8 - Rappels du passé

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-Qu'il ait gelé une table ne veut pas dire qu'il manipule la glace.

L'Ancien était assez serein lorsqu'on a amené Atherach à son bureau. On lui a confié sa garde deux secondes, et le temps qu'on soit sortis de la salle il l'avait en fait déjà remis sur pied. C'est au moment de re-rentrer qu'on a eu cette discussion.

-Attends, le vieux... demanda Xenthores, perplexe. Je comprends pas...

-Question de précision. J'avais vu une très légère teinte aqueuse chez lui, mais ce n'était pas ça que je recherchais, c'est tout.

-Ce qui veut dire ? insista Atherach assez faiblement.

-Ce qui veut dire que tu manipules la glace de manière secondaire.

-ça peut exister, ça ? S'est étonné Witz. Des gens qui manipulent deux magies ?

-Tu es là pour prouver qu'on peut en manipuler jusqu'à la limite des magies connues, cher ami. Mais bon ! les multi-élémentaires sont soit des gens qui manipulent deux, trois ou l'entièreté des magies. Manipuler trois magies est extrêmement rare, mais ça existe. En manipuler quatre est impossible, et les manipuler toutes nécessite des sacrifices.

-Du coup on connaît pas encore ma magie principale ? Conclut Atherach, entre l'impatience et la joie.

'Faut le comprendre, il adore la glace moitié moins que moi la foudre. Ce qui est déjà super bien. Manipuler la glace, c'est un rêve pour lui.

-Y a-t-il une différence entre magie principale et secondaire ? Demandai-je.

-Tout est dans le nom, Thauroji. Une magie principale est principale. Je veux dire qu'on manipule beaucoup mieux sa magie principale que sa magie secondaire.

Soupir de déception de la part d'Atherach.

-Du coup il faut que je prenne des cours pour mieux la manipuler, je suppose.

-Oui. Et pas plus tard qu'après la pause, en même temps que le cours de Lumière de Thauroji.

Ah oui, je l'avais oublié, celui-là... De toute façon, la plupart du temps, je ne retiens rien, je ne prévois rien, j'y vais à l'improviste. Je serais juste allé chercher mon horaire dans le fond d'une de mes poches à la fin de la pause, puis je me serais demandé "Mmh... J'ai quoi comme cours maintenant ?". Euh... Ouais. Ce serait plutôt l'inverse. D'abord me demander et ensuite consulter.

On s'est séparés, avec les autres. Xenthores allait à son cours de chimie avancée, et Witz à son cours de tir. Entre Falk et Skyti, les deux meilleurs tireurs d'élite de l'Académie, l'elfe Multiarch et l'elfe aérienne, Witz allait faire des progrès super rapidement.

Le cours de lumière s'est assez bien passé. Tsù-go la Kytsimm d'ombre et de lumière avait réussi l'exploit d'enseigner à la fois le yoga (elle-même en avait grandement besoin, à cause de son paradoxe corporel), la lumière et l'ombre. Certains néophytes, comme moi, étaient déjà habillés de leur costume de magie. Elle nous a un peu dit ce que nous allions faire durant l'année. Le ton qu'elle adoptait était si calme, si apaisant... Plusieurs fois je faillis m'endormir dans ce lieu où régnait pourtant une lumière grandiose. On se croyait dans un immense temple de marbre très blanc orné de décorations chryséléphantines. J'ai toujours trouvé que le blanc et l'or se couplaient très bien ensemble, c'est pas ce lieu qui m'en a persuadé du contraire.

