36 - Un œil sur le Présent

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Le passeur s'éloignait au loin, après nous avoir déposé dans le port de la ville de Megira. J'avais rêvé de ce moment pendant toute ma vie, et pourtant je restais là, prostrée, agenouillée sur les dalles du port.
Pendant que Ferdinand s'amusait avec la faible gravité, Tarek n'appréciait pas tellement cette sensation de légèreté qui le rendait encore plus nauséeux. Il préférait rester auprès de moi pour me conforter...
Cette légèreté, j'étais trop affligée pour m'en réjouir. Je ne remarquais ni mes larmes tomber au ralenti, ni la gigantesque tour qui nous dominait de toute sa magnificence, ni les nombreux sortilèges et enchantements qui enveloppaient chaque dalle, chaque luminaire, chaque bâtiment. Tout ce que je percevais, c'était cette aura d'ombre que ma tristesse avait généré, contaminant par le même temps les pensées de l'Aegyptomancien à un tel point qu'il se mit à sangloter.

-C'est pas vrai ! s'exclama Ferdinand en s'arrêtant de bondir. Mais regardez-moi ces pleutres... Allez, on y va. Direction Megira !
-Et plus vite que ça ! il ajouta en lançant un arc électrique dans les airs. Sinon j'ai les moyens de vous motiver !

Tarek et moi avions dû nous entraider rien que pour nous relever et nous mettre en route, le Fulguromancien en tête, loin de mon aura de négativité. Accablé par la nostalgie, l'égyptien se mit à me raconter n'importe quoi sur sa vie d'avant, dans la dimension des dieux. Il a tout abandonné pour suivre la voie d'Osiris dans Revaltia... Sa famille, ses amis, son pays, tant de choses qui lui manquaient horriblement. Je lui répondais en lui parlant de mes parents... Sans Ferdinand qui nous rappelait à l'ordre à coups de décharges électriques, on aurait pu finir tous les deux en train de pleurer à chaudes larmes, chacun dans les bras de l'autre...

le temps est passé très vite, et je ne me rendis même pas compte de notre arrivée dans la Tour. A l'intérieur régnait un silence sans pareille, seulement perturbé par nos pleurs et un doux bourdonnement arcanique...

-Alexandra, il faut te ressaisir ! fit Ferdinand. Ton aura d'ombres ne cesse de s'amplifier.

-Si... Si seulement c'était aussi facile, je reniflai.

Oui... Si seulement il était possible d'oublier ses soucis, au moins pendant une heure, en un claquement de doigts... Peut-être même de me faire complètement oublier mes parents...
Je me ressaisit. Je ne pouvais pas les oublier, je ne pouvais pas me le permettre.

-Bon, d'accord... fit le fulguromancien. Il doit bien y avoir, dans tout ce bâtiment, une potion de stabilisation émotionnelle !

Et il partit.

-ATTENDS ! je criai. Je... je vais aller la chercher moi-même... je sais où elle se trouve...

-Euh... D'accord, si tu veux.

Rassemblant ma volonté, je repoussai Tarek qui alla s'asseoir dans un coin en sanglotant. Je me dirigeai vers un mur, où étaient stockés des potions par centaines, et demandai en pleurnichant la permission de faire des achats. Mes pieds décollèrent instantanément du sol, et je fus élevée très haut dans les airs, jusqu'à me retrouver en face d'une potion jaune. Je sortis quelques Ataraxiums de ma poche, et les tendis en direction des étagères. Les pièces s'envolèrent de ma main, et en échange la potion jaune lévita vers ma paume.

Je bus la potion pendant ma descente. Si je repensais toujours à la tragédie qui avait fait de moi ce que je suis aujourd'hui, ces pensées m'affectaient moins et mes sanglots s'étaient arrêtés. De même que ceux de Tarek, privé de mon aura de négativité, qui était en train de revenir de ses émotions.

