Chapitre 26 : La Montagne Décapitée, Partie 3

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Son premier coup fut dévié sans difficulté par Philippa, qui enchaina aussitôt d’un revers de couteau, mais la jeune fille avait déjà reculé hors de sa portée. Celle-ci multiplia les attaques, cherchant à percer la défense de l’espionne, mais cette dernière, inébranlable, dévia chacun de ses coups avec une grande habileté. La jeune fille ne se laissa pas abattre pour autant. Au fur et à mesure de ses combats, Triss s’était endurcie. Elle ne tressaillit même pas quand la pointe de Philippa lui entailla légèrement la joue. Quelques minutes plus tard, elle infligea à celle-ci une estafilade sur l’épaule. Ce n’était qu’une égratignure qui n’allait pas tarder à se régénérer, mais Triss ne put s’empêcher d’esquisser un sourire victorieux.

La jeune fille sentait que Philippa était à bout. Son visage était couvert de sueur, sa respiration était haletante. L’espionne ne tiendrait plus très longtemps à un tel rythme. Si elle continuait à maintenir la pression, celle-ci finirait par craquer.

C’est alors que Philippa se glissa brusquement sous sa garde grâce à une feinte, pour enfoncer son genou dans le ventre de la jeune fille, lui coupant brutalement le souffle. Triss, hébétée, voulut brandir son épée, mais Philippa lui tordit le bras, l’obligeant ainsi à lâcher son arme, avant d’attraper sa nuque tout en balayant ses jambes.

Triss perdit l’équilibre et s’effondra. Elle tenta vainement de se redresser, mais Philippa maintenait fermement la jeune fille au sol en plaquant son genou dans le dos de sa victime. Cette dernière aperçut son épée, et tendit le bras pour l’atteindre. La lame de Philippa lui transperça la paume, clouant sa main au sol. Triss poussa un effroyable cri de douleur et serra les dents pour s’empêcher de perdre connaissance.

  • Ne me sous-estime pas, Triss ! s’exclama Philippa implacable en poussant d’un coup de pied l’épée de son adversaire au loin. Tu n’es qu’une gamine qui n’a appris à se battre que dans une salle protégée, bien à l’abri chez ton oncle. Moi j’ai dû apprendre à combattre pour survivre !

Triss mobilisa ses forces ; malgré la douleur qui lui labourait le corps, elle fit appel à toute sa volonté. En se tendant brusquement, la jeune fille parvint à renverser Philippa. Cette dernière fut si surprise qu’elle faillit ne pas réagir avant que son dos touchât le sol. D’une roulade, Philippa se remit pourtant en position de combat, observant avec stupéfaction la jeune fille qui se redressait tout en arrachant l’épée plantée dans sa main avant de la jeter au loin, hors de portée de l’espionne. La plaie commença aussitôt à se refermer.

  • Je ne suis plus la petite fille pleurnicheuse d’autrefois ! répliqua Triss en serrant les dents.

Elle décocha aussitôt un rayon incandescent en direction de Philippa, qui esquiva avant de foncer vers la jeune fille. Cette dernière matérialisa alors une lame de lumière sur son poing droit et décrivit un arc de cercle qui aurait tranché l’espionne en deux si cette dernière n’avait pas, à sa grande surprise, paré l’attaque avec son couteau. L’épée de lumière pure qui avait tranché sans difficulté l’arme de Philippa auparavant… butait contre ce poignard ridicule !

  • Surprise, hein ? ironisa Philippa. Tu crois que je ne suis pas préparée à combattre des magiciens ? Cette lame est taillée dans les crocs d’un tigre à dent de sabre de Sibérie comme ton fichu chat de gouttière ! Elle est faite pour résister à la magie !

Philippa repoussa Triss et se fendit d’un coup de pied que cette dernière arrêta avec l’aide de son avant-bras. Le choc fut brutal, mais la jeune fille encaissa. Elle s’apprêtait à répliquer à son tour lorsque le poing de Philippa s’enfonça dans son ventre, lui coupant de nouveau le souffle. Sa concentration s’évanouit, la lame de lumière entourant son avant-bras disparut simultanément. Philippa leva alors son couteau, prête à l’enfoncer dans son épaule.

