CHAPITRE III

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Pensif et allongé sur mon lit je regarde ma chambre comme un étranger qui découvre un lieu inconnu. Stéphane dit souvent que les lieux où l’on vit en disent long sur leurs occupants, qu’ils sont un reflet plus ou moins conscient de leur personnalité et que si on se donne la peine d’y prêter attention, on apprend beaucoup sur celui qui les habite.

En ce qui me concerne, j’avoue que je suis content de ma chambre ; elle est grande, bien éclairée par une fenêtre qui laisse passer le soleil du matin. La tapisserie, c’est moi qui l’aie choisie quand on a emménagé il y a un an et demie. Elle est chaude avec des motifs jaunes dorés qui ressortent sur un fond bleu Roy. Sur le mur au dessus de mon lit, il y a le drapeau des Philippines, bleu, blanc, rouge mais pas des bandes verticales comme le drapeau français et puis avec un soleil jaune. C’est le drapeau de mon pays d’origine même si je n’en ai plus aucun souvenir…

Pour le reste, par terre c’est un plancher clair avec plusieurs tapis aux motifs multicolores. Et puis bien sûr il y a un bureau encombré par mes affaires de classe, un lit et une grande armoire qui contient tous mes vêtements. A bien y réfléchir, à part le drapeau, je trouve que c’est une chambre qui ne parle pas beaucoup de moi mais ce n’est pas grave, je m’y sens bien.

‘Faudra que je demande si je peux accrocher des posters !’

En fait, cette chambre, c’est un peu comme la maison, on ne l’a pas vraiment transformée, à peine adaptée à nous, certainement parce que nous avons l’habitude de déménager très souvent et qu’on se lasse de ces changements d’univers ; je pense que Stéphane et Sébastien ne veulent plus s’investir dans un lieu de peur de trop s’y attacher et d’avoir de la peine lorsqu’on est obligé de le quitter …

Enfin, peut-être que cette fois-ci sera la bonne ? Peut-être…

Je me rappelle que le jour où l’on est arrivé à Nantes, j’avais douze ans et demie, on s’est installé dans le salon encore encombré par les cartons du déménagement et on a tenu un « Conseil de famille ».

Oh sur le coup, ça n’en avait pas vraiment l’allure, je veux dire, rien de formel mais j’ai quand même vite compris que c’était important, plus que ça presque vital. On était en train de finir la pizza qu’on s’était fait livrer, Stéphane et Sébastien buvaient un verre de rosé et moi je finissais une canette de Coca tiède.

-« Bon, je crois qu’il faut qu’on discute un peu tous les trois parce que je commence à en avoir assez de déménager tous les ans et j’aimerais bien qu’on soit tranquille ici … » a commencé Stéphane en se grattant la barbe comme souvent quand il réfléchit.

-« Oui tu as raison il faut qu’on fixe des règles pour se protéger, je ne veux plus vivre de cauchemars comme à Chartres.

-« C’est exactement ce que je me disais ! Qu’est-ce que tu en penses Didi ?

-« Oui… mais… enfin comment ?

-« Ca je n’en sais rien mais je pense qu’il faut qu’on fasse une liste de toutes les erreurs qu’on a déjà commises et qu’on réfléchisse aux différentes situations pour savoir quoi faire, quoi dire et pour ne plus avoir à en souffrir !"

Alors, on a réfléchi et on a parlé longtemps, très longtemps ; je sais que ça restera un grand moment pour tous les trois et que notre famille en est ressortie plus forte, plus unie et surtout prête à relever le nouveau défi que notre vie à Nantes nous lançait…

En fait ça a commencé le jour de la rentrée dans mon nouveau collège. Je m’étais installé timidement au fond de la classe et j’observais à la dérobée mes nouveaux camarades de classe. Ils avaient l’air de se connaître et madame Lereux, la prof de français venait de terminer l’appel.

-« Bien tout le monde est là, ça me fait plaisir de vous retrouver après ces deux mois de vacances ; je vous connais tous aussi je ne vais pas vous demander de remplir de fiche de renseignement sauf pour deux élèves, Bérangère et Diego. Est-ce que vous pourriez vous présenter à la classe, tous les deux ?»

