Chapitre 3 - VP Laetitia

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Nous arrivons à l’hôtel à Bordeaux où Monsieur doit inaugurer un centre commercial nouvelle génération l’après-midi et tenir une conférence dans une école de commerce le mercredi matin sur la thématique « Se lancer jeune pour réussir jeune », tout un programme… mais ça flatte son égo de donner des conférences de ce genre. Nous devons enchaîner le jeudi matin sur une énième réunion avec les commerçants du centre-ville, pour faire évoluer les relations qui sont un peu tendues depuis le début du projet. La routine.

Nous passons tous à l’hôtel pour nous changer et repartons dans une sorte de ballet réglé comme une montre suisse. Je mets ma robe de Max Charmint, un jeune créateur qui commence à percer, et je sais que Jessica va être jalouse parce que je suis vraiment canon dans cette robe. D’ailleurs, quand j’arrive j’ai l’impression que tous les mecs me regardent, sauf mon boss bien sûr, mais je dois un peu exagérer. J’ai souvent tendance à croire que les gens me regardent et comme je ne vois vraiment pas pourquoi, je me dis que je me fais des films. Toute la ville est en ébullition, comme si un ministre venait inaugurer le centre Eco-shop de Bordeaux. L’inauguration commence par de longs discours habituels et celui du « génial concepteur de ce magnifique site, j’ai nommé Benjamin Fortet » m’interpelle un peu vu que c’est moi qui l’ai écrit.

Normalement, ça aurait dû être Jessica, mais il m’a demandé de le faire pour que le discours soit orienté « écologique ». En fait la seule chose de vraiment écologique dans cette boîte, c’est moi. Et mon équipe, dont je suis très fière d’ailleurs. Je suis directrice du développement écologique de Comexp. C'est-à-dire que je dirige quinze personnes que j’ai recrutées moi-même pour la plupart. Nous recherchons comment rendre nos centres commerciaux plus responsables. Nous sommes en contact permanent avec les sites pour les aider dans la gestion quotidienne : tri des déchets, ménage, … Nous essayons aussi de trouver des commerçants ou même des chaînes à tendance responsable. Nous suivons toutes les innovations dans le domaine et essayons de les tester, par exemple des bornes solaires qui se rechargent à la lumière non naturelle. Il m’a aussi fallu pas mal de temps, de disputes et de réunions pour réussir à ce que nos chantiers soient écologiques. En théorie c’était assez simple, il suffisait de changer le comportement des abrutis d’ouvriers de 4C, l’entreprise qui construit nos centres, une filiale verticale donc, qui nous permet de gagner une fortune puisque c’est Comexp qui paye les travaux de 4C. De l’argent très bien utilisé qui revient dans les poches de Monsieur Fortet d’une façon ou d’une autre. C’est pour cette raison que, même s’il est bobo-écolo, son ouverture d’esprit s’arrête quand il perd de l’argent alors lui faire comprendre qu’il faut que les ouvriers utilisent des matériaux plus cher (sans emballage) d’un bout à l’autre de la chaîne et qu’ils passent plus de temps à faire les mêmes choses, c’était dépasser sa vision de « l’écologie pragmatique ». Bon d’accord, le surcoût total avec tous les équipements était quand même de 10%. Sur trente millions, ça fait une certaine somme. Mais les économies d’énergie vont la rembourser en seulement vingt ans, ce qui est suffisant pour ce type d’établissement : aucune raison de s’en priver en fait, de mon point de vue.

Après l’inauguration, la soirée continue par un gala grandiose dans la salle de réception de la mairie. J’envoie discrètement un tweet : « Inauguration du centre Eco-shop de Bordeaux par le groupe Comexp – peut-être un réel pas en avant dans les centres commerciaux ? ». Mathieu, le responsable du développement nord et aussi l’un de mes meilleurs amis depuis l’université, me rejoint. Je sens tout de suite qu’il y a quelque chose qui ne va pas :

- Je n’ai pas vu ton père depuis longtemps mais je crois que je viens de l’apercevoir !

- Ça m’étonnerait, il se serait déjà fait remarquer et il aurait l’air bête de venir ici, il a perdu l’appel d’offre après tout.

