CHAPITRE CLIX

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Vendredi matin s'est déroulé selon le même emploi du temps que la veille. Levé à l'aube et conduit au lycée en voiture, puis les cours mais jusqu'à 15 h 30 cette fois. Dans la classe, les trois français que nous sommes ont à peine fait l'objet d'une attention particulière, ce n'est plus une nouveauté, et tant mieux car nous avons pu profiter de l'expérience sans stress. Par contre, j'ai senti qu'à la récréation il y avait beaucoup de regards tournés vers moi et des chuchotements. A midi, pendant la pause déjeuner, j'ai voulu en avoir le cœur net et j'en ai fait la remarque à Lorraine.

-"Lorraine, ich habe das komische Gefühl dass, ich der Schwerpunkt viele Unterhaltung geworden bin. Habe ich etwas falsch gemacht ? Lorraine, j'ai l'impression que je suis devenu le centre d'intérêt de nombreuses conversations. J'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?

Elle a semblé embarrassée et a rougi légèrement.

-"Ach ja... gestern haben zwei Jungen der Klasse, dich und deinen Freund, in der Stadt gesehen. Ihr küsstet...Ah oui... hier, deux garçons de la classe, t'ont vu, toi et ton ami, en ville. Vous vous embrassiez...

-"Also... ich verstehe und was sagt man darüber ? Ah oui... je comprends et qu'est-ce qu'on en dit ?

-"Meiste sind erstaunt, ich glaube einige Mädchen darüber enttäuscht sind ! Die Leute sind neugierig... La plupart des élèves sont surpris ; je crois que quelques filles sont un peu déçues ! Les gens sont curieux...

-"Und was bist du ? Et toi, qu'en penses-tu ?

-"Was meinst du ? Bin ich Erstaunt, enttäuscht oder neugierig ? Que veux-tu dire ? Si je suis surprise, déçue ou curieuse ?

-"Ja ! Oui !

-"Keiner ! Das ist dein Leben. Rien du tout ! C'est ta vie.

-"Ja das stimmt !" Oui, tout à fait !

Nous avons continué à discuter et j'ai compris que Lorraine bien qu'elle s'en soit défendue a été surprise ce matin quand un de ses camarades lui en a parlé.

'Après tout ce n'est pas écrit sur mon front et c'est tant mieux !'

Je lui ai demandé comment l'homosexualité était perçue en Allemagne et je crois que c'est comme en France, largement accepté par les jeunes et en ville et avec beaucoup plus de résistance chez les générations plus âgées, à la campagne et, spécificité allemande, dans les Länder de l'ex-Allemagne de l'Est. Mais ils n'ont pas de PACS ni de mariage civil !

'Pour une fois, la France n'est pas en retard sur l'Allemagne !'

-"In Frankreich das Parlament prüft jetzt ein Gesetzt über die Ehe für alle ! En France, le Parlement examine une loi en ce moment sur le Mariage pour tous !

-"Ja ich habe die Demonstration dagegen im Fernsehen gesehen. Oui, j'ai vu les manifestations contre le projet à la télé !

-"Ja das ist schrecklich... Und in der Klasse oder im Gymnasium, gibt es Homos die sich geoutet haben ?Oui, c'est l'horreur... et dans la classe ou au lycée, il y a des élèves ouvertement gays ?

-"Keine in der Klasse aber ja ich habe hier ein paar Schwule gesehen und es gibt kein Problem !" Dans la classe, non personne mais j'ai vu plusieurs homos au lycée et il n'y a aucun problème.

J'ai appris un nouveau mot, Schwul, qui peut se traduire aussi bien par homosexuel, gay ou pédé selon le contexte et l'intonation utilisée. Donc, à manier et à décrypter avec précaution !

A la fin du repas, j'ai amené Lorraine à la table de Thibaud et je le lui ai présenté. Thibaud mangeait avec Klaus, chez qui il dort, et Marine. J'ai vu un peu de panique passer dans les yeux de Thibaud quand je l'ai présenté comme mein Liebchen, mon petit copain. Klaus a d'abord écarquillé les yeux et puis il a rigolé mais a surtout paru très intéressé par la venue de Lorraine...

...

J'ai rejoint Thibaud à la cafète à la fin des cours ; il finissait à 14 h30 et m'y attendait bien au chaud. Nous avons mis le cap sur la ville, comme hier et en déambulant dans les rues je lui ai raconté ma conversation avec Sébastien hier soir.