C’était l’occasion que Triss attendait.

Elle serra les dents et se redressa brusquement. Vive comme l’éclair, la jeune fille attrapa le poignet de Philippa, stoppant son attaque, avant de lui décocher un puissant uppercut qui frappa la mâchoire de l’espionne de toute sa force. Son adversaire fut projetée en arrière sous la violence du choc et manqua de s’écrouler, sonnée. Le couteau lui échappa des mains.

Philippa, hébétée, chercha à récupérer le poignard, mais Triss d’un coup de pied, l’envoya cinq mètres plus loin. Elles étaient toutes les deux complètement désarmées, désormais. La jeune fille peinait à se redresser, mais parvint tout de même à se remettre debout. Elle s’aperçut que les traits de Philippa s’étaient contractés, une quinte de toux la dévorant de l’intérieur tandis qu’elle crachait du sang. Des marques noires semblables à celles qui étaient apparues sur le corps de Sheamon s’étiraient à présent sur celui de Philippa, comme si elles la consumaient intérieurement. Tremblante, l’espionne fouilla dans l’une de ses poches et en ressortit cinq cachets argentés qu’elle avala d’un trait. Les traces cessèrent de progresser, mais ne disparurent pas pour autant. Triss se surprit à éprouver de la pitié pour celle qui l’avait tant fait souffrir. Elle faillit même se pencher pour aider l’espionne, la traitresse qui avait assassiné ses amis, provoqué la chute de sa ville natale et celle de son oncle… Avant que sa soif de vengeance ne reprît brusquement le dessus.

  • Debout ! ordonna Triss, le souffle court. Je ne m’abaisserai pas à profiter de ta faiblesse pour assouvir ma vengeance !

Philippa esquissa un sourire ironique en se redressant avec difficulté.

  • La dignité d’une princesse… ricana-t-elle. Tu crois qu’il y a d’un côté les gentils et de l’autre les méchants, n’est-ce pas, Triss ? Eh bien non… Le monde est beaucoup plus compliqué !
  • Je sais ! rétorqua Triss. Mais toi et ton maitre faites partie de ce que le monde compte de pire !
  • Dans ce cas où te situes-tu, Triss Nocturii ?! Si tu avais tout simplement accepté d’obéir à Némésis…
  • Pour vivre en tant que prisonnière ?
  • Il y a pire châtiment que de vivre en tant que princesse de l’une des plus puissantes familles de ce monde ! Et tu aurais pu éviter tellement de morts et de destructions ! Ton oncle, tes amis… ils seraient probablement toujours en vie !

Triss ouvrit la bouche pour répliquer, mais les paroles assassines de Philippa lui transpercèrent le cœur plus durement que sa lame ne l’aurait fait. Car il y avait une part de vérité qu’elle ne pouvait nier…

  • C’est vrai… murmura-t-elle. Les choses auraient peut-être pu se passer différemment… Mais c’est bien pour cette raison que je n’ai pas l’intention de courber la tête ! J’ai ma part de responsabilité dans cette tragédie, et c’est pourquoi je ferai en sorte que cela ne se reproduise plus jamais ! Je mettrai un terme à la tyrannie de Némésis !

Philippa se figea brusquement, dévisageant la jeune fille comme si elle la voyait pour la première fois. Mais presque aussitôt, son visage se durcit à nouveau.

  • Tu es vraiment naïve, déclara-t-elle.

Les deux combattantes s’observèrent un instant, puis se jetèrent l’une sur l’autre avec férocité.

Triss brandit son poing, mais Philippa l’intercepta et répliqua par un uppercut que la jeune fille esquiva d’un bond. L’espionne n’attendit pas qu’elle se réceptionnât et lui administra un puissant coup de pied dans l’estomac, mais son adversaire encaissa sans broncher et en profita pour lui attraper la cheville et, d’une torsion, la fit chuter.

Philippa s’écroula et chercha aussitôt à se redresser ; Triss s’appuya de tout son poids pour l’en empêcher. Elle leva son poing entouré d’une aura de lumière incandescente et l’abattit sur l’espionne, mais cette dernière bougea la tête au dernier moment ; son attaque fracassa le sol à quelques centimètres seulement du visage de son adversaire.

