L'amer veille

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Les hélices du ventilateur brassaient l’air sans espoir de l’adoucir.

Mon appel au secours fut entendu par une infirmière qui me soignait à l’hôpital.

« Rassurez-vous, le fœtus est vivant ». Tu étais encore bien accrochée au fond de moi. Et c’est ce qui me fit prendre enfin une sage décision. Te protéger. Te garder, au risque de ne pas réussir à franchir la passerelle faite d’un seul tronc d’arbre.

Mon entourage me trouvait transformée. J’étais devenue froide, taciturne, enfermée sur moi-même, ou plutôt devrais-je dire, sur toi-même.

Mon homme s’en accommoda pour épancher ses tensions pulsionnelles avec des prostituées. Il consommait la friture frétillante. Il m'avait transformée en épouse légitime, une espèce de morue salée qui se conserve longtemps.

À présent, je pensais qu’un cuisinier capable de préparer des plats aussi savoureux ne pouvait être qu’un dissimulateur, séducteur, masquant la violence d’une cuisson à feu vif par un enrobage onctueux ou craquant à souhait. Ne voulant pas trouver plus d’explications, je ne supportais plus les mensonges, les coups.

La société moderne avait inversé les valeurs autrefois imposées dans la souffrance. Les intellectuels étaient valorisés alors que les manuels tels que Li Cheng ne valaient presque rien. Les femmes désireuses d'obtenir l'égalité des droits prenaient le dessus. Elles ne se contentaient pas du partage des tâches ménagères. Non, il leur fallait les places de direction au sein des entreprises, des voitures de fonction avec chauffeur, telle que l'on m'en accordait lors de mes déplacements professionnels importants.

Li Cheng se rebella.

— Un homme n'est pas là pour servir sa femme ! Dans quel monde vit-on ? Puisqu'elle est assez mal fichue pour naître telle, une femme se doit de cuisiner pour son mari, s'acquitter des corvées ménagères, s'apprêter pour remplir ses devoirs conjugaux, tandis qu'il se repose de son harassante journée de travail.

— Et si cette femme gagne un salaire plus important que celui de son mari, ne doit-on pas inverser l'ordre des choses ?

Une fois de plus, mes arguments irréfutables avaient le don de l'énerver. Ainsi mouché, il tapait du poing sur la table, se réfugiait devant la fenêtre, avalait un verre d'eau et mastiquait une galette de riz imbibée de colère et de frustration.

Entre nous, pas de communion, pas de partage. Mon rôle aurait dû se résumer à l'accomplissement d'un devoir conjugal à sens unique. La résignation dans laquelle je me cantonnais, ne pouvait pas durer une minute de plus. Je ne voulais plus avoir mal à force d'être tendue, contrainte à la soumission. M'avait-il seulement jamais aimée autrement que sous la forme d'un objet capable d'apaiser ses pulsions ? Il n'y avait rien d'autre entre nous que ce lien béni par l'union sacrée, ritualisé par le code des bons usages de la vie en société.

Ouverts les yeux. Réveillée la pensée. Réanimé mon corps meurtri. J'empilais mes bonnes résolutions comme autant de briques nécessaires à ma reconstruction.

Du jour où tu te manifestas, je stoppai net toutes relations sexuelles, tous contacts physiques, avec lui en particulier et les hommes en général. Je voulais te protéger de l’étau meurtrier duquel je m’extirpai sans regrets. L’amour se sublima et grandit avec toi.

La voix de Li Cheng s'estompa.

J'écoutai la tienne.

Alors, je repris espoir, remballai mon amour manqué et suivis mon ventre qui me pria d’aller de l’avant.

***

Le vieil homme se leva de sa chaise de bambou, se racla la gorge avant de cracher sur le trottoir marquant ainsi la fin de sa sieste. Il agita son éventail en feuille de palmier pour évacuer les mauvais insectes.

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