CHAPITRE XCII 

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Jeudi midi, j'ai mangé à la cantine avec Boris et Corentin et notre moral contrastait complètement avec l'ambiance de fête qui régnait dans le réfectoire. C'était le repas de Noël, LE repas de l'année, celui qu'il ne faut pas rater ! Le chef avait mis les petits plats dans les grands et il y avait des entrées "raffinées", le choix entre plusieurs plats chauds élaborés, un plateau de fromages et deux desserts. Le rêve devenu réalité le temps d'un jour pour tous les lycéens affamés !

Mais contrairement aux autres tables où régnaient la joie et la bonne humeur, nous avions du mal à faire bonne figure tous les trois. Pour ma part, l'approche des fêtes de Noël, me fait sentir encore davantage à quel point Stéphane me manque. A la maison, cela devient difficile. On s'accroche tous les deux à la possibilité que Stéphane sorte bientôt de son coma mais l'espoir s'amenuise avec les jours qui passent. On n'en parle pas mais je sais que Sébastien aussi en est profondément affecté. J'ai remarqué qu'il avait pris l'habitude de veiller très tard le soir et aussi qu'il buvait pas mal. Comme moi sans doute, il redoute le moment où il doit aller se coucher. Moi, parce que c'est le moment où mon cerveau rentre en ébullition et où mes peurs, un moment occultées par le train-train de ma vie de lycéen, resurgissent et lui sûrement parce qu'il se retrouve seul dans leur lit...

Bref, je n'avais guère la tête à la fête mais j'étais surpris de voir que Boris et Corentin n'avaient, eux non plus, pas l'air joyeux.

-"Qu'est-ce qu'il se passe les gars, vous tirez des têtes de dix pieds de long ! Ca ne va pas ?

-"Non, je viens de casser avec Alicia..." répond Boris en chipotant dans son assiette.

-"Ah bon ? Ben pourquoi ?

-"Parce que... en fait, elle ne veut rien faire et moi je devenais fou alors j'en ai eu marre et je le lui ai dit et elle l'a mal pris donc on s'est engueulé et donc on a cassé.

-"Oh d'accord... donc vous avez cassé parce que tu n'arrives pas à gérer tes frustrations sexuelles ?

-"Heu...

-"T'es un peu dur, Diego !" répond Corentin avant de poursuivre avec un sourire en coin."Mais tu n'as pas tort...

-"Si vous vous mettez tous les deux contre moi...

-"Non Boris, on n'est pas contre toi. On veut que tu regardes aussi la réalité d'un autre point de vue que le tien. Toi, visiblement ce qui t'intéresse c'est tout ce qui est sexuel et Alicia ce n'était pas ça donc si vous n'aviez pas d'intérêt commun, c'est normal que ça casse !

-" En fait, en attendant que les filles veuillent bien coucher avec toi, sûrement dans un an ou deux... il faudra te contenter du "do it yourself !" finit Corentin en mimant de façon explicite une masturbation frénétique.

-"Ouais donc vous, ce qui est sexuel, ça vous intéresse pas peut-être ?

-"Si mais comme j'ai pas de copine, je me pose pas de question et je passe directement à la branlette !

-"Et toi Diego ?

-"Moi, je pense que je suis un peu jeune encore donc comme Coco, ma main droite est ma meilleure amie !"

On a rigolé, enfin !

Boris a compris que son point de vue était certes défendable, c'est celui de la majorité des garçons de notre âge, mais que tout le monde ne le partageait pas, particulièrement les filles et qu'il allait peut-être devoir changer un peu, revoir ses exigences à la baisse et puis surtout s'intéresser davantage aux filles avec lesquelles il sort, s'il veut concrétiser un jour.

-"Et toi Coco, t'en es où ?

-"Oh je n'ai pas avancé d'un millimètre avec Bérangère ; j'ai l'impression d'être complètement transparent. Elle ne me calcule pas, c'est affligeant !

-"Moi, je crois qu'elle est toujours amoureuse de toi, Diego !

-"Ah non, moi je crois pas, vu la façon dont elle me snobe ! Elle m'a parlé une fois depuis la rentrée de la Toussaint, juste pour venir me dire qu'elle était désolée pour mon père bla bla bla.

-"Ouais ben alors c'est encore pire pour moi, ça veut dire que j'ai aucune chance !

-"Non, dis pas ça Coco. C'est juste qu'il faut que tu sois patient et lui laisser un peu de temps pour oublier les yeux noirs de Diego...."

...

Finalement, après le déjeuner nous avions retrouvé un peu de bonne humeur. Rien ne vaut un moment entre copains pour dissiper les nuages noirs. A 14 heures, je suis allé en sport et nous avons terminé le cycle badminton par un mini tournoi et c'était très sympa. J'ai perdu en quart de finale contre Enzo, le redoublant dont Boris et moi nous étions moqués parce qu'il a le visage couvert de boutons. Il est vraiment fort au badminton, super physique et sympa aussi.