Philippa ne lui laissa pas le temps de répliquer. Comme à Lutécia, elle plaça son pied contre le flanc de Triss et d’une impulsion, repoussa la jeune fille sur le côté pour se redresser. Mais déjà celle-ci revenait à l’assaut, en lançant son poing tel un marteau surpuissant que Philippa n’eut d’autre choix que d’encaisser avec son avant-bras. Triss eut la satisfaction de sentir les os de son adversaire se fissurer sous l’impact et le visage de Philippa se contracta légèrement. Enhardie par son succès, elle réitéra l’attaque, mais l’espionne attrapa son poignet et tira dessus, déséquilibrant la jeune fille, avant de lui envoyer à son tour dans l’estomac un vigoureux coup de coude, que Triss reçu de plein fouet. Philippa asséna ensuite un uppercut en direction du visage de Triss, qui recula, hébétée.

Philippa semblait déchainée, mobilisant toute la puissance qui restait dans son corps pour frapper encore et encore son adversaire à terre, incapable de résister à la vague de coups qui déferlait sur elle, tentant vainement de rétablir sa garde. A coups de poing, de pied, avec ses genoux ou ses coudes, l’implacable Philippa forçait la jeune Nocturii à reculer, le corps couvert de blessures. Triss semblait incapable de lui opposer la moindre résistance.

  • Alors tu crois vraiment pouvoir écraser Némésis ?! se moqua Philippa, prête à lui porter le coup fatal. Avec un pouvoir aussi faible, tu ne pourras jamais rien protéger !

L’espionne balança son poing, visant la tête de la jeune fille avec une rapidité foudroyante, certaine d’en finir…

Mais Triss l’arrêta d’une seule main.

Philippa, incrédule, tenta d’abord de se dégager de cette poigne de fer imprévue, mais l’emprise de cette dernière était titanesque. Elle croisa alors le visage couvert de sang et regard déterminé de la jeune fille. Et l’espionne s’aperçut avec stupéfaction que ses blessures s’étaient déjà refermées !

  • Je t’ai prévenue, répliqua Triss. Je ne suis plus la même personne qu’autrefois !

Triss écrasa aussitôt son poing contre la tempe de Philippa, avec une telle violence que cette dernière faillit s’écrouler, aux portes de l’inconscience. L’espionne sentait que ses forces et son esprit l’abandonnaient progressivement. Elle allait mourir. Et perdre sa dernière chance de se faire justice.

La dernière chance d’honorer la promesse faite à Luka…

Avec un cri de rage, Philippa se redressa pour frapper Triss d’un crochet du droit surpuissant. La jeune fille vacilla mais resta debout, avant de répliquer à son tour. Philippa recula une nouvelle fois, puis revint à l’attaque.

Triss encaissa le choc et contre-attaqua immédiatement.

Les deux combattantes continuèrent à s’affronter dans un duel qui n’était plus désormais qu’une épreuve de volonté, dans laquelle la première à lâcher prise s’écroulerait vaincue. les blessures de Triss comme celles de son adversaire avaient beau se régénérer, la douleur restait vive, et la fatigue amenuisait progressivement leur vitesse de guérison. Triss encaissa les attaques dévastatrices de Philippa, sentit ses os se fissurer, parfois même se briser, tandis que sa vue se brouillait.

Mais elle ne céda pas.

Coup après coup, blessure après blessure, Triss tint bon, ne cédant pas un pouce de terrain face aux assauts furieux de Philippa. Les attaques de cette dernière finirent cependant par perdre en puissance, devenant moins précises. L’espionne vacillait de plus en plus, tremblante… Et elle tomba finalement à genoux, à bout de forces. Ses blessures ne cicatrisaient même plus, sa respiration était sifflante. Les marques noires s’agitaient de nouveau sous sa peau, comme si elles dévoraient inexorablement ses forces vitales.

Triss se maintint debout, le souffle court, observant son ennemie enfin à sa merci. Celle qui avait été la main qui lui avait causé tant de souffrances gisait devant elle, sans défense. Elle pouvait désormais se venger.