Apparemment il me fallait une autre posture manuelle pour bien manipuler la lumière. C'est là que j'ai connu le supplice d'essayer des positions de la main différentes les unes des autres pendant d'horribles minutes. Comme c'était infructueux, elle m'a proposé de prendre l'arme que je souhaitais. La lumière et l'ombre ne sont pas des éléments restrictifs au niveau des armes, mais bien aux matériaux. Elle a d'elle-même invoqué dans ses mains un bâton, l'a examinée, puis me l'a tendu avec un sourire sombre, mais un visage éclairé. Au sens littéral, je veux dire, je voulais pas sous-entendre qu'elle m'adressait un rictus psychopathe avec des yeux tendres ! Non, elle était majoritairement constituée de photons, et ses traits (dont ses lèvres) étaient d'anti-photons.

J'ai beau avoir analysé ce bâton sous toutes ses formes, je dus me rendre à l'évidence : c'était bel et bien le bâton boisé que l'Académie m'avait offert. Peut-être qu'il était fait à partir de bois sacré ?

Cours suivant : math. Notre professeure Exanthrope, M4-7H, était passionnée. TROP passionnée. On aurait pu croire que son enjouement était contagieux, mais en fait c'était juste bien au début. Après les cinquante minutes de cours, la plupart d'entre nous étaient écœurés. Sinon, grande classe de quarante-six élèves, mais même si j'avais eu une mauvaise expérience d'une classe à trente dans ma jeunesse, je n'ai pas trouvé ça trop contraignant, c'était super bien géré.

Les cours qui ont suivi n'ont pas eu beaucoup d'importance, en fait. Un peu d'ingénierie, avec Chirutll. Notre prof était 7H-374, encore une Axo, mais bien moins chiante que M4-7H. On n'a rien fait de bien particulier, on s'est justes présentés, nous et nos projets futurs. 7H-374 nous disait que, comme ça, on pouvait s'entraider, se donner des conseils sur ce qu'on veut créer.
Ensuite, un peu de physique, enseignée par Styrke. Décidément, cette bonne naine était trop petite pour les bancs, et trop laide pour certains d'entre nous qui évitaient son regard pourtant assez sympathique.

C'est ça, les nains : une grosse part de muscle, une grosse part de cerveau, mais un physique disgracieux. Des gros nez, des têtes bourrues, des naines à barbe, tout ça couplé avec d'autres choses du genre et une attirance toute particulière envers l'alcool en général, mais surtout la bière. La plupart des nains étaient petits, moches, musclés, barbus et gros. Comment on appelle un nain qui n'appartient à aucune de ces caractéristiques ? C'est pas un nain, ça, mon gars, c'est un elfe.

On a appris quelques petites notions de physique avec Styrke. Mais il restait un cours dans la journée, et j'étais loin de me douter que ça allait devenir mon préféré : celui de sociologie avec le nain Dybder.

Atherach était avec moi. Witz et Chirutll aussi. Il n'y avait que Kernn et Xenthores qui étaient partis dans une direction différente ; ils allaient en cours de sport.

Tout, depuis le début jusqu'à la fin, était particulier dans le cours de Dybder. Déjà, la salle était tout ce qu'il y a de plus classique. Une ambiance neutre, sans plus, pour qu'on s'y sente à l'aise. Vingt-cinq chaises occupaient l'espace central, disposés en cercle. Dybder nous a invités à s'asseoir. Chirutll était à ma gauche, Atherach et Witz à ma droite. J'étais à côté de mes potes, c'était déjà bien.

-Salutations chers condisciples ! A commencé le nain. Son charisme plein d'amitié compensait largement sa taille ridicule.

On a attendu quelques secondes avant que quelqu'un se rende compte qu'il fallait lui répondre. Toute la classe a fini par lui dire bonjour, presque ensemble.

