Chapitre 27 : Le refuge de Varenn, Partie 2

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Triss porta Philippa dans ses bras malgré les inquiétudes de Sheamon qui craignait que l’espionne, dans un sursaut de conscience, ne blessât la jeune fille. Mais elle ne voulut rien entendre. Quelles qu’en fussent les circonstances, Philippa lui avait sauvé la vie. Elle s’assurerait donc que sa prisonnière survive également. A côté d’elle, Naru gardait un œil vigilant sur les signes vitaux de sa patiente, celle-là même qui lui avait brisé le poignet quelques minutes plus tôt. Ryku s’approcha d’elle et lui frotta affectueusement le bras. Triss remarqua avec soulagement que sa blessure à l’épaule avait arrêté de saigner et semblait déjà cicatriser correctement. Au moins lui n’aurait pas de séquelles.

Ilyann et son groupe les escortèrent jusqu’au sentier creusé dans la faille et du haut duquel ils purent enfin constater l’étendue des dégâts. La moitié du ravin était encombrée de rochers ainsi que de cadavres de shinobis… une véritable hécatombe.

  • Cela prendra du temps à dégager, remarqua Ilyann avant de jeter un regard impressionné vers Sheamon. Je suppose que Sirius Aleyran a eu raison de vous engager.
  • Qu’est-ce que je dois comprendre ? se raidit le renégat.
  • Mes excuses, je ne souhaitais pas vous offenser. C’est juste que je ne connais personne capable de résister à une confrontation directe avec Voldra… Vous devez être soit très chanceux… soit très endurci…
  • S’il y a bien une chose dont je suis certain, c’est de ne pas avoir eu beaucoup de chance dans ma vie, répliqua Sheamon avec un sourire froid.

Ilyann ne sut que répondre.

Triss aperçut alors dans les décombres le bras mécanique de Tuesday à moitié enseveli et détourna le regard, se souvenant de son impuissance lors de sa rencontre avec la cyborg à Lutécia.

Au bout d’une dizaine de minutes, ils arrivèrent devant l’entrée de pierre et Ilyann l’effleura de sa main. Aussitôt, le symbole de l’œil incrusté dans la roche se mit à briller d’une lueur rouge. Un déclic se fit entendre, puis deux portes se dessinèrent sur la paroi rocheuse et s’ouvrirent dans un grondement mécanique, dévoilant le passage d’un tunnel qui semblait s’enfoncer dans les entrailles de la montagne. Sans hésiter, leur guide franchit le seuil et le reste du groupe le suivit. Les portes se refermèrent aussitôt. Des champignons incrustés dans la roche déversèrent alors une douce lumière verte sur le chemin sous les yeux de la jeune Nocturii, émerveillée.

  • Hormis les shinobis qui vous ont poursuivis jusqu’ici, savez-vous si d’autres individus sont également sur vos traces ? les interrogea Ilyann.

Triss reporta son attention sur lui.

  • La plupart de nos poursuivants nous ont perdus à Lutécia, répondit le renégat. Ce groupe de shinobis était probablement isolé, mais je ne peux garantir que d’autres n’arriveront pas jusqu’ici… Je pense que nous n’avons laissé que très peu d‘indices derrière nous, mais certains seraient peut-être capables de les suivre…
  • Je doute qu’ils parviennent jusqu’ici… et si tel devait être le cas, Voldra les éliminerait. Toutefois, je doublerai tout de même les patrouilles, pour éviter que quelques intrus indésirables n’échappent à sa vigilance…
  • Je croyais que c’était ton père le chef de cet endroit…
  • C’est exact, mais c’est moi qui gère la sécurité. C’est donc mon devoir de veiller à ce qu’aucun danger ne risque de troubler la communauté. D’ailleurs, je traite souvent avec Voldra.
  • Mais tu es… commença Triss avant de s’interrompre brusquement, craignant de vexer ce nouvel allié.
  • Jeune ? s’esclaffa Ilyann. J’ai dix-sept ans, c’est vrai… Mais sans vouloir paraitre présomptueux, je suis le meilleur tireur de Varenn et je connais le coin comme ma poche. En plus comme vous l’avez remarqué, Voldra n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler un allié fiable… Nous devons être prêts à nous défendre nous-même au cas où les Nocturii parviendraient à nous retrouver. La plupart d’entre nous savent se servir d’un fusil et d’une arme, mais c’est moi qui ait eu l’idée d’instaurer une milice de volontaires pour mener des patrouilles et s’assurer que tout est en ordre. Mon père m’a donné sa permission et cela rassure la communauté… même si pour l’instant heureusement, nous n’avons jamais été attaqués.