J’ai tressailli quand j’ai entendu cela ; moi qui ne voulais ne pas me faire remarquer…

-« Allez, juste quelques mots pour que vos camarades apprennent un petit peu à vous connaître… Diego, tu te lances ? Allez, lève-toi que tout le monde te voit bien.»

Je me suis senti rougir un peu et je me suis levé puisqu’elle me demandait de le faire.

-« Bonjour, je m’appelle Diego Brisset ; j’ai douze ans et demie et je viens d’arriver à Nantes. Avant j’habitais Chartres et on a déménagé à cause du travail de mon père. »

Je me suis rassis aussitôt et j’ai souri de manière un peu embarrassée ; je n’aime pas être soumis à l’attention de tous.

-« C’est tout ? Un mot sur ta famille ou sur tes loisirs ?

-« Heu… je vis seul avec mon père et sinon je fais du foot… et heu non rien de particulier autrement…»

-« D’accord, merci Diego ; à toi Bérangère ! »

J’ai soupiré de soulagement intérieurement en entendant l’autre nouvelle se prêter à l’exercice.

‘Ca va, j’ai rien dit de trop ; je m’en suis bien tiré !’

Plus tard, au cours du deuxième trimestre, il y a eu un deuxième exercice de style du même genre toujours en français. Une rédaction qui avait pour thème « Faites le portrait de votre voisin(e) ». On avait quinze jours pour se voir et discuter et puis ensuite chacun devait écrire sa rédaction. Madame Lereux avait précisé que ce portrait ne devait pas s’en tenir au physique mais essayer de décrire le plus précisément possible l’environnement familial de l’élève assis à côté de nous, qui il était sur le plan moral, intellectuel…

C’est Boris Mautrier qui est à côté de moi en français et c’est lui qui a fait mon portrait tandis que je rédigeais le sien. Pour cela on a dressé chacun une liste de questions et ensuite on se les ait posées. Je me rappelle encore comment je suis revenu paniqué chez moi le soir et comment j’ai expliqué à Stéphane et Sébastien que je ne savais pas ce que j’allais faire.

-« Aïe, c’est vrai qu’il va falloir faire attention !

-« Bon, moi je propose que tu fasses ta liste de question et ensuite on verra ensemble ce que toi tu répondrais si c’était ton camarade qui te les posait ! »

C’est ce qu’on a fait et une fois la panique passée, on a trouvé un canevas destiné à me servir de guide qui pouvait presque se résumer en une phrase de Sébastien « tu ne parles pas de moi, juste Stéphane et toi et pour le reste, tu n’as rien à cacher ! »

C’est vrai, mis à part Sébastien, ma vie est très simple. Je vis avec mon père qui est séparé de ma mère depuis très longtemps et si j’ai souvent déménagé c’est parce qu’il changeait d’établissement très souvent.

On s’est vu deux fois avec Boris pour se poser mutuellement nos questions et ça s’est bien passé. Il n’a pas posé de questions vraiment indiscrètes et je n’ai presque pas eu à mentir. On a écrit chacun de notre côté nos rédactions, madame Leureux ne voulait pas qu’on lise ce que l’autre écrivait sur nous, et puis on a attendu qu’elle nous les rende.

-« Je vais vous rendre vos rédactions et je suis très contente de ce que vous avez fait ; j’ai trouvé que dans l’ensemble vous aviez vraiment fait du bon travail et j’ai appris beaucoup de choses très intéressantes. »

Elle a commencé à rendre les copies et rarement il y a eu autant d’impatience parmi les élèves parce qu’on voulait connaitre notre note bien sûr mais je crois aussi surtout pouvoir lire ce que notre voisin avait écrit sur nous.

-« Diego, c’est très bien écrit comme toujours, bon travail ! »

Je souris de contentement en apercevant le 16/20 inscrit au feutre rouge et tourne la tête pour essayer d’apercevoir la note de Boris.

