Un paysan aspirant chevalier

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La route, rendue poussiéreuse par la chaleur d’un rude soleil d’été, était bordée de grands peupliers. D’un côté, des champs de blé s’étendaient à perte de vue, suivit d’une grande forêt au loin sur une colline, percée par un village où fumaient nombres de cheminée. De l’autre, une rivière calme qui s’écoulait paisiblement. Des grenouilles se prélassaient entre les joncs et les roseaux et des carpes bien grasses sautaient gaiement hors de l’eau pour attraper moultes moucherons qui passaient au-dessus de l’eau.

Un cheval s’y abreuvait, les sabots plantés dans le sable noirâtre de la rive. Loin d’être un étalon, ce canasson était par sa nature utilisé pour les travaux des champs. Son apparence n’avait pas la grâce d’un grand destrier taillé pour la guerre : sa crinière pendante, ses pattes courtes et larges comme un tronc de jeune pin et un pelage mal brossé, l’animal n’avait pas de quoi briller par sa beauté. Mais s’il pouvait avoir une fierté, c’était bien en ses capacités.

Car ce n’était pas les tâches les plus rudes qui l’effrayait. Sa force et son endurance en faisait un canasson robuste pour tirer la charrue et la charrette de foin ou porter les fagots de bois. C’était le fier destrier des champs.

Son cavalier se trouvait non loin de lui, allongé sur l’herbe fraiche à l’ombre des peupliers, profitant d’un repos après une longue route. Ses bottes usées sur le côté et un chapeau de paille mal tressé sur le visage, il savourait cet instant de tranquillité, sachant que ce moment allait probablement être le dernier avant longtemps.

Il ne lui restait guère à parcourir jusqu’à sa destination, aussi il fit une sieste le temps que le soleil n’abaisse ses rayons. Si le chemin était, pour le moment, à l’ombre des arbres gigantesque, le reste était un chemin de plaine entièrement dégagé jusqu’aux remparts de Gard-le-Fort.

Le jeune paysan aurait pu continuer à dormir longtemps si sa monture n’était venue renâcler près de son oreille pour lui indiquer qu’il était temps de se remettre en route. Maugréant en enlevant son chapeau de paille pour souffleter le museau de son compagnon, il soupira avant de se relever.

Le garçon d’une dizaine d’années secoua sa chemise froissée et resserra la corde qui lui servait de ceinture autour de sa taille, remis ses bottes et regarda encore un peu la rivière qui continuait sa propre route, dans l’autre sens que le sien. Son cheval poussa un hennissement d’impatience…

— J’ai compris, nous repartons…, soupira-t-il.

Il resserra la selle et vérifia que son paquetage tenait bon. Un rouleau de papier tomba par terre. Il poussa un juron. Cette lettre était la raison de sa venue dans cette contrée loin de chez lui. Son laisser-passer pour entrer à Gard-le-Fort…

Le destrier piétinait le sol nerveusement.

— D’où te vient cette impatience ? lui demanda le garçon en rangeant le rouleau dans sa besace. Ce n’est pas toi qui vas t'engager dans la chevalerie… tu seras bon à rester dans l’écurie pour ta retraite !

Il se mit en selle et reprit la route en direction des remparts. Il jeta un œil derrière lui : le ciel s’assombrissait au loin, au-delà des collines boisées, et des grondements sourds retentissaient jusque dans la plaine.

Hum… un orage sec qui approche… je peux arriver aux remparts avant qu’il n’arrive.

Il donna quelques coups de talons dans les flancs de sa monture qui accéléra le pas.

L’air devenait étouffant malgré un vent qui se levait depuis la direction de l’orage. Le tonnerre grondait de plus en plus et le beau ciel bleu laissait sa place à des nuages sombres qui survolait le paysage encore illuminé par le soleil, contrastant entre lumière et ténèbres.

Dans les champs, les paysans se dépêchaient de ramasser le foin coupé avant qu’un éclaire ne tombe dessus et n’embrase la récolte, sous le regard amusé du garçon. Il savait que le blé aurait dû être ramassé bien plus tôt. Les premières chaleurs avaient fait mûrir les épis d’or mais ce soleil soudain ne pouvait qu’amener des orages. Ces paysans n’avaient donc pas senti le vent méridional ?