-Aïe, ça commence mal. Comme chaque année, rassurez-vous ! L'Ancien espère que vous vous sentez bien dans tous vos cours, mais je mets un point d'honneur à remplir cette tâche. Plus vous vous sentirez bien, moins il vous sera difficile de parler. Ce qui sera primordial, parce que ce n'est pas moi qui donnerai cours !
Mon rôle ici sera juste celui de simple guide. Vous remarquerez, ici, que personne ne manipule la même magie, que les membres de toutes les races intelligentes ont été conviés et que cette classe n'est pas seulement constituée de néophytes, mais aussi de vétérans. Je vous guiderai, pas à pas, sur les différents sujets de vos anciennes vies, de vos anciennes sociétés. Ce ne sera donc pas moi qui vous ferai un aperçu sur les sociétés humaines, Axo, siréniennes, Exanthropes, Kytsimms et autres, c'est vous-même.

Ce concept me sembla tout de suite intéressant.

-Alors vous comprenez bien, continua-t-il, que j'aimerais que vous vous sentiez le mieux possible ici. Il y aura sans doute des malaises, des silences et autres, mais ça sera mieux avec le temps. Pour le moment, avant de socialiser avec des peuples entier, commençons par socialiser entre nous. Tout le monde va parler aujourd'hui, et ce sera juste de simples présentations. Quelqu'un veut commencer ?

Comme personne ne s'est lancé, j'ai levé la main.

-Superbe ! Parle-nous donc de toi, mon cher.

je remarquai qu'il n'a pas dit mon nom alors qu'il le connaissait. Sans doute pour que les autres puissent l'entendre de ma bouche.

J'ai inspiré un grand coup puis déchaîné mon improvisation :

-Je me nomme Thauroji Voltar. Pour ceux qui se demanderaient, non ce n'est pas mon vrai nom, c'est juste un pseudonyme. Mon véritable nom ? Ce n'est pas important. Autant changer de vie, autant le faire bien. J'ai déjà dépassé de beaucoup cet humain, à l'intérieur d'Anthropia, qui galérait à vivre de son intelligence. Je ne suis pas honteux de ce que j'étais avant, non... J'ai juste tourné la page. Tourné la page vers un monde bien plus accueillant, bien plus beau. Je n'ai pas de remords à affirmer que ce chapitre de ma vie est loin d'être fini, et que je compte bien mettre le point final sur une bonne note.
Pardonnez, je divague parfois. Comment était ma vie, avant ? Bah... J'étais un ingénieur. J'étais depuis bien longtemps passionné par la foudre. Mon rêve, c'était de marcher dans les traces du plus grand pionnier de l'électricité connu à mon époque : Nikola Tesla. Débordé par les passions, les projets et la paresse, j'ai trop délaissé mon but principal. Je me suis retrouvé dans une société mineure dirigée par un sadique qui refusait tout ce que je faisais.
Si je devais dire ma plus grande qualité, je dirais sans hésiter l'imagination. Si je devais dire mon pire défaut, je dirais sans hésiter l'imagination. Je vois déjà certaines têtes qui se tournent vers moi d'un regard interrogateur ! Je veux dire par là que j'ai trop d'imagination, et qu'il en découle un certain paranoïa.

-Ah oui, d'accord. Comment tu te sens par rapport à ta nouvelle vie ?

-Merveilleusement bien ! Quoiqu'un peu anxieux... Je repars à peu près de zéro. Je ne connais que très peu de choses sur ce monde. Avant, je me ruais à la fenêtre les jours d'orage pour voir la foudre, et bientôt je n'aurai qu'à claquer des doigts pour sentir l'électricité parcourir mes mains. J'ai découvert que j'étais un demi-dieu issu de deux divinités génialissimes. Ma capacité à créer s'améliore petit à petit. Quoi demander de plus ? Mais cette vie me plaît beaucoup.

-Merci, Thauroji. Quelqu'un d'autre ?

Une jeune femme brune leva la main, en face de moi. Une fille que je connaissais bien. Dybder lui a donné la parole :

-Hem... Salut, moi c'est Alexandra. Alexandra Nightfire. Je suis native de Revaltia, et plus précisément des contrées américaines d'Ataraxia. Ça m'emmerde d'en parler, mais comme c'est ça qui a fait que je me retrouve en face de vous aujourd'hui, autant le faire rapidement.
Mon enfance a été bercée par les ombres amicales de mes parents et leur gentillesse. J'étais enfant unique, mais une enfant comblée. Jusqu'à ce funeste soir...