-"Tu dois être content ?

-"Oui, je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait de problème mais j'étais un peu stressé tout de même de parler de quelque chose d'aussi intime...

-"Alors imagine quand tes parents sont hétéros !

-"Tu sais qu'il m'a fait marcher ? Il m'a demandé si j'avais rencontré un garçon à Martigues.

-"Oh !

-"Alors j'ai protesté et je lui ai dit que non, c'était toi mon Liebchen et il a éclaté de rire !

-"Il le savait ?

-"Non mais quand je lui ai dit que j'avais un petit ami, il s'est douté que c'était toi...

Nous avons traversé la Sarre et sommes partis explorer la rive droite. Avec le plan, c'est facile et je dois reconnaître que si je n'ai pas un grand sens de l'orientation heureusement Thibaud maîtrise bien la situation et sait toujours comment nous faire parvenir à destination.

Nous sommes passés devant le théâtre et nous nous sommes dirigés vers le musée d'art moderne. Non, ce n'est pas un intérêt subit pour les œuvres inclassables que l'on trouve dans ce genre d'endroit, c'est davantage un raisonnement scientifique irréfutable qui nous a conduit jusqu'ici avec l'espoir de passer un moment au chaud !

Il n'y avait personne au musée ! On s'est bien amusé devant des sculptures improbables et des tableaux qui auraient pu être exécutés par Hugo. Je crois que mon esprit n'est pas encore assez ouvert pour apprécier l'art moderne. Il faut d'abord passer par une étape figurative avant de pouvoir apprécier l'abstrait...

Quoi qu'il en soit, on a passé une bonne heure à l'abri et à notre plus grande surprise quand nous sommes ressortis, il neigeait.

On s'est regardés enchantés et comme des gamins nous nous sommes précipités dehors. La neige, c'est quelque chose qu'on ne voit pas souvent à Nantes et quand elle tombe, elle ne tient pas au sol alors qu'ici, il y a déjà cinq bons centimètres et tout est recouvert de ce fameux blanc manteau dont nous parlent les poètes.

Les flocons tombaient lentement comme au ralenti et c'est toute l'atmosphère de la ville qui s'est trouvée transformée ; les bruits nous parvenaient atténués et un grand calme régnait sur Sarrebruck. Main dans la main, le sourire aux lèvres, nous avons décidé d'aller nous promener dans le parc du théâtre qui borde la Sarre.

Il n'y avait presque personne, quelques rares passants qui marchaient en baissant la tête pour se protéger des morceaux de ouate glacés qui tombaient du ciel. Le sol était quasi immaculé et en marchant nous avions l'impression de fouler une terre vierge.

C'était beau !

Nous nous sommes abrités un instant sous un grand sapin et avons regardé le magnifique spectacle. Je me suis blotti contre Thibaud et la chaleur de son corps a réveillé la passion qui coule dans mes veines. Il s'est penché au dessus de mon visage, l'a caressé et m'a embrassé avec passion.

J'ai eu l'impression que nous étions seuls au monde et j'ai laissé le romantisme de la situation s'emparer pleinement de moi...

Mais le temps est vite passé et il était presque 17 heures aussi nous avons décidé nous de regagner le centre ville. Il faisait presque complètement nuit maintenant et c'était encore plus joli à la lueur des lampadaires. En approchant du château notre attention a été attirée par des cris étouffés et bientôt nous avons débouché sur une place où nous avons assisté à une gigantesque bataille de boules de neige.

-"Hé on dirait Boris !

-"Ah oui tu as raison, c'est les gars de la classe !"

En fait il y avait autant de filles que de garçons et c'était une dizaine d'élèves de notre groupe qui étaient en train de s'amuser comme des fous !

-"Oh regardez, c'est les amoureux !" s'écrie Corentin.

A découvert nous faisions une cible facile et nous nous sommes retrouvés soudainement bombardés de toute part. Après avoir reçu plusieurs projectiles glacés, nous nous sommes lancés dans la bagarre avec enthousiasme. Il n'y avait pas d'équipes, c'était du chacun pour soi et Dieu contre tout le monde, selon la formule. Cela a duré une petite demi-heure jusqu'à ce que le froid nous ait rattrapé et que plusieurs filles demandent une trêve. Elles étaient trempées et je me suis rendu compte que je l'étais aussi.