Ils continuèrent à avancer dans l’étroit tunnel pendant une vingtaine de minutes, s’enfonçant toujours plus loin au cœur de la montagne. Il y avait plusieurs croisements et embranchements, tels des veines parcourant la pierre… un véritable labyrinthe. Mais Ilyann empruntait un itinéraire qu’il semblait connaitre par cœur, sans la moindre hésitation. Triss jetait de temps à autre un coup d’œil à Philippa dans ses bras, en priant pour que le chemin se terminât bientôt. Son état l’inquiétait… Elle craignait la mort de l’espionne si le voyage s’éternisait.

  • Puis-je poser une question, jeune chef de la sécurité plein de talent ? demanda soudain Jonas. J’aimerais savoir comment un refuge de vampires a pu prospérer dans une telle région, et… avec un voisin aussi féroce qu’un dragon. Enfin, si ce n’est pas indiscret, bien sûr.
  • Eh bien, Voldra a besoin de nous autant que nous de lui, répondit Ilyann. Cela ne fait que quatorze ans que je suis arrivé ici, donc je ne connais pas tous les détails, mais d’après ce que m’a raconté mon père, lorsque les premiers fugitifs se sont installés dans la région, ils ont rencontré Voldra et ont failli être dévorés. Mon père a cependant réussi à conclure un pacte avec le dragon. Nous le nourrissons et lui nous protège en échange. Il écrase ceux qui cherchent à nous retrouver ; de plus, la rumeur de la présence d’un monstre sanguinaire dans les parages dissuade à elle seule les autres de s’aventurer dans la région.
  • Le nourrir ? s’étonna Naru. Un monstre de sa taille ne peut-il pas chasser pour trouver de quoi manger ?
  • Voldra est… un cas à part. Ce n’est pas qu’il ne puisse pas chasser… C’est que cela ne lui permettrait pas de se nourrir.

Triss haussa les sourcils.

  • Je ne comprends pas… dit-elle.
  • Je vous expliquerai cela plus tard, Votre Majesté, lui promit Ilyann. Nous arrivons…

A un tournant du tunnel, Triss se retrouva soudain sur une grande terrasse naturelle surplombant un impressionnant cratère à l’intérieur de la montagne, dont les parois paraissaient monter jusqu’au ciel écarlate. Dans cette fosse, une étrange ville avait vu le jour…

Des bâtiments qui semblaient avoir été construits avec du matériel de récupération (du bois, du métal, de la toile et de la pierre), se serraient entre eux comme s’ils s’appuyaient les uns sur les autres pour garder leur équilibre. Des ponts suspendus au-dessus des rues reliaient chacun des bâtiments entre eux, car la ville s’étalait sur deux, voire trois niveaux. On aurait dit que ces édifices avaient été bâtis à la hâte et qu’ils étaient prêts à s’écrouler d’un instant à l’autre.

Triss se demanda où les habitants avaient-ils bien pu trouver autant de matériaux pour construire cette étrange cité… Elle obtint sa réponse quand elle découvrit ce qui semblait être l’épave d’un grand aéronef en plein centre de la ville : celui-ci avait été transformé et réaménagé de façon à devenir un édifice à part entière. En observant attentivement les structures, Triss distingua d’autres épaves similaires qui avaient servi de base à la construction d’autres bâtiments. Elle comprit ainsi que les réfugiés s’étaient tout simplement servis de vieux vaisseaux démolis pour bâtir leur ville. Peut-être même s’agissait-il de victimes de Voldra…

