CHAPITRE CXV

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Quand je suis arrivé à la maison, la porte du garage était ouverte. Sans prendre le temps de me déchausser, je me suis précipité dans le salon. Sébastien y était, un verre à la main. Il m'a regardé complètement défait et j'ai compris qu'il était au courant.

-"Oh Séb, qu'est-ce qu'on va faire ?"

-"Je... je ne sais pas Didi... je suis perdu..."

J'ai laissé tomber par terre mon sac d'école et je me suis refugié dans ses bras en pleurant.

-"Je ne veux pas partir, je veux rester à la maison avec toi !

-"Oui je sais..."

J'ai aperçu une lettre sur la table basse et je m'en suis emparé avidement. C'était une lettre du secrétariat de monsieur Laurent Le Dreff, Juge aux Affaires Familiales auprès du Tribunal de Grande Instance de Nantes. Je l'ai parcourue rapidement des yeux.

Madame, Monsieur,

Suite au signalement réalisé par Madame Francine Leclerc, assistante sociale rattachée au lycée Victor Hugo, sis 472 boulevard du Massacre 44000 Nantes, considérant la situation comme sérieuse et nécessitant une réponse des plus expresses, je vous notifie par la présente que j'ai décidé d'une mesure conservatoire à l'égard du mineur BRISSET Diego, domicilié 12 avenue de Rambouillet 44800 Saint Herblain.

Cette mesure conservatoire s'applique à partir du lundi 21 JANVIER 2013. Elle est provisoire. Son étendue porte sur une période de six semaines, soit jusqu'au 28 FEVRIER 2013.

Une audience contradictoire est fixée auprès de Monsieur Laurent LE DREFF, Juge aux Affaires Familiales, le VENDREDI 28 FEVRIER 2013 à 10 heures, qui permettra de statuer sur le cas présent.

Le service Social de Protection de l'Enfance se mettra en relation avec vous pour la prise en charge du mineur BRISSET Diego.

Cordialement,

Laurent Le Dreff, JAF auprès du TGI de Nantes

J'ai eu l'impression de recevoir un coup de massue sur la tête. J'ai levé les yeux vers Sébastien et j'ai compris qu'il était dans le même état que moi.

-"Mais c'est pas possible, on va pas se laisser faire !"

Sébastien n'a pas répondu tout de suite, il s'est resservi un whisky et a avalé la moitié de son verre.

-"Qu'est-ce qu'on peut faire, Didi ? Ils vont venir te chercher...

-"Non !"

Il m'a regardé tristement avant de détourner les yeux et de finir son verre.

-"Non, j'ai récupéré le numéro d'un avocat, on va l'appeler il nous dira ce qu'on peut faire ! Il est spécialisé dans les droits des personnes LGBT, il va nous aider !" m'exclamé-je en fouillant dans ma poche de jean.

Enfin, Sébastien a réagi. Il a pris le papier et m'a posé quelques questions pour bien comprendre comment j'avais obtenu ce nom avant de l'appeler puis il a pris son téléphone et a composé le numéro.

-"Merde, je tombe sur la boîte vocale directement ! Le téléphone est éteint...

-"Laisse un message, il nous rappellera !"

L'avocat a rappelé une demi-heure plus tard alors que j'étais dans ma chambre et Sébastien est venu me prévenir qu'il viendrait nous voir demain matin à 10 h 30.

-"Et qu'est-ce qu'il a dit d'autre ?

-"Rien, il m'a dit qu'il devait connaître les faits avant de se faire une première impression.

-"Et il est bien spécialisé dans les droits des gays ?

-"Non, il est spécialisé dans le droit de la famille mais il est membre d'une association de juristes gays.

-"Ah ben c'est encore mieux, il va pouvoir nous aider !

-"Oui, je le pense..."

Pour la première fois depuis cette terrible nouvelle, un petit espoir, une petite éclaircie semblait poindre dans le ciel dangereusement noir et oppressant qui surplombait nos fragiles existences...

...

A 9 h 30 heures nous étions prêts tous les deux ; lavés, habillés, coiffés et parfumés nous attendions l'avocat avec impatience mais finalement, plutôt que de patienter sans rien faire nous avons décidé de nous attaquer aux corvées de ménage hebdomadaire. Sébastien s'est mis au repassage et moi j'ai passé l'aspirateur et rangé ma chambre.