Lorsque mes sentiments furent complètement stabilisés et que les effets de la potion prirent fin, plus rien ne subsista de mon aura. Je relevai enfin la tête, en tombant sur mes genoux, d'admiration, cette fois-ci.
Les rumeurs étaient vraies, l'intérieur de la Tour de Megira était prodigieux. La surface de la salle formait un heptagone aux faces courbées vers l'intérieur, aussi larges qu'un pâté de maisons entier. Les murs, semblant s'étendre à l'infini vers le ciel, servaient à la vente d'objets de toutes sortes, issus de milliers de commerces ; des outils d'alchimie, de création homonculique, d'enchantement, ... ; des potions de force, de changement de race ou de sexe, de croissance végétale, ... ; des ingrédients de potions, des mandragores, des plumes de phénix, du sang de dragon, ... ; des livres parlant de théorie magique, de religions, de technologies Steampunk, ... ; des animaux de compagnie conservés dans des dimensions faites pour eux comme des phénix, des esprits de l'eau, des chats de l'air, ... ; quelques appareils steampunks du genre canon à pression, foreuse à vapeur, rouages, ... ; et puis des runes, des papyrus anciens, des copies du Nécronomicon, des boissons, de la nourriture, des meubles, du matériel de cuisine et de nettoyage, ... La liste pourrait bien continuer pendant des heures. On trouvait littéralement de tout, et tout ce qui ne se trouvait pas en stock appartenait à Ampéria. En fait, la quasi-totalité de ces produits originaient directement d'Arcania et d'Ataraxia ; ce qui était vendu par des magasins pro-Ampéria ne comportait qu'une quantité presque infime du stock de la Tour de Megira. Ce n'était pas ici qu'on pouvait trouver des intelligences artificielles, des nanoparticules ou des canons à énergie.

Et ça, ce n'était que les murs. Parce qu'au centre, il y avait le DAOSUM... Une sphère de plus de quinze mètres de rayon, lévitant à ma hauteur, moi qui était la plus grande du groupe. Si je me plaçais juste en-dessous, mes cheveux touchaient presque le dispositif arcanique... Ce qui était fait exprès ; le DAOSUM est en réalité quelque chose de dangereux à toucher, donc il est fait de manière à ce qu'on ne puisse pas l'atteindre. Si un mage de l'air s'envolait dans les airs dans le but de le toucher, le DAOSUM esquiverait juste sa course. Pour toucher le dispositif, il fallait le vouloir ; être une dizaine de mages volants, en coursant la sphère jusqu'à ce qu'elle n'ait plus d'autre solution pour fuir que de traverser quelqu'un.
Ce dispositif, je le percevais comme une bulle d'un liquide noirâtre. Au travers, je pouvais décerner toutes les grottes et sous-terrain de l'univers, ainsi que les endroits occultés et les planètes qui n'étaient pas éclairées par un soleil proche. Je m'assis sur une des chaises prévues pour observer le DAOSUM, et regardai l'univers entier se déployer sous mes yeux...

-Trouvée ! s'exclama Ferdinand. Chara est dans le continent Nord-Américain d'Ataraxia ! Elle se trouve près d'un temple aj

-Bien ! Au moins, on sait où elle se trouve. Mais je préférerais que ce soit Tarek qui la surveille...

-Pourquoi lui ? s'enquit Ferdinand, apparemment offusqué.

-Ne le prends pas mal ! C'est en rapport avec le mode de fonctionnement du DAOSUM ; chacun peut voir l'univers en fonction des éléments qu'il maîtrise.

-Ce qui veut dire ? demanda l'égyptien.

-Quand je regarde à travers le fluide, je ne vois pas tout Yggdrasil : je ne peux voir que des lieux où règne l'ombre, ou éclairés par une ou plusieurs Lunes. Le DAOSUM me permet d'étendre la perception de mes pouvoirs sur le Macrocosme entier. Ce qui fait que Ferdinand peut voir tout ce qui est constitué d'électrons, et toi... Toi, tu es béni de la Vision des Dieux. L'Œil de Râ te donne une perception sur tout ce qui se trouve sous le soleil et les étoiles, la vision d'Osiris te donne un visuel sur tout le Plan Lunaire et il y a tout un panthéons de dieux qui t'accordent la vue sur tout le reste.

L'égyptien s'immobilisa en se rendant compte du pouvoir de sa perception à travers le DAOSUM.

-Il fait exactement ce que je fais ! s'énerva Ferdinand. L'univers scientifique est composé d'atomes, des particules qui sont obligatoirement dotées d'électrons. Ce qui signifie que si l'univers entier est fait de foudre, ma perception n'a aucune limite ! D'accord, Tarek peut voir le Plan Lunaire, mais en quoi cela nous aide-t-il ?

-Cela pourrait toujours servir, je pointai. Et puis, je trouve que l'hypothèse d'une illusion reste plausible... Peut-être qu'Atherach n'a jamais causé de génocides, et que ce que nous traquons est une autre entité tout aussi puissante que Chara. Si cette entité réussit à tromper les dieux eux-mêmes, tu ne feras pas exception à la règle. Le seul qui pourrait outrepasser les illusions, c'est Tarek avec ses lunettes de vérité.