Un à un, prudemment, nous sommes sortis de nos cachettes improvisées et le sourire aux lèvres nous avons pu constater l'étendue des dégâts chez nos adversaires respectifs. Les visages rougis, les cheveux en bataille, les taches d'eau sur les pantalons, nous étions tous en piteux état !

-"Bon moi je vous propose de nous mettre au chaud dans un café.

-"Bonne idée !"

Ainsi fut fait et le premier café, le Café am Schloss, le café du château, nous a accueilli quelques minutes plus tard. Nous étions une dizaine, principalement des élèves de la classe et trois premières, à nous réchauffer avec une bonne boisson chaude.

-"Alors, les gars, vous profitez des balades romantiques ?

-"Heu oui c'était plutôt romantique avant qu'on tombe sur une bande de sauvages !

-"Oh j'ai pas eu l'impression que vous étiez les derniers à vous y mettre !

-"C'est vrai, je crois que la neige a ravivé mes instincts belliqueux !"

A notre table, il y avait Boris, Corentin, Enzo et deux filles, Louane et Laurie, tous élèves de la seconde européenne. Nous avons discuté des cours avec les allemands, des familles qui nous hébergeaient quand Laurie, qui est dans la classe de Thibaud, lui a posé une question plus personnelle.

-"Qu'est-ce que ça fait d'être amoureux d'un garçon, Thibaud ?

-"Parce que ça t'es jamais arrivé, Laurie ?" ironise Enzo.

Tout le monde a éclaté de rire.

-"Non mais sérieusement, qu'est-ce que ça fait ?

-"Je n'ai jamais été amoureux d'une fille alors je ne peux pas comparer si c'est ça que tu veux dire. Pour moi, c'est juste magique ! Enfin c'est magique parce que j'ai la chance que ce soit réciproque. C'est comme si tout à coup, tout ce dont j'avais pu rêver devenait réalité, comme si tout ce qui me manquait m'était donné... c'est le sentiment d'appartenir à l'autre et en même temps qu'il devient une part de toi... enfin voilà, c'est difficile à expliquer..."

J'ai été surpris d'entendre Thibaud s'exprimer ainsi en public. Il ne s'est pas dérobé, il a assumé devant tout le monde et puis ce qu'il a dit m'a touché. C'était fort et plein de poésie en même temps. Je l'ai observé à la dérobée. Son visage avait un peu rougi mais il se tenait droit et regardait Laurie bien en face. J'étais fier de lui et j'ai souri.

'C'est bien, il prend confiance... et il est resplendissant !'

-"Oh c'est beau !" déclare Enzo.

-"Oui, on dirait bien que tu as envie d'essayer mais pas avec moi, s'il te plaît !" réplique Boris ce qui déclenche les rires de tout le monde.

-"Et toi, Diego, comment tu as su que tu étais gay, tu es sorti avec des filles avant ?

-"Oui ! Je ne sais pas... je ne pensais pas que j'étais gay mais tu sais quand tu sors avec la plus belle fille de la classe et que tu sens que ça ne fonctionne pas, que tu n'éprouves pas de passion... et pourtant j'avais Boris pour m'encourager !" dis-je en lui faisant un clin d'œil. "J'ai fini par me poser des questions... ça a mis du temps avant que je comprenne que j'étais amoureux du plus beau garçon du monde et j'ai surtout beaucoup de chance qu'il soit un peu amoureux de moi...

-"Un peu ? A la folie, plutôt !" reprend Corentin.

-"Bon et vous ? Racontez-nous, il n'y pas de nouveaux couples en vue ?" interviens-je en changeant un peu de sujet.

-"En ce qui me concerne, je suis partant. Faites passer l'info, les filles !" s'écrie Enzo.

-"Moi, je pense que Corentin est sur une piste..." glisse perfidement Boris.

-"Hein ? Boris, tais-toi !

-"Ha ha ha qu'est-ce que je vous disais ! Bon, j'en dirais pas plus sinon, il va me faire bouffer toute la neige qui est tombée sur Sarrebruck !"

J'ai regardé Thibaud, je lui ai fait un clin d'œil et il a souri. Je me suis penché et j'ai murmuré à ses oreilles.

-"Merci, c'était très beau ce que tu as dit...

-"Merci, toi aussi... mais je suis pas d'accord, c'est toi le plus beau !"

...

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