Le coup de sonnette m'a presque surpris mais pas Sébastien qui est allé ouvrir la porte immédiatement. Je lui ai laissé quelques secondes pour se présenter et puis je les ai rejoints dans le salon.

-"Et voici Diego, notre fils. Diego, je te présente Maître Frot qui va nous défendre, j'espère !

-"Oh je vous en prie, pas de Maître entre nous ! Bonjour Diego, je suis enchanté de te rencontrer.

-"Bonjour monsieur, merci beaucoup d'être venu.

-"Alors, expliquez-moi votre problème." dit-il en se tournant vers Sébastien.

Cela a pris un petit peu de temps et puis ensuite l'avocat nous a posé de nombreuses questions. D'abord des questions générales sur notre famille, notre vie et puis des questions sur l'intervention de l'assistante sociale. Sébastien lui a bien indiqué qu'il jugeait cette intervention disproportionnée et teintée d'homophobie et j'ai abondé dans ce sens.

-"Dès qu'elle a su que mes parents étaient gays, j'ai eu l'impression qu'elle cherchait à nous enfoncer !"

Il prenait des notes en même temps et on voyait qu'il s'impliquait déjà et ça m'a fait chaud au cœur. D'ailleurs quand Sébastien lui a posé une question à propos de ses honoraires, il s'est tout de suite récrié.

-"Oh mais il n'est pas question d'honoraires dans une affaire comme celle-ci. Vous savez je suis membre d'une association de juristes gays, Rainbow Rights, et tous les membres vont travailler bénévolement avec moi sur votre dossier. Nous sommes là pour rendre service, pour vous aider.

-"Oh c'est super, merci !

-"Oui merci parce que nous sommes complètement perdus et nous avons besoin de conseils. Alors qu'en pensez-vous ?

-"Je vais me garder de porter un jugement définitif, il faut que nous examinions les faits à la lueur des textes mais je vais vous donner un premier conseil.

-"Oui, nous vous écoutons...

-"Et je sais que ça ne va pas vous faire plaisir ni à l'un, ni à l'autre... mais quand les services sociaux viendront chercher Diego, ne vous opposez pas à eux. Il ne faut pas vous mettre en défaut vis à vis d'une décision du JAF sinon cela va lui donner une mauvaise opinion de nous et cela peut être préjudiciable pour la suite du dossier.

-"Mais alors on ne fait rien ?

-"Si Diego, je te rassure, en parallèle, on va déposer une requête d'annulation de cette mesure conservatoire.

-"Et ça a une chance de marcher ?

-"Et bien tout dépend de ce que notre groupe de juriste va trouver mais on va y travailler et on va s'y mettre tout de suite !

-"D'accord...

-"Oui, je sais c'est difficile parce qu'à court terme il ne se passe rien mais le droit fonctionne comme ça. Donc il faut de la patience et du courage mais je vous assure que si le dossier est bon et je le pense, nous obtiendrons gain de cause.

-"Et ils vont venir quand ?

-"Dès lundi sûrement...

-"Oh...

-"Gardez confiance, je vais tout faire pour que ça ne dure pas !

-"D'accord...merci en tous les cas de votre aide !

-"Oh oui merci pour tout !

-"C'est normal et soyez sûr que je m'occupe de vous ! Tenez-moi au courant quand les services sociaux prendront contact avec vous. Tenez, voici ma carte avec mon numéro personnel et mon numéro professionnel. "

Nous l'avons vivement remercié et puis il est parti. Nous nous sommes regardés et j'ai essayé de ne pas montrer à Sébastien à quel point j'étais déçu.

Je suis sorti du salon pour aller me réfugier dans ma chambre et à peine avais-je refermé la porte que j'ai senti les larmes couler sur mon visage. Je me suis effondré sur mon lit et pendant un long moment je n'ai pas été capable de faire quoi que ce soit.

J'avais l'impression de vivre un cauchemar et même si je n'en ai pas de souvenirs, d'être replongé des années en arrière, et de revivre ce qu'il s'était passé quand j'ai perdu ma première famille aux Philippines...

'Si Stéphane meurt, je n'aurais plus de famille, je vais être tout seul, abandonné !'

Cette pensée m'a littéralement glacé d'effroi et m'a plongé encore davantage dans un indicible désespoir...

...

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