-« Boris, c’est une excellente surprise ; franchement je ne m’y attendais pas, le sujet t’a inspiré ! Si tu n’y vois pas d’inconvénient, je voudrais lire ton portrait à la classe ?

-« Oh heu… oui, si vous voulez… madame, j’ai combien ?

-« 17/20, c’est la meilleure note de la classe, félicitations ! »

Elle a terminé de rendre les rédactions et a regagné son bureau.

-« Vous faites un peu de silence, s’il vous plait, je vais vous lire la rédaction de Boris que j’ai trouvée particulièrement réussie ; c’est le portrait de Diego.

Les élèves abandonnent à regret la lecture de leur portrait par leur voisin et bientôt le silence se fait.

En français, au collège, mon voisin s’appelle Diego, Diego Brisset. Il est arrivé cette année à Nantes et au début de l’année personne ne le connaissait. C’est un garçon de taille moyenne avec les cheveux très noirs, lisses et brillants souvent coupés très courts. Il a de beaux yeux, noirs eux aussi, souvent rieurs mais parfois très sombres et mystérieux. Je crois que ce sont ses yeux que l’on remarque d’abord chez lui ; en tous les cas, c’est ce qui m’a frappé quand il est venu s’asseoir à côté de moi en début d’année. Ils ne sont pas tout à fait comme les miens ; ils sont un peu étirés comme très légèrement en amande et avec ses sourcils très fins, je trouvais que ça lui donnait un air oriental surtout qu’il a le teint mat comme s’il revenait toujours de vacances au soleil. Alors, intrigué, je lui ai demandé d’où il venait et il m’a répondu "de Chartres" ce qui bien sûr ne répondait pas du tout à ma question ! Je n’ai pas osé lui poser d’autres questions et ce n’est que plus tard que j’ai su qu’il était né aux Philippines. Les Philippines, c’est un archipel situé dans le Pacifique en Asie du sud-est entre Bornéo et la Chine.

Diego est né là-bas et a été adopté par ses parents français à l’âge de deux ans et demi. Il m’a dit ne pas se souvenir de sa vie dans son pays d’origine et simplement qu’il avait souffert du froid au début. Il est arrivé en région parisienne et s’est très vite adapté à la France parce que nous savons tous qu’il parle parfaitement le français et même s’il n’a pas été scolarisé tout de suite, cela ne l’a pas empêché de sauter une classe. C’est donc quelqu’un de très intelligent et ça je m’en suis vite aperçu.

A l’école, il est fort dans toutes les matières à part le dessin mais c’est aussi parce qu’il travaille régulièrement ; il fait ses devoirs et apprend ses leçons tous les soirs en rentrant mais comme il est très intelligent ça ne lui prend pas beaucoup de temps.

Il a bon caractère parce qu’il ne s’énerve jamais même quand il pourrait avoir des raisons de le faire ; c’est un garçon très discret qui ne parle pas le premier ; il n’est pas timide, je ne crois pas, c’est juste qu’il attend que l’on fasse le premier pas et après il est très naturel en tous les cas il l’est avec moi et ses amis car quand il a quelque chose à dire, il n'hésite pas !

Et moi ce que j’adore, c’est quand il rougit ; il ne devient pas rouge pivoine comme tout le monde, sa peau fonce comme s’il bronzait en ultra accéléré et on a l’impression qu’il se caramélise, c’est trop drôle !

En sport aussi il est très bon et quand on fait des foots, il est choisi dans les tous premiers parce que c’est une valeur sûre dans une équipe. Il dribble bien mais surtout il ne lâche jamais rien et c'est très difficile de le passer balle au pied ; à mon avis, c’est le meilleur défenseur de l’école et les goals aiment bien qu’il soit dans leur équipe.

Pour terminer, je dirai que même si je le connais depuis quelques mois au collège et au foot, il reste un peu mystérieux comme s’il y avait une partie secrète qu’il garde pour lui mais pour moi c’est devenu un copain, quelqu’un qui compte, un ami et j’espère que je deviendrai aussi le sien. »

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