Chapitre 33 : Vive la Révolution, Partie 3

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Naru avait peur. Depuis que les vampires, la surprenant au chevet de Philippa, l’avaient attrapée, l’apprentie sorcière ne pouvait s’empêcher de trembler. Elle avait pourtant réagi promptement en empoignant son sceptre pour le braquer vers ses agresseurs, mais elle avait paniqué, ne sachant plus quel sortilège invoquer parmi tous ceux qu’elle connaissait. La jeune sorcière avait donc été neutralisée sans difficulté.

Elle ne possédait pas comme Triss ou Syana l’instinct de combattante qui leur permettait de réagir au moindre danger ; elle n’avait pas non plus l’expérience guerrière de Sheamon, ni même le savoir et la cruauté de Cassandra. Elle réfléchissait toujours avant d’agir, souvent trop longtemps… A cause de sa lenteur de réaction précisément, Philippa et elle avaient été capturées, entraînant le sacrifice de Triss pour les sauver toutes les deux. A l’idée de ce qui attendait la jeune vampire, Naru ne pouvait s’empêcher de frissonner d’effroi. Evander avait dans ses yeux la même lueur de cruauté qui animait Cassandra quand l’heure était venue pour elle d’exécuter un sacrifice. La jeune sorcière était terrifiée pour la vie de son amie...

Malheureusement, elle ne pouvait rien tenter. Son sceptre était entre les mains de l’un des deux gardes, or sans lui Naru était plus ou moins une humaine comme les autre. Les vampires la maitriseraient à nouveau en un clin d’œil. La seule qui aurait pu avoir une chance d’agir efficacement était Philippa mais cette dernière, à peine consciente et enchainée, avait tellement de peine à marcher que sans l’aide de Naru, elle se serait déjà écroulée. Toute tentative paraissait donc vouée à l’échec…

Ils arrivèrent en vue des portes monumentales du refuge. L’un des deux gardes fit signe aux prisonnières de s’arrêter, puis il se dirigea vers l’entrée pour ouvrir tandis que l’autre continuait de les surveiller.

Soudain, Philippa fut prise d’une violente quinte de toux et glissa de l’épaule de Naru. Cette dernière, surprise, réussit néanmoins à la rattraper avant qu’elle ne s’effondrât.

  • Que lui arrive-t-il ? s’alarma le garde le plus proche en braquant son fusil sur les deux prisonnières.

Son camarade l’imita aussitôt. Indifférente, Naru déposa doucement Philippa à terre, dont la respiration semblait s’être soudainement accélérée.

  • Une nouvelle crise, expliqua-t-elle en prenant le pouls de sa patiente. Il me faut les herbes dans ma sacoche…
  • Hors de question ! Relève-là immédiatement !
  • Elle va mourir si je ne la soigne pas immédiatement !
  • Ce n’est pas notre problème, répliqua le garde en visant la sorcière. Si tu n’obtempères pas, on n’hésitera pas à t’abattre ici. Alors relève-la !
  • Vous m’avez bien regardée ? rétorqua Naru, sarcastique. Je suis à peine capable de la soutenir ! Vous croyez sérieusement que je peux la relever toute seule ?

Le garde la regarda d’un air méfiant ; il dut admettre cependant que la jeune fille avait raison. Il abaissa alors son arme et se pencha pour saisir l’autre bras de Philippa.

Cette dernière ouvrit les yeux à cet instant précis.

Sous l’effet de surprise, la bouche du garde s’ouvrit pour lancer un cri qui se transforma en gémissement de douleur étranglé quand les menottes de Philippa s’écrasèrent sur son visage. Il recula instinctivement, mais un puissant coup de pied de l’espionne s’enfonça dans son ventre ; il fut projeté en arrière, droit sur son camarade qui avait tenté de viser leur assaillante. Ce dernier, percuté violemment, s’écrasa lourdement sur le mur et lâcha son fusil. L’arme fit feu, mais le tir ricocha contre le sol tandis que les deux vampires s’écroulaient, complètement sonnés. Vive comme l’éclair, Philippa se redressa aussitôt pour se jeter sur ses adversaires. Le premier eut la présence d’esprit de braquer son arme sur l’espionne mais cette dernière, attrapant le canon, le poussa vers le visage du garde et d’un violent coup de crosse, lui brisa le nez. Une fontaine de sang jaillit. Philippa en profita pour lui arracher des mains l’arme qu’elle lança à Naru.

