Mercredi midi, je n'ai pas mangé à la cantine. Stéphane est de retour à la maison donc je reprends mes bonnes vieilles habitudes, je déjeune avec lui. Je suis rentré à toute allure car maintenant que je m'entraîne avec le groupe de Thibaud, il faut que je sois à la piscine pour 14 heures.

Quand je suis arrivé, tout était prêt et nous sommes passés immédiatement à table.

-"Tu veux que je t'emmène en voiture ?

-"Heu oui, ce serait peut-être mieux sinon, ça risque d'être un peu juste...

-"Alors on fait comme ça et après les vacances de Pâques, on essaiera de trouver une solution.

-"D'accord. Steph, tu te rappelles que j'ai invité mes amis du Geography club samedi à la maison ?

-"Oui, oui, on a bien compris que tu voulais qu'on vous laisse le champ libre ; on ira se balader avec Sébastien. Vous serez combien ?

-"Je ne sais pas encore si tout le monde pourra venir mais maximum huit.

-"Et qu'est-ce que vous comptez faire ?

-"Justement, comme il commence à faire beau, tu crois qu'on pourrait utiliser la piscine ?

-"Pourquoi pas ? On va regarder la météo.

-"Oh super !

-"Oui, je m'en doute mais je ne veux pas retrouver la maison en chantier !

-"Promis !

-"Ben voyons mais on jugera sur pièce !" conclut-il en me faisant un grand sourire.

Je sais qu'il est très content que j'invite des amis et que je vive comme tous les ados. C'est vrai que jusqu'à présent Les règles de Nantes ne nous le permettaient pas.

-"Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'on fait avec Les règles de Nantes, on les supprime ?

-"Bonne question et j'ai l'impression de connaître ton avis ! On pourrait faire un Conseil de famille pour discuter de tout ça ?

-"Oui, bonne idée ! Et tu as raison, moi j'aimerais bien qu'elles disparaissent...

...

Jeudi matin, quand je me suis levé, j'ai tout de suite pensé au projet de loi.

'C'est aujourd'hui le jour J ! Pourvu que l'Assemblée vote Pour !'

En fait, je ne suis pas très inquiet. Le Sénat a voté le texte le 12 avril et c'était la chambre dans laquelle la gauche n'avait qu'une courte majorité donc ça ne devrait passer largement à l'Assemblée.

Le climat qui entoure le projet de loi est toujours passionné voire électrique. Dimanche dernier, il y a eu une nouvelle manifestation des opposants à Paris, avec toujours autant de monde ou presque et de la violence ; le Président de l'Assemblée Nationale a reçu une lettre de menaces. Ca m'écœure de voir la haine qui se fait de plus en plus jour. Je sais que comme moi, les opposants savent que maintenant rien n'arrêtera le processus et qu'ils ont perdu.

'Ce sont les extrémistes, ceux qui ne veulent pas comprendre, qui font n'importe quoi mais tout de même ça fait peur !'

A midi, j'ai déjeuné avec Boris et Corentin.

-"Alors, la loi est passée ?" demande Boris.

-"Non, pas encore ; c'est cet après-midi que le vote a lieu mais je ne savais pas que tu suivais cette actualité d'aussi près, Boris !

-"Faut pas croire, je suis pas un bourrin et puis je sais que c'est important pour toi...

-"Oui, c'est vrai mais pas que pour moi, pour tous les gays du pays !

-"Dans ma classe, tout le monde a voté pour !" intervient Corentin.

-"Non, faut pas croire mais comme je pense qu'il y avait une majorité, ceux qui étaient contre n'ont pas osé la ramener mais l'essentiel est que le projet de loi passe et ensuite la situation se banalisera et petit à petit ce sera complètement accepté."

Ca m'a fait plaisir de constater que mes amis se sentaient concernés. Oui, les choses changent tout doucement...

'Peut-être que dans vingt ans, tout le monde comprendra et que les gays ne souffriront plus de comportement homophobe de la part de certains hétéros... peut-être... '

-"Et sinon, ça va pour Thibaud et toi au lycée ou c'est difficile ?

-"Franchement, je trouve que ça va. Personne ne nous a embêtés ; c'est plus nous qui n'osons pas trop... enfin on n'aime pas trop se faire remarquer...

-"Alors, c'est trop tard parce que tout le lycée est au courant maintenant !

-"Oui, je sais... parfois j'ai l'impression d'être un spécimen dans un zoo...

