CHAPITRE CLVI

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Le car nous a déposé près de la Ludwigskirche, église protestante épargnée par les bombardements qui ont presque entièrement détruit la vieille ville pendant la seconde guerre mondiale et monsieur Zeiger nous a conduits vers l'office de tourisme où il est entré avec monsieur Le Bon nous laissant dans le froid sous la surveillance de ses collègues féminines pendant quelques minutes.

Il est ressorti les bras chargés de sacs et nous a emmenés jusqu'à un grand café désert où il doit avoir ses habitudes car il a salué le patron et nous a conduit vers une grand salle.

-"Installez-vous là, et serrez-vous pour qu'on puisse vous expliquer le programme de la journée."

Plus de cinquante élèves, ça fait du monde et après avoir passé commande de boissons chaudes, il nous a détaillé le programme de la journée. En résumé, visite de la ville toute la journée jusqu'à 18 heures où nous avons rendez-vous avec les familles qui vont nous accueillir pendant le séjour. Il a distribué à chacun un plan de la ville et nous a demandé d'enregistrer les numéros de téléphone des profs accompagnateurs dans nos portables, sachant qu'eux avaient également celui de chacun d'entre nous.

-"Nous allons nous déplacer en groupe toute la matinée puis nous prendrons le car pour aller déjeuner au parc franco-allemand et cet après midi nous reviendrons dans le centre pour visiter le château. Vous aurez quartier libre jusqu' à 17 h 30 pour découvrir la ville, faire les magasins, vous balader."

Un murmure de satisfaction s'est élevé quand nous avons entendu quartier libre, c'est tout à fait le genre d'activité qui plaît à des jeunes de notre âge.

-"Ah d'ailleurs, justement à ce propos, je ne veux voir personne partir tout seul explorer la ville. C'est comme ça qu'on se perd et tant qu'à faire, c'est le premier jour, j'aimerais bien ne pas avoir à courir partout pour vous retrouver. Donc, balade par petit groupe ou au minimum deux élèves ensemble, d'accord ?

-"Je ne suis pas inquiet pour Diego, monsieur, je pense que Thibaud est volontaire pour l'accompagner !"

Tout le monde a éclaté de rire et j'ai senti que je me caramélisais. Thibaud était rouge tomate mais il a ri lui aussi. J'ai passé mon bras sur son épaule pour montrer que j'étais tout à fait d'accord avec cette affirmation et j'ai fait un clin d'œil à l'élève de première qui venait de lancer la plaisanterie.

'Eh ben, même les premières nous connaissent maintenant !'

-"Mais je ne suis pas le moindre du monde inquiet pour Diego et Thibaud !" répond monsieur Zeiger avec un grand sourire.

-"Heu tant qu'on est dans les balades romantiques, il y a Alexandre qui aimerait bien se perdre avec Manuela..." lance un élève de première en réprimant difficilement son fou rire.

-"Non mais ça va pas !" répond vivement le garçon en question, écarlate, en bourrant son copain de coups de poing.

-"Arrête, arrête ! Bon, je me suis peut-être avancé, désolé Manuela..."

Tout le monde a éclaté de rire une nouvelle fois et j'ai vu une jolie fille brune devenir toute rouge en un quart de seconde tandis que ses amies riaient de manière hystérique.

-"Merci Lucas, le message est bien passé et pour le reste cela ne nous regarde pas !" reprend monsieur Le Bon.

-"Alors, si vous n'avez pas d'autres questions, en route !"

...

Sarrebruck n'est pas une grande ville, environ 200 000 habitants et son centre ville me paraît moins grand que celui de Nantes donc c'est à pied que nous sommes partis le découvrir. Une guide nous a rejoint et c'est elle qui a pris les choses en main. Elle parle parfaitement le français avec un léger accent allemand qui donne à sa voix un charme très agréable.

Elle nous a expliqué que Sarrebruck, l'actuelle capitale du Land de Sarre a connu une histoire mouvementée. Elle a été un comté indépendant jusqu'à la révolution française, époque à laquelle elle est devenue française jusqu'à Waterloo, puis allemande et à nouveau sous protectorat français après 1945. La Sarre a même été un Etat indépendant au lendemain de la seconde guerre mondiale jusqu'en 1957 où elle est redevenue allemande suite à un référendum.

Nous avons visité la basilique St Johannis, la Ludwigskirche devant laquelle nous étions passés tout à l'heure et le vieux cimetière. Je sais que cela se fait beaucoup. Les cimetières sont des lieux de promenade, de médiation et celui du Père Lachaise à Paris est très célèbre pour les personnalités qui y sont enterrées mais franchement, moi cela m'a fait penser à la mort et immédiatement à Stéphane alors je n'ai vraiment pas apprécié cette visite.