  • Prends-la ! lui ordonna-t-elle.

Naru, stupéfaite, faillit laisser tomber le fusil. Mais elle parvint malgré tout à le pointer vers les deux gardes en tremblant. Celui qui avait perdu son arme chercha à la récupérer mais Philippa, d’un geste vif, s’empara de la machette à la ceinture du premier et lui planta la lame dans la main.

Le hurlement de douleur qu’il poussa résonna en écho dans le tunnel et dans les oreilles de Naru. Il ne s’arrêta que lorsque Philippa lui écrasa la gorge d’un coup de pied, coupant sa respiration. Il se tordit sur le sol, cherchant à reprendre son souffle, partagé entre la douleur et la nécessité d’aspirer de l’air. L’autre garde, complètement tétanisé, n’osait plus esquisser le moindre geste.

  • Restez sages, les avertit l’espionne en poussant d’un coup de pied l’autre fusil hors de portée. Si vous tentez quoi que ce soit, je vous tranche la tête, compris ?

Les deux vampires, effrayés et blessés, se contentèrent d’acquiescer silencieusement. Avec ses traits émaciés, les cernes qui marquaient ses yeux ainsi que ses cheveux collés par la sueur, Philippa avait l’air d’une terrifiante psychopathe… Elle arracha la clé du garde balafré et s’empara du couteau à la ceinture de l’autre, achevant ainsi de les désarmer. Pendant que la shinobi se débarrassait de ses chaines, Naru maintenait les gardes en joue, tout en s’efforçant de cacher son tremblement. Elle ne s’était jamais servie d’une arme à feu, aussi espérait-elle que ses prisonniers ne s’en rendraient pas compte.

  • Bien, déclara Philippa en se redressant. J’ai quelques questions à vous poser. Si vous répondez correctement, il se pourrait que je vous laisse vivre… Qu’avait prévu de faire Evander de nous ?
  • On… On devait vous donner en pâture à Voldra… répondit le garde à la cicatrice, parlant d’une voix sourde à cause de son nez cassé.

Naru laissa échapper une petite exclamation de surprise, que Philippa ignora.

  • Et qu’a-t-il fait à Sheamon Wave ?
  • Rien ! s’écria le deuxième. Il l’a juste forcé à partir, parce qu’il constituait un obstacle tant qu’il restait ici… En fait il craignait que l’exorciste provoque une catastrophe. Au début, Evander avait l’intention de vous laisser partir avec lui, mais votre ami le démon s’est échappé. A cette heure, il a surement rejoint Wave et l’a prévenu de ce qui se passait ici. Evander sait qu’ils ne resteront pas les bras croisés. Il a voulu se débarrasser de vous pour éviter que vous ne les aidiez à tenter quelque chose pour récupérer la fille… Nous devions faire semblant de vous laisser partir pour duper la princesse afin qu’elle ne cherche pas à se rebeller.
  • Donc il avait prévu de nous tuer dès le début, murmura Naru en frissonnant.
  • Cela ne m’étonne pas… grommela Philippa. Et que compte-t-il infliger à Triss ?
  • Il… Euh…

Mais le garde conserva un silence obstiné. Philippa s’avança et lui planta brusquement le poignard dans la cuisse. Lentement, elle fit tourner la lame dans la plaie malgré les suppliques et les gémissements de sa victime.

  • Ecoute-moi bien… reprit-elle d’une voix menaçante. Je n’hésiterai pas à te torturer aussi longtemps que nécessaire jusqu’à ce que tu me révèles ce que je veux savoir. Et crois-moi, j’ai été formée par un maitre dans l’art…

Le visage du garde se tordit d’effroi autant que de douleur.

  • D’accord, d’accord ! capitula-t-il. Evander a l’intention de se servir du sang de la princesse pour que nous devenions plus forts !
  • Que veux-tu dire ? le pressa l’espionne, étonnée.
  • Evander assure qu’en buvant le sang de la fille, nous pourrons gagner ses pouvoirs et devenir aussi puissants qu’elle ! Ensuite, il a prévu de la tuer !

Philippa et Naru échangèrent un regard interdit.

