CHAPITRE X

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Laurent et moi, on a perdu au 3ème tour, en huitième de finale. Ce n’est pas que nous ayons mal joué, on n’a juste rien pu faire. On s’est pris 13-6 par deux papys qui faisaient ce qu’ils voulaient ; pas un tir de raté, pas une approche à moins de cinquante centimètres du bouchon alors on a fait se qu’on a pu, je trouve même qu’on s’est bien défendu mais il n’y avait rien à faire ! Comme notre partie avait été plutôt expéditive, je suis allé voir Sébastien et Stéphane qui jouaient plus loin dans l’allée principale.

-« Alors Didi, vous avez gagné ?

-« Non, on s’est fait massacrer, 13-6 !

-« Ah mince mais ils sont bons les papys !

-« Et vous, vous faites quoi ?

-« On est devant mais il n’y a rien de fait ; on mène 8-6. »

J’ai regardé la fin de la partie et ils ont gagné 13-9, sans trop de difficulté contre deux jeunes d’une vingtaine d’année. On est ensuite remonté au bar pour le tirage des quarts de finale et alors que je m’étais arrêté pour enlever un caillou de ma sandale j’ai entendu un de leurs adversaires qui parlait avec sa copine venu le réconforter.

-« Putain, ça me fait chier quand même d’avoir perdu contre deux pédés ! »

Ca m’a choqué que quelqu’un puisse dire ça à voix haute avec beaucoup de monde autour de lui comme si c’était naturel. Je me suis retourné en colère pour le dévisager ; il buvait sa bière avec son partenaire, pas du tout conscient que je l’avais entendu et surtout n’en ayant strictement rien à faire !

Ecœuré, je suis reparti le cœur plein de rage pour retrouver Sébastien et Stéphane.

-« Hé Didi, on joue contre vos adversaires !

-« Ah oui …

-« On va vous venger !

-« Heu ouai mais faites gaffe, ils sont vraiment bons … »

Je me suis éloigné un peu, mon insouciance s’était envolée et j’avais du mal à faire comme si je n’avais rien entendu.

-« Diego, endlich finde ich dich ! ("Diego, je te trouve enfin !")

-„Ah ben quand même tu te cachais ou quoi ? »

Je me retourne et vois Tobias accompagné des deux filles arriver tout sourire.

-« Diego, tu fais la tête ? Ca va pas ? » me demande Elodie.

-« Non !

-« Ben explique, qu’est-ce qu’il y a ?

J’hésite un instant, mes trois amis me regardent et je ne sais pas si je dois leur dire ce que j’ai entendu. On n’a jamais parlé du fait que Sébastien et Stéphane forment un couple.

-« Allez, qu’est qui ne va pas ?

-« Non rien... j’ai mal joué et je suis déçu…

-« Oh mais alors c’est rien. Et puis, t’as pas du tout mal joué, c’est mon père qui n’était pas dedans, même lui l’a reconnu ! Allez viens, on va aller encourager Stéphane et Sébastien ! »

Elle a mis son bras autour de ma taille et spontanément m’a fait une grosse bise sur la joue.

Je n’ai pas su quoi faire et je me suis laissé entrainer vers les terrains éclairés où les quarts de finales allaient commencer. C’est alors que j’ai croisé le regard de Tobias qui m’a fait un gros clin d’œil en souriant.

-« Vite, c’est commencé ! »

Nous nous sommes placés sur le côté du terrain et j’ai vu Laurent nous faire un signe et se rapprocher. Je ne sais pas s’il a vu que sa fille avait son bras autour de ma taille mais il n’a rien dit.

-« Je les ai briefés sur leur jeu ! J’espère qu’ils vont s’en sortir !

-« Ouais ça va être dur mais avec tes conseils ça peut marcher. »

Je sais qu’il leur a dit de jouer long parce que leurs adversaires jouent très bien entre six et huit mètres et que c’est en jouant à plus de huit mètres que nous avons marqué nos quelques points. Je me suis tourné pour dire un mot à Tobias mais il avait l’air très occupé par sa cavalière ; ils étaient serrés l’un contre l’autre. Je n’ai rien dit mais il m’a vu et je lui ai souri à mon tour en clignant presque discrètement de l’œil…

Malheureusement les conseils de Laurent n’ont pas suffi. En un peu plus d’une demi-heure, leurs adversaires ont fait le trou et mènent 9-5. Stéphane place pourtant de superbes boules et Sébastien n’est pas maladroit au tir mais tout comme nous, on voit qu’ils sont constamment à la limite de leur savoir faire et ils paient cher la moindre faute de jeu.

Un quart d’heure plus tard, la messe était dite et les papys remportaient la partie 13 à 9.

-« Normal, ils sont plus forts ; on a bien joué mais il n’y a rien à dire…

-« Ouais je sais, ça nous a fait la même chose tout à l’heure mais quand vous vous êtes super bien défendus !

-« Merci Didi, merci Laurent et merci à tous nos supporters ! »

Ils nous ont payé un coup au bar, quart de finale c’est quand même une belle performance et puis nous sommes rentrés. Arrivés à quelques mètres du bungalow de Laurent, Elodie, qui me tenait toujours par la taille à mon grand embarras alors qu’on marchait juste à côté de son père, s’est arrêtée. Elle s’est tournée vers moi et d’un mouvement vif a posé ses lèvres sur les miennes. Ca a duré à peine une seconde et elle est partie en courant aussitôt. Elle s’est retournée sur le seuil de leur terrasse et m’a souri.

