Chapitre 2 - Maudit bahut

6 minutes de lecture

S’il faut le dire comme ça au présent : Tout commence un lundi matin. Un jour infernal qui annonce ma semaine de cours. J'enseigne au lycée guingampais du troisième arrondissement dans la neuvième rue du quartier... Humph !

Et puis… Bref ! Ça ne vous sert à rien de connaître toutes ces informations. Je sais que vous ne déciderez jamais de venir me faire un p'tit coucou, un jour.

Donc… euh... passons.


Bien ! Pour en revenir au lycée où je dispense des cours, l'atmosphère y est plus ou moins paisible, l'environnement est assez salubre et le travail des surveillants de la cour et des couloirs est vraiment très admirable. Par contre, dans les salles de classe, il y a clairement plus de boulot à fournir. Pas en ce qui concernent les enseignants, heureusement. Nous fournissons également un travail exemplaire. Par contre, les élèves sont beaucoup trop médiocres. En principe, ce n'est pas l'un des termes qu'un professeur doit utiliser pour décrire ses apprenants, mais il m’est impossible de ne pas le souligner. C’est beaucoup trop flagrant. Pour preuve, notre établissement est le seul de la préfecture à engranger le plus grand taux d'échecs scolaires, soit 14% de plus que la moyenne.

Vous vous demandez pourquoi j’ai préféré venir dans un tel bahut ? Et ben, ce choix ne résulte pas de ma volonté. C’est celui de mon « très cher et aimable » gouvernement en l’instance du ministère de l’éducation national. Je n'aurai jamais souhaité mettre pieds dans un tel capharnaüm de mon propre vouloir. Les élèves sont cradingues, insolents et beaucoup trop déroutants. Mais bon, je crois que le dernier point, je le dois surtout à moi-même. En relation avec la discipline que je dispense, je tiens le second cycle. Donc, forcément, je suis confronté à des jeunes qui ont le même âge que moi. Et, là encore, je ne parle pas de ceux qui ont plusieurs fois échoués leur baccalauréat et qui doivent maintenant dépasser les vingt ballets[1].

Être professeur à l'âge de dix-huit ans, c'est… différent… dans le sens le plus péjoratif du terme.


Comme je l’ai énoncé au tout début, je suis un enseignant. Mon travail est de transmettre le savoir. Je tiens un rôle noble dans la société car je forme les cadres de demain. L'espoir qui fera évoluer notre beau pays, la France, et contribuera à l'essor du monde, eetc…

En gros, un métier ingrat !


Pour revenir à l’intrigue principale, ce lundi, je suis rentré dans ma salle de classe d'assez bonne humeur en pensant que cette attitude influencerait positivement ma journée et les gens qui en feront partie. Une pensée que je dois légitimement au dernier livre de développement personnel que je me suis coltiné avant de faire un bref aller-retour au pays des morts[2].

Donc, j'ouvre la porte, et...


(Luisance sonore atroce).


Je ne sais pas si ses petits malins ce sont aperçus que je suis là, mais ils pourraient quand même mieux faire en la mettant en veilleuse.

« Si tu pouvais arrêter de manipuler ton téléphone en classe, Natacha, ça nous ferait des vacances. Si tu pouvais songer à fermer les trois premiers boutons de ton t-shirt en soie long manches, On respirerait probablement mieux, Pidot. Personne n’est obligé de voir que t'as plus de poils sur le torse que ton jouvenceau de prof. Si tu pouvais songer à curer tes dents ailleurs, Tony… en dehors de la classe par exemple… ça nous empêcherait sans doute de nous imaginer la profondeur de tes troues de carie », me dis-je.

…vu la taille à laquelle la bûchette d'allumette disparaît en s'enfonçant à l'intérieur de ta dent de sagesse gauche du bas.


- Silence, tout le monde ! ... s’il… s'il-vous-plaît, dis-je instinctivement à l'assemblée.

Toutes ces petites canailles qui ne cessaient de gigoter sans arrêt, tel des têtes de coqs, se taisent un moment et daigne m’accorder de l’attention pour un assez bref instant.

- ?

Puis...


(!!!)


... reprennent de plus belle avec leurs bruyantes activités.

Comme d'habitude, je ne sais pas quoi faire. Pourtant, en regardant vers le couloir à l'extérieur de ma salle de classe, une fabuleuse idée m’apparait tout-à-coup.


- Salut Angéla, dis-je à la CVS qui passe par là en me jetant quelques petits regards en coin d'œil. Comment vas-tu ?