  • C’est possible ? demanda la sorcière.
  • Forlwey ne m’en a jamais parlé mais je suppose que si Evander le croit, c’est qu’il y a de sérieuses probabilités pour que ce soit exact. Cela ne semble pas aussi incroyable, tout compte fait. Et si l’on prend en compte les capacités de régénération de Triss, il ne leur faudra pas longtemps pour boire tous de son sang.
  • Il faut qu’on trouve Sheamon et Jonas, déclara Naru très inquiète. Il va falloir échafauder un plan, étudier les possibilités de…
  • Nous ne disposons pas de beaucoup de temps pour réagir, la coupa Philippa. Il faut y aller immédiatement ou il sera peut-être trop tard. Quand Evander comprendra que nous nous sommes échappé, cela risque de précipiter son plan et la mort de Triss. Il faut espérer que le démon ait réussi à trouver Wave et qu’ils tentent déjà quelque chose de leur côté. Mais par précaution, nous devons d’ores et déjà agir par nous-mêmes…

Elle s’adressa alors au garde.

  • Sais-tu comment s’infiltrer rapidement dans le refuge sans être repéré ? le questionna-t-elle avant de le prévenir. Réfléchis bien… de ta réponse dépendent beaucoup de choses, dont vos vies.

Le garde déglutit avec difficulté.

  • Il… il y a un passage sous la colonie : des galeries, un ancien temple… Et un accès au refuge qui permet de ressortir à l’intérieur de l’ancien vaisseau de guerre. Tout le monde le connait ici. En cas de danger, on est sensé s’y réfugier.
  • Ce sera trop long, et surtout trop dangereux vu qu’on ne connait pas ces galeries, l’interrompit Philippa.
  • Vous pouvez passer par l’entrée principale, intervint le second garde, désireux de manifester sa bonne volonté. Aujourd’hui, tout le monde est rassemblé sur la place centrale alors, tant que vous évitez cette zone, vous ne devriez rencontrer personne.

Philippa hocha la tête, manifestement plus encline à suivre cette idée.

  • Merci de votre coopération, leur dit-elle.

D’un geste vif, La shinobi trancha la tête du premier garde d’un revers de sa machette. Le corps sans vie s’écroula devant le regard terrifié de son camarade. Naru sursauta, stupéfaite par la rapidité de l’espionne.

  • Sale monstre ! hurla le second en tentant de ramper hors de sa portée. Il t’a dit la vérité !
  • Oh, j’en suis certaine, gronda Philippa. Malheureusement, je manque singulièrement de pitié en ce moment…

Sur ces mots, elle se jeta sur l’autre, plaquant sa main sur la gorge de celui-ci pour le maintenir au sol. Malgré les cris et les suppliques de sa victime qui se débattait, elle lui embrocha ensuite le cœur sans états d’âme. Après quelques sursauts et un hurlement étouffé par le sang qui lui montait dans la gorge, celui-ci s’écroula à son tour à côté de son camarade.

Naru regarda avec horreur Philippa retirer sa lame et l’essuyer sur son adversaire, avant de récupérer le sceptre et la sacoche de la sorcière pour les rendre à leur propriétaire.

  • Tiens, lui dit-elle d’un ton indifférent. Il y a un peu de sang dessus… désolée.
  • Pourquoi les avez-vous tués ? explosa Naru. Ils étaient vaincus et nous avaient même aidées !
  • C’était trop dangereux de les laisser en vie, répondit Philippa en haussant les épaules. J’attendais une occasion pareille depuis le début. Bravo d’avoir remarqué que je jouais la comédie.
  • Mais je pensais que vous étiez vraiment mourante ! rétorqua Naru, en marquant un temps d’arrêt alors que Philippa était prise d’une quinte de toux sanglante. En fait, vous l’êtes toujours, c’est juste que je n’arrive pas à comprendre comment vous avez encore autant de forces !
  • Entrainement et volonté, lâcha Philippa entre ses dents. Mais je suis véritablement à bout. Et j’ai absolument besoin d’un repas… Il vaut mieux que je me serve tant qu’il est encore chaud…

Sur ces mots, elle s’agenouilla près du cadavre du second garde et, se penchant au-dessus du corps, elle ouvrit la bouche, dévoilant ainsi de longues canines effilées qu’elle planta dans la gorge de sa victime. Naru déglutit et détourna les yeux tant que dura le repas de sa compagne. Elle nettoya son sceptre et sa sacoche de son mieux avant d’en vérifier le contenu. A première vue, rien ne manquait : elle doutait que les vampires eussent prêté attention aux fioles, grimoires et autres herbes dont ils ignoraient l’usage… Son balai, sous sa forme miniature, était toujours dans son sac. Les vampires l’avaient sans doute pris pour un jouet ou une sorte de totem et ils n’y avaient pas touché. De toute manières, elle et Philippa étaient censées mourir, alors le contenu de ses affaires avait dû leur sembler de peu d’importance. Les vampires avaient juste pris soin de les emmener avec eux pour faire croire à Triss que ses amies allaient effectivement être relâchées.