Thibaud s'en est aperçu aussitôt et m'a pris la main pour me montrer qu'il comprenait et qu'il était là pour moi. Bien sûr, ce geste d'affection n'est pas passé inaperçu mais peu importe, moi, cela m'a fait du bien et c'est tout ce qui compte.

A la fin de la visite, nous étions tous frigorifiés et c'est avec un concert de cris de joie que nous avons accueilli le chauffeur du car qui nous a amené à la mairie pour une réception officielle. Nantes est jumelée avec Sarrebruck et c'est avec bonheur que nous avons écouté, bien au chaud, dans un magnifique salon de réception, des officiels discourir sur les liens indéfectibles qui unissent les deux villes. Monsieur Zeiger a remercié la municipalité par un bref discours et nous avons pu nous jeter avec assez peu de savoir-vivre, il faut le reconnaître, sur le somptueux buffet.

'Un nuage de criquets pèlerins qui s'abat sur un champ d'Afrique de l'est !'

...

Nous avons repris le car pour nous rendre au parc franco-allemand, parc de loisirs, où nous nous sommes joyeusement égayés avec pour seule consigne d'être de retour au car pour 14 heures. En fait, je crois que la majorité du groupe s'est retrouvée dans le premier restaurant rencontré sur notre chemin, Bistro am See, le bar du lac.

Nous avons rejoint un groupe de secondes des trois classes, Arthur et quelques autres garçons de ma classe mais il y avait également Boris et Corentin de la seconde E et des filles de la seconde C.

Pendant la première partie du repas, personne n'a parlé de notre relation et j'ai pu savourer cet instant de détente mais alors que certains étaient repartis se balader, j'ai senti que nous redevenions le centre d'intérêt du groupe alors j'ai avalé mon café et j'ai proposé à Thibaud de partir à notre tour.

-"Vous allez faire un petit tour en amoureux ?" demande Boris sur un ton malicieux.

-"Oui, c'est ça. Tu sais, Boris, le romantisme, les grandes balades les yeux dans les yeux... tout ce que tu m'a appris !"

Corentin a éclaté de rire entrainant à sa suite une partie du groupe.

-"Thibaud, méfie-toi, il va tenter quelque chose !" lance Marine, espiègle.

-"Bande de jaloux !" m'écrié-je en riant.

On s'est échappé sous les cris et les sifflets.

L'après midi est passé vite. La visite du beau château baroque, vaste édifice blanc dont les salles bien chauffées ont retenu l'intérêt de tous les élèves, a cependant achevé de nous mettre à genou et c'est complètement sur les rotules que nous avons regagné le car pour nous rendre au Gymnasium où les familles viendront nous chercher.

J'ai senti que l'atmosphère avait changé ; le car était quasi-silencieux et tout le monde était sérieux, préoccupé même. Nous ne faisons pas un échange traditionnel avec un correspondant mais nous sommes logés jusqu'à dimanche soir dans une famille, heureusement par deux, enfin sauf pour moi !

'Alors, c'est comme à la loterie, tout le monde espère tirer le bon numéro !'

J'avoue qu'avec ce que j'ai vécu récemment, je ne m'inquiète pas.

'Ce ne sera pas pire que le foyer !'

...

Nous avons patienté jusqu'à 18 heures en discutant au chaud dans le car et en regardant le parking se remplir progressivement de voitures, celles des familles venant nous chercher. Il y avait de grosses berlines, allemandes bien sûr, et j'entendais les commentaires de certains qui espéraient passer le séjour chez une famille fortunée.

-"Hé Diego, bonne nouvelle, la photo a été supprimée !" s'exclame Léa.

-"C'est vrai ? Génial ! reprend Marine.

-"Tu vois, Thibaud, ça s'arrange ! Il ne faut pas désespérer...

-"Oui... espérons que personne ne l'a envoyée en France..."

J'ai compris qu'il était toujours préoccupé, il n'a pas fait son coming-out et il redoute que sa classe, ou d'autres lycéens peut-être, apprennent qu'il est gay. Pour ma part, je pense que c'est inéluctable mais il faudra peut-être qu'on fasse passer le message au groupe avant notre retour à Nantes. Pour l'instant, ici, cela se passe bien mais on ne sait jamais...

On s'est interrompu, monsieur Zeiger est remonté dans le car et nous a demandé de descendre et de récupérer nos bagages.

'Ca y est, c'est parti pour le saut dans l'inconnu !'

...

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