Elle pointa deux doigts nimbés d’une aura dorée vers la poitrine de Philippa, tandis que sa magie incandescente se concentrait dans sa main.

  • C’est comment … d’être à la merci de ton ennemie ? l’interrogea Triss.

Malgré son état de détresse, Philippa ricana faiblement avant de soutenir le regard de la jeune fille.

  • C’est la loi de ce monde, répondit-elle avec sarcasme. Ceux qui tombent finissent écrasés par les vainqueurs.
  • Tu ne regrettes absolument rien, pas vrai ?
  • Je n’ai pas à regretter, ironisa Philippa. Je ne suis qu’un objet, utilisé pour accomplir la volonté de mon maitre. C’est tout. Fais ce que tu as à faire.

Soudain, une explosion secoua la faille, et le sol trembla jusqu’à l’endroit où se trouvaient les deux vampires. Triss tourna vivement la tête, alarmée. Les flammes léchaient la surface de la crevasse qui commençait à s’effriter. Le cœur de la jeune fille se serra… Se pouvait-il que Sheamon et les autres aient été…

Le rire de Philippa la ramena à la réalité.

  • On dirait que Tuesday est finalement venue à bout du renégat ! lança-t-elle d’un ton perfide alors qu’une nouvelle quinte de toux la secouait.

Mais un flash de lumière blanche inonda brusquement la faille, anéantissant les flammes en un clin d’œil. Puis deux personnes, Naru sur son balai de sorcière et Jonas avec ses ailes de démon, s’élevèrent soudain dans les airs, tandis que Ryku jaillissait de la fosse en plantant fermement ses griffes dans le sol. Naru et Jonas se posèrent à ses côtés, sous le regard soulagé de Triss.

  • A ce que je vois, tu as réussi à capturer la commandante, princesse ! lança Jonas en jetant un regard satisfait à Philippa. Bien joué !
  • Vous… Vous êtes en vie… articula Triss avant de se reprendre.
  • Grâce à miss Naru, surtout… Sans sa barrière magique, les flammes de l’autre cyborg psychopathe et les rochers auraient eu raison de nous trois.
  • Ce n’était pas grand-chose… murmura Naru qui pourtant rougissait. Vous et Ryku m’avez protégée pendant que je guérissais mon poignet…

Triss s’aperçut en effet que le poignet de son amie était redevenu normal, seule une légère marque rouge subsistait. Ryku, hormis la blessure infligée par Philippa qui n’avait pas l’air vitale ne souffrait, comme Jonas, que de quelques égratignures et estafilades sans importance. Elle en éprouva un grand soulagement. Ils étaient en vie !

  • Mais… où est Sheamon ? demanda-t-elle, sentant une pointe de panique l’envahir.

Jonas et Naru échangèrent un regard inquiet.

  • Eh bien… Quand je l’ai vu, il continuait à se battre contre ce monstre mécanique, puis la faille a commencé à s’écrouler sur eux… Je ne sais pas si…
  • Il est mort, clama Philippa avec un sourire perfide.

Triss s’apprêtait à lui hurler de se taire, mais son regard glissa sur l’Horologium pointant vers la faille. La petite aiguille pointait sur le symbole de l’orage tandis que la grande désignait la fosse.

Un sourire soulagé étira ses lèvres.

  • Tu ne connais pas Sheamon, répliqua-t-elle avant de tourner son regard vers la faille. Il ne mourra pas aussi facilement.

Il jaillit en effet à son tour du nuage de poussière et se posa à quelques mètres d’eux, marchant d’un pas lent dans leur direction. Son manteau et ses cheveux étaient sales, mais il n’avait pas une seule égratignure !

Sheamon arborait un visage de marbre, mais ses yeux brillaient de colère. Ses ailes déployées comme un étendard derrière lui se refermèrent dès qu’il toucha le sol. Il tenait dans sa main droite une masse métallique d’où pendaient de nombreux câbles que Triss avait du mal à identifier à cause de la fumée qui l’entourait… Elle réalisa soudain qu’il s’agissait de la tête arrachée de Tuesday.

