fichent d’éliminer des gens, cracha un autre esclave avec rancœur. Tous ceux qui sont sur leur chemin périssent. Elles ont capturé mon frère et l’ont embarqué dans leur fichue tour. On ne l’a plus jamais revu…

Triss se tourna vers Jonas.

  • Vous avez une idée pour nous sortir de là ? lui demanda-t-elle.
  • Tu as toujours tes explosifs, non ? renchérit Syana. C’est le moment idéal pour t’en servir, démon !
  • Tuesday a épuisé mes réserves de gros calibres ! rétorqua Jonas en fouillant dans ses poches pour en sortir une bombe blanche. Mais bon, il me reste quand même quelque chose… Préparez-vous à courir. Dès que le chemin sera libre, vous foncez au plus vite possible vers les égouts ; toi le naga, tu les emmènes sans trainer, compris ?

Tous hochèrent la tête pour signifier leur assentiment. Jonas alluma alors la mèche et fit rouler l’engin aussi loin qu’il le put. Il atterrit au milieu de la place et explosa aussitôt, provoquant un épais nuage de fumée blanche qui se répandit instantanément sur tout le marché. Les sorcières poussèrent des cris de surprise, mais cela ne les empêcha pas de continuer à tirer à l’aveuglette, heureusement sans grand précision. Triss se tourna vers les esclaves, tétanisés par la peur.

  • Fuyez ! leur cria-t-elle.

Ils obéirent sans hésiter et détalèrent vers la rue, menés par le naga qui avait instinctivement pris la tête du groupe. La jeune fille se préparait à les suivre, mais Jonas lui retint le bras.

  • Attends.

Triss ouvrit la bouche pour lui ordonner de la lâcher, mais trois éclairs écarlates frappèrent le sol à l’endroit précis où elle serait passée si Jonas ne l’avait pas arrêtée.

  • Pas de quoi, princesse, répondit le devin avant même qu’elle eût le temps de le remercier, jaillissant brusquement de sous l’estrade. Courez aussi vite que vous le pouvez !

Triss et Syana lui emboitèrent aussitôt le pas. La jeune fille ne voyait pas à plus de deux mètres devant elle à cause de la fumée qui envahissait tout. Elle se fiait uniquement à la silhouette de Jonas pour avancer en essayant d’éviter certains badauds encore en vie, complètement perdus et paniqués. Triss entendait les éclairs continuer à frapper autour d’elle, mais elle ne s’en préoccupait guère. Tout ce qui lui importait était de fuir cet endroit au plus vite. Elle parvint finalement à distinguer la rue devant elle entre deux bâtiments à travers la fumée blanche. Ils n’étaient plus qu’à dix mètres…

Soudain, un vent violent se leva, dissipant le brouillard en l’espace de quelques secondes à peine. Surprise par la force des rafales, Triss se retrouva projetée contre Syana, et les deux filles s’effondrèrent. La puissance du vent redoubla d’intensité, les contraignant à se rouler en boule en se protégeant le visage avec les bras. Il était devenu impossible d’avancer sans être emportés par le courant. Certains, qui étaient pourtant parvenus à échapper aux éclairs, ne purent résister à cette nouvelle attaque : quelques-uns furent brutalement soulevés dans les airs en hurlant, tandis que d’autres s’écrasaient avec violence contre les murs aux alentours.

Triss aperçut entre ses yeux mi-clos Jonas, à l’abri entre les deux bâtiments délimitant la rue. Il criait leurs noms et tentait de venir à leur secours sans être happé par les vents déchainés.

  • Partez devant ! cria Triss pour se faire entendre malgré les hurlements de la tempête. On se retrouvera !

Elle vit Jonas l’observer gravement en serrant les dents, comme s’il essayait de trouver une solution pour les aider. Puis il hocha la tête à son intention et tourna les talons pour suivre les esclaves en fuite.

Triss fut soulagée. Au moins l’un d’entre eux avait pu s’échapper. Il restait donc encore une chance pour Sheamon. A moins que Jonas ne décidât de s’enfuir en pillant ce qui restait d’or dans le navire… mais elle n’eut pas le temps de s’appesantir sur ces sombres pensées.

Aussi soudainement qu’il était apparu, le vent retomba ; Triss et Syana purent enfin se redresser. Elles étaient les deux dernières personnes debout sur toute la place. Mauvaise nouvelle cependant, dix sorcières lévitaient dans le ciel sur leurs balais, leurs sceptres pointés vers elles.

