Chapitre 1 – 16 semaines avant la chute

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La table est dressée avec soin. Serviettes pliées en éventail, pain coupé dans un panier tressé, verres en cristal parfaitement alignés. Ma mère a allumé une bougie parfumée à la vanille. Elle a même mis ses verres en cristal. Ceux qu’elle sort "pour les occasions".

C’est peut-être une occasion, après tout. Ma sœur revient de Paris pour le week-end. Grande avocate, 30 ans, toujours bien coiffée, même après trois heures de train.

Je suis déjà assise quand ils arrivent en riant depuis le salon. Mon père, ma mère, Julie, son tailleur impeccable, son sourire parfait. Moi, en face. Silencieuse.

— Tu as vu les retombées ? demande maman en servant le gratin. On a vu ton nom dans Le Monde, Julie ! Tu nous l’avais même pas dit !

— Oh, ce n’était qu’une citation en bas de page, répond Julie avec modestie. Juste un commentaire sur l’affaire Deschamps.

— C’est énorme ! s’exclame papa. À ton âge ! Tu fais notre fierté, vraiment.

Je pique doucement dans mon assiette. Mon gratin est tiède. J’avale sans mâcher. Le son de leurs voix me parvient par vagues.

— …et là, le juge a totalement changé de ton quand elle a sorti l’article de loi ! Tu aurais dû voir ça, dit mon père en riant.

— Elle est incroyable. Elle ira loin, c’est sûr, ajoute ma mère en servant le gratin.

J’aimerais parler. Dire quelque chose. Exister.

— J’ai eu 17 en français, je murmure.

Silence. Puis :

— C’est bien, Camélia, répond maman sans lever les yeux.

Puis elle se tourne aussitôt vers Julie :

— Tu sais que Monsieur Delcourt veut te proposer une collaboration plus stable ? Il te considère comme indispensable.

Le reste devient flou. Le bruit des fourchettes, les éclats de rire. Moi, je m’efface. Je compte les secondes.

Je regarde la flamme de la bougie vaciller. J’imagine ce qu’elle ferait si je soufflais fort dessus. Juste pour voir.

Je ne mange plus. Mon assiette est pleine à moitié. Eux, ils rient encore. Papa raconte une anecdote de boulot. Maman parle d’un tailleur qu’elle veut offrir à Julie. Elle mérite bien ça, après tout ce qu’elle accomplit.

Moi, je suis là. Comme un meuble. Une plante verte. Un fantôme.

Je me lève doucement.

— Je suis fatiguée. Je monte.

Personne ne proteste. Personne ne demande si j’ai terminé. Ma chaise glisse à peine sur le carrelage. Je monte les marches. Doucement. Lentement.

Arrivée dans ma chambre, je referme la porte sans bruit. J’enfile mon sweat noir, mes baskets. Et je prends mon sac, dans lequel j’ai déjà glissé mon carnet et de quoi écrire.

Je suis fatiguée, oui. Mais pas de sommeil.

Fatiguée d’exister dans le vide.

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