Dès que je suis arrivé au lycée, je suis allé voir Madame Faure pour lui demander si elle pouvait contacter Monsieur Jubin, le prof d'Histoire - Géo de la seconde A.

-" C'est la seconde dans laquelle tu dois faire ton intervention ?

-"Oui, c'est ça. L'élève qui devait la faire avec moi ne sera pas là ce matin et je voulais voir si on pouvait décaler notre intervention. Je peux me débrouiller tout seul mais ce serait plus sympa de la faire à deux.

-"OK, je vais essayer de le voir en salle des profs mais juste quelques heures avant, ce n'est pas gagné... je te tiens au courant à la récré ?

-"D'accord."

Puis je me suis dépêché pour ne pas arriver en retard en cours. Dans notre classe, c'est Matthys qui va venir mercredi matin et je suis impatient d'assister à sa présentation.

'Enfin dans la classe, je ne pense pas que cela sera tendu, ils savent tous que je suis gay et j'espère qu'ils voteront massivement en faveur du Mariage pour tous !'

A 10 heures, madame Faure m'a dit que Monsieur Jubin souhaitait que je fasse l'intervention parce qu'il en avait parlé aux élèves la semaine dernière et que ceux-ci n'auraient pas leurs affaires de cours.

'Ah ben oui, logique. Bon ben, il va falloir assurer comme un grand !'

Ca m'a mis la pression, je crois, parce que j'ai eu du mal à me concentrer en maths. J'étais trop occupé à repasser mes arguments dans ma tête, à espérer que ça se passerait bien, que les élèves m'écouteraient, que j'arriverai à les convaincre...

Bref, j'ai complètement décroché au point que le prof m'a demandé à la fin de l'heure si j'avais des problèmes. On dirait que le mot a été passé parmi tous les enseignants de la classe que j'étais passé par des moments difficiles. Désormais ils sont très attentifs à mon égard. Je lui ai donc expliqué ce qui me préoccupait et il m'a encouragé très gentiment.

...

Toc toc toc

-"Oui, entrez !"

Un peu tendu, j'ouvre la porte et je vois tous les visages se tourner vers moi.

-" Bonjour monsieur Jubin, je viens faire une présentation du projet de loi pour le Mariage pour tous.

-"Ah oui, je te remercie de bien la faire aujourd'hui parce qu'ils ont un devoir jeudi et ils n'ont pas leurs affaires de cours puisque c'était prévu." me répond-il en désignant ses élèves.

-"Oui je comprends, je vais essayer de faire au mieux. Comment avez-vous prévu que cela se déroule ?

-"J'avais pensé te laisser la parole dans un premier temps pour que tu présentes le projet de loi et après je leur ai demandé de préparer des questions auxquelles tu pourrais répondre, je t'aiderai si besoin est, mais je trouve très formateur que ce soit toi qui y répondes dans un premier temps. Et pour terminer, si nous réussissons à garder un peu de temps on pourrait faire un débat entre plusieurs élèves, des pour et des contre.

-"D'accord, très bien. J'ai préparé un petit diaporama pour la présentation.

-"Parfait, je te laisse t'installer."

Il a quitté le bureau et s'est assis au fond de la classe. La pression des regards de tous les élèves s'est faite encore plus forte car j'étais maintenant seul au bureau et je l'ai ressentie pleinement.

Je ne sais pas si j'aimerai être prof, je ne m'imaginais pas que c'était comme ça.

'C'est comme monter sur une scène ; tu fais ton one-man-show sauf que les spectateurs n'ont pas payé pour te voir et préfèreraient même ne pas être là !'

J'ai laissé le temps à l'ordinateur de reconnaître ma clé et je me suis tourné vers la classe. Trente cinq paires d'yeux qui te dévisagent, c'est impressionnant. J'ai parcouru les visages à la recherche de têtes connues mais en vain.

Quand le prof a vu que j'étais prêt il a pris brièvement la parole.

-"Je suis très heureux qu'un élève vienne vous présenter ce projet de loi. C'est une façon de voir concrètement le parcours d'un texte avant de devenir une loi, de comprendre quel est le travail des différentes institutions et puis aussi de réfléchir sur la société, ses valeurs, ses évolutions. Donc, merci d'accueillir chaleureusement votre camarade.

A ma grande surprise quelques applaudissements se sont élevés et j'ai senti que je prenais quelques couleurs.

-"Bonjour à tous ! Je m'appelle Diego et je suis élève au lycée, en seconde C. Je vais donc vous parler du projet de loi sur le Mariage pour tous. Je vais vous passer plusieurs diapos présentant un historique rapide de l'évolution des droits des personnes LGBT, ensuite ce que contient le projet de loi et le processus législatif en cours. N'hésitez pas à m'interrompre pour faire des remarques ou poser des questions."

J'ai envoyé la première diapo sur laquelle était inscrite quelques dates clés de l'avancée des droits LGBT en France.

-"Avant de parler du projet de loi sur le Mariage pour tous, je voudrais élargir le point de vue et l'inscrire dans le contexte plus large du rapport de la société à l'homosexualité car c'est, à mon avis, comme ça que l'on comprend mieux le texte qui est en discussion actuellement au Sénat."

Je me suis tourné vers l'écran pour regarder la première diapo. Le titre en était : de la dépénalisation de l'homosexualité à la lutte contre les discriminations.