-« Bonne nuit Diego !

-« Ah heu oui bonne nuit Elo !

Un peu déboussolé, j’ai rejoint Stéphane sur la terrasse.

-« Tu veux boire quelque chose Didi ? Séb est parti chercher à boire…

-« Heu ouais, j’vais me prendre un Coca !

-« Alors Dom Juan, tu t’es remis de ta défaite finalement… » intervient Sébastien en débarquant les mains pleines.

-« Hein ? Heu…

-« Elodie t’a consolé ? J’ai quand même bien cru voir un petit baiser…

-« Moi qui croyais que les filles n’embrassaient que les vainqueurs…

-« C’est là que tu te trompes, elles adorent consoler les héros malheureux…

-« Oh ça va, déjà qu’avec Laurent je savais plus où me mettre !

-« Oui mais elle a du caractère cette petite ; elle sait ce qu’elle veut !

-« Et elle avait décidé qui elle voulait !

-« Vous êtes lourds !

-« Ah oui c’est vrai, on avait dit qu’on ne chambrait plus… excuse Didi…

-« Non c’est rien… heu y a quelque chose que je voulais vous dire… »

Je leur ai alors raconté ce que j’avais porté sur le cœur toute la soirée …

-« Ecoute, c’est pas si grave que ça ! C’est juste une réaction d’un mauvais joueur qui cherche à blesser et puis il n’a même pas eu le courage de nous le dire en face !

-« Oui mais si ça se trouve il y en pleins qui pensent comme lui !

-« Oui, c’est possible ; on ne sait jamais ce que pensent les gens et puis d’ailleurs, il vaut mieux ne pas le savoir !

-« Tu sais c’est un peu comme l’autre fois quand on se baladait nu et qu’on a rencontré le groupe de textiles, tu te souviens des réactions des gens ? Il y en avait qui étaient choqués, « Oh des hommes nus, quelle horreur ! » et puis d’autres qui ont rigolé…

-« C’est toujours comme ça quand on est différent, les esprits étroits ont du mal à faire face ; c’est comme s’ils ne pouvaient pas réfléchir et admettre que quelqu’un puisse ne pas être comme eux.

-« Et sur n’importe quel plan, pas seulement sur le plan de l’orientation sexuelle, c’est à tous les niveaux !

-« Et alors, qu’est-ce que ça peut leur faire que vous soyez gays ?

-« Oh fondamentalement rien mais ils perdent pied car leur valeurs sont attaquées, leurs idées remises en cause alors ils se défendent comme ils peuvent mais ils le font bêtement en niant ce qu’ils ont sous les yeux, en poussant de grands cris…

-« Ou par la violence parce qu’ils ne sont pas capables de penser !

-« Ou qu’ils ne veulent pas essayer !

-"Et puis, c'est évident qu'avec l'élection de François Hollande qui a promis qu'il ouvrirait le mariage pour tous les gays et la possibilité d'adopter, ça énerve une poignée d'extrémistes bas du front !

-"Pas qu'une poignée malheureusement...

-"Oui c'est vrai, on en parlé plusieurs fois. Vous avez voté pour lui ?

-"Ah ben tu m'étonnes, c'est une telle avancée ! En espérant qu'il tienne ses promesses...

-"Oui, ce ne serait pas la première fois qu'un homme politique trahit ses électeurs !

-"Croisons les doigts, normalement la loi devrait être votée au début 2013.

-"Donc tu vois Didi, il faut relativiser, les choses avancent !

-« Oui absolument donc ce n’est pas grave si en quinze jours de vacance on tombe une fois sur un connard doublé d’un homophobe ! Pense à tous les autres qui savent que nous sommes gays et qui nous ont très bien acceptés !

-« Regarde Laurent et sa femme, tu crois qu’ils ne savent pas que nous sommes gays ?

-« Si surement…

-« Et cela a empêché leur fille de sortir avec toi ?

-« Non... mais tu sais tout à l’heure, j’ai pas osé parlé de tout ça avec Tobias et les filles… je savais pas comment ils allaient réagir et même s’ils étaient au courant…

-« Oui, je comprends ; ça ce n’est jamais facile mais tu ne dois pas avoir honte de nous… c’est ce que tu ressens Didi ?

-« Oh non ! Moi, je vous aime et je suis fier d’être votre fils mais ça me fait mal de sentir comment les gens peuvent être aussi cons parfois…

-« Oui, nous aussi et c’est pour ça qu’on a instauré « Les règles de Nantes » tu te souviens ?

-« Oui…

-« C’est pour pouvoir vivre heureux tous les trois avec juste quelques personnes au courant sans que les autres ne viennent nous gâcher la vie ! On a suffisamment connu ça…

-« Si tu veux, tu peux parler de tout ça avec tes amis demain, je suis sûr qu’ils ne te décevront pas.

-« Je suis même sûr qu’ils seront touchés que tu parles de ça avec eux, ça leur montrera qu’ils sont de vrais amis pour toi…

-« Et puis on avait dit qu’on ne se cachait pas parce qu’on est en vacances et on part samedi alors on s’en fiche de ce que peuvent peut-être penser ou dire certains, d’accord ?

-« Oui d’accord…

Je me suis levé et les ai embrassés ; ils m’ont serré dans leur bras tendrement et je me suis senti heureux et apaisé à nouveau.

-« Merci, je vous aime !

-« Bonne nuit Didi, nous aussi on t’aime !

-« Bonne nuit mon grand, oublie tout ça et pense plutôt à la soirée de demain !

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