Chapitre 4

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Un courant d’air froid me réveille. Je suis seule dans le grand lit mais je ne m’inquiète pas. Flock est juste à côté, en train de parler de l’avenir de Bjorn avec les autres Böndr : certains demandent un peu plus de clémence et l’exil au lieu de la mort ; les autres suggèrent de le tuer lentement, de le torturer avant de laisser les Valkyries l’emmener au Royaume de Hel. Je sais que Flock préfèrerait une mort rapide et exemplaire mais ils sont peu nombreux à le soutenir dans ce combat.

Je me lève et vois une robe posée sur la chaise juste devant moi. Je me lave rapidement et la revêt avant d’aller voir comment ça se passe dans la grande salle. Mon entrée ne passe pas inaperçue. Je suis la seule femme présente mais aussi celle à cause de qui tout a commencé et qui a battu le guerrier invulnérable. Je lis un mélange de respect et de mépris dans leurs regards mais je n’en ai cure. Un seul regard m’importe et dans celui-là, on n’y lit qu’une affection grandissante.

Grant et Hans viennent me féliciter pour mon combat d’hier et me demandent s’il ne m’a pas fait trop de mal. C’est un nouveau choc pour moi, la fille encore hier maltraitée. D’autres, comme Pohn et Tuyn, me tournent le dos en signe de désapprobation, ce qui ne change pas beaucoup de leur comportement ordinaire. Je me glisse auprès du chef de l’assemblée et lui glisse à l’oreille que je sors retrouver les autres femmes pour l’entretien des armes et des animaux. Il est interloqué mais ne m’empêche pas de partir.

Dehors, plusieurs mètres de neige sont tombés au cours des derniers jours, recouvrant tout d’un magnifique manteau blanc. Je croise quelques habitants qui me saluent. Les esclaves viennent me remercier d’avoir battu un homme aussi méchant qu’idiot et cruel. Je savais qu’il martyrisait certains d’entre eux mais je n’avais aucune preuve et aucun pouvoir pour les défendre, malgré ma position de cheffe des Thræll. C’est pourtant un crime parfaitement ignoble et punissable par nos lois. Je ne peux pas rester muette face à cette souffrance trop longtemps refoulée. Je leur demande de se rendre à la maison du chef et d’expliquer ce que Bjorn leur a fait subir pendant des années. Les plus modérés changeront peut-être d’avis mais les plus rancuniers s’en donneront à cœur-joie pour en faire le plus bel exemple d’aigle de sang qu’on n’ait jamais vu.

Après avoir travaillé quelques heures avec les autres femmes autour d’une vache qui est tombée malade et de déblayer un maximum la forge afin de la reconstruire, je retourne à la maison. Pas chez Flock. Dans mon vrai chez moi, là où il fait aussi froid que dehors et où les meubles tombent tous en miettes. Le trajet me parait plus court que d’habitude. Sans doute parce que je veux voir si je pourrais y récupérer quelque chose.

Cependant, quand j’arrive devant la cabane, celle-ci ne tient même plus debout. Elle a été réduite en un petit tas de cendres grises sur la neige blanche. Elle n’a pas dû brûler il y a très longtemps, sinon les traces auraient déjà disparues. Ça a dû se passer hier, juste avant que Bjorn n’arrive chez Flock. Mon cerveau en ébullition, je réfléchis à une éventualité à laquelle je n’avais pas encore songée : Bjorn voulait certainement ma mort mais ne voulait-il pas aussi autre chose ? Je connais la haine qu’il a pour moi et pour certains esclaves mais, bizarrement, il ne s’agit que de femmes et deux d’entre elles m’ont dit plus tôt dans la journée qu’il les avait violées au moins une fois chacune. Du coup, voulait-il aussi toucher mon honneur à ce point ? Voulait-il aussi me violer et me forcer à me taire sur ses agissements ? Je ne sais pas mais je dois en avoir le cœur net. Je me mets à courir jusqu’à la ville aussi vite que la tempête de neige et mes jambes encore mal remises des combats me le permettent.

