Chapitre 1

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Cinquante ans plus tard, la ville s’est reconstruite. Les guerriers meurtris ont reconstruits les maisons un peu plus loin, ont envoyés leurs morts au Valhalla et ont repris épouse parmi les femmes qu’ils ont prises en esclavage. Leurs enfants ont grandi, ont appris à se battre, ont fait des enfants à leur tour et portent en eux la vengeance de leurs pères. Les nombreuses expéditions leur ont permis de retrouver les monstres qui avaient massacré leur cité. Ils se sont battus mais ils ont perdu, face à la fureur des ennemis. Les guerriers vengeurs avaient eu leur revanche. Les adversaires qui ne se sont pas battus ont été réduits en esclavage et reçoivent régulièrement des remarques sur leur passé fautif.

Tous se détestent cordialement, maîtres et esclaves n’hésitent pas à faire des exactions les uns contre les autres mais aucun n’ose plus tuer. Tous sauf Flok, petit-fils du chef des guerriers, et Fraya, petite-fille du chef des destructeurs de la ville. Ces deux-là sont à part.

Ceci est mon histoire, celle d’une fille amoureuse d’un viking qui lui est interdit de par sa condition mais prête à tout pour pouvoir vivre son amour.

Je connais Flok depuis ma naissance. Sa mère était la sage-femme de la ville et elle a toujours accepté d’aider à accoucher les femmes esclaves. C’est elle qui m’a mise au monde et qui m’a élevée quand ma mère est morte. Flok avait quatre ans à ma naissance et m’a toujours protégée comme s’il était mon grand-frère, même quand son père s’énervait contre moi alors que mon travail n’était pas bien fait ou qu’il avait trop bu. Il est mort il y a quelques années laissant le pouvoir à son fils unique et entrainant dans la tombe son épouse. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je l’aimais. Au fil du temps, son regard sur moi a changé, passant de l’aîné protecteur à celui de l’homme célibataire et amoureux.

Malheureusement, cette idylle ne semble pas enthousiasmer le reste de la ville... Certains tentent même de trouver des griefs contre moi pour me chasser loin du reste de la population, comme si j’étais atteinte d’une maladie incurable et hautement contagieuse. Flock aimerait intervenir mais sa position de chef l’en empêche. Je le vois à ses regards tristes, à ses bras qui se tendent avant de se rétracter et à sa manière de parler à ceux qui me créent des problèmes. Régulièrement, je retrouve ma misérable masure sans-dessus-dessous, mes affaires éparpillées et déchirées, mes pauvres livres éventrés avec des pages à moitié brulées et mes meubles détruits. Combien de fois ai-je dû dormir à terre ou me déplacer avec des trous aussi gros que mon visage dans les vêtements, dévoilant plus qu’ils ne recouvrent. J’aimerais tant pouvoir riposter mais les citoyens sont inattaquables et les autres esclaves ne font que de se moquer de moi sans toucher à mes affaires. En plus de ça, il faudrait que je sache qui me torture ainsi mais je ne peux pas travailler et surveiller en même temps.

L’hiver est arrivé et avec lui la neige et les tempêtes qui durent des jours. Je grelotte dans ma petite maison, collée le plus possible au petit feu qui brûle dans le minuscule cercle de pierres. Une peau mal-tannée comme seule couverture, je ne sens plus mes doigts et mes orteils. Ils virent au bleu et j’ai peur de les perdre. La porte s’ouvre sous la force du vent, laissant entrer les bourrasques de neige. Je cours vers la porte pour la fermer et pose contre la misérable chaise cassée qu’il me reste depuis le dernier saccage. Frissonnante, je retourne auprès du foyer qui se meurt par manque de bois. Le battant s’ouvre à nouveau une dizaine de minutes plus tard. En rouspétant, je retourner la fermer mais elle résiste. Je lutte, force autant que le peu d’énergie qu’il reste dans mon corps me le permet. Je n’y arrive pas et je me demande si je vais mourir de froid cette nuit, seule dans la masure. J’entends un grognement et la peur me gagne. Est-ce un loup ? Ou un homme ? Si c’est un homme, que me veut-il ? Qui sortirait par un temps pareil ?

  • Vas-tu me laisser entrer, à la fin ? Il fait froid !
  • Fl.... Flock ? Par Odin ! Mais que fais-tu ici ? Entre ! Même s’il n’y fait pas plus chaud que dehors.
  • Par tous les dieux ! Que s’est-il passé ici ?
  • Comme d’habitude. Ils sont venus alors que j’essayais d’attraper un lapin et de récolter un peu de bois et ont tout détruit. Mais c’est rien. Je reconstruirai tout à la belle saison. Si je passe l’hiver.
  • Tu le passeras. Viens avec moi. Tu ne peux pas rester seule. Tu vas perdre une main dans ce froid, voire mourir et ça, je le refuse ! Les dieux ne te prendront pas. Tu es mienne et rien ne te séparera de moi !
  • Rien ? Pas même l’ensemble du clan ?
  • Il est temps qu’ils t’acceptent comme potentielle et future épouse du chef ! Les enfantillages ont assez durés !
  • M... M... Moi ? Épouse du chef ? Non. Jamais, ils ne l’accepteraient ! Ils me tueront plutôt que de me laisser être près de toi.
  • Ils l’accepteront ou ils partiront ! Je les ai laissés te faire du mal trop longtemps. Résultat, tu habites à plusieurs kilomètres de la ville, sans rien ni personne pour t’aider. C’est inacceptable et inexcusable.
  • Je ne peux pas ! Je ne veux pas t’imposer une telle souffrance. Laisse-moi. Ça ira. Je te le promets.
  • Non. Tu viens un point c’est tout !

M’empoignant par le poignet, il me tire dehors, sans se rendre compte que je n’ai rien de plus sur moi que ma peau mal tannée et une robe de lin trouée et déchirée. Ça ne change pas grand-chose, au final. J’avais tellement froid que je ne sens même plus la brûlure de la neige sur ma peau nue. Je tremble, claque des dents mais le bruit du vent et de la neige font que Flock ne remarque rien. Je continue d’avancer. Un pas. Puis un autre. Un coup de vent enlève ma toison, l’emportant trop vite pour que je puisse la rattraper. Un autre pas. Le froid se fait plus intense, s’infiltre jusqu’à la moelle de mes os, me poussant à chercher la chaleur de mon compagnon de route et à m’entourer le torse de mon seul bras libre. Un pas de plus. Je glisse sur une plaque de neige verglacée et tombe tête la première contre le sol gelé. D’un coup, tout devient merveilleusement noir et chaud.

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