-"Les gens sont curieux mais s'il y a d'autres couples gays, ça va se banaliser...

-"Oui, je pense que dans quelques semaines, plus personne ne fera attention à nous. Et si tu nous parlais un peu de toi, Boris ? C'est vraiment reparti avec Alicia ?

-"Oui, mon gars, les affaires ont repris et ça avance plutôt bien !

-"Incroyable ! Je croyais que tu t'étais calmé...

-"Oui, je fais gaffe, j'ai compris qu'il fallait que je lui laisse du temps mais samedi on a fini presque à poil tous les deux dans sa chambre et c'était chaud ! Et vous, vous en êtes où ?"

J'ai senti que, comme moi, Corentin était gêné par la tournure que prenait la conversation.

-"Heu...

-"Quoi, on est entre potes, on peut tout se dire !

-"Non, il y a des choses que je ne dirai à personne, ça ne regarde que Thibaud et moi mais ce que je peux dire c'est qu'on a bien avancé et que c'est super le sexe quand on a des sentiments pour la personne !

-"Oui, comme Diego, c'est super mais je suis sûrement pas aussi loin que vous...

-"C'est vrai que deux gars ensemble, ça doit aller plus vite ! Et, si on n'oublie pas bien sûr que ça m'intéresse pas du tout, quel stade, Diego ?

-"Joker ! Mais, largement au-delà de tout ce que j'avais imaginé..."

Ils se sont tus un instant, cherchant certainement à apprécier ce que je venais de dire puis ils ont souri et Boris a rigolé.

-"Et ben, si j'ai bien compris c'est toi qui vas nous donner des leçons maintenant !

-"Heu, sur l'anatomie féminine, je pense qu'il faudra demander des conseils ailleurs !"

Cette fois, c'est Corentin qui a éclaté de rire, nous entraînant à sa suite. J'ai trouvé ça génial de pouvoir avoir une conversation comme ça avec mes amis.

'Pas de différence, gay ou hétéro, nous sommes tous logés à la même enseigne. C'est l'âge des découvertes et peu importe si c'est avec une fille ou un garçon, l'important c'est de les vivre et bien sûr d'y prendre plaisir !'

Mais là-dessus, je ne me fais pas de souci et peu importe le stade, je suis sûr que mes amis en profitent autant que moi !

'Ou presque...'

...

Quand je suis rentré, il n'y avait personne à la maison. J'ai pris mon goûter dans la cuisine et j'allais partir travailler dans ma chambre quand la sonnette de la porte d'entrée a retenti.

Intrigué, comme toujours quand quelqu'un fait le tour de la maison et sonne, j'ai posé ce que j'avais dans les mains et je suis allé ouvrir.

-"J'arrive !"

J'ai ouvert la porte et je suis resté tétanisé.

'Madame Leclerc ! Oh non !'

-"Bonjour Diego, je voudrais..."

Je n'ai pas entendu la suite car j'ai violement refermé la porte.

'Oh non, pas elle ! Mais qu'est-ce qu'elle vient faire ?'

Malgré moi je suis resté dans l'entrée, le cœur battant à tout rompre et je l'ai entendue me parler à travers la porte.

-"Diego, écoute-moi, je viens m'excuser, je suis désolée..."

Je n'ai pas répondu, je crois que j'étais pétrifié.

-"Diego, j'ai compris que je t'avais fait du mal, je voulais bien faire mais... enfin, j'ai ouvert les yeux et je suis désolée...

-"Oui, vous m'avez fait du mal et à Sébastien aussi, à toute ma famille !

-"Je le regrette, sincèrement, je me suis faite embrigader mais j'ai beaucoup réfléchi... j'ai écrit au juge pour lui dire que je m'étais trompée...

-"C'était avant qu'il fallait réfléchir ! Vous ne pouvez pas réparer le mal que vous avez fait alors partez maintenant, partez où j'appelle mes parents !

-"Je suis désolée...

-"Partez et je ne veux plus jamais vous voir !"

J'ai verrouillé la porte et puis je suis allé fermer le garage. Je crois que j'étais en colère mais effrayé aussi et ça me faisait encore plus peur de voir que sa seule présence avait fait surgir toutes ses émotions en moi.

Je me suis réfugié dans ma chambre et, par la fenêtre, je l'ai vue monter dans une voiture grise et s'éloigner.

'Bon débarras et j'espère que je ne la reverrai plus jamais !'

...