Le mage de foudre se releva de sa chaise, l'air frustré, pendant que le porteur d'Artéfact prit sagement sa place.

-Je commence à avoir faim, fit l'adepte de la Folie sur un air légèrement rageur. Vous voulez quelque chose ?

-Je ne sais pas, je répondis, mais merci de proposer. Je préfère aller chercher de moi-même.

-Pour moi, ça sera un grand bol de lentilles ! fit l'égyptien sur un ton de nostalgie. ça faisait longtemps...

Je m'avançai vers le mur où étaient stockés les vivres et la magie m'éleva. Sur tout le menu dont disposait Megira, je fis mon choix sur un simple sandwich. Je fus à terre bien avant Ferdinand, et me dirigeai vers notre vigile.

-Tu as trouvé quelque chose ? je demandai.

-Oui, tout est bon. Comme l'a dit Ferdinand, Atherach est en plein combat contre les dieux... Des dieux majoritairements aztèques, mais je vois aussi Horus et Bastet parmi eux.

-Pourquoi spécialement eux ? je demandai. L'Amérique n'est pas vraiment leur territoire principal...

-Horus et Bastet sont deux divinités égyptiennes très protectrices, informa Tarek. L'un s'occupait de la protection du Pharaon, et l'autre est chargée de contenir Apophis, le Serpent du Chaos. Je ne trouve pas si étonnant qu'ils aident à repousser Chara.

-Je... Je peux te confier un secret ?

-Bien sûr. De quoi s'agit-il ?

-Je n'aime pas Ferdinand.

-Ah bon ? Dans quel sens ?

-Je ne sais pas, j'avouai. j'ai... une intuition. Cette habitude à manipuler les sens des gens, alors que cette maîtrise est interdite à un haut niveau... Et surtout sa quête de folie, qui est définitivement bannie dans tous les Archontinents. Un fulguromancien fou ne signifie pas seulement un adversaire puissant, mais un adversaire que personne ne peut prédire.

-Je ne vois pas ce que tu veux dire...

-Comme je l'ai dit, la possibilité d'une illusion n'est pas à écarter.

-Quoi, tu le soupçonnes ? Alexandra, il a été avec nous dès le début. Il a vécu les mêmes aventures que nous, rencontré les mêmes obstacles. Si toute cette situation était son oeuvre, il aurait dû dépenser des sommes astronomiques de magie pour maintenir l'illusion, je me trompe ?

-Oui, mais...

-Astronomique à quel point ? Je suis certain que tu peux faire le calcul.

-Il faudrait... dix fois sa puissance en état de folie. Cent de plus pour être capable de flouer les dieux, et encore cent de plus pour pouvoir leur tenir tête.

-Alors l'affaire est close. C'est impossible qu'il ait pu réunir la puissance nécessaire pour une telle action. Est-ce que c'est pour ça que tu m'as nommé vigile ?

-Oui, je confirmai. Au moins, à travers tes lunettes, aucune illusion ne peut passer, et Ferdinand ―ou qui que soit le responsable― n'aura pas d'influence sur toi. Et si mes soupçons se confirment, peut-être qu'il n'est pas seul... peut-être qu'il fait partie d'une organisation... Je trouve qu'il a agi bizarrement, parfois.

-Laisse tomber, Alexandra. Je suis un Aegyptomancien doué dans l'art des âmes. Tu sais comme moi que cela me donne le pouvoir de regarder l'essence même des gens.

-Et alors ? Ton verdict ?

-Son âme est un peu sombre, il est vrai. Mais cela vient surtout de son idée de puissance... Peut-être cache-t-il aussi un ou deux secrets mineurs. Mais pas au point de nous trahir, voire de tuer la Première Expédition contre Chara jusqu'au dernier.

Je regardai le concerné, toujours en lévitation dans les airs, en train de fouiller dans les nombreux rayons de Megira. Qu'est-ce qui lui prenait autant de temps ? Il ne faut pas autant traîner pour aller chercher un bol de lentille et de quoi le sustenir... Et surtout, il n'avait rien à faire dans le département des potions.
Comme pour répondre, le fulguromancien entama sa descente, les bras chargés de deux paquets.