Quand j’arrive en ville, tout est silencieux. Il n’y a pas un chat en vue et je trouve ça étrange. Ça ne leur ressemble pas de se cacher, même sous une tempête comme celle-ci. Une brise m’apporte des éclats de voix sur ma droite. Je remonte la rue principale et arrive devant la maison de Flock. Bjorn est attaché sur la petite estrade où nous célébrons les mariages à la fin de l’été. Il est torse nu et ses bras sont tendus à l’extrême, tenus par deux piquets de bois fichés en terre. Tout le monde s’est rassemblé autour de lui. Quelques-uns l’encouragent à ne rien céder tandis que d’autres le traitent de tous les noms. La tension monte vite entre les pro- et les anti-Bjorn. Quand une rixe commence, je m’interpose et leur demande de recouvrer leur calme. C’est difficile, bien sûr, mais nécessaire. Lentement, les deux camps se séparent, laissant entre eux quelques modérés ou sans-avis et trois mètres de distance.

Flock monte sur l’estrade. Il ressemble à un ange de la mort, ainsi vêtu de noir, le visage fermé et un couteau à la main. Va-t-il tuer Bjorn rapidement ou va-t-il le torturer avant de le laisser mourir ? Nos regards se croisent et je lis dans le sien une résolution qu’il n’avait pas il y a quelques heures encore. Que s’est-il passé pour qu’il choisisse cette mort plus lente ? Est-ce à cause des histoires des esclaves violées ou est-ce parce qu’il a découvert quelque chose de plus ?

  • Bjorn ! Tu as été déclaré coupable de trahison, de tentative d’assassinat, d’incendie volontaire, de torture, de viols, de tentatives de viols, de menaces et de violences volontaires. As-tu une dernière chose à dire avant que nous ne commencions ?
  • Commencer quoi ? Tu comptes me torturer ? Tu ne feras rien devant la sorcière qui réchauffe ton lit la nuit ! Tu n’en auras jamais le courage ! Tu n’arriveras même pas à me trancher la gorge correctement ! Elle te tient par les couilles et te réduit à l’état d’un fantôme ! Elle va causer ta perte et celle de cette ville ! Gullveig elle-même m’a dit ce qu’il allait se passer ! Comment un Jarl accepterait-il une sorcière destructrice pour femme à part s’il veut détruire ce que ses ancêtres ont construit ?
  • Il suffit ! Si tout ce que tu as à dire n’est que paroles en l’air, au temps commencer directement !

D’un geste sûr, il trace une longue estafilade le long de la colonne vertébrale du traitre avant de faire la même chose à l’avant. Le sang commence à goutter rapidement. Changeant d’arme pour prendre un petit maillet, Flock se referme sur lui-même, ne laissant plus apparaitre de son vrai lui qu’un léger tremblement quand il frappe dans les côtes. Bjorn hurle de douleur. Je voudrais détourner le regard et rentrer dans la maison mais je sais que j’en serais incapable. Mon imagination s’emballerait et je ne dormirais plus pendant des semaines. Alors je me tais et je regarde mon chef lentement détruire la cage thoracique du coupable.

La quantité de sang est de plus en plus importante et les pointes blanches des os commencent à apparaitre. Flock stoppe le maillet et prend des pinces. Avec une lenteur horrible, il retire les côtes vers l’arrière, les transformant en ailes sanglantes. Bjorn s’est tu. Il est soit mort, soit évanouit sous la douleur de la torture. Je lui souhaite d’être mort car s’il reste en vie après ça, il ne sera plus que souffrance éternelle. Le bourreau s’arrête, contemple son œuvre puis libère le corps des entraves de chaines. Celui-ci tombe sur le plancher de l’estrade mais plus un bruit n’émane du violeur, ni de la foule.