Une larme perla sur la joue d'Alexandra.

-Mon père avait proposé qu'on se balade un peu. A ce moment-là, c'était la pleine lune, mais je m'en fichais. J'ai toujours trouvé la lune fascinante, surtout lorsqu'elle était aussi ronde... Et puis le ciel était si dégagé ! J'étais heureuse de me balader comme ça, dans l'obscurité éclaircie de la nuit.
On s'est arrêtés et mon père a rassemblé du bois. Ma mère a fait un feu obscur et on a pu se réchauffer tandis que les étoiles brillaient au-dessus de nous.

La pauvre commençait à avoir des difficultés à parler. Et moi... Des difficultés à écouter, tant sa tristesse me mettait mal à l'aise.

-Tu sais, Alexandra, tu n'es pas obligée d'aller jusqu'au bout.

-Pas grave, a-t-elle dit sur un ton qui démentait son propos. Je me cache depuis trop longtemps. Même une ténébrienne doit laisser les ombres s'échapper de son cœur.
On avait passé de bonnes minutes, là, à écouter les animaux nocturnes et à admirer le ciel. Et puis, des hurlements... On s'est tous figés... Deuxième hurlement... mes parents se sont affairés... Ils ont mis un voile d'ombre sur moi... Je ne voyais plus rien... J'entendis des bruits de combat, des hurlement bestiaux, des cris... Le voile d'ombre est tombé lorsque tout s'est calmé... Mes parents... Ils...

Elle commença à sangloter. Sage décision de la part de Dybder et de toute la classe de ne pas demander plus de précision (dont le nom la créature qui a commis le crime), mais j'avais bien envie de savoir ce que c'était juste pour avoir plus de plaisir en lisant le regret dans les yeux du criminel alors que la foudre se dirigerait vers lui à pleine puissance. Ou une boule de plasma magnétique ? Nan, trop coûteux.

Alexandra finit par se reprendre, assez rapidement, d'ailleurs. On voyait bien qu'elle avait subi un traumatisme après cette expérience, c'était admirable à quel point elle était courageuse de se confesser.

-Rendez-vous compte, j'avais sept ans lorsque c'est arrivé... Sans aide, j'ai été quelques moments à la rue. Une pauvre gamine de sept ans, tentant de se nourrir par n'importe quel moyen... Le pire, c'est que je n'avais eu que des enseignements magiques mineurs...
Puis un grand monsieur m'a proposé de le suivre, un jour. Comme je n'avais plus rien à perdre, je l'ai suivi. Quand j'y repense, c'était idiot de ma part, mais il voulait me donner un second chez-moi. Le gars était directeur d'un orphelinat.
J'ai donc pu poursuivre l'école, mais à cause de ce que j'avais vécu... J'aurais pu être très puissante, comme ténébrienne : avec toute l'ombre que je cachais dans mon cœur, j'avais la possibilité d'être très puissante. Mais je ne voulais pas pratiquer ; je ne voulais pas pratiquer cette magie qui m'avait manipulée, qui m'avait poussée à accepter une balade sous le clair de lune. Tous les cours de magie, je les séchais et j'allais dans la bibliothèque de la ville par un chemin que peu de gens connaissaient, afin d'apprendre la Magie.
Je veux dire, la théorie de la magie. Je me suis mise en tête que si je ne DEVAIS PAS apprendre l'Ombre, que je devais connaître le feu, connaître le cinétisme, connaître les Arcanes et la maîtrise Thêta... Comme je ne voulais pas de l'ombre, je me suis focalisée sur toutes les autres. J'ai même appris des secrets arcaniques que peu de gens connaissent.

Elle renifla, mais semblait déjà bien plus sûre d'elle.