Syana voulut empoigner une flèche dans son carquois, mais s’aperçut qu’elles avaient toutes été éparpillées par les bourrasques. La lamia passa alors l’arc dans son dos en poussant un grondement agacé.

  • Tu as un plan pour nous sortir de là, Triss Nocturii ? l’interrogea Syana.
  • J’y travaille, répondit son interlocutrice entre ses dents serrées.

Brusquement, certaines sorcières s’écartèrent pour laisser passer l’une des leurs. Les vêtements bleu nuit et l’imposant sceptre blanc de cette dernière, couvert d’étranges signes argentés et orné d’un oiseau blanc aux ailes élancées à sa pointe, indiquaient clairement qu’elle était différente des autres. La sorcière atterrit en sautant avec légèreté depuis son balai qui resta figé dans airs, comme s’il attendait patiemment le retour de sa maîtresse.

Cette femme devait avoir une trentaine d’années et était absolument magnifique, d’une beauté presque inhumaine qui semblait ne présenter aucun défaut, aucune usure. C’était comme si le temps n’avait pas d’emprise sur elle. De longs cheveux châtains tombaient en cascade dans son dos. Ses yeux dorés étaient soulignés de traits noirs qui accentuaient l’intensité de son regard, lui donnant une allure quelque peu terrifiante.

Les autres sorcières, sensiblement plus jeunes qu’elle, atterrirent à ses côtés. L’une d’entre elles, aux cheveux roux et âgée d’environ seize ans, s’inclina devant son aînée :

  • Nous avons dénombré vingt-huit morts, Maîtresse Cassandra, l’informa-t-elle. Apparemment, un groupe d’esclaves a réussi à s’échapper.
  • Envoyez les gardes traquer cette vermine, puis conduisez-les à la tour, ordonna la dénommée Cassandra en agitant la main d’un air agacé. Ils serviront nos rituels avant de mourir pour la gloire de la déesse. Bon sang, ce que je déteste descendre dans ces rues puantes !

Son regard se braqua ensuite sur Triss, et cette dernière tressaillit instinctivement. Un sourire étira les lèvres de la sorcière qui passa en un éclair de l’irritation à l’exaltation.

  • Les rumeurs étaient donc bien vraies, exulta-t-elle en l’observant, les yeux brillants. C’est elle, j’en suis certaine ! Triss Nocturii, la seule vampire qui ne craint pas le soleil !

Triss fut si stupéfaite qu’elle baissa inconsciemment son épée, sous le choc.

  • Comment me connaissez-vous ? balbutia-t-elle, étonnée.

Cassandra agit si vite que ni Triss ni Syana n’eurent le temps de réagir. Elle pointa son sceptre vers la jeune fille et un éclair mauve s’échappa des yeux de l’oiseau sculpté pour frapper celle-ci à la poitrine. La jeune fille se sentit soudain vidée de ses forces et tomba à genoux, au bord de l’évanouissement.

  • Patience mon enfant, susurra la sorcière en l’envisageant avec convoitise. Tout te sera révélé en temps voulu.

Syana siffla de colère et voulut se jeter sur Cassandra, mais celle-ci leva la main et des chaînes apparurent aussitôt autour de la lamia, la ligotant étroitement. Syana s’écroula en se débattant en vain, rugissant de rage.

  • Espèce de… gronda Triss en tentant de se relever, malgré son extrême fatigue.

C’est alors que les fers qui entravaient sa magie depuis Lutécia furent soudain attirés l’un vers l’autre comme des aimants, puis se soudèrent dès qu’ils entrèrent en contact. La jeune fille utilisa alors toute la force qu’il lui restait pour tenter de les séparer, mais ce fut peine perdue. Soit elle était vraiment trop faible, soit la sorcellerie de Cassandra était bien trop puissante. Triss gaspilla ses dernières forces à tenter de se redresser, mais elle se retrouva avec le sceptre de la sorcière pointé sur sa poitrine.

  • Ne t’en fais pas, assura Cassandra avec un sourire terrifiant. C’est juste un petit moment douloureux à passer… Quand tu te réveilleras, je suis sûre que nous serons les meilleures amies du monde !

Sur ces mots, la pointe de son sceptre s’illumina d’un éclat ardent. Cassandra l’appuya contre la poitrine de Triss. Cette dernière sentit une décharge électrique traverser son corps, lui arrachant un cri de douleur. Elle bascula en arrière et le monde autour d’elle fut englouti par les ténèbres…

A suivre...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Guillaume Houël ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0