1982 dépénalisation de l'homosexualité

1999 adoption du PaCS qui permet l'union entre personnes du même sexe

2013 projet de loi sur le mariage pour tous

-"En réalité c'est en 1791, sous la Révolution française, que la criminalisation des relations sexuelles homosexuelles a été supprimée mais une forme de discrimination avait été réintroduite par le régime de Vichy en 1942 et a perduré jusqu'en 1982. Les relations sexuelles entre personnes du même sexe étaient autorisées seulement à partir de 21 ans, puis 18 ans depuis 1974, pour les homosexuels, alors que la majorité sexuelle était de 15 ans pour les hétérosexuels et il existait un fichage des gays et lesbiennes par la police. Ceci est un exemple typique de discrimination institutionnelle qui conduisait à ne pas accorder les mêmes droits aux citoyens sur la base de leur orientation sexuelle ce qui est complètement en opposition avec notre Constitution et la Déclaration des Droits de l'Homme.

-"Donc les homosexuels n'étaient pas considérés comme des citoyens normaux ?

-"Je n'aime pas le terme de normal mais oui, on peut dire que les homosexuels n'avaient pas, et n'ont toujours pas d'ailleurs, les même droits que les hétérosexuels. C'était des citoyens de seconde catégorie...

-"Tu peux donner des exemples concrets ?

-"Oui bien sûr. Par exemple jusqu'en 1983 un propriétaire pouvait annuler le bail de son locataire s'il apprenait que celui-ci était gay ou encore un homosexuel ne pouvait pas être fonctionnaire car cela allait à l'encontre de la notion de bonnes mœurs qui figurait dans le statut général des fonctionnaires. Il y avait aussi des sanctions plus lourdes contre les homosexuels par exemple dans le cas d'outrage public à la pudeur. Dans ce cas l'amende et la peine d'emprisonnement était le double pour un gay..."

J'ai senti que mes paroles portaient car les élèves semblaient sidérés tandis que le prof opinait au fond de la salle.

-"Mais alors l'Etat était en tort ?

-"Oui mais visiblement cela a pris du temps avant que ça émeuve beaucoup de monde !

-"Est-ce que ce les femmes n'étaient pas dans le même cas du point de vue de leurs droits ?" intervient une fille au fond de la classe.

-"Je pense que oui mais je n'ai pas étudié la question..."

-"Tu as tout à fait raison, Laura. Le principe d'égalité entre les hommes et les femmes date seulement de 1946 et jusqu'en 1944, les femmes n'avaient pas le droit de vote ! Et le 20e siècle a été un long parcours pour voir petit à petit cette égalité réellement exister." intervient monsieur Jubin.

-"Donc on peut tout à fait faire le parallèle avec la lutte des homosexuels pour la reconnaissance de leur pleine égalité. C'est le même processus avec un décalage dans le temps puisqu'il a d'abord fallu abolir la criminalisation de l'homosexualité en 1982.

-"Ca veut dire qu'avant 1982, les homosexuels allaient en prison ?

-"Non, mais s'ils avaient des relations sexuelles avec quelqu'un de moins de 18 ans, ils étaient condamnés alors que des hétérosexuels de plus de 15 ans pouvaient en avoir.

-"Tout à fait." reprend le professeur.

Je suis content, il y a eu tout suite des réactions et les élèves n'hésitent pas à poser des questions, c'est plutôt bon signe.

-"Tu es gay ?"

J'ai été surpris par la question même si je m'étais préparé à quelque chose de ce type. Le garçon qui l'a posée me regarde dans les yeux avec un air bravache.

De petits rires se sont élevés mais aussi des réactions d'indignation ce qui a conduit le prof à intervenir de nouveau.

-"Ta question est inappropriée, Léandro ! Diego n'est pas là pour parler de son orientation sexuelle !

-"Ce n'est pas grave, je vais y répondre !"

J'ai laissé le calme revenir et j'ai reporté mon attention sur le garçon qui l'avait posée en le fixant droit dans les yeux.

-"Oui, je suis gay et c'est bien sûr pour cela que je me suis engagé pour venir expliquer l'importance du projet de loi pour le Mariage pour tous. Est-ce que cela change quelque chose pour toi ?

-"Heu non... j'étais juste curieux de le savoir...

-"D'acord. Etre curieux, c'est bien dans la mesure où cela témoigne d'une volonté de comprendre mais cela ne doit pas empiéter sur les droits de chacun au respect de sa vie privée..."

Il a rompu le contact en détournant le regard et j'ai repris.

-"Donc, de la fin de la seconde guerre mondiale à 1982, il ne se passe presque rien, l'homosexualité est considérée comme une maladie mentale par l'Organisation Mondiale de la Santé et en France, elle est pénalisée. En 1982, la gauche arrive au pouvoir et Robert Badinter, Garde des Sceaux, met fin à cette pénalisation. On peut dire qu'à partir de là, on arrive dans une ère nouvelle, celle de la lutte contre la discrimination c'est-à-dire le fait d'accorder les même droits aux personnes quelle que soit leur orientation sexuelle. Et l'adoption du PaCs en 1999, est une première étape qui permet aux couples homosexuels d'être reconnu et d'avoir des droits.

-"Mais alors, pourquoi les gays veulent-ils absolument pouvoir se marier, puisqu'il y a déjà le PaCS ?

-"C'est une très bonne question ! Est-ce que quelqu'un a une idée ?"

J'ai vu une certaine perplexité sur le visage des élèves de la classe.

-"Pour faire comme les couples normaux ?" propose une fille au premier rang.

-"Comme les hétéros ? Oui et peut-être pour le symbole, mais surtout pour avoir les mêmes droits ! Et c'est ça qu'il y a derrière, c'est le fait qu'actuellement les personnes pacsées n'ont pas les même droits en matière de protection sociale, en cas de décès d'un des partenaires, pour adopter etc.

En fait le PaCs n'a pas permis de mettre à niveau les droits des homosexuels, ce n'était qu'une première étape et ce que nous voulons maintenant c'est être traitéscomme n'importe quelle personne sans discrimination et le projet de loi pour le Mariage pour tous est un nouvelle étape dans ce processus !

...