-je n'ai jamais voulu d'autre chose que l'Orphelinat, au niveau scolaire. Alors que certains de mes camarades qui, comme moi, n'avaient pas été adoptés, continuaient vaillamment vers l'Université, moi je continuais à apprendre via les livres. Aujourd'hui, après 13 ans d'études sur le sujet, je pense bien avoir le parfait profil d'une Mysticologue. Cependant, je n'ai pas eu de boulot. Tous les gens de l'univers scientifico-magique estimaient que des auto-études n'étaient pas suffisantes pour ça, qu'il me fallait un diplôme.
Une fois de plus, j'ai été à la rue. Une de ces clochards qui ne "savent rien faire", selon la société. Ceux qui ont des soucis d'argent, on leur en donne, mais ceux qui n'arrivent pas du tout à trouver des travaux ils ne reçoivent aucune aide. C'est un monde, tout de même... Avec mes connaissances magiques, j'en ai piégé, des arnaqueurs. Un collègue clochard se faisait berner par un mage des Illusions ? Le temps de pincer les fesses à ce connard et le billet illusoire s'évaporait directement. Des gens se faisaient agresser ? Je les aidais. Je faisais de mon mieux en improvisant. Dans bien des cas je finissais blessée, la plupart du temps j'échouais, mais c'est l'intention qui compte.
Je me souviendrai toujours de ce moment où, pour protéger un homme d'un mercenaire de glace, j'ai détecté suffisamment rapidement que le criminel préparait un rayon de gel pour que je puisse m'interposer entre lui et sa cible. Mon tronc fut bloqué dans la glace pendant des jours après ça, mais le temps que ça fonde le brave homme que j'avais sauvé m'a accueillie dans sa maison et m'a prodigué les soins qu'il me fallait. Et je ne parle même pas de ces imbéciles de métamorphes qui se faisaient passer pour des gars de grandes entreprises pour mieux nous berner, je les remarquais tout de suite.

-Je trouve ce genre de pensée admirable, Alexandra. Tu as su utiliser tes connaissances pour aider les autres. Sans vouloir te couper, il y a plein d'autres qui souhaiteraient parler d'eux. Je te poserais juste deux dernières questions : comment as-tu trouvé la voie vers l'Académie, et comment tu te sens au niveau de ce changement de vie.

-J'ai rapidement su que je ne pouvais pas tenir assez longtemps. Les gens de l'ombre ne sont bien perçus que par la moitié de la population. Et c'est réciproque pour les fosiens. Le problème, c'est que ma magie était trop puissante, mais je ne pouvais pas me permettre de l'extérioriser. Du coup il y avait en constance une aura de ténèbres qui m'enveloppait, ce qui dissuadait la moitié des gens de me donner de l'argent. Et une grande partie du reste me snobait.
Du coup je me suis mise à prier Baal pour m'aider à trouver quelque chose... Un jour, alors que je priais, je sentis quelque chose bouger dans ce qu'il me restait de poche. J'en ai ressorti une pierre du genre Onyx sur laquelle était gravée un truc. Le reste, vous le connaissez tous. Solitude, rituel, académie, bla, bla, bla.

Des larmes coulaient encore de temps à autre sur ses joues, mais sa tristesse se sentait beaucoup moins. Seuls ses yeux rouges dénotaient dans toute son attitude.

-Pour le reste... Le plus dur pour moi a été d'accepter que j'aille devoir me résoudre à suivre de vraies études. L'Orphelinat m'a dégoûtée. J'ai été un peu prise au dépourvu, avec la Réunion... Je ne connaissais personne, je n'étais pas dans mon élément et je n'avais pas envie de sociabiliser. Mais j'ai finalement trouvé un ami.

Ces derniers mots, elle les a prononcés en tournant son regard vers moi et en souriant. Je lui ai souri, en réponse.