Je sens bien que cette ravissante jeune femme a un faible pour moi. Oui ! Bah ! Figurez-vous qu'un jour pluvieux en sortant de l'école, elle m'avait donné son parapluie pour que je ne me mouille pas sous les gouttes.

Bon, bien-sûr elle était véhiculée, mais... ça ne demeure pas moins, pour autant, un acte d'amour pure, je crois.


Même si elle devrait avoir six ou sept ans de plus que moi et qu'elle est déjà fiancée à quelqu'un d'autre, nous pourrions néanmoins bien vivre l'amour fou.

Qui sait ?


Bon, c'est vrai que je rêve un peu trop avec elle, mais c'est la seule personne avec qui j'arrive à parler sans trop de malaise. Elle est aussi jeune que moi dans ce lycée de dinosaures.

Quoi ? J'exagère ?


Non, mais est-ce que vous vous rendez compte que même mes propres élèves sont plus âgés que moi ? Et ce n’est pas de très près, si vous voyez ce que je veux dire.

Humpfff ! Bref...


- Bonjour Sébas - elle m'a appelé Sébas – Ah l’amour ! Comment te portes-tu ?

Toujours joviale, élégamment vêtue de ces tailleurs en lin, elle me fait frémir avec son regard disposé et plein d'attention.

Je m'y perds.


- Je me porte très bien. Hihihi ! Lui dis-je en gloussant comme une adolescente la tête pleine d’acné et de rêves. Je dirais même que je me sens très léger. Oui ! Je suis sur un petit nuage.

- Hum ?

Bien-sûr, il fallait que je lui réponde en sortant une bêtise si énorme comme j'en prends l'habitude. Ça risque de devenir ma marque de fabrique, à force.

- Euh… Euh ! Oui, je vais très bien, merci.

- Ah ok !

Ouf !


- Aurais-tu besoin de mon aide par hasard ? Me demande-t-elle sympathiquement.

- Hum ! À vrai dire... je crois que oui, répondis-je besogneusement.

- T'as un souci ?

Ah ! Quelle femme attentionnée !


Le bouffon qui l'a demandé en mariage, je le maudit profondément. Bon... et puis, de toutes les façons, il ne l'aurait pas fait qu'elle serait toujours restée là à chômer devant mes yeux sans que je n’aie la force et le courage de la courtiser. Or, étant donné qu'elle est déjà fiancée, j'éprouve moins de difficulté à me rapprocher d’elle.

Astuce #1 : Pour les frileux comme moi, quand une jolie et aussi charmante jeune femme est promise à un autre homme, il est plus facile de l'aborder car Il y'a moins de risques qu'elle se fasse des idées sur mes intentions envers elle. D'autant plus qu'elle considère le fait que je sache qu'elle est fiancée. Elle doit juste croire que je me rapproche d'elle pour le travail. Un détail qui pourrait être à mon avantage dans les jours à venir.

- Oui, j'ai un p'tit… p'tit souci avec les élèves, je m'efforçais de le lui avancer sans trop articuler. Mais, vraiment un tout p'tit.

On a compris !


- Ah bon ? Quoi donc ?

Bon, j'y vais cul-sec.


- Ils font beaucoup trop de bruit en classe et ne tiennent pas compte de ma présence.

- Euh !

- Et... et aussi... si ça continue comme ça, je... hum... je risque très sérieusement de m'irriter et de devenir vraiment très méchant envers eux.

Après avoir dit ça, Angéla me regarde avec un air de doute sur sa belle figure d’ange. Ne me croit-elle pas ? Ne suis-je pas assez convainquant ? Les arguments ne sont-ils pas assez crédibles ?

Évidement qu'ils n’ont aucune crédibilité. Un gringalet qui vient se plaindre de devoir devenir menaçant et cruel. Qui pourrait le croire, ça ?

Surtout ne répondez pas s'il-vous-plaît… chers… adorables et aimables lecteurs. Je sais que la réponse pourrait être blessante pour moi.


Pendant qu'elle essaie d'analyser la crédibilité de mes dires, je fais de mon mieux pour me redresser de telles sortes à ce que mes clavicules très prononcées puissent moins paraîtres ressorties et pointues qu'au naturel. Et accessoirement, pour ne pas totalement passer pour un zigoto complet.

Ce n’est pas que je ne mange pas beaucoup, c'est que je suis maigre de naissance.

Un mois entier de Macdo ne suffit pas pour enfler ce maigre tas d'os.


______________________________________________________________________

[1] Expression issue de l’argot française qui désigne le nombre d’années. Ex : Vingt balais ; vingt ans ; vingt pige…

[2] Une formule lourde et pas assez ironique désignant le sommeil.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire A.B Christ-Léandre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0