Le renégat s’avança jusqu’à la jeune fille et l’examina d’un coup d’œil rapide.

  • Tu n’es pas trop amochée, gamine… remarqua-t-il avec soulagement.
  • Grâce à mon sang de vampire, répondit-elle en haussant les épaules.

Sheamon esquissa un bref sourire rassuré avant de se tourner vers Philippa ; son visage redevint dur. Il jeta son trophée aux pieds de l’espionne.

  • C’est tout ce qu’il reste de ton amie, déclara-t-il. Tes hommes ne sont plus de ce monde, espionne. Tu as perdu…
  • Et tu crois que c’est ta victoire, renégat ? rétorqua Philippa. Mon maitre a encore des milliers d’hommes à ses ordres… Le Harakaï, les shinobis et tous les autres mercenaires… Ils continueront à vous traquer tant qu’ils n’auront pas récupéré Triss et que ta tête ne sera pas sur une pique.
  • Peut-être…reconnut Sheamon en pointant son arbalète vers la poitrine de Philippa. Mais tu ne seras plus là pour le voir.
  • Attends ! intervint Triss en posant la main sur le bras du renégat. C’est à moi de le faire, Sheamon.
  • Gamine, je ne suis pas sûr que…
  • C’est mon combat… Et ma responsabilité.

Triss et Sheamon se regardèrent pendant quelques secondes en silence, tandis que Naru et Jonas, muets, les observaient en retrait. Puis le renégat s’écarta, cédant la place à Triss. Cette dernière aperçut son épée à quelques mètres d’elle. Elle la ramassa, avant de revenir menacer Philippa de sa lame.

  • Vas-y, Triss… lui ordonna l’espionne en redressant la tête avec défi. Accomplis ta vengeance. Dis adieu à la gamine que tu es et deviens la Nocturii que tous redouteront…

Triss serrait les doigts sur la poignée de son épée, s’apprêtant à l’enfoncer dans la poitrine de Philippa… Pourtant son bras se figea au moment de porter le coup fatal à son ennemie. La jeune fille se rendit compte avec stupéfaction qu’elle n’arrivait pas à éliminer celle qui avait tué ses amis, provoqué la chute de son oncle…

Car c’était aussi Philippa, la secrétaire de ce dernier, celle qui l’avait réconfortée quand elle était triste. Celle qui l’avait aimé comme une sœur d’adoption, patiente et attentive. Elle se souvint brusquement que Philippa dormait à ses côtés la nuit quand les cauchemars la hantaient, et discutait pendant des heures avec elle sous sa couette : de la vie au Quartier Umbrella, d’Oncle Sirius, des voyages que Triss voulait faire plus tard quand elle serait grande… C’était elle aussi qui lui préparait toujours une tasse de chocolat chaud pour la calmer quand elle était énervée. Philippa les avait tous trahis et avait le sang de ses amis sur les mains…

Pourtant, Triss ne parvenait pas à la tuer.

« A quoi bon ? » lui murmurait sa raison « Cela ne les ramènera pas à la vie. Ceux qui ont péri ne reviendront pas... »

« Tue-la ! » lui susurra aussitôt Triss Nocturii depuis les tréfonds de son âme. « C’est ton ennemie, elle t’a fait du mal. Répands son sang pour assouvir ta vengeance ».

Triss croisa le regard de Philippa. Elle était à bout, très affaiblie, probablement mourante. La tuer rapidement serait presque synonyme de miséricorde…

Mais elle n’avait pas envie de faire preuve de pitié.

Triss abaissa son épée et jeta un regard plein de mépris à Philippa.

  • Je ne suis pas une Nocturii, déclara-t-elle. Ta mort ne m’apporterait rien, pas même la vengeance. Tu l’as reconnu toi-même, tu n’es qu’un outil sans aucun libre arbitre entre les mains de Forlwey. Châtier l’instrument du crime… n’aurait aucun sens.