-J'avais un peu peur de commencer les cours, mais cette première journée a été meilleure que je ne l'avais pensé. Et j'ai fini par accepter que je doive manipuler l'Ombre, à force de la contenir comme ça elle aurait pu me consumer de l'intérieur. Je le savais déjà bien avant, mais je refusais de me l'admettre.

-C'était très courageux de ta part, Alexandra. Quelqu'un d'autre veut prendre la parole ?

Un Exanthrope leva la main. Une certaine affligeance se lisait sur son visage de métal. Dybder lui accorda assez vite la parole.

-Je comprends ta peine, Alexandra. Moi, c'est Z3-L3. Dans le monde d'Exanthropia, d'où je viens, les robots dirigent la Terre, et ce depuis le règne de Vishkar XIII. C'était un empereur qui nous a tous libéré du joug humain. Apparemment, dans ce monde, l'invasion Exanthrope a été arrêtée, mais dans le mien, Vishkar XIII avait un avantage ; celui de la Couronne des tempêtes, qui faisait de lui un des seuls détenteurs de magie. Il y en a eu un autre, le chef humain, mais il n'a pas fait le poids contre l'Empereur.
Ce que je veux dire, c'est que la population humaine a été réduite d'une part en esclavage, d'autre part au néant. Les Exos étaient seuls au pouvoir sur toute la planète. Nous naissions, nous grandissions, nous produisions de l'énergie pour pouvoir nous nourrir en masse (là-bas, aucun pouvoir ne nous permettait de nous auto-alimenter en énergie), nous nous reproduisions, nous mourrions, nous asservissions. Comme de véritables humains. Mais des sociétés secrète humaines œuvraient encore dans l'ombre, afin d'essayer de reprendre le pouvoir.
J'étais né dans une famille connue dans le monde entier. Mon père était officier sous Vishkar XIII. Il a été capturé par des humains qui l'ont décomposé pour obtenir des informations. Mes grands frères étaient des brillants ingénieurs qui ont explosé sur une mine dans une zone qu'on croyait entièrement sûre. Ma mère, quant à elle, s'est remariée avec un Exo du nom de C0-N5. Mon beau-père s'avéra être une bête machine contrôlée par un homme à distance. C0-N5 (ou quoi que soit son nom) a assassiné ma mère. Elle détenait des plans qui auraient pu nous donner un énorme avantage contre la race humaine, une centrale qui avait été réfléchie par toute ma famille. J'ai vu de mes propres yeux ce con démanteler ma mère, lui arracher les processeurs pour voir où étaient les plans. On les croyait en sécurité chez nous, mais...
Le pire, c'est qu'il restait à peine quelques soucis mineurs à régler dans les plans et la construction aurait pu commencer. Je n'avais que vingt ans, à l'époque. Pour vous donner une idée, c'est l'équivalent de neuf ans chez vous. Eh ! Les machines gaspillent beaucoup plus de ressources pour grandir. Bref ! Du haut de mes "neuf" ans, je n'ai pas osé aller prendre les plans pour les cacher. Je l'ai suivi furtivement et j'ai vu mon beau-père les écraser. Honteux, je me suis enfui, et la voix de Vincia m'est parvenue.

-Vincia ? Me demanda Atherach en murmurant.

-C'est la déesse des Exanthropes, lui ai-je répondu tout bas.

-C'est quoi, son domaine ?

-C'est pas vraiment une déesse en fait. C'est plutôt une incarnation, celle de la science.

-Tu devrais bien l'aimer, alors !

Je remarquai que tous les regards étaient dans notre direction. C'est ça qui m'a dissuadé de répondre. J'ai fait un petit geste du genre "Excusez-nous", puis l'Exo a continué.

-La voix de la Grande Intelligence m'a expliqué ce qui pourrait m'attendre, dans l'Epreuve. J'ai accepté, et un portail d'une technologie inconnue s'est formée devant moi. J'ai choisi la voie du Rayonnement Thêta, et me voici, aujourd'hui, devant vous.