J'ai pris soin de copieusement m'asperger de déodorant après avoir essuyé la sueur et m'être changé pour ne pas subir les foudres de Léa quant à mon hygiène corporelle ! Idéalement, il faudrait prendre une douche mais personne n'en prend dans la classe alors, il faudra qu'elle se contente de ce minimum ! Le prof d'EPS a dit qu'à la rentrée de janvier, on entamerait un cycle natation et ça m'a fait plaisir contrairement à la majorité de mes camarades qui visiblement n'avaient pas l'air enthousiastes.

Après le cours de physique, je me suis rendu dans les bureaux de l'administration pour mon rendez-vous avec Madame Leclerc, l'assistante sociale. J'ai patienté plus d'un quart d'heure et enfin elle est venue me chercher dans la petite salle d'attente.

-"Bonjour, je suis madame Leclerc, l'assistante sociale, tu dois être Diego Brisset ?

-"Oui, bonjour madame !"

Je l'ai suivie jusqu'à son bureau ; elle m'a invité à m'asseoir et a refermé la porte.

-"Je voulais te voir, Diego, pour faire le point sur ta situation.

-"Heu oui...

-"Voilà, j'ai lu sur ton dossier scolaire que tu vivais seul avec ton père et comme malheureusement il est dans le coma..."

'Pwooou ! Ca commence direct !'

J'avais un peu réfléchi à cet entretien et comme je le redoutais, j'en avais parlé avec Sébastien. On s'y était un peu préparés comme lorsque Boris avait écrit sa rédaction sur moi en 4ème. Je m'attendais donc à ce que l'assistante sociale me pose cette question mais pas tout de suite.

'Si c'est le préambule, je n'ose pas imaginer la suite !'

-"Donc qui s'occupe de toi en ce moment ? Ta mère ?

-"Mon père a refait sa vie avec une personne ; ils se sont pacsés et c'est cette personne qui s'occupe de moi. il s'appelle Sébastien Lesquer.

-"Ah... et ça va ?" dit-elle en cachant mal sa surprise.

-"Heu oui ! Enfin pas en ce moment...

-"Ah oui bien sûr... tu habites bien 12 avenue de Rambouillet à St Herblain et votre numéro de fixe est bien le 02 40 87 XX XX ?

-"Oui c'est ça...

-"Y-a-t-il d'autres personnes qui vivent avec vous ?

-"Non, mais je ne comprends pas pourquoi vous me posez ces questions ?

-"Ma mission est de vérifier que les élèves du lycée vivent dans un cadre familial approprié et qu'ils ne sont pas en danger ou susceptibles de l'être.

-"Mais je ne suis pas en danger !

-"C'est mon travail de vérifier que pendant l'hospitalisation de ton père, il y a un adulte qui peut prendre soin de toi et puis il faut peut-être se préparer au pire...

-"Hein ? Mais ce que vous dites est ignoble !

-"Pardon, excuse-moi mais je dois considérer toutes les possibilités et le décès de ton père en est une malheureusement.

-"Je vais très bien merci et je ne veux plus vous écouter !

-"Ecoute-moi Diego, je suis là pour toi, pour veiller à ta protection et je dois vérifier que tout va bien même dans les circonstances difficiles que tu connais actuellement. Monsieur Lesquer travaille-t-il ? -"Oui bien sûr, il est informaticien mais encore une fois, pourquoi me posez-vous toutes ces questions ?

-"Fais-moi confiance, j'ai de bonnes raisons de poser mes questions. Peux-tu m'en dire plus sur son travail ?

-"Il travaille chez C2F Informatique. C'est une société de service qui développe des projets pour toutes sortes d'entreprises et Sébastien est responsable de projet, il gagne bien sa vie et c'est tout ce que je peux vous dire.

-"Il travaille sur quel secteur géographique ?

-"'Toute la France.

-"D'accord. Il doit souvent être chez les clients ?

-"Oui, assez souvent mais...

'Merde, j'aurais pas du dire ça !'

-"Bon écoute Diego, j'ai encore quelques questions à te poser et je prendrai sûrement contact avec Monsieur Lesquer pour le rencontrer."

Bon gré mal gré j'ai répondu à de nombreuses autres questions sur ma famille et sur mon adoption particulièrement, sur ma mère que je ne connais pas et sur ma famille proche qui se résume à Sophie, la sœur de Sébastien et Edouard et Marie. Je me suis senti sur la défensive pendant tout cet entretien peut-être parce que je ne comprenais pas l'objectif de ces questions, certainement aussi parce qu'elle n'a pas manifesté la moindre once d'empathie à mon endroit et puis bien sûr ce que m'avait dit d'elle Madame Faure n'a pas arrangé mes préjugés à son égard.

Quand elle m'a "relâché", c'est l'impression que j'ai ressentie tellement j'étais mal à l'aise, je suis parti aussi vite que possible en me jurant de faire tout mon possible pour éviter de recroiser son chemin.

'Je ne veux plus jamais avoir à faire à elle et j'espère qu'on en entendra plus jamais parler !'

...



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