  • Bienvenue à Varenn ! déclara Ilyann. Cela n’en a pas l’air comme ça, mais c’est un endroit très dynamique ! Et c’est notre foyer…

Triss sentait la fierté manifeste du jeune homme tandis qu’il leur présentait sa communauté. Elle comprenait ce qu’il ressentait. Même si parfois le Quartier Umbrella lui avait paru ressembler à une prison, Triss avait cependant toujours gardé une affection naturelle pour l’endroit où elle avait grandi… Et maintenant qu’il avait disparu, elle ressentait ce cruel manque au plus profond de son âme....

Ilyann fit un signe de tête à l’un de ses hommes, qui décrocha une corne de sa ceinture et souffla dedans : un son très grave résonna dans le cratère.

  • Pour les prévenir de notre arrivée, expliqua-t-il à ses invités avant de se tourner vers Triss. Votre Majesté, Je dois vous demander de nous remettre la shinobi maintenant…
  • Je reste avec elle, refusa catégoriquement Triss.
  • La plupart de nos camarades connaissent bien l’uniforme des shinobis et ce n’est pas pour de bonnes raisons... S’ils la voient, cela risque de les inquiéter, voire même de les mettre en colère et je tiens absolument à éviter une émeute qui pourrait compromettre sa sécurité et la vôtre, Votre Altesse. Mes hommes connaissent des chemins détournés. Ils la mettront en sécurité et à l’abri des regards, je vous le jure sur mon honneur.
  • Dans ce cas, je l’accompagnerai aussi ! intervint Naru sans laisser à Triss le temps de répondre. Elle a besoin de soins constants et immédiats.
  • Naru ! protesta Triss.
  • Ils ont raison, gamine, lui dit Sheamon. Elle finira par mourir, sinon.

Triss serra les dents. Elle n’avait aucune envie d’accorder sa confiance à ces gens qu’elle venait juste de rencontrer. L’expérience lui avait appris à se méfier des autres… Mais Naru et Ilyann avaient raison. Si elle s’obstinait, Philippa allait mourir. Lentement, la jeune fille hocha la tête ; Ilyann fit aussitôt signe à deux de ses hommes.

  • Portez-là chez moi, ordonna-t-il en se débarrassant de son manteau pour couvrir l’espionne. Et obéissez à tout ce que cette fille vous dira.

Les gardes débarrassèrent avec précaution Triss de Philippa, puis ils s’enfoncèrent de nouveau dans le tunnel, Naru sur leurs talons.

  • Où vont-ils ? demanda aussitôt Triss. Je croyais qu’ils devaient aller chez toi…
  • C’est le cas, répondit Ilyann. Il y a des galeries supérieures au-dessus du niveau de la ville, et j’habite dans l’une d’elles. Mon père était contre mais cela me permet d’être tranquille. Enfin… Il y a parfois quelque chauves-souris qui me rendent visite la nuit… Mais votre amie sera à l’écart, ce qui devrait éviter quelques complications. Allons-y !

Il se dirigea vers le côté de la terrasse, où un escalier de pierre descendait en virages serrés successifs jusqu’au cratère. Durant leur descente, Triss s’essaya un temps à compter les marches, mais elle abandonna après avoir atteint le nombre de trois cents…

Ils atteignirent enfin le fond du cratère ; elle s’aperçut alors qu’une foule de curieux s’était déjà rassemblée. Il n’y avait que des vampires sans foulard masquant leur visage, mais portant les mêmes vêtements de toile discrets et légers (probablement pour mieux supporter la chaleur du désert). Les habitants les observèrent, chuchotant entre eux tout en pointant les étrangers du doigt. Beaucoup de regards étaient dirigés en particulier vers Triss qui ne se sentait pas très à l’aise.