Il continua sa route en pressant l’allure. Très vite, les remparts furent en vue, une longue et haute muraille surmontée de plusieurs tours de guet. Des drapeaux, aux couleurs royales, ornaient chacune d’elles à leur sommet. L’entrée était une haute ouverture qui se terminait en pointe, fermée par une herse et devancée par un pont-levis au-dessus d’un fossé où stagnait une eau rendue verdâtre par la vase et les nénuphars, dégageant une forte odeur de marais.

Derrière la haute muraille se dressait une montagne, recouverte de végétations éparses et de roches grises. D’après les récits que son père lui avait racontés autrefois, Gard-le-Fort se trouvait juste à son pied, menant ensuite à de nombreux sentiers dont un seul accédait au sommet.

Deux gardes étaient postés à l’entrée, équipés d’armures reluisantes et de hallebardes qui ne semblaient n’avoir encore jamais connus de batailles. À leurs visages, ils semblaient être encore juvénile, bien que leurs barbes naissantes laissaient à penser qu’ils entraient dans l’âge adulte.

— Halte ! s’écria l’un d’eux. Qui va là ?

— Je cherche le capitaine Jeanmant Detreivie, messires, répondit le garçon. J’ai une lettre à son attention…

Il tendit le rouleau de papier qu’il avait fait tomber un peu plus tôt à l’un d’eux. Après une rapide lecture, il referma le rouleau avant de lancer :

— Attendez ici…

Le garçon et sa monture patientèrent quelques longues minutes. Il faisait de plus en plus lourd, signe que l’orage risquait d’être violent. Les nuages s’étaient rapprochés, obscurcissant le ciel. Après une longue attente, le garde revint d’un pas pressé :

— Veuillez me suivre !

Son ton était un peu sec et contrarié. Le deuxième garde parut surpris également. Le garçon s’avança lorsque la herse se releva, découvrant une grande allée bordée de peupliers, gardée par un immense chêne centenaire. Au loin, on pouvait apercevoir les tours du château de Gard-le-Fort qui dépassaient de la cime des arbres.

Tout de suite après avoir dépassé le hall de l’entrée, le garde alla sur la gauche, indiquant au garçon un piquet où attacher son cheval. Le jeune paysan s’exécuta et suivit ensuite le garde dans un escalier de pierre qui montait à mi-hauteur de la muraille jusqu’à une porte de bois qui menait à l’intérieur.

Le couloir qui s’ensuivit était sombre, éclairé par seulement des torches enflammées et des meurtrières sur le côté extérieur du rempart. Une forte odeur de sueur et de renfermé lui piqua les narines. Le sol était jonché de petits cailloux et de terre venant du dehors. Des jeunes gens, à n’en point s’en douter des apprentis chevaliers, allaient et venaient à travers d’autres passages dont certains devaient monter sur le sommet du rempart.

Le garde frappa à une porte avant de l’ouvrir et fit signe au garçon d’y entrer. La pièce était petite mais suffisamment grande pour accueillir une haute bibliothèque remplie de parchemins et de livres de différentes tailles. Au milieu trônait un bureau grossier fait d’un tronçon d’arbre dont la taille révélait un âge très ancien posé sur deux bûches qui devaient faire partie des branches du dit arbre.

Derrière était assis un homme grand au corps effilé. Il portait une barbe poivre et sel finement taillée en pointe et une tenue de chevalier composée d’une cote de maille, de plates aux épaules, aux coudes et aux genoux. Une épée à la garde reluisante et à la lame fine ornait son côté gauche. Pendant quelques secondes d’un silence pesant, il continuait d’écrire sur son parchemin avec une élégante plume d’oie. Lorsqu’il eut terminé, il la reposa d’un geste réfléchit et adroit puis fixa le jeune paysan.

Ses yeux noirs perçants l’observaient attentivement. L’allure de ce dernier aurait pu faire rire n’importe quel gentilhomme, avec sa chemise sale débraillée, son pantalon rapiécé et son chapeau de paille difforme. Mais celui qu’on surnommait l’Inébranlable n’était pas affilié à la moquerie.

— Bonjour, jeune homme, salua-t-il en mâchant chaque mot posément. Approche-toi…

Il lui indiqua un siège où s’asseoir. Le garçon obéit. L’atmosphère était étrange, il se sentait comme observé dans son être intérieur…

— Tu te nommes Joan, c’est bien cela ?

— Tout à fait, répondit le garçon.

— Selon cette lettre que tu as apportée, continua Detreivie, tu prétends vouloir entrer dans la chevalerie…

Le garde ne put réprimer un rire. Le capitaine le fit taire d’un geste de la main.