Bien des minutes plus tard, les gens commencent à s’éloigner. On retire le cadavre de Bjorn de l’estrade et Flock en redescend. Je vais le rejoindre mais ne tente pas de l’approcher. Pas en public du moins. Il retourne à la maison et je le suis, quelques mètres plus loin. Je sais qu’il souffre au fond de lui et qu’il aura besoin de moi, même s’il ne le montre à personne. Je referme doucement la porte, me dirige vers le meuble où sont conservés les hydromels les plus forts et en verse deux verres. Nous en aurons tous les deux besoin. Je le retrouve allongé en travers du lit, les yeux fixés sur le plafond et des larmes coulent le long de ses tempes pour se perdre dans ses cheveux. Je pose les chopes sur la table de chevet et monte sur le lit. Je ne sais pas trop bien quoi faire alors je pose mes mains sur son torse avant que ma tête ne les rejoigne. Il tressaille légèrement mais n’esquisse pas un seul autre geste. Nous restons ainsi longtemps. Plus longtemps que ce que qu'à duré la réalisation de la torture.

  • Il a dit que s’il y était arrivé, il t’aurait violée comme les trois autres avant de te couper la tête. Ça m’a mis dans une telle colère ! Je crois que je n’ai jamais été aussi enragé de toute ma vie.
  • Il ne m’a rien fait et il n’aurait rien pu me faire. Tu as bien vu ce que je lui ai infligé hier alors il n’y a pas de quoi s’inquiéter sur ce qui aurait pu se passer. Mais il n’a jamais rien fait de plus que de détruire mes affaires alors maintenant qu’il est mort, on n’a plus besoin de ressasser le passé et d’imaginer ce qui aurait pu arriver car ça n’arrivera jamais. D’accord ?
  • Ça ne change rien au fait qu’il a trahit son clan, son honneur, sa famille et l’ensemble des lois que nos ancêtres ont instaurées il y a des centaines d’années.
  • Effectivement, ça ne change rien. Mais il a payé de sa vie ses crimes et il est inutile de revenir encore plus là-dessus. Ça ne fera que de nous apporter plus de souffrances inutiles.

Il soupire et ses bras se referment enfin sur moi. Le silence s’installe à nouveau. Je lui raconte ma journée pour le détendre. Il rit quand je lui raconte que Tarin est tombée dans la bouse de vache après s’être cognée contre la porte qu’avait poussé trop fort Berthe La Rousse. Ça fait du bien de le voir se détendre un peu. Quand je me tais, il me regarde comme s’il savait lire en moi. Il sait que je lui cache quelque chose mais je ne veux pas miner son moral tout juste rétablit. Il se redresse à moitié et inverse nos positions. Ses mains emprisonnent mes poignets et ses jambes s’immiscent entre les miennes.
Me voilà clouée au lit, son poids m’écrasant contre le matelas de laine. Ma respiration se coupe et mes yeux s’agrandissent. Les siens s’assombrissent et son souffle se fait court. Il descend la tête vers mon visage. Je le tourne. Ça va trop vite. Ses lèvres frôlent mon cou et remontent vers mon oreille. Il me demande dans un murmure ce que je lui cache et un frisson me parcourt. Ma voix tremble et n’est pas du tout assurée. Je ne veux pas l’inquiéter avec les bêtises passées des autres. Il insiste, éparpillant des baisers dans mon cou et sous ma mâchoire. Mon souffle se raccourcit et se précipite comme mon cœur qui accélère dans ma poitrine. Mon esprit se vide pendant qu’il descend encore plus bas. C’est trop. Je lâche l’info, même si je ne le voulais pas.
Il se fige, se redresse, le visage à nouveau fermé. Je regrette déjà de l’avoir dit. Il descend du lit et se met à marcher en rond. Il est vraiment énervé. Je le rejoins et tente de le calmer. Il voulait que je vienne habiter avec lui, maintenant, plus rien ne peut interférer car c’est le rôle du chef de clan d’accueillir sous son toit les sans-abris. Il s’arrête, se tourne vers moi et me prend par les épaules. Je lis une douleur mais aussi son affection pour moi dans ses yeux. Ma main monte toute seule pour venir se poser sur sa joue. Il semble étonné par ce geste de tendresse mais ne s’éloigne pas. Nous restons figés ainsi un bon moment, le silence seulement perturbé par le bruit du vent et de la neige qui soufflent entre les maisons.

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