  • Laissez passer ! déclara Ilyann en précédant la jeune fille pour essayer de se frayer un chemin. Mon père doit nous attendre.
  • Qui sont ces étrangers, Ilyann ? l’interpella une femme dans la foule.
  • Il y a eu des combats ? s’alarma un autre. On a entendu Voldra et la terre s’est mise à trembler !
  • Je ne peux rien dire pour l’instant, mais vous n’avez pas à vous inquiéter. Ces étrangers sont des amis. Ils ont eu la malchance d’être attaqués par Voldra qui les a pris pour des intrus, mais nous sommes arrivés au bon moment pour les aider.

Triss comprit qu’il souhaitait passer sous silence leur affrontement avec les shinobis afin de ne pas susciter un sentiment de panique chez les réfugiés.

  • Et si jamais d’autres étrangers venaient ? s’étrangla une autre.
  • Ne t’inquiète pas, Bertha. Nous veillons tous à votre sécurité, la rassura Ilyann avant de brandir son fusil pour attirer l’attention des autres, en déclarant avec virulence :
  • Aucun danger ne franchira nos portes, mes amis ! La milice et moi y veillerons !

Le visage de celle-ci s’éclaira.

  • Merci, Ilyann ! lui dit-elle avec gratitude. Nous avons de la chance que tu sois là…

Le jeune chef de la sécurité la salua d’un signe de tête doublé d’un large sourire puis continua à se frayer un chemin dans la foule, sous les murmures admiratifs des habitants. Sur leur chemin, de nombreux passants le saluèrent chaleureusement et il répondait patiemment à chaque personne lui adressant la parole. Triss se souvint que Thénardier avait agi de même lors de la réception dans la forteresse de Lutécia… Mais contrairement au maire corrompu, le sourire d’Ilyann semblait sincère… Elle n’arrivait pas à déceler la moindre malice derrière ses actions.

Ils finirent par atteindre l’épave du grand aéronef situé au centre de la ville, suivis par une foule de curieux qui n’avait cessé de grandir. L’attroupement avait largement dépassé les deux cents personnes, remarqua Triss avec une pointe d’appréhension. Devant une grande entrée semblable à un pont-levis percé dans la coque, les attendait un comité d’accueil composé de cinq gardes habillés comme les compagnons d’Ilyann, fusil au poing, et d’un vampire qui se démarquait clairement des autres.

Pour commencer, Triss vit tout de suite qu’il avait l’allure d’un vrai guerrier. Sa tenue se différenciait en effet de celle de ses camarades par une armure de cuir protégeant son torse, des sandales militaires remontant presque jusqu’à ses genoux, une lourde ceinture sur laquelle pendait un glaive dans son fourreau, mais aussi des épaulettes en acier ainsi qu’une cape bleue jetée négligemment par-dessus. Il était grand, musclé, semblable à un taureau, et dépassait Sheamon d’une bonne tête. Triss remarqua que ses avants bras étaient couverts de cicatrices. Il arborait une barbe de taille moyenne, et l’un de ses yeux semblait blanc et sans vie, comme s’il était aveugle… Ce qui n’enlevait rien à sa prestance. Mais plus que son allure, c’était l’impression de force qui se dégageait de lui qui impressionna Triss. Ilyann s’approcha alors et courba la tête avec respect devant lui.

  • Père… le salua-t-il.

Le visage de son interlocuteur s’égaya d’un large sourire quand son regard se posa sur le jeune homme. Il s’avança vers lui et le prit dans ses bras.

  • Je suis si content que toi et tes braves veilleurs soyez rentrés sains et saufs chez nous une fois de plus, mon fils ! s’exclama-t-il à la ronde, avant de se tourner vers les nouveaux venus, plus méfiant. Mais qui nous amènes-tu ?
  • Des visiteurs, Père… qui nous viennent du Quartier Umbrella… l’informa Ilyann avant de désigner Sheamon et Triss d’un geste de la main. Cette jeune fille est Triss Aleyran, la nièce de Sirius. Lui c’est son protecteur, Sheamon Wave. Ils sont tous les deux des rescapés de la tragédie qui a frappé nos malheureux compatriotes à la Surface.

Des murmures inquiets résonnèrent à nouveau sur la grande place, de nombreuses personnes dévisageant Triss avec stupéfaction.