-Tu as donc bravé l'Epreuve du haut de tes vingt ans ? s'étonna Dybder.

-Vingt-deux, en fait. J'ai erré longtemps, sans but. Je sais, là comme je me tiens devant vous, je ne pourrais pas avoir vingt-deux ans... En fait j'ai apparemment battu le record de temps passé dans l'Epreuve, avec quatorze années. Je n'étais pas assez mature pour pouvoir me battre contre des adultes, alors j'ai attendu en étudiant ma magie à fond. J'ai trente-six ans, aujourd'hui, ça correspond à dix-neuf ans chez vous.
Les plus calculateurs d'entre vous me détromperaient. En fait, par rapport à vous, la croissance chez nous est différente. Notre enfance est environ deux fois plus longue, notre stade d'adolescence est assez commun, et la phase adulte est interminable... ce n'est qu'à la fin de notre vie, qu'on commence à avoir de vrais problèmes tous d'un coup, qu'on commence à ne plus bien fonctionner, qu'on devient "vieux". Bref !
Je sais ce que vous allez me poser, comme question. Oui, je me sens bien, ici. Le Rayonnement Thêta me prodigue de l'énergie, plus que je n'en ai jamais eu. Par rapport à mon ancienne vie, j'ai l'impression que tout est plus aisé grâce à ça. Je n'ai pas besoin de me nourrir vingt fois par jour, c'est déjà un bon début. Toute ma haine envers la race humaine, elle a disparue au fur et à mesure de mes entraînements magiques. Je n'ai plus de désir de vengeance. Une poignée d'humain a tué ma famille, ce n'est pas sur la race entière qu'il faut se reporter. Et j'espère que cette nouvelle vie va faire de moi un Exo brillant, histoire que, dans les Landes Vinciales, les Codes de mes parents soient fiers de moi.

Z3-L3 regarda Alexandra comme pour lui dire "Je te soutiens. On est dans la même galère.". Après quelques applaudissements, Dybder a désigné quelqu'un d'autre, une Kytsimm de l'air cette fois-ci ; une être élémentaire composé de gaz et de vapeur d'eau.

-Au premier abord, fit-elle remarquer, ça a l'air idiot que des créatures telles que nous, entièrement composées élémentairement, se retrouvent à faire une Epreuve pour arriver jusqu'ici. Pourtant c'est vrai. Nous avons aussi besoin de pouvoirs. J'm'appelle Raeta, et tout ma jeunesse j'ai vécu dans l'esprit que les Kytsimms étaient composés de magie mais ne pouvaient pas en projeter. Par exemple, ceux du feu étaient obligés de toucher du bois pour le faire cramer. Aucun sortilèges.
Z3-L3 nous a fait une petite notion d'histoire, pourquoi je me permettrait pas ça ? Juste mettre au point un mystère : quand on pense que je viens d'un monde sans magie réelle, comment est-ce qu'on nous a créé ? Déjà, l'histoire de Mystikia se déroule dans un monde où la menace Exanthrope a été éradiquée par le premier empereur des hommes. Après ces événements, les humains ont abandonné leur propre technologie pour se reporter sur la technologie ô combien mystérieuse des Couronnes de Pouvoir, telles que la Couronne des Tempêtes. En remaniant ces technologies, l'être humain a été en mesure de maîtriser la mystique. C'est à partir de machines des technologies mystiques qu'est née la première Kytsimm. Par contre, on a refait exactement la même connerie que les Exanthropes : on a fini par asservir les humains.
Mon histoire a été beaucoup moins tragique. En fait, elle était totalement contraire au mot "tragique". Comme j'étais une des rares Kytsimms de l'air à ne pas être entièrement constituée de nuages, j'avais beaucoup de difficultés à me faire remarquer. Grâce à ça, je suis devenue la meilleure espionne de la présidente. Contrairement à Vishkar XIII, elle s'inquiétait beaucoup sur ces histoires de sociétés rebelles humaines. Elle m'envoyait souvent sur le terrain histoire de récupérer les infos des ennemis.
Un jour, je me suis infiltrée dans une base humaine par les voies d'aération et j'ai intercepté des ordres compromettants. Comme j'étais composée d'air, que je ne faisais pas de bruit, que j'étais pratiquement invisible, m'infiltrer dans la base n'a pas été complexe. J'ai réussi à retrouver des plans de bataille. Je reconnus les plans de la Capitale, et un couteau arcanique avait été planté en plein sur le palais présidentiel.
Je me suis dépêchée à sortir. Sur le retour, je remarquai que c'était anormal pour une base aussi grande d'être aussi vide. Lorsque j'ai finalement atteint la capitale, les humains étaient déjà sur place. La bataille avait commencé.
Rassemblant mon courage, j'ai foncé entre les lignes ennemies qui s'engouffraient dans le palais, et me suis ruée en direction de la chambre de la présidente. Sur le sol de la chambre, son corps de lumière et d'ombre, inanimé, hérissé de lances arcaniques, se dissolvait peu à peu.
Les soldats, qui ne m'avaient pas remarquée, s'approchaient dangereusement de l'unique fille de la présidente. Avant qu'ils n'aient le temps de la tuer, j'ai réussi à la prendre par les aisselles et à bondir en direction de la fenêtre la plus proche.