Philippa haussa les sourcils et, malgré la souffrance qu’elle endurait, Triss put lire l’étonnement sur le visage de l’espionne. Pendant un instant, cette dernière esquissa un sourire. Mais ce n’était plus un signe de moquerie, voire de triomphe… C’était un sourire las, presque attendri…

  • Tu n’as pas vraiment changé finalement… murmura-t-elle.
  • Gamine, intervint Sheamon. On ne peut la laisser repartir auprès de son maitre. Elle révèlerait l’emplacement du refuge aux Nocturii et Forlwey fondrait sur nous.
  • Je dois admettre que Sheamon a raison, reconnut Jonas. Cette femme est très dangereuse.
  • Dans ce cas, nous l’enfermerons pour qu’elle ne puisse plus revenir chez son maitre, décida Triss. Ainsi, jamais plus elle ne…

Elle ne put finir sa phrase. Car le même rugissement qu’elle avait entendu dans la faille résonna de nouveau dans le ciel, plus proche et plus féroce cette fois… Son corps se raidit instinctivement à l’idée du danger imminent qui la menaçait. Sheamon se mit en garde, sa machette dans une main et son arbalète dans l’autre, tandis que Jonas rechargeait à la hâte son fusil en poussant un juron. Naru, peu confiante, serrait son sceptre dans ses mains en restant près de Triss et de Ryku qui grondait doucement, affaibli par les blessures subies.

  • Quelque chose arrive, les prévint Naru. C’est ancien… très gros… et très puissant !
  • Merci de nous rassurer comme toujours, Naru ! grommela Jonas.
  • Dans le ciel, indiqua soudain Sheamon.

Triss leva les yeux, mais elle ne distinguait rien d’autre que les pics rocailleux des montagnes et les falaises escarpées composant cet environnement désolé. Elle se demanda si Sheamon ne s’était pas trompé…

Elle l’entendit avant de le voir. Un puissant battement d’ailes régulier résonnait dans la vallée, tel un tambour funeste. Puis il surgit enfin au-dessus d’un mont qu’il noya sous son ombre, avant d’amorcer sa descente vers eux.

Il avait la taille d’un vaisseau de guerre, voire plus encore, et devait tutoyer les cent mètres de long. Des ailes de chauves-souris pointues, semblables à des voiles, lui permettaient de diriger son vol, et des écailles d’un noir et d’un rouge ardents recouvraient son corps de lézard. Il arborait des griffes plus longues que son épée et sa colonne dorsale était hérissée de pics recourbés, descendant jusqu’au bout de sa queue couverte de flammes. Son long cou de serpent se terminait par une tête reptilienne triangulaire qui possédait des crocs de la taille du bras de Triss. L’effroi saisit cette dernière. Elle n’en avait jamais vu, mais elle sut immédiatement ce qu’était ce monstre, pour en avoir si souvent entendu parler dans les légendes que lui contait son oncle. Il n’était pas étonnant que personne n’eût jamais trouvé le refuge de Varenn… Il était en effet impossible d’y parvenir en vie.

Du moins, pas avec un dragon régnant sur cet endroit.

La créature atterrit devant eux avec fracas, puis se redressant de toute sa hauteur, les toisa avec le dédain d’un chasseur pour des proies faciles. Triss remarqua alors l’imposant collier d’or rehaussé d’un rubis incrusté qui ornait son cou. Le métal était couvert de runes…

  • Il faut être bien sot, ou avoir envie de mourir, pour oser pénétrer sur mon territoire… déclara la bête d’une voix grave et caverneuse, qui donna des frissons à Triss. Qui êtes-vous, vermines ?
  • Il… Il peut parler ? souffla Jonas, crispé. Ce monstre est intelligent ?

Si elle avait pu, Triss l’aurait étranglé sur place. Le dragon poussa un rugissement de colère, et sa queue reptilienne fouetta le sol avec une telle violence que celui-ci éclata en morceaux.

  • INTELLIGENT ?! répéta le reptile, ivre de colère. TU VAS VOIR SI JE SUIS INTELLIGENT, MISERABLE INSECTE !

Le dragon ouvrit sa gueule, et Triss s’aperçut que le fond de sa gorge brillait intensément. Elle comprit aussitôt ce qui allait arriver.

  • Fuyez ! s’écria-t-elle, mais il était déjà trop tard.

Ils furent engloutis dans un océan de feu…

A suivre...

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