— Il y a, cependant, un problème. Le recrutement est terminé depuis cinq mois. Même si je te fais entrer maintenant, es-tu seulement capable de rattraper ton retard par rapport aux autres pages ?

— Je m’en donnerais les moyens, sir, répondit le garçon.

— Tu sembles déterminé… c’est une belle qualité mais, par mon expérience, je peux t’assurer que cela ne suffit pas.

— Je possède des bases d’escrime. Et mon corps est endurcit par les travaux des champs !

Le garde lança un regard courroucé envers le petit paysan mais le capitaine de la garde l’interrompit de nouveau en levant la main.

— Tu es bien bâtis pour un enfant de ton âge, en effet. Il y a un moyen de savoir si ce que tu dis est vrai. Allons dans la cour…

Quelques minutes plus tard, Joan se retrouvait au pied du grand chêne, une épée en bois d’entrainement dans une main et un bouclier dans l’autre. Le capitaine Detreivie avait désigné un jeune garçon un peu plus âgé que lui du nom de Garvin comme adversaire. Il ne savait guère si cela était une bonne idée, ignorant le niveau que pouvait avoir un page du château de Gard-le-Fort. Il avait peur de se prendre une rouste devant les quelques badauds qui passaient par là et s’étaient arrêtés par curiosité.

L'orage était presque au-dessus d'eux, le soleil avait quasiment disparu, le vent soulevait les branches du chêne et la poussière alentour. Quelques éclairs brisaient le ciel dans un roulement de tonnerre très rapproché.

— Nous allons faire un combat simple en trois coups, déclara Detreivie. Attaques portées aux bras, jambes, dos et torse, pas de coups à la tête.

Joan observait son adversaire. Plus grand d’une demi-tête que lui, il arborait un sourire fier qui lui donnait un air trop sûr de lui. Ses cheveux couleur de paille étaient coupé à ras sur les côtés et derrière, le dessus retombant en bol bien égalisé et ses yeux, d’un bleu clair, semblaient se moquer de tout ce qui pouvait être aperçut. Bien qu’étant un garçon toujours conciliant, Joan éprouvait une certaine antipathie pour lui.

— Attaquez ! ordonna Detreivie.

L’adversaire de Joan se mit en garde, son bouclier levé devant lui, la pointe de son arme factice pointé en avant. Une garde assez classique comme le pensait Joan mais efficace pour parer nombres d’attaques. Il connaissait cependant une feinte capable de la contrer. Il s’élança en avant, feignant de frapper avec son épée en visant entre l’arme et le bouclier de son adversaire puis, d’un geste rapide, utilisa son propre écu pour repousser son adversaire. Celui-ci perdit l’équilibre sous le choc, déstabilisé par ce changement brusque de mouvement. Joan en profita pour frapper au-dessus du genou.

— Stop ! cria le capitaine de la garde. Un point pour Joan le paysan !

Ce dernier n’apprécia guère qu’on le nomme ainsi mais il n’eût le temps d’en faire la remarque, Garvin contre-attaquant de suite sans ménagement. Joan para de son bouclier avant d’asséner un coup sur les côtes, juste en dessous du bras.

— Stop ! Un deuxième point pour Joan le paysan !

Garvin n’en revenait pas. A la vue de tous, il se faisait mener par un gamin paysan sans aucune expérience. Son égo en prenait un coup, son sourire arrogant s’était effacé ainsi que son sang-froid. Il attaqua sans réfléchir avec sauvagerie. Joan l’évita en se jetant sur le côté, malheureusement pas assez vite. Garvin se prit les pieds dans les jambes de Joan, tombant face contre terre avec fracas, sous les rires des spectateurs. Joan se leva rapidement et de la pointe de son épée, toucha le dos de son adversaire, mettant fin au combat.

— Troisième point pour Joan le paysan ! Le combat est terminé !

Garvin se leva à son tour, jeta ses armes par terre et s’en alla, visiblement blessé en son for intérieur. Detreivie s’approcha de Joan :

— Très intéressant… ainsi tu ne mentais pas. Je reconnais bien là le style de sir Percevin…

— Il m’a appris seulement les gestes, répondit Joan. Du reste, je me suis entrainé chaque soir avec un morceau de bois suspendu à un arbre.

— Retournons à mon bureau. Tu viens de réussir mon test d’entrée à l’école de chevalerie.

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