-On se calme, Alexandra ! reprit Tarek avant l'arrivée du Fulguromancien. Ecoutes, l'Ancien a placé toute sa confiance en lui. Tu connais comme moi à quel point sa sagesse est grande, il ne se serait pas permit de l'envoyer dans la Première Expédition puis la Seconde s'il avait eu le moindre soupçon.

-Tu as sans doute raison... Je suis peut-être trop dure avec lui... Si l'Ancien lui fait confiance, je ne devrais rien avoir à m'inquiéter... Je m'excuse, je faisais trop le lien entre sa manipulation mentale et l'hypothèse de l'illusion.

-Ne t'en fais pas, Alex'. On es tous un peu sur les nerfs, entre Chara, la police, M46-N37, le Bunker X et cette saleté d'Archontinent qui me rend fou...

-Tout de même, mieux vaudrait ne pas lui en parler, je fis. Il revient ; motus et bouche cousue, compris ?

-Compris.

Voyant le fulguromage s'approcher, je changeai de sujet :

-Je maintiens que cette théorie est valide ; nous devons enquêter et trouver les suspects.

-Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Ferdinand.

-Rien pour le moment, fit Tarek. Chara n'a pas bougé... Elle semble sur le point de succomber aux Dieux. Ça va être le moment où je vais perdre sa trace...

Le maître du cerveau s'approcha de l'égyptien et lui tendit un sac sous vide, contenant un bol de lentilles. Je me rendis alors compte que je n'avais toujours pas touché mon sandwich, et en mordit un grand bout. Quand à Ferdinand... Ce fut un poulet rôti entier qu'il révéla, avant de l'attaquer de plein front d'une incivilité telle qu'il avait de la sauce jusqu'au menton.

-Tu parlais de quoi quand je suis arrivé, Alexandra ? il s'enquit entre deux bouchées.

Je déglutit avant de commencer :

-Je disais que tout ceci pouvait être l'œuvre d'un illusionniste extrêmement puissant, seul ou en groupe. Des manipulateurs des illusions, de la lumière, du Vibratisme, de la magie Hex...

-Et de la foudre ? il compléta sur un ton déplaisant.

-Euh... Oui, de la foudre, aussi.

-Et quels seraient ses, ou leurs, motifs ?

-Je pencherai largement sur une entité ou une société désireuse de faire tomber le gouvernement Ataraxien voire les Dieux. Ce n'est pas ceci qui manque ; des Eternels en quête du détrônement des Dieux, des sociétés démonistes, des disciples de Cthulhu, des cercles de sorcières et aussi divers groupements anonymes... Mais je crois qu'avant de se focaliser sur quels groupements pourraient opérer ce genre de chose, il vaudrait mieux se pencher sur la question de qui serait assez puissant pour le faire.

-Et alors ? Tu as des idées ?

-On devrait toujours enquêter pour savoir... Pour le moment, seuls des dieux ou démons comme Loki et Satan comptent sur ma liste. Je pourrais y compter Dharaz Arnferz Rhalrania Kalarn Iarnalfz, l'ancien champion d'Arcania, seulement il a été vaincu il y a cinq ans et plus personne ne connaît sa location...

-Donc ? dit-il. Que fait-on ?

-Euh... Tarek va s'occuper de surveiller Chara. Toi, tu vas t'occuper de trouver des suspects, et moi je vais consulter les livres. Des entités ou groupes d'une telle puissance doivent bien être connus...

-Je résume : je me fais assigner la tâche de fouiller le MULTIVERS ENTIER à la recherche d'un individu qui pourrait être capable de faire de telles illusions ―EN SACHANT PERTINEMMENT QUE CE DERNIER DEVRAIT ÊTRE ASSEZ MALIN POUR SE COUVRIR LUI-MÊME―... Et pendant ce temps, alors que l'autre reste campé là, à toujours regarder la même chose, MADAME va lire des livres... J'ai l'impression de me faire avoir !

-Ecoutes, Ferdinand, je dis franchement. Tout à l'heure, tu étais énervé parce que je ne te laissais pas surveiller Chara. Et maintenant, tu râles de nouveau parce que je t'ai donné une tâche plus importante ?

-Bon, d'accord. Mais tâche de te focaliser sur la mission.

-Arrêtez tout ! s'écria Tarek. On a un problème !

-Qu'est-ce qu'il y a ? nous demandîmes en choeur.

-Les YPSO sont à la Grotte de Trophonios... Et le groupe d'Ataraxia vient d'en finir avec la Pythie.

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