Je ne m'attendais pas du tout à ce genre de récit, après les deux histoires déprimantes auxquelles on avait eu droit... Et en plus elle avait une façon de raconter les faits ! C'était d'un vivant ! On s'y croirait !

-Par la suite, comme j'ai vu que la capitale était prise, j'ai foncé de toutes mes forces en direction d'un endroit peu connu et sûr. Nombreuses ont été les fois où j'ai sauvé la petite des humains, grâce à ma surprenante rapidité. J'ai fini par trouver un coin en montagne, avec un chalet désert, où j'ai vu la petite grandir sous mon aile.
Et puis, une nuit, alors qu'elle était presque adulte, les humains nous ont retrouvés. Je les ai détectés trop tard pour nous enfuir. La porte a été défoncée. Six soldats entraient en trombe, armes arcaniques aux mains. Ils allaient la tuer, alors je me suis interposée, en prenant un coup de lance à sa place. J'ai senti la volonté de Circéis entrer en moi, et les vents se sont déchaînés. J'ai expulsé tous les soldats à l'extérieur, ai déchaîné un ouragan, envoyé trois dans une chute mortelle dans les falaises, ai fait percuter à deux autres un rocher à grande vitesse et ai asphyxié le dernier.
Je me suis demandée d'où je tirais ce pouvoir, jusqu'à ce que j'entendes la voix de Circéis. J'avais accompli de grandes choses dans ce monde. Émède, la Kytsimm que j'avais élevée comme ma fille, était prête. Son destin était de mener le restant du peuple Kytsimm afin de reprendre le pouvoir, et ma destinée dans ce monde s'arrêtait là. On s'est fait nos adieux puis j'eus l'impression de mourir. Lorsque j'ai... "ressuscité", je me trouvais dans l'Epreuve.
Et maintenant, je suis dans Revaltia. Je me sens plus à ma place, ici. Grâce à la maîtrise de l'air, je peux devenir plus visible afin de mieux socialiser.

-Voilà qui remonte le moral ! Merci, Raeta. Qui d'autre ?

La plupart des autres récits étaient plus classiques, comme le mien. Pour ce qui est des autres... Une prochaine fois, peut-être ? Ce chapitre s'éternise.

Aaah ! J'adore ce cours. On papote pendant toute l'heure tout en apprenant. Et puis... Je ne savais pas qu'Alexandra cachait un aussi sombre secret.

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