Philippa se redressa alors en essuyant sa bouche d’un revers de manche.

  • Allons-y, déclara-t-elle en rebroussant chemin, la machette et le couteau en main.
  • Attendez une seconde ! intervint Naru. On ne peut pas y aller sans plan !
  • Le plan est très simple, répliqua Philippa. On s’infiltre, on attaque par surprise, on libère Triss et on s’enfuit rapidement, en tranchant au passage la gorge de ce chien d’Evander. Tu as toujours ton balai ?
  • Oui, mais… Il ne peut pas porter trois personnes en même temps…
  • Dès que nous aurons récupéré Triss, tu t’enfuiras avec elle par la voie des airs le plus rapidement possible.
  • Mais alors, vous allez…
  • Je me débrouillerai.

Philippa avait prononcé ces paroles avec assurance. Néanmoins Naru voyait clairement qu’elle ne survivrait pas. Si le sang qu’elle avait bu lui avait effectivement rendu des forces, son corps devait toujours lui infliger un véritable calvaire et l’énergie qui lui restait ne tarderait pas à s’épuiser. L’espionne le savait évidemment. Mais elle allait quand même se battre.

  • Vous allez mourir… murmura Naru.
  • Peut-être bien, répondit Philippa en haussant les épaules.
  • Que penserait Triss si cela arrivait ? Vous n’avez pas réfléchi à la douleur que votre mort lui causerait ?

Philippa se figea. Pendant un instant, Naru eut peur d’être allée trop loin ; elle trembla à l’idée que l’espionne pût s’en prendre à elle. Le souvenir de son poignet brisé était encore douloureux dans son esprit…

  • Tu as peur de moi, pas vrai ? devina Philippa en relevant les yeux vers elle avec un sourire résigné. Je suppose que c’est amplement mérité… Après tout, j’ai commis des crimes terribles dans ma vie et je t’ai fait du mal aussi… Pour ce que ça vaut, j’aimerais te dire que je suis désolée…

Naru, étonnée par ces regrets soudains, ne sut comment réagir.

  • Mais tu sais, malgré toutes mes fautes, il y a au moins certaines choses dont je suis fière, reprit Philippa. Et parmi celles-ci, je suis heureuse d’avoir connu Triss, de l’avoir vue grandir et d’avoir passé tout ce temps avec elle… Je sais que si on intervient maintenant, j’ai très peu de chances d’en revenir vivante et que Triss risque d’être malheureuse. Mais si cette vie à demi brisée que je traine peut servir à la sauver, je n’hésiterai pas une seconde à me sacrifier pour elle. Triss doit vivre, quoi qu’il arrive. Et je suis prête à tout pour elle, y compris à souiller encore plus mes mains de sang… Tu es avec moi ?

Les yeux de Philippa brillaient d’une détermination froide, presque cruelle. Mais Naru n’avait plus peur. Elle comprenait la volonté qui l’animait parce qu’elle la ressentait aussi. Triss et elle ne se connaissaient que depuis quelques jours seulement, mais elles s’étaient mutuellement aidées à surmonter de terribles défis… La princesse la traitait en égale, non pas en esclave comme Cassandra ou en rivale comme les autres sorcières. C’était auprès de Triss qu’elle s’était véritablement sentie appréciée pour ce qu’elle était.

Elle redressa la tête et soutint le regard de Philippa.

  • Triss est mon amie, affirma-t-elle avec force. Bien sûr que je suis avec vous !

Un sourire vint étirer les traits de l’espionne. Elle s’apprêtait à répondre, quand soudain les portes tremblèrent avant de s’ouvrir lentement, à la stupéfaction des deux conspiratrices. Par réflexe, Philippa se mit en position de combat tandis que Naru brandissait son sceptre.

Ryku fut le premier à se faufiler par l’ouverture. Il portait sur son dos un corps inconscient, que Naru reconnut avec stupéfaction : c’était Ilyann. Puis ce fut Sheamon lui-même qui entra d’un pas rapide. Il s’arrêta avec surprise, en haussant les sourcils.

  • Ce devin n’en finit pas de m’étonner, lâcha-t-il impressionné.

A suivre...

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