  • Alors c’est elle ? La princesse Nocturii…
  • L’Elue qui ne craint pas la lumière du soleil…
  • Elle a l’air bien jeune, non ?

Triss se raidit à nouveau. Elle avait l’impression d’être transpercée par les regards acérés de la foule qui semblaient sonder jusqu’à son âme…

Le vampire leva la main, réclamant un silence qu’il obtint aisément. Puis il inspecta Triss avec attention.

  • Ainsi, c’était vrai… murmura-t-il, comme pour lui-même.

Triss crut un instant déceler une lueur de haine dans son regard. Elle tressaillit, étonnée par l’intensité de la colère qu’elle sentait dans ses yeux … Mais très vite, son visage se fendit d’un large sourire. Il s’avança jusqu’à Triss, puis s’inclina respectueusement devant elle.

  • Je suis heureux de constater que vous avez réussi à atteindre notre refuge saine et sauve, princesse, déclara-t-il. Mon nom est Evander, celui que l’on appelle le guide de Varenn. La mort de Sirius m’a profondément touché…
  • Vous connaissiez mon oncle ? s’étonna Triss.
  • Bien sûr. C’était mon frère d’arme. Nous nous sommes échappés ensemble du Royaume Submergé… Mais je suis certain qu’il est mort comme il l’a voulu, en crachant une dernière fois à la face des Nocturii. Votre oncle était un homme d’honneur.

Triss ne savait que répondre. Mais alors qu’elle cherchait ses mots, Evander se tourna vers la foule.

  • C’est un jour glorieux, camarades ! déclara-t-il d’une voix grave. Le massacre de nos camarades d’Umbrella que nous avons tant pleurés, le sacrifice de nos compatriotes… Cela n’aura pas été vain ! Celle que les Nocturii cherchent tant à récupérer… est désormais à nos côtés ! Sa présence ici est la preuve de leur échec.

D’un geste, il tendit le bras à Triss, l’invitant à saisir sa main. Muette et embarrassée, Triss s’exécuta néanmoins. Il leva sa main dans la sienne bien au-dessus de sa tête.

  • Mes amis, voici la princesse Triss, la fille de Némésis ! Elle est le symbole vibrant de notre rébellion, de notre opposition à la tyrannie des nosferatus et de la famille royale ! Et le jour approche où elle deviendra le fer de lance de notre riposte !

Triss tressaillit en entendant les paroles d’Evander. Depuis quand était-elle devenue la figure d’une rébellion ? N’avait-elle pas son mot à dire ? N’était-ce pas à elle seule de décider de son futur ?

Mais avant qu’elle eût une chance de protester, des acclamations s’élevèrent de la foule. Et en quelques instants, tous les réfugiés de Varenn se mirent à scander son nom comme une prière, un chant de revanche…

***

  • Voici votre chambre, princesse, lui annonça Evander en s’effaçant pour la laisser pénétrer dans la pièce. Je m’excuse pour le confort, hum… rudimentaire, mais c’est le mieux que nous ayons à notre disposition.

Triss regarda autour d’elle. C’était probablement une ancienne cabine d’officier, bien loin du luxe de sa chambre du Primera : un simple hublot en guise de fenêtre, un vieux lit disposé dans un coin, un lavabo et un petit miroir ébréché… Spartiate, mais correcte. Un bureau simple avec une chaise et une armoire meublaient également la pièce. Cependant Triss ne s’en plaignit pas. A vrai dire, son esprit était préoccupé par autre chose.

  • C’est amplement suffisant, le remercia Triss en se forçant à sourire. Merci beaucoup, Seigneur Evander…

Ce dernier éclata de rire.

  • Je ne suis pas un seigneur, Votre Majesté, la corrigea-t-il. Seulement un guide pour nos camarades en fuite. Les gens d’ici m’appellent tout simplement Evander et je vous invite à faire de même.

Il parcourut la pièce du regard avec un sourire nostalgique, voyant probablement se rejouer devant lui des souvenirs invisibles pour Triss.