- Regarde à l’entrée !

Ah. M…. Quand je pense que j’avais peur de me casser une jambe. Mon père est dans la salle. J’aperçois aussi Thomas Maillot, son bras droit. Contrairement à moi, Mathieu ne perd pas tous ses moyens et organise notre fuite.

- Va m’attendre dehors, tu sors par cette porte là-bas, c’est par là qu’ils amènent les verrines, ça doit bien donner quelque part. Reste en face de l’entrée principale. Je vais prévenir Benjamin que je rentre à l’hôtel et que je te raccompagne.

- Pas la peine de lui donner cette précision, il ne sait même pas que je suis là !

Je sors en manquant de renverser le plateau d’un serveur qui me dispute en me disant que je n’ai pas le droit de passer là. Je ne réponds rien et je fonce. Après 10 minutes d’attente terrifiante, ce qui me paraît excessif pour dire au revoir à un gars qui ne dit jamais au revoir, Mathieu arrive enfin :

- Je viens de parler à ton père ! C’est bête, mais ça me fait un choc terrible.

- Ah bon, il t’a reconnu ?

- En fait, quand j’étais vers Benjamin, ton père est arrivé.

- Qu’est-ce qu’il faisait là ?

- Il a reçu une invitation en tant que promoteur de « Bordeaux commerces center » donc il est venu avec 10 collaborateurs, comme si c’était lui qui portait le projet Eco-shop.

- Mon père tout craché !

- J’ai aussi vu Thomas Maillot, quel bel homme !

- Arrête un peu, ce n’est pas le moment. Bon, tu m’emmènes où pour me changer les idées ?

- Dans un club !

- Je crois qu’on n’utilise plus ce terme !

- Ah bon ?

Nous rentrons pas trop tard et rencontrons Monsieur Fortet en train de boire un verre, seul au bar de l’hôtel. Il ne me regarde même pas. Je dis bonsoir et je monte dans ma chambre.

Le lendemain, je commence à travailler dès 7h30. J’ai rendez-vous avec mon boss à 15h au retour de sa conférence, comme convenu. Tous mes collègues sont dans une des salles de séminaire de l’hôtel pour préparer la rencontre et nous devons les rejoindre rapidement. C’est là que tout bascule. Je suis assise à côté de Lui dans des grands fauteuils modernes et super confortables, qui me donnent l’impression d’être dans un film d’action genre James Bond, je ne sais pas trop pourquoi. Soudain, un bruit arrive du hall. Un groupe d’hommes entre, précédé par mon père. Le film d’action vire au drame. Je ferme les yeux pour me laisser croire que j’ai rêvé, et j’ai l’espoir idiot qu’il ne va pas me voir. Il vient directement sur moi, suivi par sa clique, ce qui attire la totalité des regards sur nous. Je ne sais pas comment, mon boss comprend tout de suite qu’il n’est pas là pour Lui. Mon père nous regarde tous les deux pendant un instant, il doit réaliser que je travaille pour Comexp en voyant mon carnet de notes et il parait complètement abasourdi. Il ne dit pas un mot. Il me regarde comme quand j’avais quinze ans et que je faisais n’importe quoi pour qu’il voie que j’existe et que dans son regard, je ne voyais toujours que du vide. Il quitte le bar immédiatement, suivi par sa clique, ce qui permait à environ trente inconnus, cinq serveurs et un boss, de comprendre qu’il vient de se passer quelque chose de sérieux. Ce salaud de Thomas reste là. Je ne l’avais même pas vu au milieu des autres. Il me dit « Pour une fille qui a abandonné sa famille sous prétexte qu’elle faisait la propagande de la société de consommation, tu as bien réussi ! Tu as choisi Comexp pour faire vraiment mal à ton père, où c’était par dépit ? » Il ajoute une phrase invraisemblable : « Si j’étais ton père, je t’aurais mis une fessée dont tu te serais souvenue toute ta vie !» Et il part enfin. Cet imbécile que mon père a voulu me faire épouser pour qu’il dirige l’affaire familiale, comme si on était au seizième siècle.

Monsieur me regarde pendant un instant puis il dit « C’était quoi ça, Mademoiselle Delacre? »

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