  • Cet endroit est la concrétisation de tous nos efforts pour vivre en paix… Et je m’efforce de le protéger de mon mieux, murmura-t-il avant d’ajouter à l’intention de la jeune fille : votre oncle était l’un des premiers bâtisseurs de Varenn… mais il refusait de s’enterrer dans cet endroit et de se couper ainsi du monde. Il voulait jouer un rôle plus actif dans notre lutte contre les Nocturii. C’est pourquoi il est parti fonder le Quartier Umbrella. Mais nous gardions un contact par lettre. Il nous envoyait des provisions, des fonds, et quelquefois aussi certains nouveaux venus souhaitant se retirer loin de la Surface. Ces derniers se sont tous plutôt bien adaptés, je dois dire. Sirius était notre lien avec la Surface et notre soutien. Il nous permettait d’améliorer grandement notre quotidien. Alors, lorsque au cours de notre dernière expédition dans la ville démone la plus proche il y a deux semaines, nous avons appris la destruction d’Umbrella et que son nom figurait parmi les victimes recensées... Ce fut un triste jour, oui. Je me répète, mais sa perte… est un coup dur pour notre communauté. C’est pourquoi votre arrivée est un véritable baume au cœur, croyez-moi.

Triss sentit une pointe de culpabilité percer sa poitrine.

  • Oncle Sirius n’est pas entré dans les détails… déclara-t-elle en changeant de sujet. Il ne me racontait pratiquement rien sur… son passé… avant qu’il ne fonde le Quartier Umbrella. Ce que je sais, je l’ai appris des autres.
  • Je crois que je le comprends, répondit Evander en hochant la tête. Sirius était comme nous… Nous avons tous été marqués par la cruauté de nos anciens maitres nosferatus et des Nocturii.

Il découvrit son épaule droite, laissant apparaitre une profonde marque au fer rouge incrustée dans sa chair. Triss reconnut en un clin d’œil le symbole de la fleur de lys, l’emblème de Némésis. Elle frissonna imperceptiblement. Son oncle, comme bien d’autres réfugiés, avait la même marque indélébile… Celle des esclaves.

  • Ça n’est pas quelque chose dont j’aime me souvenir, précisa Evander. Encore aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu survivre à cet enfer… Sans l’amitié précieuse de votre oncle et de votre père, je n’y serais jamais parvenu.

Triss redressa aussitôt la tête.

  • Vous avez aussi connu mon père ? l’interrogea-t-elle d’une voix pressante.

Elle n’avait plus qu’un vague souvenir de celui-ci, une silhouette trouble et lointaine dans sa mémoire, mais si réconfortante… L’espoir d’en apprendre davantage sur lui la tenaillait.

A ces mots, elle vit les yeux d’Evander s’emplir d’un regret sincère.

  • Oui… articula-t-il difficilement, une peine immense se lisant sur son visage. Avec votre oncle, nous étions gladiateurs dans les arènes que tiennent les Nocturii pour amuser les nobles.
  • Il me l’a dit, murmura Triss.
  • Il y avait bien pire, comme position… Nous mangions à notre faim et, contrairement aux autres esclaves, nous étions plutôt bien traités. Mais presque chaque jour, nous devions entrer dans l’arène pour affronter des monstres, voire d’autres prisonniers… Nous mettions nos vies en jeu pour satisfaire ces maîtres impitoyables. A leurs yeux, nous n’étions que des jouets qu’ils pouvaient très vite remplacer. Cependant certains d’entre nous, les plus forts, qui parvenaient à se faire apprécier de la foule, devenaient des champions. Ils pouvaient même avoir accès à de réels privilèges. Et votre père, Altesse, était l’un de ceux-là ; c’était probablement le plus grand champion de l’arène à notre époque. Les nosferatus l’appréciaient énormément et il jouissait d’un grand crédit même auprès des autres combattants. Cependant votre père était surtout un véritable chef qui imposait le respect et la loyauté. Nous avons combattu plusieurs fois à ses côtés avec votre oncle et, soudés par la douleur dans cet enfer, nous sommes devenus frères d’armes. Puis un jour, il a commencé à parler de rébellion.

A suivre...

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